Les Regrets Joachim Du Bellay

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Anales de Filologa Francesa, n . 17, 2009 JERNIMO MARTNEZ CUADRADO

La dispositio dans Les Regrets de Du BellayJErniMo MartnEz cuadrado Universidad de Murcia

Este artculo trata de mostrar y demostrar, ms all de los casos de intertextualidad y metatextualidad, que Les Regrets de Du Bellay conocen un orden compositivo que va de los sonetos llamados liminares, pasando por la elega hasta la stira y concluyendo con unos sonetos de alabanza cortesana . Dentro de la elega y de la stira hay temas que aparecen asimismo agrupados . dispositio, elega, stira .

Resumen

Abstract

This article tries to show and prove that, beyond the cases of intertextuality and metatextuality, Les Regrets of Du Bellay were composed in the following order: from the so-called liminaires sonnets to elegy and satire, finishing with some sonnets of courtly praise . Within elegy and satire there are topics that appear equaly grouped .

Palabras clave:

dispositio, elegy, satire .

Key words:

La critique littraire a souvent nglig lordre compositif des Regrets; on a tout au plus distingu entre une partie lgiaque et une autre satirique sans trop dfinir les limites . James Dauphin a mme parl dun beau dsordre dans les Regrets . Dans cet article jessaierai de montrer que les thmes et les sous-thmes sont agencs selon une volont stylistique de la part de lauteur, tche qui nest certainement pas facile parce que la composition est htrogne . Le mlange de tons est annonc depuis les premiers vers latins de lpitexte qui sintitule Ad lectorem auquel Du Bellay promet une saveur simultane du fiel, du miel et du sel . Quem, lector, tibi nunc damus libellum, Hic fellisque simul, simulque mellis, Permixtumque salis refert saporem . 243

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LES SONNETS LIMINAIRES (1-5) Les cinq premiers sonnets sont appels des sonnets liminaires en ce sens quils sont mtatextuels, que le pote nous retrace ses propos potiques et quils constituent un prlude au recueil. Quand la littrature parle du littraire il est question de mtalittrature, identifi dores et dj en loccurrence avec le mtatextuel dubellaysien tout court . Le premier sonnet dfinit la nouveaut de son entreprise par la figure de la recusatio, cest--dire, du refus: sonnEt 1 Je ne veulx point fouiller au seing de la nature, Je ne veulx point chercher lesprit de lunivers, Je ne veulx point sonder les abysmes couvers, Ny desseigner du ciel la belle architecture . Je ne peins mes tableaux de si riche peinture, Et si hauts argumens ne recherche mes vers, Mais suivant de ce lieu les accidents divers Soit de bien, soit de mal, jescris ladventure . Je me plains mes vers, si jay quelque regret, Je me ris avec eulx, je leur dy mon secret, Comme estans de mon coeur les plus seurs secretaires, Aussi ne veulx-je tant les pigner & friser, et des plus braves noms ne veulx-je deguiser, Que des papiers journaulx, ou bien des commentaires1 . Par la premire strophe le pote avoue scarter de la posie philosophique, cosmogonique ou hymnique, autrement dit de la posie ronsardienne de 1555, alors que le tercet final dfinira le caractre de journal intime et de commentaires quotidiens quil accorde lensemble . Du Bellay linclura dans le genre littrairement humble des Diaria et Commentarii. Dans le deuxime sonnet il prne linimitable de sa composition potique quil qualifie d une prose en ryme ou une ryme en prose. Nanmoins, malgr la simplicit voulue, il parle dHsiode par lpithte lAscrean, du Parnasse par la priphrase la double cyme comme Ovide qui le nomme mons bicipitis dans ses Mtamorphoses (II, 221) et de linspiration par la mtonimie londe au cheval en rfrence la source Hippocrne . partir de la deuxime strophe Du Bellay continue avec la recusatio pour se dfinir.1 Ldition de rference de Les Regrets dont je me suis servi pour toutes mes citations est celle d Henri Chamard in Joachim du Dellay, Oeuvres potiques, vol . II . Paris, 1993, Socit des Textes Franais Modernes .

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sonnEt 2 Un plus savant que moy (Paschal) ira songer Avecques lAscrean dessus la double cyme: Et pour estre de ceulx dont on fait plus lestime, Dedans londe au cheval tout nud sira plonger . Quant moy je ne veulx pour un vers alonger, Maccoursir le cerveau: ny pour polir ma ryme, Me consumer lesprit dune songneuse lime, Frapper dessus ma table, ou mes ongles ronger . Aussi veul-je (Paschal) que ce que je compose Soit une prose en ryme ou une ryme en prose, Et ne veulx pour cela le laurier meriter . Et peult estre que tel se pense bien habile, Qui trouvant de mes vers la rime si facile, En vain travaillera me voulant imiter . Ce dernier tercet est un commentaire qui suit de prs LArt potique dHorace (v . 240 seq .) ut sibi quivis Speret idem: sudet multum, frustra laboret ausus idem . Les rsonnances classiques ne sepuisent pas l, puisque la lime est un lieu commun de la critique classique pour polir les vers -ainsi Quintilien (X, 4, 4) dira ut opus poliat lima (pour que loeuvre soit polie par la lime)- et le vers 8 Frapper dessus ma table, ou mes ongles ronger est une modulation sur le vers de Perse Nec pluteum caedit, nec demorsos sapit ungues (Sat . I, 106 .) Mais lessentiel cest que Du Bellay se rclame implicitement de lHorace satirique en ce qui concerne son recueil, tant donn que ce sonnet est une glose ou amplificatio de la premire satire dHorace (Satires, I, 4, 39-44): Primum ego me illorum, dederim quibus esse poetis, Excerpam numero; neque enim concludere versum Dixeris esse satis, neque si qui scribat uti nos Sermoni propria, putes hunc esse poetam . Ingenium cui sit, cui mens divinior atque os Magna sonaturum, des nominis huius honorem . 245

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(Traduction .- Dabord, pour ma part, je me retrancherai du nombre de ceux auxquels jaccorderai quils sont potes; car, pour ltre, tu ne saurais dire quil suffise de remplir la mesure dun vers; et si quelquun crit, comme moi, des phrases voisines de la conversation, tu ne saurais le tenir pour un pote . Celui qui a du gnie, dont linspiration est plus proche des dieux et dont la bouche est faite pour les grands accents, celui-l accorde lhonneur de ce titre .) Pour ce qui est du quatrime sonnet, il a un incipit qui est galement un refus, une recusatio . sonnEt 4 Je ne veulx feuilleter les exemplaires Grecs, Je ne veulx retracer les beaux traits dun Horace, Et moins veulx imiter dun Ptrarque la grce, Ou la voix dun Ronsard, pour chanter mes regrets . Ceulx qui sont de Phoebus vrais potes sacrez, Animeront leurs vers dune plus grand audace: Moy, qui suis agit dune fureur plus basse, Je nentre si avant en si profonds secretz . Je me contenteray de simplement escrire Ce que la passion seulement me fait dire, Sans rechercher ailleurs plus graves argumens . Aussi nay-je entrepris dimiter en ce livre Ceulx qui par leurs escripts se vantent de revivre, Et se tirer tous vifz dehors des monumens . Les deux premiers vers nous offrent un exemple qui contredit le conseil horatien, explicit dans son Art potique (vv . 268-269), aux potes qui voulaient sessayer lcriture dramatique: Vos exemplaria Graeca Nocturna versate manu, versate diurna . (Trad .- Quant vous que le jour, que la nuit, votre main tourne et retourne les modles grecs .) Mais il sagit en mme temps dune contradiction ses propres impratifs de la Deffence et illustration de la langue franoise (II, 4) qui sont un calque du pote latin:

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Ly doncques et rely premirement ( Pote futur), feuillette de main nocturne et journelle les exemplaires Grecz et Latins: puis me laisse toutes ces vieilles Posies Franoyses . Contradiction finalement avec son propre sonnet 2 o il avait implicitement suivi le conseil de lHorace satirique, comme nous venons de le voir. Il renonce finalement, dit-il dans son premier quatrain, aux images clinquantes de son tape ptrarquiste de lOlive et au style lev de son trs cher collgue Ronsard . Le dernier sonnet des pomes liminaires est construit sur un clich de la posie ptrarquiste. Cest la figure du priamel, tudie par moi-mme dans lun de mes articles, qui le configure; et syntaxiquement, il sagit dune anaphore prolonge dans le premier hmistiche suivie dun futur simple dans le deuxime hmistiche . sonnEt 5 Ceulx qui sont amoureux, leurs amours chanteront, Ceulx qui ayment lhonneur, chanteront de la gloire, Ceulx qui sont pres du Roy, publiront sa victoire, Ceulx qui sont courtisants, leurs faveurs vanteront, Ceulx qui ayment les arts, les sciences diront, Ceulx qui sont vertueux, pour tels se feront croire, Ceulx qui ayment le vin, deviseront de boire, Ceulx qui sont de loisir, de fables escriront, Ceulx qui sont mesdisants, se plairont mesdire, Ceulx qui sont moins facheux, diront des mots pour rire, Ceulx qui sont plus vaillans, vanteront leur valeur, Ceulx qui se plaisent trop, chanteront leur louange, Ceulx qui veulent flater, feront dun diable un ange, Moy, qui suis malheureux, je plaindray mon malheur . Henri Weber explique ainsi ces frquentes rptitions et accumulations des Regrets: La rptition et laccumulation sont destines nous faire partager le sentiment dexaspration qui est celui du pote . Cependant, il y a aussi dans ces rptitions leffet monotone de la plainte et de la complainte . (Weber: 425) Nous passons donc la deuxime partie des Regrets qui est llgie . 247

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L LGIE (6-56) Voil que ce dernier vers -Moy, qui suis malheureux, je plaindray mon malheurdevance la suite de sonnets lgiaques qui embrassent les cinquante sonnets allant du sonnet 6 au sonnet 56 . Cest une des caractristiques dubellaysiennes que dtablir des transitions entre les ensembles qui constituent le tout des Regrets . En effet, les lgies commencent par le motif de lubi sunt, cependant cest un ubi sunt qui ne se questionne pas sur le temps pass, mais qui se concentre sur la vie intime du pote . sonnEt 6 Las o est maintenant ce mespris de Fortune? O est ce coeur vainqueur de toute adversit, Cest honneste desir de limmortalit, Et ceste honneste flamme au peuple non commune? O sont ces doux plaisirs, quau soir soubs la nuict brune Les Muses me donnaient, alors quen libert Dessus le verd tapy dun rivage esquart Je les menois danser aux rayons de la Lune? Maintenant la Fortune est maistresse de moy, Et mon coeur qui souloit estre maistre de soy, Est serf de mille maux & regrets qui mennuyent . De la postrit je nay plus de soucy, Ceste divine ardeur, je ne lay plus aussi, Et les Muses de moy, comme estranges, senfuyent . Le pote se plaint de la perte dinspiration: telle est la rponse aux questions poses dans les deux quatrains . Ce sujet, aussi mtatextuel, cette plainte se poursuit dans les sonnets sept et huit o Du Bellay relie le silence de la Muse lloignement de la Princesse Marguerite qui de son bel oeil divin mes vers favorisoit (VII, 4) . Nous constatons nouveau les contradictions de Du Bellay en vocant Marguerite par la mtaphore ptrarquiste Mais moy qui suis absent des raiz de mon Soleil (VIII, 9) . Et les chos horatiens se poursuivent lorsque Du Bellay applique Ronsard lapposition la moiti de mon ame (VIII, 1) tel quavait t appel Virgile par Horace dimidium animae meae . Le sonnet 9 introduit un des grands thmes de llgie, savoir le thme de lexil de la France, ou si lon veut, de lexil Rome (IX, 1-4, 7-8):

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sonnEt 9 France, mre des arts, des armes, & des loix, Tu mas nourry long temps du laict de ta mamelle: Ores, comme un aigneau qui sa nourrice appelle, Je remplis de ton nom les antres et les bois .. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . France, France respons ma triste querelle, Mais nul, sinon cho, ne respond ma voix . Ldition de Chamard nous rappelle que son premier quatrain est une rplique de cet autre de Pamphilo Sasso: Come el timido agnel del gregge fore, . . . Che si ritrova a casa abandonato A suo modo piangendo empie dal lato De lamenti ogni loco e di dolore, Quasi chiamando la matre e il pastore: Cos faccio dolente e sconsolato. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Per selve e piaggie, per valle e per monti Vado cridando con si largo pianto . . . Cette problmatique de lexil se prolonge dans le sonnet suivant o il cite Ovide, lcrivain exil par antonomase . Et ainsi les sonnets qui vont du 11 au 14 dveloppent sur le mode lgiaque le rle consolateur des vers, un motif bien cher Ovide lui-mme . Ce sont des sonnets qui procdent par des anaphores accumulatives: Bien que (10 vers) pour le sonnet 11 dont le dernier tercet ferme la composition de cette sorte: sonnEt 11 Si ne veulx-je pourtant delaisser de chanter, Puis que le seul chant peult mes ennuys enchanter, Et quaux Muses je doy bien six ans de ma vie . Les Muses, qui staient enfuies au dernier vers du sixime sonnet, paraissent revenir cinq sonnets plus loin . 249

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Le procd accumulatif du sonnet douze provient de lanaphore de Veu (trois fois) et de Ainsi (6 fois) . Il se relie lantrieur par ce jeu en cho de la rime interne entre chanter et enchanter, tel que nous le lisons au deuxime quatrain: sonnEt 12 Je ne chante (Magny) je pleure mes ennuys, Ou, pour le dire mieulx, en pleurant je les chante, Si bien quen les chantant, souvent je les enchante . Comme le dit Joseph Vianey (1974: 96): Il finit par sapercevoir que la posie serait une de ses distractions, et que la souffrance, au lieu de tarir sa verve, lui apporterait un nouvel aliment . La liaison entre les sonnets treizime et quatorzime est toujours ce rle consolateur des vers: sonnEt 13 Si les vers ont est labus de ma jeunesse, Les vers seront aussi lappuy de ma vieillesse, Sils furent ma folie, ils seront ma raison . Voici quen ce sonnet la polysyndte de la conjonction conditionnelle Si marque le caractre anaphorique qui se poursuivra le long du dernier tercet et mme du sonnet suivant . sonnEt 14 Si limportunit dun crditeur me fasche, Les vers mostent lennuy du fascheux crditeur: Et si je suis fasch dun fascheux serviteur Dessus les vers (Boucher) soudain je me desfasche . Si quelquun dessus moy sa cholere deslasche, Sur les vers je vomis le venim de mon coeur: Et si mon foible esprit est recreu de labeur, Les vers font que plus frais je retourne ma tasche . Les vers chassent de moy la molle oisivet, Les vers me font aymer la doulce libert, Les vers chantent pour moy ce que dire je nose . Si donc jen recueillis tant de profits divers, Demandes-tu (Boucher) de quoy servent les vers, Et quel bien je reoy de ceulx que je compose? 250

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Les sonnets 14 et 15 sentrelacent parce que si le premier finit par une interrogation cest par l mme que lautre commence . Mais le quinzime sonnet introduit un nouveau motif de plainte lgiaque: Du Bellay est contraint soccuper daffaires ennuyeuses: sonnEt 15 Panjas veuls tu savoir quels sont mes passetemps?. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Je vays, je viens, je cours, je ne perd point le temps, Je courtise un banquier, je prens argent davance, Quand jay depesch lun, un autre recommence, Et ne fais pas le quart de ce que je pretends . Qui me presente un compte, une lettre, un memoire, Qui me dit que demain est jour de consistoire, Qui me rompt le cerveau de cent propos divers; Qui se plainct, qui se deult, qui murmure, qui crie, Avecques tout cela, dy (Panjas) je te prie, Ne tesbahis-tu point comment je fais des vers? Je suis daccord en ce sens avec H . Weber qui a crit: Lantithse entre le prsent et le pass, entre Rome et lAnjou, entre le pote exil et ses compagnons rests en France forme la charnire essentielle du sonnet lgiaque: les formules rptes ou reprises avec de lgres variations, le savant mlange de symtries et dissyimtries dans la construction, tantt soulignent cette structure antithtique, tantt font entendre la plainte monotone dun chant qui berce la douleur . (Weber, 1986: 461) Il est oblig de traiter dans llgie le thme de la mort qui apparat, en concomitance avec lexil, dans les sonnets 16 et 17 . sonnEt 16 Las & nous ce pendant nous consumons nostre aage Sur le bord incogneu dun estrange rivage, O le malheur nous fait ces tristes vers chanter, Comme on voit quelquefois, quand la mort les appelle, Arrengez flanc flanc parmy lherbe nouvelle, Bien loing sur un estang trois cygnes lamenter .

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Les sonnets 18 25 sont ddis des membres de la Pliade et abordent le contraste entre le destin heureux de ceux-ci et le triste sort de Du Bellay loin de sa terre natale . Voici pourquoi la srie souvre par la nostalgie de la France et de sa rgion, sa terre Angevine . sonnEt 19 Je me pourmene seul sur la rive Latine, La France regretant, & regretant encor Mes antiques amis, mon plus cher tresor, Et le plaisant sejour de ma terre Angevine . Je regrete les bois, & les champs blondissans, Les vignes et les jardins, & les prez verdissans . Et ainsi alors quil sadresse Ronsard en louant sa rputation: sonnEt 20 Tu jouis (mon Ronsard) mesmes durant ta vie, De limmortel honneur que tu as merit: Et devant que mourir (rare felicit) Ton heureuse vertu triomphe de lenvie . Il confessera Baf: sonnEt 24 Moy chetif ce pendant loing des yeux de mon Prince, Je vieillis malheureux en estrange province, Fuyant la pauvret: mais las ne fuyant pas Les regrets, les ennuys, le travail, & la peine . Le tardif repentir dune esprance vaine, Et limportun souci, qui me suit pas pas . Nous avons assist au troisime motif lgiaque: la plainte cause des dceptions et face la destine plus satisfaisante de ses compagnons de Brigade . Une autre squence comprend les sonnets 25-36 qui sont associs par lide dun voyage et qui commence avec un quatrain assez connu o le pote languit de sa terre natale, la France et de son Anjou, puisquil y a toujours des lments qui font que le changement se fasse de faon insensible ou presque imperceptible:

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sonnEt 25 Malheureux lan, le mois, le jour, lheure, & le poinct, Et malheureuse soit la flatteuse esprance, Quand pour venir icy jabandonnay la France: La France, & mon Anjou dont le desir me poingt . Quant au premier vers de ce sonnet il est inexcusable de prciser que cest une intertextualit au sens invers du sonnet 64 de Ptrarque, influence qui est dterminante dans lOlive mais qui nabonde pas dans Les Regrets; Ptrarque avait crit: Benedetto sia l giorno, e l mese, e lanno, e la stagione, e l tempo, e lora, e l punto . . . Au centre de cette srie se place le fameux sonnet 31 qui reprend lide de la nostalgie de la terre angevine: sonnEt 31 Heureux qui, comme Ulysse, a fait un beau voyage, Ou comme cestuy la qui conquit la toison, Et puis est retourn, plein dusage & raison, Vivre entre ses parents le reste de son aage! Quand revoiray-je, helas, de mon petit village Fumer la chemine, & en quelle saison, Revoiray-je le clos de ma pauvre maison, Qui mest une province, & beaucoup davantage? Plus me plaist le sejour quont basty mes ayeux, Que des Palais Romains le front audacieux . Plus que le marbre dur me plaist lardoise fine: Plus mon Loyre Gaulois, que le Tybre Latin, Plus mon petit Lyr, que le mont Palatin, Et plus que lair marin la doulceur Angevine . Ldition dAris et de Joukovsky regroupent ces sonnets sous le titre du cycle dUlisse . Dans ce sonnet Du Bellay a repris certains lments de son lgie latine Patriae desiderium: Foelix qui mores multorum vidit, & urbes, 253

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Sedibus & potuit consenuisse suis . . . Quando erit, ut notae fumantia culmina villae Et videam regni jugera parva mei? Non septemgemini tangunt mea pectora Colles, Nec retinet sensus Tybridis unda meos . Non mihi sunt cordi veterum monumenta Quiritm, Nec statuae, nec mea picta tabella juvat: Non mihi laurentes Nymphae, sylvaeque virentes, Nec mihi, quae quondam, florida rura placent. La squence qui embrasse les sonnets 37 49 redit les divers sujets lgiaques dj vus en ajoutant une autre cause de plainte: la maladie physique de Du Bellay, comme luimeme le proclame dans le sonnet 39 o il exprime par antithses accumulatives ses intimes souffrances: sonnEt 39 Jayme la libert, & languis en service, Je nayme point la court, & me fault courtiser, Je nayme la feintise, & me fault deguiser, Jayme la simplicit, & napprens que malice: Je nadore les biens & sers lavarice, Je nayme les honneurs, & me les fault priser, Je veulx garder ma foy & me la fault briser, Je cherche la vertu, & ne trouve que vice: Je cherche le repos, & trouver ne le puis, Jembrasse le plaisir, & nesprouve quennuis, Je nayme discourir, en raison je me fonde: Jay le corps maladif, & me fault voyager, Je suis n pour la Muse, on me fait mesnager, Ne suis-je pas (Morel) le plus chetif du monde? Ce sujet est repris dans le sonnet 42: sonnEt 42 Cest ores, mon Vineus, cest ore Que de tous les chetifs le plus chetif je suis, 254

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Et que ce que jetois plus estre je ne puis, Aiant perdu mon temps, & ma jeunesse encore . Dailleurs M . A . Screech note dans son dition des Regrets que le premier vers du sonnet -Cest ores, mon Vineus, cest ore- concide avec le dbut du sonnet de Jean Pardeillan plac en tte des Soupirs de Magny . Cest or vraiment Magny, vraiment Magny cest ore . On est donc face un des nombreux cas dintertextualit des Regrets, cas frquent en ce qui concerne les Anciens, mais cependant rare quand il sagit des potes contemporains . Ce sonnet 42 amorce une squence, ddie Vineus, qui va jusquau sonnet 47, dans lesquels Du Bellay cherche se consoler peu peu . Yvonne Bellenger considre quavec le sonnet 49 cen est fini de ce quil est convenu dappeler les Regrets proprement dits (Du Bellay 1995: 45), ce qui est douteux mon avis . La squence de 50 56 marque une transition indique parce que le pote sassocie au destinataire et emploie un impratif qui invite la consolation: Sortons (Dilliers) sortons, faisons place lenvie, Et fuions desormais ce tumulte civil,. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Allons o la vertu, & le sort nous convie, (Sonnet 50, vv . 1, 2, 5) Mauny, prenons en gr la mauvaise fortune, (Sonnet 51, v .1) Vivons, Gordes, vivons, vivons, & pour le bruit Des vieillards ne laissons faire bonne chere: Vivons, puis que la vie est si courte & si chre, Et que mesmes les Roys nen ont que lusufruit . (Sonnet 53, vv . 1-4) Ces vers constituent un intertexte clairissime du vers de Catulle Vivamus, mea Lesbia, atque amemus (Carmina V) . Ce sont donc des sonnets de transition entre llgie, qui est plainte et consolations de la souffrance physique et surtout morale, et la satire, que nous allons tudier tout de suite . LA SATIRE (57-138) En effet on peut dlimiter le champ de la satire ds le sonnet 57 jusquau sonnet 138 . La source dinspiration tonale pour llgie tait surtout Les Tristes et Les Pontiques dOvide dans son exil hors de Rome, qui stait manifest dans sa ddicace Monsieur 255

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dAvanson, emprunte de la premire lgie du IVe livre des Tristes; pour la satire la source dinspiration dans le ton sera maintenant LArioste, mme si Henri Chamard avertit: LArioste notamment, dans plusieurs pices crites en tercets sous la forme dptres familires, stait raill des vices et des travers de la socit de son temps, en particulier du clerg romain . (Du Bellay 1993a: II, 369) Vianey, de son ct, nous renseigne: Lauteur du Roland Furieux stait trouv Rome dans la situation mme o sy trouvait le cousin du cardinal du Bellay . Attach la personne du cardinal de Ferrare, il exerait auprs de ce puissant prlat les fonctions de secrtaire et dintendant . Il enrageait dtre asservi des occupations qui lloignaient de la posie . Mais il se vengea de ses ennuis en les racontant dans des satires, qui sont les meilleures quait produites en Italie au XVIe sicle limitation des satiriques latins . (Vianey, 1974: 87-88) Aussi Chamard parle-t-il de loriginalit formelle de Du Bellay: Lintroduction de la satire dans le sonnet est un fait littraire de premire importance . Jusqualors, je lai dit, la forme du sonnet, au jugement de nos potes, navait point paru susceptible dexprimer autre chose que des motions graves, et surtout les passions de lamour . Dj, dans ses Antiquitez de Rome, du Bellay, tout en conservant au sonnet son caractre lgiaque, en avait agrandi le cadre, au point de lui confier la traduction des rveries historico-philosophiques . Mais cette fois, la transformation tait radicale: du Bellay innovait le sonnet satirique et, dans lespace de quatorze vers, faisait tenir tout un portrait humoristique, tout un tableau de moeurs . (Du Bellay 1993a: II, 378-379) Cest le sonnet satirique qui doit le plus la littrature italienne, car, comme nous lisons chez Vianey: Lanne mme o Du Bellay arrive Rome parat une nouvelle dition des sonnets de Burchiello, que le savant Doni claire -et parfois obscurcit encorepar un commentaire: Rime del Burchiello Fiorentino, comentate dal Doni; Venezia 1553 . Burchiello avait cr la satire en Italie au XVe sicle, et son cadre avait t le sonnet . (Vianey, 1974: 82) Il faudrait donc ajouter que la forme habituelle de la satire tait lptre en rimes tierces et que Burchiello pratiquait un genre de satire contre les individus ou des thmes de la satire burlesque traditionnelle . Or Vianey nous renseigne aussi:

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On lit Rome les sonnets satiriques de Burchiello lanne o Du Bellay y vient . Et voici que lanne o probablement il commence crire les Regrets le Lasca publie une dition complte des sonnets satiriques de Berni: Il secondo libro delle opere piacevoli di M. Francesco Berni; Firenze, 1555 . (Vianey, 1974: 84-85) Berni pratiquera une satire que Vianey appelle paradoxale, autrement dit, qui prtend louer ce quelle fltrit, qui feint lloge ironique de ce qui est mesquin. Mais la satire en Italie tait mise en sonnets non seulement par Burchiello et Berni mais aussi et peu avant par Pulci, Franco, Serafino et Alessandro Piccolomini avec ses Cento sonetti . Souvre la satire dubellaysienne par deux sonnets (57-58) qui pratiquent la satire bernesque -personnelle- contre Le Breton, scretaire particulier de son oncle le cardinal du Bellay et compagnon de chambre de notre pote . Si nous examinons la structure du sonnet 58, nous voyons que les deux quatrains logent les vertus de son compagnon, alors que les tercets laccusent de paresseux et poltron: sonnEt 58 Le Breton est savant, & sait fort bien escrire En Franois, & en Thuscan, en Grec, & en Romain, Il est de son parler plaisant et fort humain, Il est bon compaignon, & dit le mot pour rire: Il a bon jugement, & sait fort bien eslire Le blanc davec le noir: il est bon escrivain, Et pour bien compasser une lettre la main, Il y est excellent autant quon saurait dire: Mais il est paresseux, & craint tant son mestier, Que sil devoit jeusner, ce croy-je, un mois entier, Il ne travailleroit seulement un quart dheure . Bref il est si poltron, pour bien le deviser, Que depuis quatre mois, quen ma chambre il demeure, Son umbre seulement me fait poltronniser . La trahison de Le Breton par la suite est raconte, outre mile Picot et Chamard, par Vianey: Quand il faisait de Le Breton ce portrait plus enjou que mordant, lauteur des Regrets ne savait pas encore que le bon compagnon avait un pire dfaut que la paresse et la poltronnerie: il abusa de la confiance quon lui tmoignait, copia clandestinement des sonnets de Joachim pour les vendre aux gentilshommes franais qui taient Rome . Telle est la grave accusation que le pote 257

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portera plus tard contre lui dans une lettre au cardinal Du Bellay date du 11 juillet 1559 . Lindiscrtion de Le Breton nous est du moins une preuve de la curiosit que suscitrent les Regrets ds lepoque de leur composition . (Vianey, 1976: 98) Le sonnet soixante sur un chat suivrait la satire la faon traditionelle, celle de Burchiello, par exemple, et il est en mme temps un cas dintertextualit avec sa composition XVIII des Divers Jeux rustiques intitule pitaphe dun chat . Le premier tercet du sonnet 62 contient un message mtatextuel et une allusion directe la satire . sonnEt 62 La Satyre (Dilliers) est un publiq exemple, O, comme en un miroir, lhomme sage contemple Tout ce qui est en luy ou de laid, ou de beau . La squence qui va des sonnets 63 73, dont le sens reste le plus obscur du recueil, est axe sur des critiques personelles, lexemple de Berni, et non daprs la maxime de Martial (X, 30, 10) Parcere personis, dicere de vitiis, ni non plus suivant le conseil horatien qui se prononce dans la mme ligne . Il sagit l dune galerie de portraits o apparaissent un ami faux (63), un btard (64), un pdant (65-69, peut-tre la mme personne au sonnet 70), un hipocrite (71), un vieillard vicieux et un jeune ambitieux (73) . Encore une fois nous constatons une contradiction entre la pratique potique de Du Bellay et ce quil avait recommand dans sa Defence (II, 4): taxer modestement les vices de ton tens, & pardonner au nom des personnes vicieuses . Cette squence se termine par deux autoportraits (74-75), o il se montre bienveillant envers lui-mme: sonnEt 74 Je ne say comme il fault entretenir son maistre, Comme il fault courtiser, & moins quel il fault estre Pour vivre entre les grands comme on vid aujourdhuy . Jhonore tout le monde, & ne fasche personne, Qui me donne un salut, quatre je luy en donne, Qui ne fait cas de moy je ne fais cas de luy . Les quatre sonnets suivants (76, 77, 78, 79) ont un caractre nouveau mtatextuel et je cite le sonnet 77 o le pote conjugue la plainte et le rire, mais attention!, il sagit dun rire sardonien, donc lauteur fait allusion au mlange dlgie et de satire .

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sonnEt 77 Je ne descouvre icy les mysteres sacrez Des saincts prestres Romains, je ne veulx rien escrire Que la vierge honteuse ait vergogne de lire, Je veulx toucher sans plus aux vices moins secretz . Mais tu diras que mal je nomme ces regretz, Veu que le plus souvent juse de mots pour rire, Et je dy que la mer ne bruit tousjours son ire, Et que tousjours Phoebus ne sagette les Grecz . Si tu rencontre donc icy quelque rise, Ne baptise pourtant de plainte desguisee Les vers que je souspire au bord Ausonien . La plainte que je fais (Dilliers) est veritable: Si je ry, cest ainsi quon se rid la table, Car je ry, comme on dit, dun riz Sardonien . La partie centrale et plus importante de sa satire, cest--dire, les sonnets qui vont du 78 au 122, est consacre la censure de Rome et de lglise comme lui-mme le devance dans le sonnet 78: sonnEt 78 Je te raconteray du sige de lesglise, Qui fait doysivet son plus riche tresor, Et qui dessous lorgueil de trois couronnes dor Couve lambition, la haine, & la feintise . Je te diray quicy le bon heur, & malheur Le vice, la vertu, le plaisir, la douleur, La science honorable, & lignorance abonde . Bref, je diray quicy, comme en ce vieil Caos, Se trouve (Peletier) confusment enclos Tout ce quon void de bien, & de mal en ce monde . Jean Vignes manifeste ce propos: La prsence de tels sonnets dannonce suffirait prouver que les Regrets ne constituent ni un journal, ni un ramas embrouill mais un recueil structur . 259

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Les sonnets satiriques sur Rome semblent avoir t classs selon des critres formels dabord, thmatiques ensuite . (Du Bellay: 118) Dans ce vaste ensemble des sonnets satiriques romains on peut distinguer un grand nombre de sous-ensembles que Du Bellay a assurment group avec une grande volont stylistique et thmatique, lesquels je passe grener tout de suite: 1) Les sonnets 78-83 tracent une fresque de la vie romaine qui se btit sur des structures analogiques; dans le sonnet 78 Je ne te conteray (v . 1) . . . Je te raconteray (v . 4) . . .Je te diray quicy (v . 9) . . . Bref je diray quicy (v . 12); et pour le sonnet 79 Je nescris point de . . . (incipit du premier vers) et Je nescris de . . . (incipit de tous ses autres vers) . Dans le sonnet 81, il nous dcrit un conclave dont Sainte Beuve a dit le premier que cette pice vaut surtout par la plnitude et la prcision du tableau; linfluence de la satire paradoxale bernesque se reconnat lironique rptition de ces Il fait bon voir . . . sonnEt 81 Il fait bon voir (Paschal) un conclave serr, Et lune chambre lautre galement voisine Dantichambre servir, de salle, & de cuisine, En un petit recoing de dix pieds en carr: Il fait bon voir autour le palais emmur, Et briguer l dedans, ceste troppe divine, Lun par ambition, lautre par bonne mine, Et par despit de lun, estre lautre ador: Il fait bon voir dehors toute la ville en armes, Crier le Pape est fait, donner de faulx alarmes, Saccager un palais: mais plus que tout cela Fait bon voir, qui de lun, qui de lautre se vante, Qui met pour cestui-cy, qui met pour cestui-la, Et pour moins dun escu dix Cardinaux en vente . 2) Le sous-ensemble des sonnets 84, 85 et 86 se caractrise par la prsence neutre du mode infinitif . De cette description en dgr zro, que lon dirait de nos jours, japporte le texte du sonnet 86: sonnEt 86 Marcher dun grave pas, & dun grave souci, Et dun grave soubriz chacun faire feste, Balancer tous ses mots, respondre de la teste, Avec un Messer non, ou bien un Messer si:

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Entremesler souvent un petit, Et cosi, Et dun son Servitor contrefaire lhonneste, Et comme si lon eust sa part en la conqueste, Discourir sur Florence, & sur Naples aussi: Seigneuriser chacun dun baisement de main, Et suivant la faon du courtisan Romain, Cacher sa pauvret dune brave apparence: Voila de ceste court la plus grande vertu, Dont souvent mal mont, mal sain, & mal vestu, Sans barbe et sans argent on sen retourne en France . 3) Sonnets 87-90 bass sur le dsir de fuite et de retour comprenant des allusions intertextuelles prcises des pisodes des chapitres VI et VII du Roland Furieux de lArioste, concrtement la belle magicienne ou fe Alcine qui avait inspir aussi le Discours contre Fortune de Ronsard . 4) Les sonnets 91 et 92 versent sur les courtisanes . Le premier est aussi une satire contre les lieux communs ptrarquistes des parties du corps fminin . 5) Sur de les maladies la pelade et de la vrole sont les sonnets 93 96 dont je reproduis par sa structure anaphorique, typiquement dubellaysienne, le 94 o le thme principal est dplac au dernier vers: sonnEt 94 Heureux celuy qui peult long temps suivre la guerre Sans mort, ou sans blessure, ou sans longue prison! Heureux qui longuement vit hors de sa maison Sans despendre son bien, ou sans vendre sa terre! Heureux qui peult en court quelque faveur acquerre Sans crainte de lenvie, ou de quelque traison! Heureux qui peult long temps sans danger de poison Jouir dun chapeau rouge, ou des clefz de sainct Pierre! Heureux qui sans peril peult la mer frequenter! Heureux qui sans procez le palais peult hanter! Heureux qui peult sans mal vivre laage dun homme! Heureux qui sans soucy peult garder son tresor! Sa femme sans soupon, & plus heureux encor Qui a peu sans peler vivre trois ans Rome! 6) Les deux sonnets suivants, 97 et 98, traitent des femmes possdes. 7) Et les deux sonnets suivants 99 et 100 reviennent sur les courtisanes . 261

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8) La srie des sonnets 101 113 est une satire contre les extravagances et les incongruits du clerg du Vatican. Dans ce groupe il faut distinguer un sous-groupe que Du Bellay avait autocensur: ce sont les sonnets 105 112, qui se trouvent dans ldition du XVIe sicle insrs dans le carton de lexemplaire unique de la Bibliothque Nationale . Pour se situer lpoque il faut dire que lorsque Du Bellay arriva en Italie le Pontife tait Jules III de qui Vianey claircit: Il stait fait construire une villa aux portes de Rome . L il menait lexistence dun prince de la Renaissance, aimait les plaisirs de lesprit et les dlicatesses de la table: il mangeait avec volupt les lgumes rcoltes dans son jardin . (Vianey, 1974:102) Ce qui constitue un dtail retenir, parce que Du Bellay en profite afin de faire une satire la manire dune pitaphe pour ce Pape qui ne jouit pas de ses sympathies: sonnEt 104 Si fruicts, & bledz, & autres telles choses Ont leur tronc, & leur sep, & leur semence aussi, Et son voit au retour du printemps addoulci Naistre de toutes partz violettes, & roses: Ny fruicts, raisins, ny bledz, ny fleurettes descloses Sortiront (Viateur) du corps qui gist icy: Aulx, oignons, & porreaux, & ce qui fleure ainsi, Auront icy dessous leurs semences encloses . Toy donc, qui de lencens & du basme nas point, Si du grand Jules tiers quelque regret te poingt, Parfume son tombeau de telle odeur choisie: Puis que son corps, qui fut jadis egal aux Dieux, Se souloit paistre icy de telz metz precieux, Comme au ciel Jupiter se paist de lambrosie . Le second pape que connut Du Bellay ce fut Marcel II, un prlat de vertu exemplaire qui tomba malade le jour de son couronnement et mourut aprs vingt-et-un jours de pontificat lge de cinquante-cinq ans . Le sonnet que Du Bellay composa sur la mort de Marcel II appartient la srie autocensur par le pote et cest une satire froce contre la papaut de Jules III:

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sonnEt 109 Comme un qui veult curer quelque Cloaque immunde, Sil a le nez arm dune contresenteur, Estouff bien souvent de la grand puanteur Demeure ensevely dans lordure profonde: Ainsi le bon Marcel ayant lev la bonde, Pour laisser escouler la fangeuse espesseur Des vices entassez, dont son predecesseur Avoit six ans devant empoisonn le monde: Se trouvant le pauvret de telle odeur surpris, Tomba mort au milieu de son oeuvre entrepris, Nayant pas demy ceste ordure purgee . Mais quiconques rendra tel ouvrage parfait, Se pourra bien vanter davoir beaucoup plus fait, Que celuy qui purgea les estables dAuge . Aprs la mort de Marcel II, le conclave lut le cardinal Caraffa qui prit le nom de Paul IV . Il avait plus de soixante-dix-neuf ans et ctait le chef des rigides, do la satire, censure aussi, de Du Bellay: sonnEt 110 Ainsi la paix Mars il oppose en un temps, Le beautemps lorage, lhyvers le printemps, Comparant Paul quart, avec Jules troisime . Aussi en furent onq deux sicles plus divers, Et ne se peult mieulx voir lendroit par le revers, Que mettant Jules tiers avec Paule quatrime . 9) La longue squence qui va des sonnets 114 126 est consacre aux nouvelles de lactualit romaine . Dans les sonnets 114 et 116 il sagit de lactualit militaire et le thme de la guerre est abord . Du Bellay nous surprend en insrant ici un sonnet philosophique, le 117 . Les sonnets 118 et 119 ont pour sujet des actualits vaticanes . Jinclus par sa mordacit satirique et son ralisme lancinant le premier dans lequel le pote fait dpendre le bonheur des grands de la cour dun filet de sang:

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sonnEt 118 Quand je voy ces Messieurs, desquelz lauctorit Se voit ores icy commander en son rang, Dun front audacieux cheminer flanc flanc, Il me semble de voir quelque divinit . Mais les voiant pallir lors que sa Sainctet Crache dans un bassin, & dun visage blanc Cautement espier sil a point de sang, Puis dun petit soubriz feindre une seuret: O combien (di-je alors) la grandeur que je voy, Est miserable au pris de la grandeur dun Roy! Malheureux qui si cher achete tel honneur . Vrayement le fer meurtrier, & le rocher aussi Pendent bien sur le chef de ces Seigneurs icy, Puis que dun vieil filet depend tout leur bonheur. Le carnaval romain est le sujet des sonnets 120 122 . Et les sonnets 123 126 parlent sur lactualit politique de la trve de Vaucelles, une trve en principe de cinq ans signe entre Henri II de France et lEmpereur Charles Quint en fvrier 1556 . sonnEt 123 Nous ne sommes faschez que la trefve se face: Car bien que nous soyons de la France bien loing, Si est chacun de nous soymesmes tesmoing, Combien la France doit de la guerre estre lasse . Mais nous sommes faschez que lEspagnole audace, Qui plus que le Franois de repoz a besoing, Se vante avoir la guerre & la paix en son poing, Et que de respirer nous luy donnons espace . Le sonnet 127 est une rcapitulation des actualits de la ville ternelle . Les sonnets 128 138, les derniers de la partie satirique nous racontent son voyage de retour en France . On peut y distinguer deux squences; la premire du sonnet 128 au 264

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sonnet 130 o lauteur rapporte un voyage imaginare par mer, et les sonnets 131 138 qui dcrivent chacune des tapes jusqu son arrive Paris . Dans ce voyage fictionnel maritime (128, 129, 130) il y a des rfrences Virgile et Homre . Je citerai les deux quatrains des sonnets 129 et 130 . Dans le premier abondent les allusions mythologiques et on y trouve le lieu commun de la tempte: sonnEt 129 Je voy (Dilliers) je voy serener la tempeste, Je voy le vieil Prot son troppeau renfermer, Je voy le verd Triton segaier sur la mer, Et voy lAstre jumeau flamboier sur ma teste. Ja le vent favorable mon retour sappreste, Ja vers le front du port je commence ramer, Et voy ja tant damis, que ne les puis nommer, Tendant les bras vers moy, sur le bord faire feste . On y trouve galement linfluence de ces vers du Roland Furieux (XLVI) de lArioste: Or se mi mostra la mia carta il vero, non lontano a discoprirsi il porto; s che nel lito i voti scioglier spero a chi nel mar per tanta via mha scorto;. . . Ma mi par di veder, ma veggo certo, veggo la terra, e veggo il lito aperto . Quant au sonnet 130 on peut le mettre en rapport avec le clbre sonnet 31 Heureux qui, comme Ulysse, a fait un beau voyage quoique H . Weber indique: La comparaison avec Ulysse finit par devenir un thme conventionnel que le pote adapte avec plus ou moins dartifice aux diffrentes circonstances de son voyage . (Weber, 1986:435) Sonnet 130 Et je pensois aussi ce que pensoit Ulysse, Quil nestoit rien plus doulx que voir encor un jour Fumer sa chemine, & apres long sejour

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Se retrouver au sein de sa terre nourrice . Je me resjouissais destre eschapp au vice Aux Circes dItalie, aux Sirenes damour, Et davoir rapport en France mon retour Lhonneur qui sacquiert dun fidle service . En effet, vu que Du Bellay intitule ses 191 sonnets comme Les Regrets et autres oeuvres potiques, et tant donn le foisonnement thmatique de lensemble, la question de la fin des Regrets proprement dits a t souleve par presque tous les spcialistes dubellaysiens: Guy Demerson, Marie-Dominique Legrand, Franoise Joukovsky et Yvonne Bellenger . Le voyaye terrestre rel se reflte dans la squence finale de la satire -sonnets 131 138- o Du Bellay dcrit les tapes de son voyage de retour en France: le sonnet 131 fait cho ce sonnet-l 127 qui tait une rcapitulation, mais le sonnet suivant parle dUrbin et de Ferrare, de Venise le 133, de la Suisse, des Grisons le 134 et le 135, de Genve le 136, Lyon pour le 137 et finalement Paris remplit le sonnet 138. sonnEt 138 De-vaulx, la mer reoit tous les fleuves du monde, Et nen augmente point: semblable la grand mer Est ce Paris sans pair, o lon voit abysmer Tout ce qui l dedans de toutes parts abonde . Paris est en savoir une Grece feconde, Une Rome en grandeur Paris on peult nommer, Une Asie en richesse on le peult estimer, En rares nouveautez une Afrique seconde . Nous allons ainsi voir la partie finale: les sonnets dloge ou encomiastiques. SONNETS ENCOMIASTIQUES (139-191) Ce titre ne convient qu moiti parce que dans cette section norme et disparate des sonnets composs en France, face ceux crits en Italie ou au cours de son voyage de retour, Du Bellay a inclus, avant les sonnets dloge, des sonnets satiriques de la cour franaise . Ces sonnets joueraient le rle de transition entre la deuxime et la troisime partie de ce triptyque gnral quest le recueil complet -lgie, satire, sonnets encomiastiques- . Ainsi, Yvonne Bellenger appelle les sonnets 139 155 la satire de la cour et du courtisan franais: Du Bellay y recommande dtre fort astucieux et se montre moins svre envers la cour franaise quil ne lavait t avec la cour vaticane . Les deux premiers sonnets de 266

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cette srie que je reproduis pour offrir un chantillon du ton gnral ont des incipit semblables -Si tu veuls vivre en court et Si tu veuls seurement en court te maintenir-, en plus le premier a une panadiplose palindromique -Si tu veuls vivre en court (Dilliers) souvienne-toy (premier vers) et Ten souvienne (Dilliers) si tu veuls vivre en court (dernier vers)- . Ils relvent dun ton ironique en mme temps que didactique, comme le montre lemploi foison du mode impratif . sonnEt 139 Si tu veuls vivre en court (Dilliers) souvienne-toy De taccoster tousjours des mignons de ton maistre, Si tu nes favori, faire semblant de lestre, Et de taccomoder aux passetemps du Roy . Souvienne-toy encor de ne prester ta foy Au parler dun chacun, mais sur tout sois adextre, Ataider de la gauche, autant que de la dextre, Et par les moeurs dautruy tes moeurs donne loy . Navance rien du tien (Dilliers) que ton service, Ne monstre que tu sois trop ennemy du vice, Et sois souvent encor muet, aveugle, & sourd . Ne fay que pour autruy importun on te nomme Faisant ce que je dy, tu seras galland homme: Ten souvienne (Dilliers) si tu veuls vivre en court . sonnEt 140 Si tu veuls seurement en court te maintenir Le silence (Ronsard) te soit comme un decret . Qui baille son amy la clef de son secret, Le fait de son amy son maistre devenir .. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Nous voyons bien souvent une longue amiti Se changer pour un rien en fire inimiti, Et la haine en amour souvent se transformer, Dont (veu le temps qui court) il ne fault sesbar . Ayme doncques (Ronsard) comme pouvant har, Has donques (Ronsard) comme pouvant aymer .

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Les derniers tercets du sonnet 143 incluent des rflexions mtatextuelles o notre pote proclame la satire comme un genre suprieur lloge, ce qui devance en quelque mesure les loges qui suivront ensuite et cest aussi un lment de transition vers les sonnets encomiastiques proprement dits . sonnEt 143 La louange, (Bizet), est facile chacun, Mais la satyre nest un ouvrage commun: Cest, trop plus quon ne pense, un oeuvre industrieux, Il nest rien si fascheux quun brocard mal plaisant, Et fault bien (comme on dit) bien dire en mesdisant, Veu que le loer mesme est souvent odieux . Dans les sonnets suivants, de 145 148 Du Bellay sadresse des potes contemporains, Belleau, Morel, Ronsard, Des Masures, en poursuivant avec la critique du courtisan; le sonnet 149 oppose le courtisan au pote au profit de celui-ci: sonnEt 149 Vous dictes (Courtisans) les Potes sont fouls, Que telz que vous soiez, vous tenez quelque chose De ceste doulce humeur qui est commune tous .. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Vray est que vous avez la court plus favorable, Mais aussi vous navez un renom si durable: Vous avez plus dhonneurs, & nous moins de souci . Si vous riez de nous, nous faisons la pareille: Mais cela qui se dit sen vole par loreille, Et cela qui sescript, ne se perd pas ainsi . Et ce motif du rire entrelace le sonnet 150 au prcdent, avec une critique acerbe des courtisans, auxquels il appelle singes de court: sonnEt 150 Si quelquun devant eulx reoit un bon visage, Ilz le vont caresser, bien quilz crevent de rage, Sil le reoit mauvais, ilz le monstrent du doy . 268

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Mais ce qui plus contre eulx quelquefois me despite, Cest quand devant le Roy, dun visage hypocrite, Ilz se prennent rire, & ne savent pourquoy . La srie qui embrasse les sonnets 152 156 est consacre la louange des membres de la Pliade par le mme ordre dans lequel ils apparaissent dans lHymne de Henri, deuxime de ce nom de Ronsard, cest--dire, Ronsard, comme le chef du groupe, et ensuite Jodelle, Baf, Thyard, Belleau et Peletier . Du Bellay va dfendre la louange en sadressant son ami et compagnon de Brigade Ronsard: sonnEt 152 Noz louanges (Ronsard) ne font tort personne: Et quelle loy defend que lun lautre en donne, Si les amis entre eulx des presens se font bien? On peult comme largent trafiquer la louange, Et les louanges sont comme lettres de change, Dont le change & le port (Ronsard) ne couste rien . La critique est souvent confondue devant ces sonnets encomiastiques des grands personnages qui commencent partir du sonnet 157 jusqu la fin du recueil et les ractions ont t diverses, voire contradictoires . Jean Vignes rsume ltat de la question et les attitudes successives face cet ensemble final: La premire (historiquement) consiste ignorer purement et simplement cette partie du recueil: soit en ne la lisant pas (Sainte-Beuve), soit en nen parlant pas ou peine (Jasinski, Gray), soit en la considrant comme extrieure loeuvre (Screech, Coleman) . Une seconde approche consiste minimiser lintrt et la porte en considrant quelle ne rpond pas une ncessit potique, que Du Bellay sy plie une contrainte courtisane, un devoir de politesse (Weber) qui ne lengage pas personnellement, et qui ne nous concerne plus gure . Surgit alors une gnante contradiction entre lhypocrisie courtisane dans la partie satirique du recueil . Do la troisime lecture, propose par plusieurs universitaires amricains (Bovey, Katz, Desan), qui voient dans la fin des Regrets une sorte dautodrision pleine dironie, le pote mettant en scne ostensiblement sa propre hypocrisie . (Du Bellay et ses sonnets romains: 125-126)

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On peut tout de mme tablir des diffrences internes et grouper ces sonnets en parties diffrentes dont la premire serait celle compose par les sonnets 157 159 o le pote parle dun monument: sonnEt 157 En-cependant (Clagny) que de mil argumens Variant le desseing du royal edifice, Tu vas renouvelant dun hardy frontispice La superbe grandeur des plus vieux monumens, Avec dautres compaz, & dautres instrumens, Fuiant lambition, lenvie, & lavarice, Aux Muses je bastis un nouvel artifice Un palais magnifique quatre appartemens. Les Latines auront un ouvrage Dorique Propre leur gravit, les Greques un Attique Pour leur naifvet, les Franoises auront Pour leur grave doulceur une oeuvre Ionienne, Douvrage elabour la Corinthienne Sera le corps dhostel, o les Thusques seront . Il ne sagit pas du tout dun Exegi monumentum aere perennius dHorace pour fermer son troisime livre dOdes et repris par Ronsard pour conclure ses cinq livres dOdes . Josiane Rieu donne la cl de ce nouveau monument dubellaysien: Ainsi, Du Bellay reprend la mtaphore de la construction de btiments, non pour lever un monument dternit, mais pour faire natre, dans lunivers imaginaire des reprsentations symboliques, une architecture historique qui justifie la translatio studii en France . (Rieu, 1995: 137) Et cest dans le sillage de cette translatio studii que le sonnet suivant approfondit: sonnEt 158 Lappartement premier Homere aura pour marque, Virgile le second, le troisime Ptrarque, Du surnom de Ronsard le quatrime on dira . De ce monument imaginaire, il passe au palais rel de lAnet de Diane de Poitiers qui il adresse le sonnet suivant (159) . Et il relie de nouveau ce personnage que fut Diane de Poitiers aux sonnets qui suivent et qui sont ddis aux Grands du royaume: DAvanson (160), qui est dailleurs le ddicataire de tous les Regrets, Jean Bertrand (161), Le chancelier Olivier 270

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(162), Jean du Thier, secrtaire (163) . Avec ce sonnet 163 commence une srie de sonnets qui vont jusquau 167 o Du Bellay fait recours la formule Je diray /Je dirois par laquelle il fait une prtrition de lloge au futur: Je diray seulement que depuis noz ayeux La France na point veu un plus laborieux (Sonnet 163, vv . 9-10) Je dirois ton beau nom, qui de luy mesme sonne. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Et dirois que Henry est luymesme tesmoing. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Je dirois ta bont, ta justice, & ta foy (Sonnet 164, vv . 5, 7, 9) Je diray sa faconde, & lhonneur de sa face. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Je diray que jamais les filles de Mmoire Ne diront un plus sage, & vertueux que luy . (Sonnet 165, vv . 3, 10-11) Je diray que tu es le Typhis de Jason. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Je diray ton pouvoir qui sur la mer sestent (Sonnet 166, v . 9, 12) Le mot rcurrent pour les cinq sonnets qui suivent (168 172) est le ciel: non en vain il sadresse des personnages de la plus haute chelle sociale: au cardinal de Lorraine (168), au cardinal de Chtillon (169), Marie Stuart (170), Catherine de Mdicis (171) et au Dauphin (172) . Voici encore lchantillon: Et vostre esprit ael, qui voisine les cieulx (Sonnet 168, v . 6)

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Comme ceste vertu immuable demeure, Ainsi le cours du ciel se change dheure en heure .. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Car & deux & de vous le ciel a pris le soing . (Sonnet 169, vv . 10-11, 14) Ce nest pas sans propoz quen vous le ciel a mis Tant de beautez desprit, & de beautez de face, Tant de royal honneur, & de royale grace Et que plus que cela vous est encor promis (Sonnet 170, vv . 1-4) Muse, qui autrefois chantas la verde olive Empenne tes deux flancs dune plume nouvelle, Et te guindant au ciel aveques plus haute aelle, Vole o est dApollon la belle plante vive . (Sonnet 171, vv . 1-4) Ce pendant que le ciel, qui ja dessous tes loix Trois peuples a soubmis, armera ton audace Dune plus grand vigueur, suy ton pere la trace, Et apprens donter lEspagnol, & lAnglois . (Sonnet 172, vv . 5-8) La dernire srie est voue la Princesse Marguerite de Valois, soeur du roi, nice de Marguerite de Navarre et protectrice de Du Bellay, qui a tabli une double procdure por affronter ces sonnets qui vont du 173 au 190 . 1) Une premire squence (173-175) o la Princesse est lallocutaire du discours potique en lappelant toujours Madame . sonnEt 174 Dans lenfer de son corps mon esprit attach (Et cet enfer, Madame, a est mon absence) Quatre ans & davantage a fait la penitence De tous les vieux forfaits dont il fut entach . Ores graces aux Dieux, ore il est relach 272

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De ce penible enfer, & par vostre presence Reduit au premier poinct de sa divine essence, A decharg son doz du fardeau du pech . Nous pensons comme Josiane Rieu que: Les pomes encomiastiques, chez du Bellay, sont directement lis la projection dun royaume spirituel et gallican . Les personnages fminins, en particulier, sont dsigns comme mdiateurs de cette re de lesprit . ( . . .) La topique est traditionnelle, mais elle prend ici un sens prcis, tay par la convergence esthtique des autres pomes dloges . (Rieu 1995: 138) Le pome 176 marque une transition, puisque, mme sil est consacr la Princesse Marguerite, il y manque un allocutaire direct . 2) La deuxime squence est partir du pome 177 jusquau 190 o les allocutaires changent, tandis que le pote continue de louer les hautes vertus de Marguerite . Il sagit dune posie de hauts vols dans laquelle les mots Ciel, cieux, cleste apparaissent douze fois, sans y manquer la topique de la Renaissance dtablir lquivalence entre la dame et la fleur. Le pote dailleurs se montre content dun loge quil avoue ncessaire, mme si le style appartient la plus pure posie courtisane, comme on peut constater partout: sonnEt 182 Ce que je quiers (Gournay) de ceste soeur du Roy, Que jhonore, revere, admire comme toy, Cest que de la loer sa bont me dispense, Puis quelle est de mes vers le plus loable object: Car en loant (Gournay) si loable subject, Le loz que je macquiers, mest trop grand recompense . Du Bellay dit retrouver son ancienne inspiration perdue dans son exil romain: sonnEt 180 Seulement quand je veulx toucher le loz de celle Qui est de nostre sicle & la perle, & la fleur, Je sens revivre en moy ceste antique chaleur, Et mon esprit nouveau prendre force nouvelle .

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Et sil commentait dans son sonnet 16 la perte de la haute inspiration par le chant du cygne, comme nous lavons vu, il se sent maintenant dans le sonnet 189 un nouveau cygne, avec linspiration revenue, pour continuer chanter des vers lyriques: sonnEt 189 Cependant (Pelletier) que dessus ton Euclide Tu montres ce quen vain ont tant cherch les vieux, Et quen despit du vice, & du sicle envieux Tu te guindes au ciel comme un second Alcide: Lamour de la vertu, ma seule & seure guide, Comme un cygne nouveau me conduit vers les cieux O en despit denvie, & du temps vicieux, Je rempliz dun beau nom ce grand espace vide . Ainsi peut-on distinguer un double itinraire dans les Regrets: litinraire dun voyage rel qui mne le pote de Rome Paris, et le parcours spirituel qui va du dsespoir des regrets et de la satire jusqu lespoir chiffr en sa princesse Marguerite de Valois, capable de lui redonner linspiration potique leve, ou comme lcrit Josiane Rieu: Dans les pomes de cette denire section, le no-platonisme est certes charg dhabitudes encomiastiques, de mme que les protestations de sincrit, mais le parcours des Regrets montre que Du Bellay, qui a appris discerner la vrit et la vertu, reconnat en Marguerite ladquation entre le signe et le sens, le corps mdiateur et son message spirituel . Cest l un acte important, comme si la princesse et le monde, avaient besoin de cette preuve de reconnaissance ultime, que seul dlivre le pote . (Rieu, 1995: 139) Pour en finir, je dirai qu travers ce parcours le long du recueil jai essay de dmontrer que limpression de journal, de commentaires -dits par le propre Du Bellay- est certaine, aussi quil ny a pas un embrouillement thmatique, comme on a souvent dit, mais que la main sage et docte de Du Bellay a agenc les sonnets selon une dispositio qui dcle des critres daffinit thmatique, subdivise quelquefois en squences plus petites et distinguant quatre parties plus ou moins diffrencies, les sonnets liminaires, llgie, la satire et la louange courtisane . Rfrences Bibliographiques du BEllay, Joachim . 1993a . Les Regrets in Oeuvres potiques, vol . II . dition critique par Henri Chamard . Paris, Socit des Textes Franais Modernes . [Oeuvre de rfrence por mes citations] .

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1993b . Oeuvres potiques. dition critique de Daniel Aris et Franoise Joukovsky . Paris, d . Bordas, Coll . Classiques Garnier . Du Bellay et ses sonnets romains . 1994 . tudes sur les Regrets et les Antiquitez de Rome runies par Yvonne Bellenger avec la collaboration de Jean Balsamo, Hlne Charpentier, Pascal Debailly, Franoise Giordani, Timothy Hampton, Pierre Marchaux, Jean-Pierre Nraudau, Isabelle Pantin, Jean-Claude Ternaux et Jean Vignes . Paris, Honor Champion diteur, Coll . Unichamp . dEGuy, Michel . 1989 . Tombeau de Du Bellay . Paris, ditions Gallimard . NRF . GadoFFrE, Gilbert . 1995 . Du Bellay et le sacr . Paris, ditions Gallimard . Gray, Floyd . 1995 . La potique de Du Bellay . Paris, Librairie Nizet . riEu, Josiane . 1995 . LEsthtique de Du Bellay . Paris, SEDES, Coll . Esthtique . vianEy, Joseph . 1974 . Les Regrets de Du Bellay . Paris, Librairie Nizet . WEBEr, Henri . 1986 . La cration potique au XVIme sicle en France . Paris, Librairie Nizet .

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