San Jerónimo en su estudi Anlonello da Messinademeurés totalement inconnus. Chez les Perses, ce...

14
San Jerónimo en su estudi Anlonello da Messina Pocas veces uno queda satisfecho con sus propias cosas, con lo que escribe, con las traducciones esto no ocurre nunca. Johann Wolfgang Goethe studio aieronvmus

Transcript of San Jerónimo en su estudi Anlonello da Messinademeurés totalement inconnus. Chez les Perses, ce...

Page 1: San Jerónimo en su estudi Anlonello da Messinademeurés totalement inconnus. Chez les Perses, ce que nous savons des interprètes, nous le devons essentiel-lement à Xénophon. Il

San Jerónimo en su estudi

Anlonello da Messina

Pocas veces uno queda satisfechocon sus propias cosas, con lo que escribe,

con las traducciones esto no ocurre nunca.Johann Wolfgang Goethe

studioaieronvmus

Page 2: San Jerónimo en su estudi Anlonello da Messinademeurés totalement inconnus. Chez les Perses, ce que nous savons des interprètes, nous le devons essentiel-lement à Xénophon. Il
Page 3: San Jerónimo en su estudi Anlonello da Messinademeurés totalement inconnus. Chez les Perses, ce que nous savons des interprètes, nous le devons essentiel-lement à Xénophon. Il

Henri van Hoof

DE L'IDENTITÉ DES INTERPRÈTES AU COURS DES SIÈCLESHENRI VAN HOOF*

Comité FIT pour l'Histoire de la TraductionLauréat du Prix FIT-IBC 1996

Dans l'état actuel de nos connaissances,la faculté de langage serait apparue àl'époque de l'Homo erectus, entre11.500.000 et 200.000 ans avant J.-C., voireplus tard, à celle de l'Homo sapiens, entre200.000 et 30.000 ans avant notre ère. Detoute façon, après une longue évolution etde vastes migrations qui ont conduit leurlointain ancêtre - dont la recherche fixe leberceau en Ethiopie, au Kenya et en Tan-zanie - jusqu'à l'est de l'Asie et l'ouest del'Europe. La faculté de langage a accom-pagné le développement de l'aptitude àvivre en société: l'organisation sociale exigeun quelconque moyen de communication.Pour assurer cette communication, l'adop-tion du canal vocal-auditif a été universelle.Mais le processus doit s'être déroulé en ungrand nombre de lieux, assez disperséspour que les langues en formation soientdès l'origine distinctes les unes des autres.La Genèse ne dit-elle pas, d'ailleurs, que, latour de Babel détruite, «l'Eternel confonditle langage de toute la terre et dispersa leshommes sur la face de toute la terre» (11,9) et que, au lendemain du Déluge, «lesdescendants de Japhet, ceux de Cham etceux de Sem se partagèrent les territoiresselon la langue de chacun» (10, 5-20-31)?

On peut donc imaginer que, dès le jouroù ces communautés de langues différen-tes durent entrer en contact les unes avec

1 L'auteur a enseigné pendant 25 ans à l'InstitutSupérieur pour Traducteurs et Interprètes M. Haps(Bruxelles), patronné par l'Université catholiquede Louvain. Il a publié une douzaine d'ouvrages etune centaine d'articles sur la théorie, la pratique etl'histoire de la traduction et de l'interprétation.Membre de la Commission pour l'Histoire de laTraduction de la FIT, du Centre de Terminologiede Bruxelles, du Comité d'Etude des Termes mé-dicaux français (Paris).

les autres - et cela avant même l'inventionde récriture - il leur fallut, pour se com-prendre, faire appel à des intermédiairesqui, au fil des temps et selon les peuples,se sont appelés turgumânu (chez les Assy-riens et les Babyloniens), tardjumân (chezles Arabes, d'où trucheman et drogman enfrançais), tilmatch (chez les Turcs, d'où tol-match en russe et Dolmetscher en alle-mand), interpres (chez les Romains, d'où lefrançais interprète).

Quelles traces l'Histoire a-t-elle gardéesde leur identité? «Auffällig, daß Dolmet-scher gar nicht so oft eigens erwähnt wer-den» (Qu'il ne soit pas fait mention d'inter-prètes tellement souvent est chose frap-pante), note H. J. Vermeer.2 Pour C. An-dronikof, au contraire, «il est naturel qu'au-cun nom d'interprète ne marque dans l'his-toire, puisque par nature il ne fait que parleret que sa matière première comme sonproduit fini sont oraux, donc évanescents».3

Les références à l'identité d'interprètessont-elles donc si rares que cela?

LES TEMPS ANCIENS

Dès le troisième millénaire avant J.-C,les Egyptiens connaissaient la fonctiond'interprète et possédaient un hiéroglypheparticulier pour l'exprimer. Elle était exer-cée par les princes d'Eléphantine, souventde père en fils, à des fins militaires, com-merciales et diplomatiques. Ces hauts di-

2 H. J. Vermeer: «Von Berufs- und Gelegen-heitsdolmetschern», in Skizzen zu einer Ge-schichte der Translation, vol. 1, Francfort-sur-le-Main, Iko, 1992.

3 C. Andronikof: Introduction à D Seleskovitch:L'Interprète dans les conférences internationales,Paris, Minard, 1968.

ieronymus

Page 4: San Jerónimo en su estudi Anlonello da Messinademeurés totalement inconnus. Chez les Perses, ce que nous savons des interprètes, nous le devons essentiel-lement à Xénophon. Il

De l'identité des interprètes au cours des siècles

gnitaires d'une région frontalière bilingue,où Egyptiens et Nubiens se côtoyaient,portaient fièrement le titre de «chef desinterprètes». On en trouve le souvenir dansde nombreuses inscriptions relevées a As-souan, en face de l'île d'Eléphantine. Parmiles noms qu'elles nous révèlent - les plusanciens que l'Histoire nous ait légués - il ya celui d'Hirkhouf, préfet de la Haute-Egypte, ami du roi Neferirkarê (2254-2160),qui mena plusieurs expéditions au Soudanet qui se vante lui-même de ses presta-tions. Il y a celui d'Hekhaib, monarqued'Eléphantine, qui soumit deux tribus nu-biennes à la même époque. Plus tard, il y acelui du grand prêtre Onhurmès, recruteurpour les campagnes de Merenptah (1224-1204), qui fait inscrire dans sa biographietombale: «J'étais un interprète pour monseigneur, capable dans mon service».Certes, la plupart des interprètes égyptienssont restés anonymes, mais leur interven-tion à tous les niveaux de la vie sociale estconfirmée par la Genèse (42, 23), où il estdit que Joseph, ayant reconnu ses frèresvenus acheter du blé en Egypte, se servitpour leur parler d'un interprète afin de nepas se trahir.

Fig. 1Double cartouche égyptien composé (dehaut en bas et de droite à gauche) d'unebarque de pêcheur et d'un filet, d'un brastendu, d'un câble enroulé et d'un hommeassis, l'interprète; celui-ci reçoit d'abord lemessage dans la langue étrangère (haut)pour le rendre ensuite dans sa langue(bas). [D'après Gardiner]

Hérodote, qui, pendant son voyage enEgypte, remonta jusqu'à Elephantine, parleà plusieurs reprises des interprètes, qu'ilprésente comme une caste indépendante.Leur formation semble avoir fait très tôtl'objet de préoccupations car, déjà sous leMoyen Empire (2134-1550), les fils desseigneurs nubiens et, sous Ramsès I(1290-1224), les jeunes asiates étaient ras-semblés en une sorte de corps de janissai-res où l'étude de la langue égyptienne étaitobligatoire. Par la suite, sous Psammétik Ier

(660-610), ce sont les jeunes Egyptiens quifurent envoyés apprendre le grec dans lesfamilles des colons hellènes installés dansle delta du Nil.

Un même souci semble avoir animé Na-buchodonosor, roi de Babylone (605-562).Le livre de Daniel (1, 3-5) nous apprend, eneffet, que Nabuchodonosor, ayant vaincu leroi de Juda, donna l'ordre au chef de seseunuques «d'amener quelques-uns desenfants d'Israël de race royale ou de famillenoble... capables de servir dans le palaisdu roi et à qui l'on enseignerait les lettres etla langue des Chaldéens». Mais si des in-terprètes furent ainsi formés, ils nous sontdemeurés totalement inconnus.

Chez les Perses, ce que nous savonsdes interprètes, nous le devons essentiel-lement à Xénophon. Il en est question dansdivers passages de la Cyropédie et deVAnabase, qui les présentent comme despersonnages haut placés, nobles ou offi-ciers. La Cyropédie relate qu'après la con-quête de Babylone Cyrus fit patrouiller sacavalerie dans les rues et proclamer pardes interprètes son interdiction de circuleraux habitants. Dans le 7e livre de YAnabaseun certain Abrozélmes est cité comme in-terprète du Thrace Seuthes. Ailleurs, il estdit que le roi Cyrus (576-529), ignorant legrec, se faisait souvent assister de son in-terprète, un certain Pigres, qui lui servaitd'officier de liaison avec ses générauxgrecs. Un jour qu'il passait ses troupes enrevue, il eut ainsi un entretien avec le géné-ral Spartiate Cléarque et «l'interprète desGrecs affirma qu'il avait vu parmi les sol-

10leronymus

Page 5: San Jerónimo en su estudi Anlonello da Messinademeurés totalement inconnus. Chez les Perses, ce que nous savons des interprètes, nous le devons essentiel-lement à Xénophon. Il

Henri van Hoof

dats le frère de Tissapherne». Le satrapeperse Tissapherne (?-395 av. J.-C.) auraitpour sa part envoyé un message à Spartepar l'entremise d'un interprète carien,4 ap-pelé Gaulitês, qui outre sa langue mater-nelle savait le perse et le grec.

Comme en témoignent les écrits d'Héro-dote et de Xénophon, les Grecs n'ignoraientrien de la fonction et de l'utilité des inter-prètes mais, convaincus de leur supérioritéculturelle, ils laissaient aux étrangers lesoin d'apprendre leur langue. Les interprè-tes nationaux devaient donc être très rareset, dès lors, il n'est pas étonnant que, rap-portant les campagnes d'Alexandre leGrand (356-323) en Asie centrale, l'histo-rien Quinte Curce ne parle que d'interprètesperses, hyrcaniens, sogdiens et indiens.5

L'empire romain, à l'inverse, était un Etatbilingue où la connaissance du grec faisaitpartie du bagage intellectuel du citoyencultivé. La plupart des Romains de quelqueéducation n'éprouvaient donc aucune diffi-culté à comprendre les Grecs, mais la di-gnité leur interdisait parfois de s'exprimerautrement qu'en latin. C'est ainsi que lesaudiences d'ambassadeurs grecs au Sénatne pouvaient se tenir qu'en présence d'uninterprète. Lors de la réception d'une délé-gation de philosophes athéniens, en l'an154 av. J.-C, ce rôle fut assumé par unsénateur du nom de C. Acilius. De même,lorsque des ambassadeurs romains serendaient en Grèce, ils étaient flanquésd'interprètes: Cicerón bénéficia ainsi desservices du Grec affranchi Cnaeus Publi-cius Menander. L'administration provincialeromaine, dans ses rapports avec les Egyp-tiens, les Scythes, les Germains, les Celteset bien d'autres peuples encore, avait éga-lement besoin d'interprètes a tous leséchelons. La chancellerie du Ministère del'Intérieur, le Magister officiorum, nommait

4 La Carie occupait le sud-ouest de l'Asie Mi-neure.

5 L'Hyrcanie était une contrée de TAnciennePerse, au sud-ouest de la mer Caspienne. LaSogdiane était une région de la Haute Asie(Samarkand).

encore des «interprètes pour les languesbarbares» aux environs de 400 de notre èreet des pierres tombales découvertes àRome, à Budapest, à Maastricht, marquentleur grande dispersion géographique; celled'un certain T. Flavius Arzachos, proba-blement d'origine africaine, a été retrouvéedans le jardin de Justinien, à Rome.

Plusieurs auteurs latins ont fait état durôle des interprètes dans leurs oeuvres.Tite-Live raconte que, lors de l'invasion del'Italie par les Gaulois, en 390 av. J.-C, unchef gaulois envoya un interprète provo-quer en duel un capitaine romain; que,pendant la deuxième guerre punique, en207 av. J.-C, lorsque les Romains eurentintercepté une lettre d'Hasdrubal à son frèreHannibal, ils la firent traduire immédiate-ment devant le Sénat par un interprète;que, lorsque Scipion l'Africain et Hannibalse rencontrèrent pour signer la fin des hos-tilités, en 202, ils étaient sans armes et ac-compagnés de leurs seuls interprètes. Tousne sont pas demeurés anonymes: dans saGuerre de Jugurtha, Salluste nombe Dabar,l'interprète «de confiance» que Sylla etBocchus, roi de Mauritanie, ont choisi decommun accord pour leurs entretiens se-crets; dans sa Guerre des Gaules, Césarrelate que son officier Quintus Tituriuschargea l'interprète Gnaeus Pompeius dedemander sa grâce à Ambiorix et que lui-même, avant une entrevue avec Diviciacus,renvoya son interprète personnel pour uncertain Gaius Valerius Procillus, fils d'unGaulois qui avait acquis la citoyenneté ro-maine. Lorsque l'empereur Hadrien fondaune colonie romaine à Jérusalem, en 130, ilinterdit l'enseignement de la Torah. Houts-pith, l'interprète de Rabban Gamaliel, di-recteur de l'école talmudique de Japhné,périt dans les persécutions pour avoir inter-prété les sermons du rabbin dans les syna-gogues.

DU CHRISTIANISME A L'ISLAM

Dès l'avènement du christianisme, lapropagation de la doctrine de Jésus néces-

us11

Page 6: San Jerónimo en su estudi Anlonello da Messinademeurés totalement inconnus. Chez les Perses, ce que nous savons des interprètes, nous le devons essentiel-lement à Xénophon. Il

De l'identité des interprètes au cours des siècles

sita le concours d'interprètes. Selon Papias(IIe s.) et Clément d'Alexandrie (160-220),Marc l'Evangéliste et un certain Glaukiasauraient interprété pour l'apôtre Pierre del'araméen en grec. Les apôtres Etienne etPaul prêchaient indifféremment en grec eten araméen. En Orient, les interprètes litur-giques traduisaient surtout en syriaque,mais au 5e siècle on rencontrait déjà, àcôté d'interprètes grec-syriaque, des inter-prètes grec-latin. Le grec étant de moins enmoins compris, même par les gensd'église, le Concile de Latran (649) dut re-courir à l'interprétation latine pour les expo-sés de certains théologiens grecs commeMaxime le Confesseur. Au Moyen Âge,l'évangélisation s'étendant sans cesse à denouveaux territoires, il fallut des interprètesde plus en plus nombreux. Lorsque le papeGrégoire le Grand dépêcha une mission enAngleterre, à la fin du 6e siècle, Brunhilde,reine d'Austrasie, lui fournit les interprètesnécessaires. Plus tard, lorsque le francis-cain Jean de Capistrano (1385-1456) prê-cha la croisade contre les Turcs pour ré-pondre au voeu du pape Nicolas V, iln'usait que du latin et ses sermons étaienttraduits oralement phrase par phrase.

Au plan profane, l'Occident médiévalsemble avoir réservé à l'interprète uneplace bien définie dans la société. Leur titrede «maistre latimier» les assimilait auxgens de condition. Attachés au service d'unseigneur, ils jouissaient de l'estime desgrands, comme le prouve l'attitude du ducnormand Rollón, qui fit rendre à son inter-prète du nom de Cone «mult servir et honu-rer». Et Charlemagne (742-814) lui-mêmeappela un jour la bénédiction du ciel surson interprète, un Sarrasin converti qui luiétait particulièrement dévoué. Apparem-ment, on ne faisait pas de distinction, àl'époque, entre les mérites linguistiques desinterprètes infidèles ou croyants, la doublemission d'interprète et d'ambassadeur al-lant toutefois de préférence à des chrétiens,voire à des membre du haut clergé, tel l'ar-chevêque Turpin de Reims (?-ca.800). Au13e siècle, Joinville, dans sa chronique de

la croisade de saint Louis, parle de ces«gens qui savaient le sarrazinois et le fran-çois, que l'on nomme drugemens». Parmieux, Baudoin d'Ibelin, qui interpréta pour leroi en Egypte (1245) et un prêtre dénomméNicole d'Acre.

Les chroniqueurs du camp adverse, euxaussi, font souvent allusion aux interprètes,même si c'est sans les nommer. L'écrivainImadeddin al-Asfahani (1125-1201), con-seiller du sultan Saladin, rapporte que Guyde Lusignan, roi de Jérusalem, et le princeArnat (Renaud de Chatillon) ayant été faitsprisonniers à la bataille de Tibériade(1187), Saladin leur reprocha d'avoir violéles traités qu'ils avaient signés. Arnat fitrépondre par l'interprète: «Tous les rois sesont toujours comportés de la sorte. Je n'airien fait de plus». Bahaeddin (1145-1234),secrétaire particulier et biographe de Sala-din, mentionne a plusieurs reprises l'inter-vention d'interprètes, notamment à l'occa-sion d'une entrevue que Richard Coeur deLion, roi d'Angleterre, prie al-Adel, frère deSaladin, d'organiser avec le sultan. Celui-cifait répondre: «Les rois ne se rencontrentqu'après la conclusion d'un accord. Detoute manière, je ne connais pas ta langueet tu ignores la mienne. Nous avons besoind'un interprète en qui nous ayons tous deuxconfiance. Que cet homme soit donc unmessager entre nous». Le chroniqueurégyptien Ibn Abd-el-Zaher (1233-1293) faitétat d'une rencontre entre le sultan Baibarset le prince Bohémond, roi d'Antioche, quisouhaitait une trêve. «Leur roi cherchait àtergiverser pour obtenir les meilleures con-ditions, mais je me montrai inflexible, con-formément aux directives du sultan. Irrité, leroi de France demanda à l'interprète: «Dis-lui de regarder derrière lui!» Je me retour-nai et vis toute l'armée des Francs en for-mation de combat. L'interprète ajouta: «Leroi te dit de ne pas oublier l'existence decette multitude de soldats». Comme je nerépondais pas, le roi insista auprès de l'in-terprète. Et la réponse fut: «Eh bien, ditesau roi qu'il y a moins de soldats dans son

12îeronymus

Page 7: San Jerónimo en su estudi Anlonello da Messinademeurés totalement inconnus. Chez les Perses, ce que nous savons des interprètes, nous le devons essentiel-lement à Xénophon. Il

Henri van Hoof

armée que de captifs francs dans les pri-sons du Caire!»

C'est vraisemblablement la difficulté desrelations entre Etats chrétiens et musul-mans qui a donné naissance à l'interpréta-tion diplomatique moderne. Certes, les By-zantins déjà avaient eu des interprètes qui,pour faciliter les rapports diplomatiques,accompagnaient les ambassades auprèsde divers souverains du Moyen Âge. Etmême entre eux les musulmans en avaientbesoin: le sultan seldjoukide Masoud (?-1156), qui s'allia aux Comnènes contre leschrétiens, se voyait obligé de discuter avecle calife al-Moustarchid par l'intermédiaired'un interprète parce que, quatre-vingts ansaprès la prise de Bagdad par son clan, il neparlait toujours pas un mot d'arabe. Lors-que Byzance tomba aux mains des Turcs,en 1453, ceux-ci érigèrent en système uneinstitution qu'ils avaient créée dès le 12e

siècle, celle des dragomans ou drogmans.Il s'agissait d'interprètes officiels, spéciali-sés dans les affaires de chaque nationétrangère et chargés des missions les plusdélicates. En 1502, le drogman Ali Beyporta à Venise un traité de paix. YounousBey, bâtisseur d'une mosquée à Constanti-nople, était un drogman d'origine grecque.Son successeur fut un Autrichien du nomde Heinz Tulman. Le drogman françaisJean-Baptiste de Fiennes (1669-1744),nommé à Alexandrie en 1692, puis auCaire, accéda à la fonction de secrétaire-interprète du roi en 1718 et remplit à ce titrediverses missions importantes, dont une àTripoli en 1729, où il négocia un traitéavantageux pour la France. Son fils, Jean-Baptiste Hélin de Fiennes (1710-1767),après avoir étudié les langues orientales àConstantinople, recueillit la charge d'inter-prète du roi à la mort de son père et ac-complit des missions à Tunis (1742) et Tri-poli (1751). Il fut parmi les premiers à bé-néficier des arrêtés pris en 1699 par LouisXIV dans le but d'envoyer, tous les troisans, à Constantinople et à Smyme, six jeu-nes garçons de neuf à dix ans «qui vou-draient y aller pour être instruits dans la

connaissance des langues en sorte qu'onpût s'en servir avec le temps pour inter-préter lesdites langues». Il fut aussi unpionnier de l'enseignement pour drogmansinstitué au Lycée Louis-le-Grand. Au baronFrançois de Trott (1733-1793), fils d'ungentilhomme hongrois, qui fut drogman enCrimée où le sultan le chargea de réorgani-ser l'armée ottomane, succéda le drogmanRuffin (1742-1824), né d'un père égalementinterprète; il entama sa carrière en 1770,devint secrétaire-interprète du roi, fut anobliet, après une vie mouvementée entrecou-pée de plusieurs emprisonnements, mouruthonoré finalement par les Turcs eux-mêmes.

En France, le mot drogman désignait enprincipe les fonctionnaires opérant dans lespays musulmans, celui d'interprète étantréservé plutôt aux agents servant en Orientet en Extrême-Orient. On peut toutefoisdouter d'une application stricte de cetterègle et se demander même si certainsinterprètes, en particulier ceux à la solded'un souverain ou de tout autre personnageillustre, n'officiaient pas surtout comme tra-ducteurs. Ainsi, l'orientaliste Guy Le Fèvrede la Boderie (1541-1584), interprète deNicolas, frère du roi Charles IX, eut-il ja-mais l'occasion d'interpréter du grec, dulatin, de l'hébreu, du syriaque ou du chal-déen, langues pour la connaissance des-quelles il était réputé? Par contre, il a laisséde bonnes traductions de Platon (Le Ban-quet, 1578), de Cicerón (De la nature desdieux, 1581), des humanistes néo-latinsitaliens Jérôme Vida, Marsile Ficin, etc.Sans doute en fut-il de même pour RobertEstienne III (1560-1630), qui reçut le titred'interprète du roi «es langues grecque etlatine» et que l'on connaît pour ses traduc-tions du grec (la Rhétorique, d'Aristote) oude l'italien (Les Larmes de saint Pierre, deLuigi Tansillo).

Pour d'autres, l'exercice de l'interpréta-tion a certainement été une réalité. C'est lecas de ce voyageur turc, Jean-ArmandMoustapha (9-1660), installé en France etconverti au catholicisme, que Richelieu fit

heronymus13

Page 8: San Jerónimo en su estudi Anlonello da Messinademeurés totalement inconnus. Chez les Perses, ce que nous savons des interprètes, nous le devons essentiel-lement à Xénophon. Il

De l'identité des interprètes au cours des siècles

accompagner au Maroc l'ambassadeurIsaac de Razilly pour dicter les conditionsde capitulation au chérif. Un autre belexemple est fourni par les trois générationsde Pétis de la Croix: François (1622-1695)fut l'interprète de Louis XIV pour le turc etl'arabe pendant quarante ans; il transmit leposte à son fils François II (1653-1713), quivoyagea en Orient, enseigna l'arabe auCollège de France et signa des traductionsdu turc et du persan; son petit-fils, enfin,Alexandre (1698-1751), fut également in-terprète, professeur et traducteur du turc etdu persan. Le titre de secrétaire-interprètedu roi a encore été porté par le sinologueJoseph de Guignes (1721-1800) et parl'orientaliste Pierre Jaubert (1779-1847),lequel séjourna en Egypte, en Orient et enTurquie, avant d'enseigner le turc et le per-san au Collège de France, puis de dirigerl'École des Langues orientales créée en1795. Jaubert avait remplacé Jean-MichelVenture de Paradis (1739-1799) qui, aprèsdes études au Lycée Louis-le-Grand et àl'école des drogmans de Constantinople,servit comme premier interprète de l'Arméeorientale de Bonaparte en Egypte et enPalestine et mourut en cours de campagne.Plus près de nous, Charles Schefer (1820-1898), connu pour ses traductions du per-san (Siasset Nameh, traité politique de Ni-zam el-Moulouk) et de l'arabe (Histoire del'Asie centrale 1740-1816 de Boukhari), futdrogman à Beyrouth, Jérusalem, Smyrne,Alexandrie et Constantinople, avant de de-venir premier secrétaire-interprète et pro-fesseur de persan à Paris.

Toujours dans le cadre des relations dif-ficiles entre l'Occident chrétien et les Turcs,quelques noms d'interprètes nous sontaussi venus de l'étranger. Ainsi, ThomasNádasdy (1498-1562), attaché à la chan-cellerie du roi Louis II de Hongrie, servitd'interprète au cardinal Thomas de Vio en-voyé dans ce pays par le pape pour défen-dre la chrétienté. En 1731, Heinrich vonPenkher, secrétaire-interprète a la Courimpériale des Habsbourgs, assura l'inter-prétation lors de la visite d'Efendi Mustafa,

délègue spécial de la Porte sublime, auprince Eugène de Savoie.

DECOUVERTES ET EXPLORATIONS

Tout comme les conquêtes militaires oureligieuses, la conquête de territoires nou-veaux a nécessité des interprètes. Colomb,pour son premier voyage, engagea un juifconverti d'origine espagnole, Luis de Tor-res, lequel bien que sachant le castillan, lelatin, l'arabe, l'hébreu, le grec et l'araméen,ne put lui être d'un bien grand secours. Parcontre, la découverte de l'Amérique a misen lumière le rôle joué par un Jerónimo deAguilar, marin espagnol naufragé au largedu Yucatán et fait prisonnier, qui avait ap-pris le maya au cours de ses huit annéesde captivité (1511-19) et que Cortés utilisapour catéchiser les indigènes. Il travaillaitde concert avec Malinalli Tenépal (ca.1505-1550), fille d'un cacique aztèque, of-ferte à Cortés, dont elle devint la maîtresseet la conseillère après avoir reçu le bap-tême sous le nom de Marina; ce qu'elletraduisait de l'aztèque en maya, Aguilar letraduisait du maya en espagnol, et vice-versa. Ensemble, ils interprétaient aussibien les sermons des franciscains que lesconfessions et les abjurations des vaincus.

En 1559, lorsque Tristan de Luna entre-prit d'explorer la Floride en quête de riches-ses, il se fit accompagner d'une interprètelocale appelée Lacsohe. De son premiervoyage au Canada (1534), Jacques Cartierramena deux Iroquois, Ayaga et Taignoa-gny, pour leur apprendre le français et lesutiliser comme interprètes lors de son ex-pédition de l'année suivante; ils contribuè-rent à la rédaction de deux lexiques fran-çais-iroquois. Cartier lui-même termina savie comme courtier-interprète et intervint àce titre dans le procès d'un marin portugaisà Saint-Malo, en 1543. Samuel de Cham-plain, fondateur de la colonie du Canada etde la ville de Québec, imagina l'institutiond'interprètes-résidents. C'est ainsi qu'uncertain Etienne Brûlé (ca. 1592-1633), arri-vé avec Champlain en 1608, passa l'hiver

14îeronymus

Page 9: San Jerónimo en su estudi Anlonello da Messinademeurés totalement inconnus. Chez les Perses, ce que nous savons des interprètes, nous le devons essentiel-lement à Xénophon. Il

Henri van Hoof

1610-1611 en vivant à l'indienne chez lesAlgonquins et devint le premier interprèteofficiel pour le huron. Parmi d'autres inter-prètes-résidents, Jean Nicolet devint en1618 l'interprète officiel de la Compagniedes Cent Associés, fonction à laquelleFrançois Margene lui succéda en 1627. En1646 furent créés des interprètes judiciai-res, dont Charles Le Moyne fut le premierreprésentant, mais dont on possède la listejusqu'à un François Ménard en 1753 Ilsfurent suivis, en 1663, d'interprètes militai-res: Paul Lemoyne, Joseph Godefroy,François Hertel, etc. En 1710, Paul Masca-rène (1685-1760) participa comme inter-prète aux négociations entre le général an-glais Francis Nicholson et le dernier gou-verneur français en Acadie, Daniel Auger.

Pour leur expédition du Missouri et del'Orégon (1804-1806), les explorateursaméricains William Clarke (1770-1838) etLewis engagèrent comme interprètes letrappeur français Georges Drouillard ainsique le coureur des bois Toussaint Char-bonneau et sa femme indienne Sacagawea(ca. 1790-1812).

DES TEMPS MODERNES A L'EPOQUECONTEMPORAINE

L'interprétation occupe alors essentielle-ment le terrain diplomatique et politique. EnAllemagne, Adam Oehlschläger, dit Olea-rius (1599-1671), auteur d'une traduction duGulistân (La Roseraie, 1654) de Saadi, latoute première oeuvre persane mise enallemand, fut l'interprète particulier du ducFrédéric III de Holstein-Gottorp, qu'il ac-compagna dans des ambassades en Rus-sie et en Perse. Le Hollandais Jacob vanBraam, qui se prétendait professeur defrançais, servit d'interprète à George Wa-shington (1732-1799) dans ses négocia-tions avec le gouverneur Duquesne pourobtenir le retrait des Français établis dansla vallée de l'Ohio. Lors de la Révolutionaméricaine, Pierre-Etienne Duponceau(1760-1844) fut affecté de 1777 à 1783

comme interprète au baron prussien Frie-drich-Wilhelm von Steuben, expert militairechargé de restructurer l'armée, dont il tra-duisit du français en anglais le «Règlementconcernant la tenue et la discipline destroupes de l'armée américaine». En France,Abraham Anquetil-Duperron (1731-1805)officia comme interprète des languesorientales après avoir vécu dans la com-munauté des Parsis, en Inde, où il découvritun exemplaire complet du Zend-Avestaqu'il traduisit en 1771.

Du diplomate Friedrich von Gentz (1764-1832), chef interprète de la délégation an-glaise au Congrès de Vienne (1814) et par-ticipant aux conférences d'Aix-la-Chapelle(1818), Laybach (1821) et Vérone (1823),on peut sans doute dire que, s'il travaillapeut-être comme interprète de liaison, ilintervint surtout comme traducteur et ré-dacteur de documents. A l'inverse, le baronautrichien Joseph von Hammer-Purgstall(1774-1856), connu surtout comme tra-ducteur des poètes de l'Islam, notammentde la première intégrale du Divan (1812) deHâfiz, bénéficia tout jeune déjà d'une édu-cation de Sprachknabe (jeune de langues)à Constantinople avant de se lancer dansl'étude des langues orientales et la diplo-matie, devenant par la suite interprète à lachancellerie de Vienne.

Le missionnaire allemand Karl Gützlaff(1803-1851), traducteur d'une grande partiede la Bible en siamois, servit d'interprète augouvernement anglais pendant la guerre del'opium (1840-42). L'orientaliste d'origineirlandaise William de Slane (1801-1879),auteur d'importantes traductions de l'arabeen anglais (Biographical Dictionary, d'lbnKhallikân) et en français (Histoire des Ber-bères, d'Ibn Khaldoun), fut d'abord inter-prète militaire en Algérie. Le linguiste alle-mand Georg Rosen (1820-1891), traducteurdes contes persans Tuti-Nameh (1858), futdrogman à Constantinople. Plus à l'est,Khatchatour Abovian (1809-1848), fonda-teur de la nouvelle littérature arménienne etpremier traducteur de Goethe (il avait étu-dié six ans à Dorpat, où l'on enseignait

Jfieronymus 15

Page 10: San Jerónimo en su estudi Anlonello da Messinademeurés totalement inconnus. Chez les Perses, ce que nous savons des interprètes, nous le devons essentiel-lement à Xénophon. Il

De l'identité des interprètes au cours des siècles

alors en allemand), assuma les fonctionsde secrétaire-interprète du catholicos.L'orientaliste Albert de Biberstein-Kazimierski (1808-1887), né en Polognemais émigré en France, auteur de diversestraductions de l'arabe (dont celle du Co-ran, 1841) et d'un Dictionnaire arabe-français, fut successivemert interprète de lalégation française en Perse, traducteur-interprète au Ministère des Affaires étran-gères et secrétaire-interprète pour les lan-gues orientales. L'ethnographe Léon Prunolde Rosny (1837-1916), qui étudia le chinoiset le japonais, fut interprète à l'ambassadedu shogun et, à son retour, occupa la chairede japonais à l'École des Langues orienta-les. Le sinologue Jules Arène (1850-?),traducteur de comédies chinoises, exerçacomme interprète à la légation de Chine àPékin. L'historien et diplomate américainAndrew D. White (1832-1918), qui fut am-bassadeur à Berlin et en Russie, décritdans son Autobiography (1914) la missionqu'il effectua en 1854 à Saint-Pétersbourg,au cours de laquelle il dut interpréter lesentretiens du ministre américain avec leprince Gortchakov et le comte de Nessel-rode. A la 1ère Conférence de la Paix(1898) de Paris, qui mit fin à la guerre his-pano-américaine, l'interpétation pour lesEtats-Unis fut assurée par Arthur Ferguson(1859-1908). Le Britannique Ernest M. Sa-tow (1843-1929), après des études à l'uni-versité de Londres et un examen de candi-dat-interprète pour l'Extrême-Orient, serendit à Pékin où il apprit le chinois, puis auJapon où, en 1865, il occupa le poste d'in-terprète a la légation britannique avant dese voir confier de nombreuses missionspour finir par représenter l'Angleterre à la 2e

Conférence de La Haye en 1907. A cetteconférence, l'interprète américain fut ElleryStowell, étudiant en droit international àl'université de Paris, qui outre le françaisparlait aussi le russe.

Jusqu'à la guerre de 1914-1918, le lan-gue française fut celle de la diplomatie et ileût été inconcevable qu'un diplomate ne

connût pas au moins le français en plus desa langue maternelle. Mais ce qui était vraipour les diplomates ne l'était pas nécessai-rement pour les autres acteurs de la scèneinternationale. Ainsi, lorsque Stowell futappelé à interpréter à la Conférence navalede Londres, en 1908, c'est parce que l'ami-ral américain Charles H. Stockton n'étaitpas très à l'aise en français. Il en était demême du général John J. Pershing, com-mandant des forces expéditionnaires amé-ricaines en France pendant la premièreguerre mondiale, pour lequel le colonelByrd servit d'interprète dans toutes les rela-tions avec les officiels français. Du côtéfrançais, Paul Mantoux (1877-1956), pro-fesseur d'histoire de France à UniversityCollege, Londres, fut affecté comme offi-cier-interprète à l'état-major en 1915 et de-vint, en 1917, l'interprète attitré des confé-rences franco-anglaises. A la signature del'armistice (Rethondes, 1918), l'interpréta-tion pour la France fut assurée par le com-mandant Bagot et l'officier-interprète Laper-che; pour l'Allemagne, par l'homme politi-que Matthias Erzberger (1875-1921), prin-cipal négociateur de l'armistice, quid'ailleurs périt assassiné pour avoir défen-du le traité de paix.

Après 1918, le monopole du françaisavait vécu et, sur le plan diplomatique, l'an-glais s'imposa comme son égal dès laConférence de la Paix (1919) de Paris.Mantoux y tint un rôle de premier plan etinterpréta ensuite pour le groupe restreintformé afin d'accélérer les pourparlers, leConseil des Quatre, dont il sera le seul àdonner un compte-rendu complet des déli-bérations (1955). A la Conférence de Parisparticipait aussi l'interprète du présidentWilson, le colonel Stefan Bonsaï (1865-1951), lequel a publié des mémoires sousle titre Unfinished Business (1944). Dansles négociations avec l'émir Faysal surl'avenir de l'Irak, qui se déroulèrent au seindu Conseil des Quatre, l'interprète pour lesBritanniques n'était autre que Thomas E.Lawrence (1888-1935), dit Lawrence d'Ara-bie, auteur d'une traduction de \'Odyssée

16peronymus

Page 11: San Jerónimo en su estudi Anlonello da Messinademeurés totalement inconnus. Chez les Perses, ce que nous savons des interprètes, nous le devons essentiel-lement à Xénophon. Il

Henri van Hoof

(1932). A Locarno (1925), lors des discus-sions sur les frontières de l'Allemagne, c'estle chancelier allemand lui-même, HansLuther (1879-1960), qui interpréta pour sonministre des Affaires étrangères Strese-mann les entretiens que celui-ci menaitavec son homologue français AristideBriand.

Lorsque la Société des Nations fut crééeen 1920, Paul Mantoux y fut nommé direc-teur de la Section politique. C'est dans lecadre de cette organisation que l'interpréta-tion moderne, du type dit consécutif, fit sespremiers pas, comptant parmi ses autrespionniers Antoine Velleman (1875-1962),diplômé de sciences économiques et politi-ques après des études à Londres, Berlin etMoscou, qui interpréta aussi pour la Courpermanente de Justice internationale etfonda par la suite l'École d'Interprètes deGenève; l'orientaliste Jean Herbert (1897-?), auteur d'un French-English-AmericanGlossary of Artillery and Ballistics (1919) etdu célèbre Manuel de l'Interprète (1952),qui travailla aussi pour l'ONU, l'Unesco etl'OMS; Robert Confino (9-1969), qui fut plustard chef du Service d'Interprétation desNations Unies à Genève; André Kaminker(7-1961), plus tard chef interprète au Con-seil de l'Europe, et son frère Georges (?-1969); Georges Mathieu et Hans Jacob(1896-1961), juif allemand réfugié enFrance à l'avènement du nazisme, auteurd'excellentes traductions de Molière, Vol-taire, Diderot, Balzac, Zola, Huysmans,etc., qui travailla pour la SDN de 1926 à1933, puis pour les Nations Unies et, enfin,comme chef interprète pour l'Unesco de1948 jusqu'à sa retraite. C'est aussi pourl'Unesco qu'interpréta Edmond Cary (1912-1966), de son vrai nom Cyrille Borovsky,professeur d'interprétation à la Sorbonnepour la langue russe, auteur des ouvragesLa Traduction dans le monde moderne(1954)6 et Les grands traducteurs français(1963).

L'auteur a le privilège de posséder un exem-plaire dédicacé par Cary en 1957-

La deuxième guerre mondiale et les cir-constances de l'après-guerre ont mis enévidence des interprètes venus d'horizonsdivers dans les deux camps. Pour l'Allema-gne, Eugen Dollmann (1900-?), qui relateson expérience dans Dolmetscher der Dik-tatoren (1963), fut l'interprète de l'Axe, tra-vaillant pour Hitler et Mussolini, mais aussipour Himmler et les SS, qui en firent leuragent en Italie. Paul Schmidt (1899-1970),chef interprète au Bureau des AffairesEtrangères, à Berlin, où il avait été engagédès 1923 après y avoir fait, en 1921, unstage pour apprendre la prise de notes,devint en raison de son excellence l'inter-prète personnel de Hitler sans jamais avoirété membre du parti; après la guerre, ildirigea le Sprachen- und Dolmetscher-Institut, à Munich, et publia ses mémoiressous le titre Statist auf diplomatischer Büh-ne (1949).7 Le journaliste et romancierSiegfried von Vegesack (1888-1974), né enLivonie, fut interprète militaire en Russie de1941 à 1944. Le baron Hans-Jürgen vonKoskull (1911-), né en Lettonie, officier decarrière capturé en Tunisie en 1943, futprisonnier pendant trois ans aux Etats-Uniset travailla comme interprète pour le gou-vernement américain avant de se lancerdans la traduction d'ouvrages historiques etbiographiques anglo-saxons. L'essayisteArno Schmidt (1914-1979), traducteur deFenimore Cooper, William Faulkner, EdgarPoe, etc., exerça divers métiers parmi les-quels celui d'interprète anglais à l'école depolice de Benefeld après la guerre. L'Autri-chien Erwin Wächtler (1903-1989), de pèrefrançais, qui avait pratiqué comme inter-prète de conférences dans les années1930, fut incorporé comme officier-interprète dans l'armée allemande; après laguerre, il enseigna quelques années al'université de Vienne, où on l'avait sur-nommé le «doyen des interprètes». Pour laGrande-Bretagne, A. H. Birse, sujet britan-nique élevé en Russie, raconte dans sesMemoirs of an Interpreter (1947) comment

7 L'auteur détient un exemplaire que Schmidtlui a dédicacé en 1962.

kieronymus17

Page 12: San Jerónimo en su estudi Anlonello da Messinademeurés totalement inconnus. Chez les Perses, ce que nous savons des interprètes, nous le devons essentiel-lement à Xénophon. Il

De l'identité des interprètes au cours des siècles

il fut engagé en 1939 par le Ministère de laGuerre et dépêché pour trois ans à Moscoucomme interprète de la commission anglo-soviétique; devenu j'interprète personnel deChurchill, il participa en 1945 aux rencon-tres de Yalta, San Francisco et Potsdam.Le poète David Paul (1914-1987), traduc-teur de Valéry, Apollinaire, Baudelaire,Rimbaud, Mallarmé, etc., officia commeinterprète pour l'italien de 1939 à 1945.L'officier de carrière Richard Barry (1908-),qui se mit à la traduction d'ouvrages histo-riques français et allemands après sa re-traite en 1962, occupa des postes d'inter-prète à Fontainebleau, Washington et Paris(OTAN). Pour les Etats-Unis, le généralVernon A. Walters (1917-), qui connaît lefrançais, l'espagnol, l'italien, l'allemand et lerusse, évoque ses souvenirs d'interprètedans Silent Missions (1978); envoyé auMaroc avec son unité en 1942, il servit en-suite d'interprète à Truman et Eisenhoweret, après la guerre, à Nixon, puis, lors desnégociations de paix avec le Vietnam, àKissinger, qui le qualifia de «maître inter-prète». Dans son livre Faithful Echo (1960),Robert B. Ekvall, qui avait séjourné commemissionnaire au Tibet pendant plusieursannées, relate comment il fut affectécomme interprète à la mission Marshall dePékin pendant la guerre et comment, grâceà sa connaissance du coréen et du chinois,il fut appelé à reprendre du service en 1953aux négociations de Panmunjom clôturantla guerre de Corée. Charles E. Bohle, quifut plus tard ambassadeur des Etats-Unis,rappelle dans Witness to History 1929-1969(1973) qu'il avait participé en 1943 à la réu-nion de Téhéran entre Roosevelt, Churchillet Staline en qualité d'interprète du prési-dent américain.

A la fin de la deuxième guerre mondiale,l'Organisation des Nations Unies a rempla-cé la Société des Nations et, lorsqu'il futdécidé de juger les criminels de guerre na-zis, c'est Léon Dosiert (1904-1971), unFrançais émigré aux Etats-Unis en 1920,professeur à la Georgetown University en1930, engagé dans l'armée en 1942, inter-

prète du général Eisenhower pendant ladurée de la guerre et devenu citoyen amé-ricain après avoir gagné ses galons de co-lonel en 1945, que l'on chargea d'organiserl'interprétation des procès de Nuremberg,pour laquelle il choisit de recourir à la tech-nique dite simultanée. Celle-ci avait fait sonapparition à la Conférence internationale duTravail de Genève, en 1927, et avait étéutilisée pour la première fois dans un con-grès au 15e Congrès international de Phy-siologie, à Leningrad en 1935. Rentré auxEtats-Unis, Dostert dirigea les servicesd'interprétation de l'ONU et devint aussi lepremier directeur de la School of Langua-ges and Linguistics de la Georgetown Uni-versity. Au nombre de ses collaborateurs àNuremberg ont figuré Haakon Chevalier(1902-1985), professeur de français à l'uni-versité de Californie et traducteur de Sten-dhal, Malraux et Aragon, Edouard Roditi(1910-1992), né à Paris de parents améri-cains, qui vint a l'interprétation grâce àHans Jacob et publia ses souvenirs dansInterpreting: Its History in a Nutshell (1982),mais aussi des Allemands, tel l'écrivainWolfgang Hildesheimer (1916-), lequel avaitémigré en Palestine en 1932 après desétudes en Allemagne, en Autriche et enAngleterre et qui s'est fait connaître par destraductions de Shaw (Heilige Johanna,1966) et d'autres auteurs anglo-saxons.

De plus en plus, depuis le dix-neuvièmesiècle, l'interprète est ainsi sorti de l'ano-nymat. On sait encore que le slavisant al-lemand Maximilian Braun (1903-) a été l'in-terprète officiel du chancelier Adenauer àMoscou en 1955, que Constantin Andro-nikof, attaché au Quai d'Orsay, a été celuidu président de Gaulle pour l'anglais et lerusse. On sait aussi que le sinologue alle-mand Alfred Forke (1867-1944), traducteurde poésies chinoises, fut interprète enChine de 1890 à 1903; que le dramaturgeallemand d'origine tchèque Friedrich Adler(1857-1938), traducteur de Calderón et Tir-so de Molina, exerça comme interprète del'Assemblée nationale à Prague; que l'écri-vain néerlandais Henri Borel (1869-1931),

18îeronymus

Page 13: San Jerónimo en su estudi Anlonello da Messinademeurés totalement inconnus. Chez les Perses, ce que nous savons des interprètes, nous le devons essentiel-lement à Xénophon. Il

Henri van Hoof

traducteur du poète Rabindranath Tagore,fut interprète en Chine et en Inde; que lesinologue néerlandais Jan Duyvendak(1889-1904), traducteur du Tau-te-Ching(Livre de la voie et de la vertu, 1954), a oc-cupé les fonctions d'interprète à l'ambas-sade des Pays-Bas à Pékin, etc. On pour-rait aisément prolonger cette enumeration,d'autant que, depuis l'apparition de nom-breuses écoles d'interprétation de par lemonde et la création de l'Association inter-

nationale des Interprètes de Conférences(ANC), l'identité des interprètes est à laportée de tout un chacun. On ne peut tou-tefois conclure sans rappeler que, para-doxalement, c'est à un interprète de confé-rences, Rudolf Walter Jumpelt (1925-1988), que l'on doit Die Übersetzung natur-wissenschaftlicher und technischer Literatur(1961), le tout premier ouvrage jamais con-sacré aux problèmes spécifiques de la tra-duction technico-scientifique.

SELECTION BIBLIOGRAPHIQUE

BlRSE, A. H.: Memoirs of an Interpreter, New York, Coward McCann, 1967.- «The anonymous men in between», Times Lit. Suppl., 18.9.1970.BOHLEN, Ch E.: Witness to History 1929-1969, New York, W.W. Norton, 1973.BONSAL, S : Unfinished Business, Garden City (NY) , Doubleday, 1944.BOWEN, M.: Interpreting Studies and the History of the Profession, in C. Dollerup et A. Lindegaard: Teaching Trans-

lation and Interpreting 2, Amsterdam, John Benjamins, 1994.CARY, E. : L'Interprétation de conférences, in La Traduction dans le monde moderne, Genève, Georg & Co., 1956CONOT, R E : Justice at Nuremberg, New York, Carroll & Graf, 1983.DEGROS, M.: «Les jeunes de langues sous la Révolution et l'Empire», Revue d'Histoire diplomatique, 99, 2, 1984DELISLE, J : «Les pionniers de l'interprétation au Canada», Meta (1977), 22, 1.- La Traduction au Canada 1534-1984, Ottawa, Université d'Ottawa, 1987.DOLLMANN, E : Dolmetscher der Diktatoren, Bayreuth, Hestia, 1963.EKVALL, R B : Faithful Echo, New York, Twayne, 1960.GARDINER, A H.: «The Egyptian Word for Dragoman», Proc. of the Society of Biblical Archeology, 37, 1915.GARDINER, E : Egyptian Grammar. Introduction to the Study of Hieroglyphs, Londres, Oxford UP, 1969.HAGEGE, CI.: L'Homme de paroles, Paris, Fayard, 1985.HERBERT, J.: Manuel de l'interprète, Genève, Georg & Co., 1952.HERMANN, A. et W. VON SODEN: «Dolmetscher», in Th. Klauser (éd.): Reallexikon für Antike und Christentum, Stutt-

gart, 1950 ff.KURZ, I.: «Dolmetscher im alten Rom», Babel (1986), 32, 4.- «Christopher Columbus and his Interpreters», The Jerome Quarterly, 5, 3, 1990.LANDSTRÖM, B : Columbus. Trad, néerl. d'Emy Giphart, Amsterdam, P. N. van Kampen & Zoon, 1968.LINK, A.: «Die Dolmetscher des Petrus», in Theologische Studien und Kritiken, 69, 1896, pp. 405-436.L'Interprète, Genève, 1950 ff.LONGLEY. P.: Conference Interpreting, Londres, Pitman, 1968.MAALOUF, A.: Les croisades vues par les Arabes, Paris, J. Cl. Lattes, 1983.PALMER, J M.: General von Steuben, New Haven , Yale UP, 1937.PRIESTLEY, H. I.: The Luna Papers, Freeport (N. Y) , Books for Libraries, 1971.RODITI, E.: Interpreting. Its History in a Nutshell, Washington D.C., Georgetown University, 1982.SATOW, E.: Guide to Diplomatic Practice, Londres, Longman, 1979.SCHMIDT, P.: Statist auf diplomatischer Bühne, Bonn, Athenaeum, 1954.SCOTT, J. B.: Le français, langue diplomatique moderne, Paris, A. Pedone, 1924.THIEME, K. etal.: Beitrage zur Geschichte des Dolmetschens, Munich, Isar, 1956.VAN HOOF. H.: Théorie et pratique de l'interprétation, Munich, Max Hueber, 1962.- Dictionnaire universel des traducteurs, Genève, Slatkine, 1993.VERMEER, H J.: Von Berufs- und Gelegenheitsdolmetschern, in Skizzen zu einer Geschichte der Translation, vol 1,

Francfort-sur-le-Main, IKO, 1992.WALTERS, V.: Silent Missions. Garden City (N.Y.), Doubleday. 1978.WARD, A.: «Linguist Leon Dostert, Georgetown University Language Director», The Washington Post, Sept. 3, 1971.WHITE, A. D.: Autobiography, New York, The Century, 1914WILDERMANN, I.: «Dolmetscherund Dragoman», L'Interprète, 3, 1952.

Iperonymus19

Page 14: San Jerónimo en su estudi Anlonello da Messinademeurés totalement inconnus. Chez les Perses, ce que nous savons des interprètes, nous le devons essentiel-lement à Xénophon. Il

De l'identité des interprètes au œurs des siècles

15' Congres international de Physiologie (Leningrad. 1935), premier congrèsoù l'interprétation simultanée aurait été utilisée pour traduire le discours

inaugural de Pavlov (à gauche) du russe en français, anglais et allemand

Hfl. 5André Kaminker en discussion avec le ministre des Affair

étrangères britannique de l'époque. Anthony Eden

Fig 6Paul Schmidt, interprétant pour

Hitler et Neville Chamberlain

Flg. 7L'auteur, devant les premières cabines qu'il fit installer e

Belgique pour l'enseignement de l'interprétation simultan<Institut Supérieur M Haps, Bruxelles. 1956

IL,teronvmus