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QUEL AVENIR POUR L'AUTORITARISME DANS LE MONDE ARABE ? Philippe Droz-Vincent Presses de Sciences Po | Revue française de science politique 2004/6 - Vol. 54 pages 945 à 979 ISSN 0035-2950 Article disponible en ligne à l'adresse: -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- http://www.cairn.info/revue-francaise-de-science-politique-2004-6-page-945.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Pour citer cet article : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Droz-Vincent Philippe, « Quel avenir pour l'autoritarisme dans le monde arabe ? », Revue française de science politique, 2004/6 Vol. 54, p. 945-979. DOI : 10.3917/rfsp.546.0945 -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour Presses de Sciences Po. © Presses de Sciences Po. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit. 1 / 1 Document téléchargé depuis www.cairn.info - Centre d'analyse stratégique - - 92.103.136.36 - 26/06/2013 11h21. © Presses de Sciences Po Document téléchargé depuis www.cairn.info - Centre d'analyse stratégique - - 92.103.136.36 - 26/06/2013 11h21. © Presses de Sciences Po

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QUEL AVENIR POUR L'AUTORITARISME DANS LE MONDE ARABE ? Philippe Droz-Vincent Presses de Sciences Po | Revue française de science politique 2004/6 - Vol. 54pages 945 à 979

ISSN 0035-2950

Article disponible en ligne à l'adresse:

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------http://www.cairn.info/revue-francaise-de-science-politique-2004-6-page-945.htm

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Pour citer cet article :

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------Droz-Vincent Philippe, « Quel avenir pour l'autoritarisme dans le monde arabe ? »,

Revue française de science politique, 2004/6 Vol. 54, p. 945-979. DOI : 10.3917/rfsp.546.0945

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Revue française de science politique

,

vol. 54, n° 6, décembre 2004, p. 945-979.© 2004 Presses de Sciences Po.

QUEL AVENIR POUR L’AUTORITARISMEDANS LE MONDE ARABE ?

PHILIPPE DROZ-VINCENT

l y a trente ans, le mode dominant d’analyse des situations non occidentales, dece qu’on appelait alors le Tiers Monde, était le cadre autoritaire, la « sociétéprétorienne »

1

. L’éclosion, au cours des années 1980 et après la fin de la confron-tation bipolaire, d’une « troisième vague » de démocratisations – l’Europe du Sud,l’Amérique Latine et l’Europe de l’Est, marquées par les dictatures ou les pouvoirsmilitaires, ont vu ceux-ci s’effondrer pour laisser place à des démocraties nouvelles –a semblé augurer d’une extension de l’aire des démocraties libérales. Dans les années1990, les analyses se sont multipliées en termes de « pactes politiques » ou de« transitions vers la démocratie », pour acquérir une hégémonie forte. Cependant, lemonde arabe a fait figure de parent pauvre de ces perspectives, quand il n’a pas toutsimplement été délaissé dans les dizaines d’ouvrages collectifs écrits par les « tran-sitologues », les trajectoires réelles s’y montrant rétives au «

Zeitgeist

» démocratique.Les spécialistes du monde arabe se sont penchés sur l’énigme que représentait la per-sistance de l’autoritarisme et ont tenté de transposer les problématiques hégémoni-ques. Une véritable industrie du

PhD

et du livre collectif sur les « démocratisations »ou les « sociétés civiles » en gestation s’est développée en liaison avec nombre d’élitesuniversitaires des pays arabes

2

. Les analyses les plus abouties soulignent les limitesde ces problématiques et la difficulté de leur application

3

. Cet article se propose derevenir au concept d’autoritarisme et de reprendre le questionnement en sens inverse :on ne recherchera pas « l’incertitude, la vulnérabilité et la légitimité de la démocratiedans le monde arabe » ou « pourquoi le monde arabe n’est pas démocratique », mais,de manière complémentaire, comment les régimes autoritaires se sont recomposés etont résisté aux contestations ? Il s’agira de conserver une dimension comparativenégligée dans les analyses qui, derrière des problématiques transversales de

1. S. Huntington,

Political Order in Changing Societies

, New Haven, Yale UniversityPress, 1968 ; B. Moore Jr.,

Les origines sociales de la dictature et de la démocratie,

Paris, LaDécouverte, 1969 ; S. Huntington, C. H. Moore (eds),

Authoritarian Politics in Modern Socie-ties

, New York, Basic Books, 1970.2. Toute sociologie politique satisfait des conditions épistémologiques, mais est aussi

portée par les intérêts de ceux qui peuvent y trouver validation de leur rôle potentiel. Cf.A. Przeworski,

Democracy and the Market

, Cambridge, Cambridge University Press, 1991,p. 54-66 et p. 96-97, et J. Leca, « La démocratie dans le monde arabe : incertitude, vulnérabilitéet légitimité », dans G. Salamé (dir.),

Démocraties sans démocrates

, Paris, Fayard, 1994, p. 36.Cet engouement pour la démocratisation accompagne les visions prospectives développées auxÉtats-Unis sur le Moyen-Orient comme « zone de paix » (démocratique), à l’heure de la signa-ture des accords d’Oslo (septembre 1993), des conférences économiques sur le Moyen-Orientet des perspectives de «

New Middle East

» de Shimon Pérès.3. Jean Leca note « qu’il n’est pas certain que ces questions soient actuellement celles

qu’il convient de poser d’abord dans le monde arabe » (

ibid.

, p. 38) ; Ghassan Salamé chercheà expliquer le « manque démocratique » du monde arabe (« Sur la causalité d’un manque :pourquoi le monde arabe n’est-il donc pas démocratique ? »,

Revue française de science poli-tique

, 41 (3), juin 1991, p. 307-341).

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« démocratisation » ou de « pactes de transition », finissent par aligner les études decas. Il s’agira de définir un cadre général pour comprendre les ressorts de l’autorita-risme et de sa persistance, sans nier l’intérêt des monographies

1

. Le problème del’autoritarisme et l’exceptionalisme arabe sont revenus sur les devants de la scèneaprès les attentats du 11 septembre 2001 et le lancement de la « guerre contre leterrorisme » par le président G. W. Bush : la politique étrangère américaine est foca-lisée sur le monde arabe et relie l’autoritarisme de ses régimes à d’autres menacespotentielles (proliférations nucléaire, chimique ou biologique, réseaux de terrorisme),leur combinaison étant susceptible de produire d’autres 11 septembre. Le jugementpolitique démonisant porté sur les « tyrannies » est la pierre angulaire du regard amé-ricain. Les

think tanks

américains les plus influents (

American Enterprise Institute

,

Project for a New American Century, Hudson Institute

, etc.) appliquent, à partir de ceraisonnement, des recettes de démocratisation (plus ou moins coercitives) et des pro-jets de remodelage de la région. Mais ils se heurtent, comme le montre le cas irakiendepuis l’intervention américano-britannique, à des réalités autrement plus complexes,nécessitant de mieux comprendre l’autoritarisme. En effet, celui-ci met en jeu desdimensions plus structurelles des systèmes politiques que ne le laisseraient à penserces perspectives optimistes.

QU’EST-CE QUE L’AUTORITARISME ?

Le concept d’autoritarisme a été introduit dans les typologies de régimes poli-tiques, afin de prendre en compte un nombre important de régimes – pour la plupartnon occidentaux – qui n’entraient pas dans la catégorie des démocraties et pour les-quels le qualificatif de régime totalitaire ne s’appliquait pas en toute rigueur

2

. Sil’autoritarisme est ainsi défini par les qualités « manquantes » par rapport aux deuxautres types de régimes (limitation du pluralisme politique, absence d’idéologie poli-tique englobante, de mobilisation politique intensive ou de limites claires au pouvoirdu dirigeant), il est important de le comprendre dans sa pratique politique même. Uncertain nombre de caractéristiques communes autorise à l’innovation typologiquepour saisir cet entre-deux.

1. Nous limiterons nos exemples « autoritairement » au Machreq, tout en notant quenombre de problématiques évoquées ici trouvent application au Maghreb. Le cas du Liban nesera pas traité en tant que tel, mais la reconstruction du système libanais après les accords deTaëf (1989), avec la montée de l’armée, des services de sécurité, les nouvelles techniques decontrôle par l’exécutif sous l’influence syrienne, montre qu’il ne s’éloigne pas des probléma-tiques développées ici.

2. J. Linz, « Totalitarian and Authoritarian Regimes », dans F. Greenstein, N. Polsby(eds),

The Handbook of Political Science

, Readings, Addisons Wesley, 1975, p. 175-411 ;G. Hermet, « L’autoritarisme », dans M. Grawitz, J. Leca (dir.),

Traité de science politique

,Paris, PUF, 1985, p. 269-312. Les typologies des régimes ont évolué, mais, dans la secondemoitié du 20

e

siècle, elles se polarisent entre démocraties et totalitarismes. L’étude des régimesissus des décolonisations, puis des cas portugais et espagnol, conduit à l’utilisation de la notiond’autoritarisme. Mais Linz introduit à côté des régimes autoritaires, les régimes post-totali-taires, sultaniques, les démocraties raciales, etc.

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RETOUR SUR LE CONCEPT D’AUTORITARISME. DE QUOI PARLE-T-ON ?

L’autoritarisme est fondamentalement un mécanisme d’exclusion et de limita-tion du pluralisme politique. Il représente la négation des critères de ce que RobertDahl a nommé les « polyarchies ». Cette dernière notion, introduite en réponse auxanalyses « réalistes » de la démocratie – les gouvernés ne font que choisir, par élec-tion, des représentants légitimes au terme d’une lutte concurrentielle

1

– et aux cri-tiques « démocratiques » – la seule démocratie est totalement participative ou n’estque l’ombre d’elle-même –, interprète l’évolution des systèmes politiques comme lapossibilité de contestation institutionnalisée des décisions prises par les élites poli-tiques dans un contexte de pluralisme social, c’est-à-dire d’expansion numérique etde diversification sociale de la participation

2

. Le régime autoritaire s’attache à lasuppression de ces dimensions : limitation de la participation politique et non pos-sibilité de contestation par la société ou ses institutions représentatives (partis, asso-ciations, syndicats, etc.) des décisions essentielles qui sont prises par un petit grouperestreint. Il ne saurait cependant les annihiler totalement, à l’instar du régime totali-taire, autour d’une idéologie englobante et d’une transformation radicale de lasociété, dont il n’a pas les moyens, même si la rhétorique ou l’appétence en ont par-fois été présentes dans un certain nombre de cas. L’autoritarisme est beaucoup pluspragmatiquement un système de contrôle. Apparaissent des régimes qui fonction-nent par l’exclusion politique de ceux qui ne leur font pas allégeance ou n’acceptentpas passivement la situation, et l’inclusion dans les cercles du pouvoir ou dans leursramifications tentaculaires d’un certain nombre d’affidés

3

. On avancera ici l’hypo-thèse que, pour les régimes autoritaires, la notion d’exclusion politique est un« principe » constitutif, en prenant principe au sens de Montesquieu

4

. Ce principeinforme les processus et les interactions politiques, et explique la teneur politiqueque prennent nombre de questions économiques ou sociales dans les régimesautoritaires

5

.

1. J. Schumpeter,

Capitalisme, socialisme et démocratie

, Paris, Payot, 1951, p. 354-360.2. R. Dahl,

Democracy and its Critics

, New Haven, Yale University Press, 1989.3. La notion de régime politique peut être définie, en première approche, comme

« quelque méthode régulière pour ordonner les rapports politiques » (D. Easton,

A SystemsAnalysis of Political Life

, Londres, John Wiley, 1964, chap. 12). Par conséquent, si « le gouver-nement est le sommet de l’appareil d’État, le régime représente l’ensemble des routes qui ymènent, c’est-à-dire l’ensemble des modalités (

prevailing patterns

), pas nécessairement forma-lisées, qui établissent les voies de recrutement et d’accès à ces rôles » (G. O’Donnel,

Moderni-zation and Bureaucratic Authoritarianism

, Berkeley, Institute of International Studies, 1973,p. 29). Or, cet ensemble de « routes » peut être largement « goudronné », « remembré » etélargi pour une « circulation » facile – métaphore qui correspondrait au modèle démocratiqueou « polyarchique » –, mais aussi être entrecoupé de divers péages, contrôles et bifurcations,qui nourrissent l’exclusion ou l’accès différencié aux positions de pouvoir.

4. « Il y a cette différence entre la nature du gouvernement et son principe ; que sa natureest ce qui le fait être tel ; et que son principe est ce qui le fait agir. L’une est la structure parti-culière, et l’autre les passions humaines qui le font mouvoir » (Montesquieu,

L’esprit des lois

,III, 1).

5. Ces régimes sont différents des régimes occidentaux que la science politique théorisehabituellement. Tout régime politique, même le plus démocratique, comporte une dimensiond’exclusion : une des définitions possibles du jeu politique consiste à identifier qui participe ounon. Mais cela n’est qu’un effet résultant, un « effet pervers » non désiré, un constat

ex post

qu’effectue l’analyse sociologique (appréhendant le « cens caché » ou les effets d’incompé-tence politique à la source de l’abstentionnisme) et n’est pas un effet voulu

ex ante

, commedans le cas de l’autoritarisme.

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Les pouvoirs arabes qui se mettent en place dans les années 1950-1960 et qui per-durent jusqu’à nos jours – qualifiés aujourd’hui de «

mukhabarat states

» ou de«

bunker states

»

1

– illustrent ces perspectives de fermeture de la participation et de lacontestation institutionnalisée. L’arrivée des indépendances et la fin du moment britan-nique au Moyen-Orient introduisent une profonde césure dans l’histoire de la région,l’instabilité politique et les coups d’États à répétition étant les symptômes d’une lamede fond aux conséquences lourdes. L’affirmation autoritaire met fin à la « seconde èrelibérale », qui coïncidait avec la contestation des mandats et les demandesd’indépendance

2

. Le noyau dur des processus d’exclusion politique est la consolida-tion d’un cœur central qui anime le régime autoritaire. Un premier modèle de constitu-tion fait intervenir une «

‘asabiyya

» ou « groupe de solidarité particulière », relecturede l’idée khaldunienne du pouvoir dans le contexte des États nations. D’une part, dansl’analyse d’Ibn Khaldun, le pouvoir (

mulk

) n’est pas fondé sur la cité comme dans latradition grecque, mais sur le regroupement primordial (‘

asabiyya

) : son essence est unlien « affectif », un lien du sang (

silat al-raham

), tribal et familial, une « solidaritémécanique », pour reprendre le vocabulaire sociologique, et non un rapport de citoyen-neté dans un espace public

3

. Ainsi se comprend le rôle fondamental joué au cœur desdivers systèmes politiques arabes par les frères, fils, oncles, voire demi-frères et femmes,filles ou mères des dirigeants, éléments d’analyse qui, par delà les dimensions anecdo-tiques, nous introduisent au cœur même du fonctionnement du pouvoir autoritaire.D’autre part, la

‘asabiyya

acquiert une force sans commune mesure à partir du momentoù elle parvient à prendre le contrôle de l’appareil d’État et mène des politiquespubliques permettant son ancrage social. Ce type d’analyse a été particulièrementmobilisé pour les cas syrien ou irakien

4

. Mais elle trouve aussi son application dans lesÉtats du Golfe ou en Jordanie, dirigés par une famille plus ou moins large qui domineles « ministères de la souveraineté » (

wizarat al-siyada

), c’est-à-dire des positions clés(Intérieur, Défense, Finances et Affaires étrangères, voire Pétrole) de l’État. Dans unsecond modèle, observable en particulier en Égypte, l’élite politique centrale se cons-truit moins directement selon des logiques primordiales de solidarité de sang, mais surla base des intérêts objectifs d’un groupe d’officiers putschistes

5

. Le pouvoir nassériencoopte des officiers qu’il introduit comme cadres dans l’appareil d’État, puis incorporeune élite technocratique (« les classes de directeurs »,

tabaqat al-mudirin

), dessinantainsi une véritable

nomenklatura

. Celle-ci se referme sur elle-même par multiplication

1. M. Hudson, « After the Cold War »,

The Middle East Journal

, 45 (3), 1991, p. 407-426 ; C. M. Henry, R. Springborg

, Globalization and the Politics of Development in the MiddleEast

, Cambridge, Cambridge University Press, 2001, p. 99-133.2. Expression introduite par Ghassan Salamé, « Sur la causalité d’un manque… », art.

cité, p. 319 et suiv. Dans la continuité de la première ère libérale (porteuse des idées de réformede l’Empire Ottoman dans la seconde moitié du 19

e

siècle), la seconde ère libérale naît parmiles élites urbaines nationalistes. Cette ère libérale a aussi un volet économique : l’essor de lalibre entreprise, des sociétés par action. Elle est affaiblie par les jeux politiques des puissancesmandataires. Le coup de grâce lui est asséné par les régimes autoritaires.

3. G. Salamé, « “Strong” and “Weak” States : A Qualified Return to Muqaddimah », dansG. Luciani (ed.),

The Arab State

, Londres, Routledge, 1990, p. 29-64 ; O. Carré, « À proposdes vues néo-khaldouniennes sur quelques systèmes politiques arabes actuels »,

Arabica

, 34,1988, p. 368-387, et Ibn Khaldun,

The Muqaddimah

, New York, Bellington Foundation, 1958.4. M. Seurat,

L’État de barbarie

, Paris, Le Seuil, 1989 ; C. Tripp,

A History of Iraq

, Cam-bridge, Cambridge University Press, 2001.

5. J. Leca, Y. Schemeil, « Clientélisme et patrimonialisme dans le monde arabe »,

Interna-tional Political Science Review

, 4 (4), 1983, p. 455-494 ; L. Binder,

In a Moment of Enthu-siasm

, Chicago, Chicago University Press, 1978.

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des liens familiaux, se rapprochant ainsi du premier modèle

1

. La haute bureaucratieégyptienne, cœur de l’État autoritaire, ou les instances du Parti national démocratique(PND) fonctionnent ainsi dans un mélange de solidarités corporatives bureaucratiques etde solidarités familiales, source de véritables « ‘

asabiyyat

» locales ou nationales

2

.Il est tout à fait remarquable de constater que ce modèle de régime autoritaire se

met en place synchroniquement dans le monde arabe. L’arrivée des militaires à la têtedes républiques arabes (en Syrie en 1949, en Égypte en 1952 ou en Irak en 1958) enest l’illustration : les parlements sont remplacés par des assemblées nommées, les ins-titutions paralysées et remplacées par divers conseils de la révolution, les partis dis-sous, les

leaders

politiques arrêtés, la participation soigneusement encadrée

3

. Lesmonarchies arabes connaissent des mutations semblables à l’occasion de renouvelle-ments générationnels : la « réaffirmation hachémite » autour du jeune roi Hussein, àpartir de 1953, construit une monarchie centralisatrice bien différente du pouvoirpatriarcal de son grand-père Abdallah

4

; les pouvoirs du Golfe après le retrait des Bri-tanniques mettent en place des États bureaucratiques puissants et centralisateurs

5

. Laspécificité du monde arabe que représente l’autoritarisme de ses régimes est donc lefruit de l’addition pour une zone géographique d’histoires singulières propres àchacun des États et de leurs similarités ; elle ne saurait être lue comme le résultat d’ungène (arabe ou islamique) de la politique, déterminant de manière univoque les inte-ractions politiques. Notre compréhension de l’autoritarisme met l’accent sur les luttespolitiques qui marquent les régimes arabes et qui relèvent de questionnements sur lescrises politiques après les indépendances, la perpétuation au pouvoir de groupes res-treints, la légitimation, les réformes politiques, les ouvertures économiques, lesinfluences régionales ou internationales… beaucoup plus que sur des variables cultu-relles. Certes, les dimensions culturelles interviennent (les sociétés sur lesquelless’imposent les autoritarismes sont arabes et islamiques… entre autres, car elles sontaussi marquées, par exemple, par des pyramides des âges déformées, avec une jeu-nesse majoritaire). Les variables culturelles influent, donnent forme, mais ne sauraientdéterminer univoquement ; elles peuvent fournir des schèmes culturels

6

, qui ne sau-

1. J. Waterbury, « An Attempt to Put Patrons and Clients in their Place », dans E. Gellner,J. Waterbury (eds),

Patrons and Clients in Mediterranean Societies

, Londres, Duckworth,1977, p. 254-275, et J. Waterbury,

The Egypt of Nasser and Sadat

, Princeton, Princeton Univer-sity Press, 1983.

2. Cf. N. Ayubi,

Bureaucracy and Politics in Contemporary Egypt

, Londres, Ithaca Press,1980, et R. Springborg,

Mubarak‘s Egypt

, Boulder, Westview Press, 1989. R. Hinnebusch(

Authoritarian Power and State Formation in Ba’thist Syria

, Boulder, Westview Press, 1989,chap. 4) introduit une troisième conceptualisation du cœur central, en termes de groupessociaux et de classes. La centralité des classes recouvre l’identité des ‘

asabiyyat

(et n’est pas unvoile pour Hinnebusch), sous forme d’un mouvement social large permettant la prise du pouvoir(les minoritaires peuvent être à l’avant-garde des luttes sociales sans apparaître comme tels).Mais une fois arrivés au pouvoir, ces derniers peuvent être tentés d’exclure d’autres groupes.

3. La lecture des multiples mémoires d’hommes politiques arabes actifs dans les années1950-1960 montre qu’à une période florissante en débats, joutes politiques, politisationouverte, succède une fermeture des scènes politiques et du débat partisan.

4. N. Aruri,

Jordan, A Study in Political Development

, La Hague, Martinus Nijhof, 1972,et M. Wilson,

King Abdullah, Britain and the Making of Jordan

, Cambridge, Cambridge Uni-versity Press, 1987.

5. J. S. Ismael,

Kuwait, Social Change in Historical Perspective

, Syracuse, Syracuse Uni-versity Press, 1982, et J. Crystall,

Oil and Politics in the Gulf

, Cambridge, Cambridge Univer-sity Press, 1990.

6. A. Hammoudi,

Master and Disciple

, Chicago, Chicago University Press, 1997.

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raient intervenir

in abstracto

, mais bien plutôt dans le cadre de conflits politiques et deluttes pour le pouvoir

1

. Les traits culturels mobilisés par les régimes autoritaires arabes(dimension collective arabe, référent islamique, personnalisation du

leadership

) sontainsi moins liés, selon l’hypothèse avancée à propos de la Tunisie par Michel Camau etVincent Geisser, à la nature propre des communautés politiques qu’aux conflits en leursein entre des élites pour imposer un sens commun unitaire

2

… qui finissent par per-mettre la perpétuation exclusive au pouvoir de ceux qui le détiennent et imposentl’unité autoritaire (la Syrie ou l’Irak ba’thiste, l’Arabie saoudite, la Jordanie hachémite)à leur société par ce biais. Le monde arabe ne se différencie donc pas en vertu de sesspécificités propres au sein de la catégorie générale des régimes autoritaires : d’autresaires, comme l’Afrique, ont connu des résistances similaires de l’autoritarisme

3

.

DE L’OUTIL TYPOLOGIQUE AUX « CARACTÉRISTIQUES CENTRALES »

Si la notion de régime autoritaire a été définie dans le cadre d’une classificationdes régimes politiques, l’autoritarisme – comme le totalitarisme – ne saurait être con-sidéré comme un « modèle », au sens de « clé qui permet de déchiffrer, de part en part,une réalité »

4

. Ce concept de nature typologique, doté d’un certain nombre de « carac-téristiques définissantes » – les frontières du concept, ce qu’il inclut –, est d’utilisationheuristique lorsqu’il conduit à définir des « caractéristiques centrales » de la politiqueautoritaire, par descente le long de « l’échelle d’abstraction »

5

. La scène politique auto-ritaire est atrophiée et strictement encadrée : l’objectif est d’assurer la primauté et lapérennité de l’exécutif (émir, roi, président, guide, etc.), lieu de cristallisation du cœurcentral défini ci-dessus, et de l’isoler des retournements de la politique (encadrés par lesinstitutions dans les régimes démocratiques). Les institutions politiques des régimesautoritaires ne sont pas seulement de pures fictions, car elles ont des fonctions politiquesde cooptation et d’intégration, de régulation des rapports de force au sein du régime.Mais l’essentiel est, dans l’architecture du pouvoir, d’isoler le centre de toute possibilitéde contestation et de le constituer comme « lieu plein » (pour reprendre en contrepointla métaphore de Claude Lefort sur la démocratie définie comme lieu vide). L’idéologieaffichée, même si elle perd vite son emprise sur la société, permet de dissimuler ces stra-tégies et de construire des « alliances » (

talahom

ou

iltiham

dans le vocabulaire d’IbnKhaldun) au-delà du cœur restreint central. L’idéologie wahabbite comme source del’identité saoudienne ou celle du nationalisme arabe dans le discours officiel de nom-breux États permettent, dans deux registres différents, à un groupe particulier de conso-lider son emprise en la justifiant au nom de projets globaux et en interdisant à d’autres(familles rivales des Saoud, autres groupes confessionnels ou ethniques en Syrie et enIrak…), aspirant potentiellement au pouvoir, de faire usage de modalités identiques

6

.

1. G. Salamé, « Sur la causalité d’un manque… », art. cité.2. M. Camau, V. Geisser,

Le syndrome autoritaire

, Paris, Presses de Sciences Po, 2003,p. 23-24 et p. 95-99.

3. M. Bratton, N. Van de Walle,

Democratic Experiments in Africa

, Cambridge, Cam-bridge University Press, 1997.

4. G. Sartori, « Totalitarian Model Mania and Learning from Error »,

Journal of Theore-tical Politics

, 5 (1), 1993, p. 5-22.5. G. Sartori, « Concept Misformation in Comparative Politics »,

American PoliticalScience Review

, 64 (4), 1970, p. 1033-53.6. C. M. Helms,

The Cohesion of Saudi Arabia

, Londres, Croom Helm, 1981, etM. Seurat,

op. cit.

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L’infusion clientélaire du groupe central – ‘

asabiyya

, famille, parti unique oudominant – dans l’appareil d’État, en développement à partir des années 1950 et dontla densité s’accroît par là même, intervient en complément. Après le coup d’État enÉgypte, les militaires entrent en grand nombre dans l’administration, faisant de ce paysune « société militaire » restructurée par les officiers

1

. En Syrie et en Irak, le parti Ba’th– en particulier, ses instances militaires – est à la source de l’expansion de l’appareild’État. Le même processus est moins connu, mais tout aussi central, dans les monar-chies, perçues à tort comme des modèles politiques figés, immuables, archaïques, nonau fait de ces éléments de modernité politique. En Arabie Saoudite, le conseil desministres, l’armée, la garde nationale et l’administration en gestation servent de portesd’entrée dans l’appareil d’État à la famille Sa’ud et à ses alliés, les Al-Chaykh (les des-cendants de Muhammad Abd al-Wahhab, le fondateur du wabhabisme), Al-Sudayri,Al-Jiluwi, Al-Thunayyi

2

. Le Koweït ne fait pas exception avec le recrutement massif,financé par les ressources pétrolières après le départ des Britanniques, dans l’adminis-tration, puis les forces de police prétoriennes (

Public Security), sous l’autorité d’unmembre éminent de la famille, chaykh Sa’ad – aujourd’hui prince héritier, à l’époquechef de la police, puis ministre de la Défense –, de membres des deux branches de lafamille régnante (Jaber et Salem) ou de Bédouins 3. Dans tous les cas, les ministèresde l’Intérieur, secondés par les ministères de l’Information, assurent des tâches decontrôle, appuyés par de multiples services de renseignement (mukhabarat) 4. L’Étatbureaucratique prend le contrôle des principales ressources économiques et développeun secteur public hégémonique 5 ; au développementalisme du socialisme arabe et à sarhétorique des « réalisations » (injazat) opérées par les régimes fait écho, dans lesmonarchies du Golfe, une orgie de consumérisme offerte par un État paternaliste 6.

Le constat est souvent fait que les régimes arabes dominent des scènes politiquesnon « incorporées » 7. Mais ils perdurent aussi sur ces dichotomies de la scène poli-tique, dans des formes de manipulation et de jeux d’équilibres, qui, au vu du peu deressources politiques dont ils disposent, leur permettent de persister. Les pouvoirs opè-rent un véritable « cadastrage » de leurs sociétés, les découpent, cherchent à y repérerles soutiens potentiels, les secteurs perçus comme passifs et les « classes dange-reuses »… que ces découpages soient effectués sur des bases sociales, religieuses,

1. A. Abd el Malek, Égypte, Société militaire, Paris, Le Seuil, 1968.2. G. Salamé, « Political Power and the Saudi State », dans B. Berberoglu (ed.), Power

and Stability in the Middle East, Londres, Zed Books, 1989, p. 70-89 (reprise de MeripReports, octobre 1980).

3. Les Bédouins sont supposés moins actifs politiquement que les grandes familles mar-chandes, qui dominaient la pêche des perles, puis le commerce de longue distance, et revendi-quaient une place politique (J. Crystall, Oil and Politics in the Gulf, op. cit.).

4. Les ministères de l’Éducation, des Administrations locales, du Travail, de l’Industrie,des Affaires sociales, etc. servent aussi à parfaire, dans leurs secteurs respectifs, le contrôlesocial.

5. M. Chatelus, Stratégies pour le Moyen-Orient, Paris, Calmann-Lévy, 1981 (1re éd. :1975). Quand le secteur public n’est pas hégémonique, comme en Jordanie, le tissu réglemen-taire économique étatique est si dense qu’il enserre complètement l’activité économique dansson filet de contrôle.

6. K. Al-Naqib, Al-Dawla Al-Tasallotiyya fi al-Machreq al-Arabi Al-Mu’aser [L’Étatautoritaire au Machreq arabe contemporain], Beyrouth, Centre d’Études de l’Unité Arabe, 1990.

7. D. Collier, R. Collier, Shaping the Political Arena, Princeton, Princeton UniversityPress, 1991, chap. 1. Jean Leca (« La démocratie dans le monde arabe… », cité, p. 38) définitl’incorporation comme « l’institutionnalisation des conflits portant sur la distribution des biensvalorisés ».

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ethniques ou simplement politiques, soient formulés explicitement ou restent del’implicite intervenant lourdement. Cette représentation vue du centre est à la basedes processus d’exclusion politique et oriente nombre de politiques publiques 1. Lespouvoirs syrien ou irakien ont systématiquement joué de la division de leurs sociétés,en favorisant, en particulier, le monde rural par rapport au monde urbain (rôle del’Union générale des paysans en Syrie ou du monde rural dans l’Irak de Saddam aprèsl’intifada de 1991). Dans le cas égyptien, l’encadrement corporatiste a eu, pour corol-laire, la segmentation des demandes sociales en les contrôlant par là même 2. AuKoweït, le jeu d’équilibre, à partir de la loi de la nationalité de 1959, entre Koweïtisde souche (asli, présents avant 1920 sur le territoire), « Koweïtis de secondecatégorie » (qui n’ont pas les mêmes droits, en particulier de vote) et « bidun » (sanspapiers) permet la domination de la famille Sabah. En Arabie Saoudite, le jeu d’équi-libre entre branches de la famille Sa’ud, apparentés et autres familles est tout aussicentral. La monarchie hachémite se présente comme le creuset de la « famille jorda-nienne » (al-usra al-urdunniyya), composée de divers communautés ou groupes,Palestiniens, « tribus » du sud, urbains du nord, ruraux de la vallée du Jourdain, Chré-tiens, Tcherkesses, etc., tout en manipulant ces clivages pour se positionner commel’élément rassembleur.

La participation politique est recherchée (à un degré minimal) à certainsmoments clés – élections, référendums, dates anniversaires du régime –, mais, dansles longues périodes intermédiaires, la dépolitisation, l’apathie ou la « dépar-ticipation » sont la règle. Les mobilisations idéologiques – ou « moments d’enthou-siasme » 3 –, qui ont pu être aux fondements de certains régimes, ont vite disparu.Cela explique, en Syrie ou en Irak, la mise à l’écart au profit des hiérarchies de l’État/régime du parti Ba’th, devenu un pur instrument de cooptation sans pouvoir proprede décision. L’autoritarisme ne s’embarrasse pas de pureté idéologique 4. D’oùl’intérêt des régimes autoritaires pour le néo-corporatisme de représentation« neutre » d’intérêts, le profond conservatisme de ceux-ci – quel que soit leur degréde progressisme revendiqué – et leur aversion pour la réforme réelle. La« privatisation » des comportements politiques en est le corollaire, alimentée par lapeur ou l’intimidation, venant en complément de la palette d’outils législatifs des-tinés à restreindre les affirmations sur la scène publique 5. Les sociétés du mondearabe avaient pourtant fait l’apprentissage de la politisation. La « seconde èrelibérale », qui coïncide avec la période de naissance du nationalisme arabe dans lepremier tiers du 20e siècle, est aussi celle de l’extension géographique – au-delà dumonde urbain – et sociale – au-delà des grandes notabilités urbaines – de la partici-pation politique. Les sociétés du Golfe, certes de taille plus réduite, n’ont pas été en

1. Les régimes dessinent de véritables cartographies de leurs sociétés vues du centre. Descorps électoraux sont divisés, par exemple, en deux segments (« ouvriers et paysans », « autrescatégories sociales »), recevant chacun un quota spécifique de représentants… le monde ruraltraditionnellement quiétiste ou le prolétariat des entreprises d’État présentant de moindres dan-gers de volatilité des allégeances. Dans le cas jordanien, des représentations spécifiques sontoctroyées aux minorités, aux Bédouins (dont la définition fait régulièrement l’objet de débatsqui peuvent dénoncer de manière feutrée les manipulations du Palais) ou récemment auxfemmes.

2. J. Waterbury, The Egypt of Nasser and Sadat, op. cit.3. L. Binder, In a Moment of Enthusiasm, op. cit.4. L. Weeden, Ambiguities of Domination, Chicago, Chicago University Press, 1999.5. A. O. Hirschman, Shifting Involvements, Private Interests and Public Action, Prin-

ceton, Princeton University Press, 1982.

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reste 1. C’est bien à une régression que s’attachent les régimes autoritaires. Tous mani-festent une préférence pour les représentants nommés et adoptent diverses techniquesde cooptation d’élites sociales 2. La participation non conventionnelle (manifestations,grèves, pétitions, occupations) des mouvements étudiants ou ouvriers, de gauche ouislamistes, est réprimée. La politique prend un sens spécifique : à la limite, ce type derégime nie toute politique au sens de décisions prises au nom d’un intérêt généralpublic. Si la politique est une combinaison de « création » – la dimension artistique dela politique – et de « réponses » – la traduction politique des clivages sociaux 3 –, lapolitique est ici « démonétisée », vidée de sa substance. L’art politique, qui consiste àmaintenir le sens de la « mise en commun » 4 par une « allocation autoritaire devaleurs » 5, qui reflètent des intérêts mais ne peuvent s’imposer à tous que légitime-ment, n’existe plus. La politique devient un jeu d’équilibre où le détenteur du pouvoirest constamment sur le fil du rasoir, mais peut persister au sommet sur la longue durée.

L’hypothèse avancée ici concernant la nature de l’autoritarisme ne conduit doncpas seulement à définir un cadre typologique englobant. Des distinctions s’opèrententre les divers régimes autoritaires. Ce qui, finalement, différencie les régimes arabes,c’est plus l’intensité d’application des « principes » de l’autoritarisme ainsi compris– la subtilité avec laquelle la « polyarchie » est limitée, la possibilité ou non d’un plura-lisme politique encadré –, que des « principes » différents, qui animeraient, par exemple,monarchies et républiques. Les typologies habituelles, qui opposent républiques« révolutionnaires » et monarchies « modernisatrices », montrent leurs limites dans cetteperspective 6. La forte persistance symbolique (et politique) dans la culture politiquearabe de ces dichotomies, qui comptent parmi les « marqueurs lexicaux » du discourspolitique arabe, est en effet amendée par des pratiques concrètes souvent proches desmonarchies et des républiques 7. C’est bien également contre l’illusion des typologies

1. Le grand nombre d’essais en arabe parus dans les années 1990 sur la Péninsule arabiquedes années 1930-1940, tendant à montrer des sociétés très actives socialement et politiquement,a une valeur historique, mais s’inclut dans les débats contemporains des années 1990 (larecherche généalogique de « sociétés civiles » agissantes). Dans notre perspective, cela montrela disparition et l’écrasement de ces prémisses de « société civile » au Koweït, Bahrein, Qatarou dans le Hijaz, province particulièrement active du royaume saoudien.

2. Les élites sociales – chefs de tribus, notables urbains – préfèrent souvent cette stabilitéprévisible à la remise en jeu de leur pouvoir dans un système ouvert, qui risque de les margina-liser au profit d’entrepreneurs politiques dotés d’autres ressources.

3. J. Leca, Pour(quoi) la philosophie politique ?, Paris, Presses de Sciences Po, 2001,p. 156-167.

4. H. Arendt, Qu’est-ce que la politique ?, Paris, Le Seuil, 1995, et B. Crick, In Defense ofPolitics, Chicago, Chicago University Press, 1972.

5. D. Easton, op. cit., chap. 7 et 9.6. Ce qui ne signifie pas, si on descend l’échelle d’abstraction, que les différents types de

régimes ne s’appuient pas sur des modalités différentes de constitution de la communauté poli-tique (state building et nation building). Les monarchies représentent ainsi un modèle spéci-fique de « développement politique ».

7. Sur l’importance du fait de langage en politique : F. Bon, « Langage et politique », dansJ. Leca, M. Grawitz (dir.), op. cit., p. 537-573. Ainsi se comprend le vif débat dans les cerclesintellectuels arabes en juin-juillet 2000 lors de la succession en Syrie. Le grand journalisteMuhammad Hassanayn Haykal, ancien rédacteur en chef d’Al-Ahram, intellectuel et conseillerdu Prince, après avoir rendu hommage « au grand leader arabe Hafez al-Assad », prend « uneposition de principe » (qidayya mubtada’) : le refus de « l’héritage du pouvoir » (tawrith al-sulta) dans une république. Pour lui, le « pouvoir républicain » ne se transmet pas. Ses institu-tions peuvent permettre à une personne de la famille du président de se présenter en fonction deses qualités exceptionnelles et de les faire reconnaître par le suffrage populaire. Mais le cas

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classiques des régimes politiques que Camau et Geisser, à propos de la Tunisie, souli-gnent que le « syndrome autoritaire » est actualisé, au fil du temps, par des élites (gou-vernementales et oppositionnelles) et prend une dynamique propre de construction dela domination d’une élite sur une société autour d’un projet de réforme par le haut, selondes modalités diverses suivant les époques (élite professionnalisée, réseau d’élitessectorielles) 1. On peut alors distinguer des formes d’autoritarisme différentes et desévolutions (fermetures, régressions, voire libéralisations) au sein d’un même système.

RETOUR SUR LA NOTION DE « DÉVELOPPEMENT POLITIQUE »

Les ressorts politiques de l’autoritarisme sont au centre de la définition que nousavons utilisée, indépendamment d’autres dimensions (type de société ou d’économie,niveau de développement, terreau culturel, etc.). Si les limites des analyses des théo-riciens du « développement politique » sont aujourd’hui admises, ceux-ci ont capturéun moment et un élément essentiel, la construction d’un centre politique et l’impor-tance du facteur politique 2. Des travaux ultérieurs ont montré combien les États ainsicréés ont été « importés », soulignant la difficulté de l’implantation de cette structurede gestion de la communauté politique qu’est l’État et sa généalogie occidentale 3.Mais, comme le note l’historien Abdallah Laroui, si « l’État arabe a peu d’esprit, il dis-pose de beaucoup de muscle » 4. Le retour sur ces dimensions permet de ne pas figerles autoritarismes dans une origine généalogique, leur moment fondateur, souvent uncoup d’État. La longue durée au pouvoir des mêmes régimes ne s’explique pas seule-ment par leurs racines historiques, qui permettraient de repérer la base sociale d’unrégime et les stratégies supposées la perpétuer. Les années 1950-1960 représententainsi une césure importante où se fait sentir l’effet de transformations socialesessentielles : l’expansion des systèmes d’éducation, le désir de promotion de nou-velles couches sociales et l’entrée massive de la new middle class dans les corpsd’officiers 5. Les analyses, en termes de classes sociales et de révolte de la « petitebourgeoisie » contre les notabilités urbaines qui dominaient les systèmes politiques enSyrie, Égypte ou en Irak jusque dans les années 1950, comportent une part de vérité.Mais les nouveaux pouvoirs n’ont pas été des « régimes petits-bourgeois », bien aucontraire 6. Le paradigme minoritaire a souvent été invoqué pour les cas syriens ouirakiens 7. Les analyses en termes de revanche des Alaouites – minoritaires confes-

1. M. Camau, V. Geisser, Le syndrome autoritaire, op. cit., p. 23-25.2. B. Badie, Le développement politique, Paris, Economica, 1994.3. B. Badie, Les deux États, Paris, Fayard, 1986, et B. Badie, L’État importé, Paris,

Fayard, 1992.4. A. Laraoui, Mafhum al-Dawla [Le concept d’État], Casablanca, Dar Farabi, 1984,

p. 124. Les capacités étatiques, dans la trajectoire occidentale, vont de pair avec le développe-ment d’un « esprit de l’État », permettant l’articulation entre les concepts de liberté et d’État.Cf. A. Laraoui, Mafhum al-Hurriyya [Le concept de liberté], Beyrouth, Dar al-Tanwir lil Tabiawa al Nachar, 1981, en particulier son analyse de Hegel.

5. M. Halpern, The Politics of Social Change in the Middle East and North Africa, Prin-ceton, Princeton University Press, 1963.

6. A. Richards, J. Waterbury, A Political Economy of the Middle East, Boulder, WestviewPress, 1990, chap. 4.

7. Y. Schemeil, « Les élites politiques au Proche-Orient », Revue française de sciencepolitique, 27 (6), novembre 1977, p. 537-573.

syrien ne correspond pas à ces réquisits, selon lui. Bien entendu, le débat égyptien s’anime àl’heure où, quelques mois auparavant, le fils du président, Gamal Mubarak, a commencé àgravir les échelons du PND et à jouer un rôle politique.

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sionnels ruraux fortement méprisés jusque dans les années 1960 – ont été convoquéespour la Syrie et trouvent justification au vu de la surreprésentation de cette minoritédans le système politique syrien actuel, mais elles ne sauraient suffire : seuls certainsAlaouites ont accédé au cercle du pouvoir grâce au régime, d’ailleurs rejoints par desSunnites ou des Chrétiens 1. La domination des Sunnites (minoritaires) sur les struc-tures de l’État irakien est un raccourci qui comporte une part de vérité, mais mérite desprécisions similaires. D’autres déclinaisons présentent, dans d’autres cas, le mondebédouin/tribal comme la base sociale des régimes. Là encore, l’explication est courte.Le rôle des tribus relève, dans le cas jordanien, de la mythologie entretenue par ladynastie hachémite et ne représente plus le pilier de la monarchie qu’il a pu être par lepassé 2. L’alchimie qui est à la source du pouvoir saoudien – l’alliance entre une familleet un mouvement de réforme religieuse – naît dans un milieu sédentaire (certes, marquépar une mémoire tribale) et non dans le monde bédouin 3. Les ‘asabiyyat ou les famillesrégnantes ne sauraient non plus tenir lieu de facteur explicatif univoque, car elles sontprofondément instables et traversées de multiples rivalités segmentaires. Seul celui quistabilise ce complexe de rivalités – par exemple, autour d’une règle de succession laté-rale par les frères, comme en Arabie Saoudite – ou celui qui recrée, autour de lui, lepotentiel de « tradition inventée », qui est au fondement de ces groupes, peut parvenirà bénéficier de la force de la ’asabiyya 4. On comprend alors l’importance des person-nalités capables d’organiser un système autour d’elles. Le contrôle des positions éta-tiques et l’expansion de la place de l’État permettent ces jeux. C’est à la contextualisa-tion de ces dimensions que s’attache la notion de développement politique.

Classes sociales, groupes minoritaires, tribus ou « ‘asabiyyat »… n’interviennentpas dans une forme de vide social, mais dans le cadre de profondes transformationsdes rapports entre États et sociétés 5. Ils s’infusent dans l’appareil d’État et l’utilisentpour mener à bien des transformations, le renforçant, tout en se densifiant, dans un jeud’influence réciproque où la cause et l’effet sont brouillés. À partir de là, ils acquièrentune prégnance politique. Un article influent de Jean Leca note que les modalités d’ana-lyse convoquées sont trop souvent tributaires du modèle de la « société bourgeoise »,celle des classes sociales, des mécanismes de représentation, de la construction démo-cratique, où les relations économiques et politiques sont « médiées par les liens de

1. É. Picard, « Critique de l’usage du concept d’ethnicité dans l’analyse des processuspolitiques dans le monde arabe », Études politiques du monde arabe, Le Caire, CEDEJ, 1991,p. 71-84, et É. Picard, « Y a-t-il un problème communautaire en Syrie », Maghreb-Machrek,87, janvier 1980, p. 7-21.

2. R. Bocco, « État et tribus bédouines en Jordanie », thèse de science politique, Institutd’études politiques de Paris, 1996.

3. C. M. Helms, op. cit.4. Le cas du régime de Saddam Hussein, autour duquel s’était développée une véritable

kremlinologie, qui suivait la montée de tel ou tel personnage, la disparition de tel autre, est emblé-matique. Un groupe familial, ou lié à Saddam Hussein, mène le pays et s’échange les postes poli-tiques les plus élevés. Il n’est pas exempt de multiples rivalités que le président règle souvent dansle sang. Mais, chaque fois que les menaces extérieures se font plus nettes (en particulier, les initia-tives américaines de soutien à l’opposition), le clan présidentiel se réunit à Tikrit et fait taire sesrivalités. Il s’agit pour celui qui veut le dominer de faire comprendre à chacun de ses membresqu’ils ont plus à perdre à se diviser et que, à l’image de la révolution de 1958 ou des débuts depropagation de l’intifada du Sud de l’Irak en 1991, les récriminations et les haines contenues setraduiront par un bain de sang dont ils seront victimes collectivement, sans discrimination.

5. S. Heydemann (ed.), War, Institutions and Social Change in the Middle East, Berkeley,University of California Press, 2000 ; G. Luciani (ed.), op. cit. ; P. Evans, D. Rueshemeyer,T. Skockpol (eds), Bringing the State Back In, Cambridge, Cambridge University Press, 1985.

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citoyenneté et représentées par les relations politiques dans l’espace public » 1. Celane convient plus pour l’analyse des régimes examinés ici, où ces interactions sontcontraintes par les impératifs politiques de survie du groupe au pouvoir et par lalogique politique qui l’anime. Ainsi surgit ce modèle de l’État/régime, « qui apparaîtcomme séparé de sa société et extérieur à elle, tout en étant l’élément constitutif prin-cipal des rapports sociaux, en étant le rapport social » 2. On atteint là le cœur de l’acti-vité politique des autoritarismes, qui ont procédé à une véritable transformation desrapports entre l’État/régime et la société, l’État agissant comme un « aimant » social 3.Hanna Batatu, auteur de synthèses magistrales sur l’Irak et la Syrie, souligne : « lesconséquences les plus importantes des révolutions… ont été le développement énormedu rôle du gouvernement dans la vie des gens. L’impact de l’État sur la structuresociale ou, au moins, sa capacité à déterminer l’orientation du changement social, s’estaccentué à travers son pouvoir de planificateur et sa plus grande influence dans la dis-tribution du revenu national. De ce fait, ses fonctions dans les domaines économiqueset sociaux ont augmenté » 4. Ses analyses trouvent aussi application dans les États duGolfe, qui ont utilisé la rente pétrolière pour construire des appareils administratifs etdes bureaucraties surdimensionnés, interprétés souvent à l’aune des modèles occiden-taux des « États providence », mais prenant bien plutôt la forme d’« États patron »transformant leurs sociétés 5. Les éléments contextuels, comme l’intense mobilisationmilitaire des sociétés proche-orientales autour du conflit israélo-arabe ou l’irruptionde la rente pétrolière dans les sociétés du Golfe, entrent en résonance avec cestransformations et soutiennent leurs développements.

En se nourrissant de ces mutations, les régimes ont pu s’installer dans la longuedurée, s’ancrer dans leurs sociétés et s’installer dans un mode de fonctionnement« normal » – certains préféreront dire « normalisé », au vieux sens soviétique duterme. Ces régimes sont capables d’une ingénierie sociale complexe qui leur permetde se maintenir, même si c’est en appauvrissant à long terme le pays par leurs poli-tiques publiques ou en détruisant les éléments de communauté existants par jeu surl’opposition entre groupes constitutifs d’une société 6. Ils ont une dimension institu-tionnelle et ne sont pas de simples coquilles vides. La notion de développement poli-tique permet de comprendre les « jonctions entre l’État et la société » 7, les relations

1. J. Leca, « Social Structure and Political Stability : Comparative Evidence from theAlgerian, Syrian, and Iraqi Cases », dans G. Luciani (ed.), ibid., p. 150-188.

2. J. Leca, Y. Schemeil, « Clientélisme et néo-patrimonialisme dans le monde arabe », art.cité, p. 485.

3. D. Rothchild, N. Chazan (eds), The Precarious Balance, State and Society in Africa,Boulder, Westview Press, 1988, chap. 1. Par exemple, dans le cas syrien, si l’on raisonne entermes de classes sociales, les transformations sur une quarantaine d’années sont radicales : laclasse moyenne urbaine commerçante et artisane a été submergée par une nouvelle classemoyenne de cadres d’une fonction publique pléthorique ; la « bourgeoisie » entrepreneurialed’avant 1963 a cédé la place à la « bourgeoisie d’État » et à la nomenklatura du régime ; laclasse ouvrière urbaine en gestation a été engloutie par la masse d’ouvriers du secteur public,souvent d’origine rurale ; les paysans moyens sont devenus les cadres des unions villageoisesou des coopératives après l’expropriation des grands propriétaires terriens ; les petits paysansont été encadrés dans des coopératives gouvernementales…

4. H. Batatu, The Egyptian, Syrian and Iraqi Revolutions : Some Observations on TheirUnderlying Causes and Social Character, Washington, Georgetown University, 1984, p. 15.

5. K. Al-Naqib, op. cit.6. M. Dobry, Sociologie des crises politiques, Paris, Presses de Sciences Po, 1986, p. 99-119.7. J. S. Migdal, A. Kohli, V. Schue (eds), State Power and Social Forces, Cambridge,

Cambridge University Press, 1994, chap. 1.

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d’allégeance politique, de patronage, de clientélisme, de légitimation qui se construisent,se modifient ou acquièrent une solidité. Les États autoritaires qui « patrouillent » leurssociétés y induisent d’importantes transformations, dont les dimensions microsociolo-giques – le quotidien de l’autoritarisme – sont à relier aux dimensions macrosociologi-ques – la perpétuation du régime 1. Une note de prudence s’impose en regard des consi-dérations qui précèdent. Le lien entre les décisions politiques et les logiques de choixsocial n’est jamais clair et univoque, même si on peut le reconstruire (« tout se passecomme si… ») 2. La plupart du temps, les régimes sont aveugles, la rationalité n’est pasleur mécanisme de décision, mais bien plutôt l’instinct (de survie) ou, à tout le moins,l’acceptable, le moins dangereux, ce qui donne une impression d’équilibrisme. Il nes’agit pas de prêter à ces régimes une omnipotence qu’ils n’ont pas, le pouvoir autoritairerelevant, somme toute, de l’équation « weak state, weak society [État faible, sociétéfaible] » 3. En effet, l’« autonomie » de l’État bureaucratique est un élément réel, sourcede sa centralité pratique et de ses capacités de transformations. Mais les résistancessociales, les capacités de survie, de réaction ou de parasitage, sont tout aussi indéniables,multiformes et bien présentes 4. Les recompositions de l’autoritarisme depuis le débutdes années 1990 illustrent ces perspectives.

ADAPTATIONS ET MAINTIEN DE L’AUTORITARISME

Les systèmes politiques autoritaires du monde arabe font face, depuis les années1990, comme les pouvoirs de même type dans d’autres régions du monde, à une criseet subissent une « grande transformation » de l’autoritarisme, aussi importante quecelle décrite à travers cette expression par Karl Polanyi à propos des démocraties euro-péennes au 20e siècle. L’autoritarisme subit d’intenses ébranlements dans la décennie1990, qui se traduisent par des « transitions démocratiques » (la 3e vague de S. Hun-tington) dans certains cas, ou au moins par des questions posées (à l’intérieur commeà l’extérieur) sur l’illégitimité, les échecs et la nécessaire réforme de ces régimes, àl’heure des transformations internationales. Les régime arabes en ressentent les sou-bresauts et sont amenés à s’adapter. Trois dimensions seront privilégiées ici : l’ouver-ture politique, la réforme économique et le facteur extérieur. Aucune de ces contraintesn’est spécifique aux années 1990, mais elles acquièrent une prégnance nouvelle forteà l’heure où l’autoritarisme semble en recul dans d’autres zones.

1. Le mélange d’apathie, de cynisme, d’hypocrisie ou de passivité a une efficience poli-tique et ne relève pas seulement du microsociologique (L. Pye, « Political Science and theCrisis of Authoritarianism », American Political Science Review, 84 (1), mars 1990, p. 3-19).Norbert Elias évoque, dans ses travaux sur l’État, la nécessité d’allier sociogenèse et psychoge-nèse dans l’analyse de la genèse des pouvoirs politiques. Cf. aussi les remarques de Jean Lecasur les rapports entre anthropologie et science politique, « Pour une analyse comparative dessystèmes politiques méditerranéens », Revue française de science politique, 27 (4-5), août-octobre 1977, p. 557-581.

2. J. Leca, Pour(quoi) la philosophie politique ?, op. cit., annexe I.3. Voir l’utilisation de cette notion par D. Stark, L. Bruszt, Post-Socialists Pathways,

Cambridge, Cambridge University Press, 1997.4. Par corollaire, le caractère incomplet des « hegemons » au Koweït ou en Jordanie

permet le développement d’une vie politique « démocratique » (scandée par des dissolutionsdu Parlement), la démocratisation servant de moyen de pacification (selon l’hypothèse deGhassan Salamé, « La démocratie comme instrument de paix civile », dans G. Salamé (dir.),op. cit., p. 128-162).

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LE MAINTIEN DU CONTRÔLE POLITIQUE :« ÉLECTIONS » ET AUTRES « DÉMOCRATISATIONS »

Le monde arabe connaît, à partir du début de la décennie 1990, une relance géné-ralisée de consultations électorales : en Jordanie (1989), au Liban (1992), au Koweït(1992), au Yémen réunifié (1993), sous l’Autorité palestinienne (1996), ou même enSyrie (1990) ou en Irak (1991) ; en Égypte, les scrutins ont lieu dans la continuité deceux organisés après l’arrivée du président Mubarak, avec des degrés d’ouverture plusforts. Qui plus est, plusieurs États du Golfe (Oman, Arabie Saoudite) mettent sur pieddes conseils consultatifs (majlis al-chura) à défaut d’instances législatives élues. Cetteconcomitance a pu laisser à penser que le monde arabe rejoignait les perspectives dedémocratisation décrites pour d’autres aires culturelles. Après l’euphorie des premiersmoments – tempérée par les observateurs les plus lucides –, le désenchantement s’estinstallé et a fait place au désintérêt. En fait, ces rendez-vous électoraux représententmoins une « avancée inexorable » de la démocratie semblable à celle décrite parAlexis de Tocqueville en son époque, que la modification des modalités de gouverne-ment, un « déplacement » de l’autoritarisme, qui peut être porteur d’éléments d’ouver-ture, mais ne saurait faire fi de quelques « fondamentaux » : la consolidation et la per-pétuation des autoritarismes.

Cette hypothèse du changement des modes de domination part du constat quela relance des consultations électorales a lieu à des moments de crise aiguë desrégimes. Elles sont organisées par des régimes qui cherchent à reprendre un soufflede vitalité, après plusieurs dizaines d’années d’épuisement et de stagnation, etsubissent le choc de la « grande transformation » en cours. Le régime hachémite, en1989, fait face à une crise dangereuse, qui prend sa source dans le mécontentementde la région sud du pays – berceau du recrutement de l’armée (sous-officiers, enparticulier) et des forces de sécurité –, suite aux augmentations des prix des pro-duits de première nécessité après la négociation (secrète) d’un plan d’ajustementstructurel avec le FMI 1. Le roi offre la démocratie – en fait, la reprise des électionsparlementaires – en guise de sortie de crise, d’ailleurs contre les objections denombre de ses conseillers et de l’establishment du royaume 2. De même, au Yémenen 1993, les élections sont décidées pour départager deux parties – le Congrèsgénéral du peuple et les ex-Sudistes – qui ne parviennent pas à conclure le « pactede transition » qui a mené à la réunification des deux Yémen en 1989, en particulierautour de la question de la fusion des forces armées. Les élections, loin de dépar-tager, par les urnes, ces deux parties, sont interprétées par celles-ci comme soute-nant la légitimité de leurs prétentions respectives… et conduisent au déclenchementde la guerre civile en 1994. La Syrie fait figure d’archéo-dictature – d’ailleurs com-parée en 1989 à la Roumanie de Ceaucescu par les graffitis muraux (« Cham-escu ») –, quand le président Hafez al-Assad se décide à redonner un peu de lustreaux élections en permettant les candidatures dites « indépendantes » (un tiers dessièges leur est réservé). Le Conseil consultatif (majlis al-chura) nommé en ArabieSaoudite participe du « Zeitgeist » en cours, mais répond aussi, après la guerre du

1. Les pressions américaines ou la conditionnalité démocratique associée aux prêts d’ajus-tement structurel du FMI sont inexistantes avant 1989 dans le cas jordanien du fait de l’impor-tance stratégique du pays.

2. L’ouverture électorale est accompagnée de mesures importantes de libéralisation de lavie politique du royaume : libérations de prisonniers politiques, levée de l’état d’urgence, auto-risation des partis politiques…

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Golfe, à des contestations internes importantes, en particulier dans les milieux reli-gieux et islamistes 1. Dans un certain nombre de cas, les facteurs extérieurs ourégionaux sont déterminants, éclairant d’un jour nouveau le moment électoral.Sous l’Autorité palestinienne, en 1996, les élections prévues depuis plusieursannées sont décidées pour sortir des blocages du processus d’Oslo : la sociétépalestinienne, active politiquement, est en attente d’institutions représentatives ;l’Autorité palestinienne venue de Tunis recherche une légitimité et un soutien auprocessus de paix ; Israël veut se rassurer sur la nature « démocratique » de la nou-velle entité en gestation, de même que les sponsors extérieurs de l’accord (États-Unis, Union européenne, FMI, Banque mondiale). Les modalités électorales sontdirectement négociées entre l’Autorité palestinienne en gestation et Israël, et per-mettent de relancer les négociations. Au Koweït, les pressions de l’ambassadeuraméricain sont fortes en 1992 pour le retour au parlementarisme, relayant celles desmembres du parlement dissous en 1986 (pour la troisième fois depuis 1963) et dela chambre de Commerce et d’industrie de Koweït. Au Liban, en 1992, le com-promis de l’après-Taëf est légitimé par la relance d’élections, précipitées par lesSyriens, alors soumis à des pressions américaines fortes, un mois avant la datebutoir prévue pour leur redéploiement. Elles permettent de faire une place auxproches des Syriens, chefs de milices devenus acteurs politiques ou aux affidés desparrains de Taëf. Préalablement, les Syriens ont fait signer un traité d’amitié et decoopération entre les deux pays. Ainsi, dans chacun des cas, il ne s’agit nullementde nier la réalité des ouvertures, mais d’en mettre en lumière les limites et de sou-ligner combien les rapports de force ne sont pas bouleversés, mais reformulés parl’ouverture électorale, les interactions ne créant pas des « conjonctures cri-tiques » 2, mais des déplacements de l’autoritarisme, qui ne sauraient se com-prendre comme une « conversion » des dirigeants arabes à la démocratie, mais bienplutôt comme une tentative de relégitimer des régimes à bout de souffle 3. Débutésdans ces circonstances particulières, les processus électoraux dans le monde arabese poursuivent depuis lors.

Les élections ne sont pas utilisées comme instance de régulation afin d’assurer larotation dans les positions centrales, mais ont des fonctions de légitimation externe(vis-à-vis des soutiens étrangers) et surtout internes, en permettant de renouveler, dans

1. Ces analyses s’appliquent à deux autres cas dans la péninsule. Le nouveau régimeqatari recherche une légitimité électorale, après son arrivée au pouvoir par coup d’État en 1995,en lançant des élections municipales en mars 1999 et en octroyant une Constitution enavril 2003. Le Bahrein, qui subit une violente crise politique dans les années 1990, procède demême : un « pacte de travail national » est promulgué en décembre 2000 ; une monarchie cons-titutionnelle est instaurée (la Constitution devant être promulguée dans les trois ans) ; des élec-tions municipales, puis législatives (le Parlement a été dissous en 1975 et remplacé par uneassemblée nommée) sont organisées respectivement en mai 2002 et octobre 2003.

2. D. Collier, R. Collier, op. cit., et M. Dobry, op. cit.3. Le vote n’est pas un acte situé sur une échelle continue de participation politique

(depuis l’intérêt pour la discussion politique, la participation à des réunions politiques jusqu’auvote et à l’activisme dans un parti) et ne représente pas l’acte valorisé d’un individu autonomecitoyen. Il est un acte isolé de toutes les autres activités politiques (du fait de leur suppressionpure et simple). Les taux d’abstention sont très importants. En Syrie, il est détourné dans deseffervescences électorales, se traduisant par le marquage par l’électeur du bulletin de vote deson sang (en se piquant le doigt avec une aiguille) comme signe d’allégeance. L’expression uti-lisée sous Hafez al-Assad pour désigner les élections présidentielles ou lors du référendumd’intronisation de Bachar al-Assad, la grande allégeance – al-be’ya al-kubra – est symptoma-tique des fonctions assignées à l’acte de vote.

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des systèmes politiques basés habituellement sur la départicipation politique, les rap-ports États/sociétés 1. Les élections permettant aux régimes d’entrer en contact avec lesexclus de la période antérieure ou avec de nouvelles forces sociales, comme les élitesentrepreneuriales ou technocratiques montantes, voire avec des personnalités éminentes(prêcheurs, acteurs, personnages connus au plan intellectuel ou médiatique, chefstribaux, etc.). Elles redonnent quelque brillant à des scènes publiques bien atones. Laparticipation aux élections est immanquablement mise en avant par les régimes commeun indice de l’acceptation de leur emprise. Comme tout instrument, l’élection est « uninstrument pour quelque chose », dont « la fonction de sélection » vise à « refléter »adroitement le corps électoral et à ajuster dimensions « qualitative » (le choix de l’élite)et « quantitative » (la participation du grand nombre) dans une « construction verticaledu pouvoir » 2. Ce caractère instrumental laisse des marges de manœuvre, même à despouvoirs autoritaires. On oublie un peu rapidement que les modalités de l’élection sontdes questions éminemment techniques : modes de scrutin, scrutin de liste ou non,nombre de tours, seuils minimaux pour l’obtention de sièges, découpage des circons-criptions électorales, durée de la campagne, conditions d’inscription ou de candidature,accès aux médias… ont des effets sur le résultat 3. L’évaluation de l’élection doit aussiprendre en compte les conditions qui l’environnent – les conditions nécessaires de la« polyarchie » –, comme le contrôle de l’agenda, l’ouverture du processus, la clarté del’information disponible sur le scrutin ou l’égalité du vote, qui ont une influence déter-minante sur l’expression des préférences politiques et sans laquelle le vote perd sonpoids et sa dimension de choix. Le contrôle exercé sur la presse et plus généralement lesmédias est, par exemple, essentiel. L’autoritarisme peut ne plus agir par la censure ou lesarrestations de journalistes, mais faire usage de modalités indirectes tout aussi efficaces(restriction de l’accès au papier ou aux imprimeries, privatisation du secteur de la pressedonnant une impression de pluralisme, mais entre les mains d’une clientèle du régimeaux fortes capacités d’investissement) 4.

La plupart des pouvoirs au Moyen-Orient qui jouent de l’instrument électoral ontpris au sérieux les élections 5 : le mode de scrutin majoritaire est souvent préféré, desseuils minimaux pour l’obtention de sièges prévus, les découpages électoraux soi-gneusement examinés (en regard de la capacité de mobilisation que détient l’opposi-tion), les candidatures indépendantes favorisées, car permettant de raccrocher, par lasuite, au parti gouvernemental des candidats – appelés « furtifs » en Égypte – qui

1. G. Hermet, R. Rose, A. Rouquié (eds), Elections without Choice, Londres, Macmillan,1978, et G. Sartori, The Theory of Democracy Revisited, Chatham, Chatham House, 1987,chap. 7.

2. G. Sartori, ibid., p. 102-115.3. Celui qui écrit les règles institutionnelles favorise sa position ultérieure. Dans la plupart

des régimes, les questions de technique électorale sont discutées et décidées au sein d’ungroupe très restreint lié au monarque ou au président, très au fait des techniques électorales.Cf., pour l’exemple jordanien, M. Mufti, « Elite Bargains and the Onset of Political Liberaliza-tion in Jordan », Comparative Political Studies, 32 (1) février 1999, p. 100-129.

4. R. Dahl, Democracy and its Critics, op. cit. Le monitoring électoral par les institutionsinternationales – étatiques ou non-gouvernementales – a plus relevé du « tourisme électoral »et a été très sélectif : il était présent au Koweït ou en Oman, mais ne s’est pas déplacé à Bahreinoù les enjeux de réconciliation nationale étaient cruciaux. De plus, les « démocratiesPotemkine » ont un long passé : les observateurs extérieurs ne restent que peu de temps surplace et se laissent facilement abuser par les apparences.

5. Le contre-exemple est le FLN algérien, sûr de sa légitimité et donc de sa victoire, quin’a pas cru bon écouter les mises en garde de ceux qui lui conseillaient de mieux étudier sasociologie électorale en 1990-1991.

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n’auraient pas été élus en son nom, les arrangements entre candidats dans une cir-conscription ou entre circonscriptions fréquents. Les pouvoirs ne procèdent plus,comme dans les années 1960, par des bourrages d’urnes, des intimidations directesd’électeurs ou des déplacements dans les zones « risquées » d’unités de l’armée, quivotaient massivement pour le candidat officiel. Ils tentent d’exploiter les pesanteurssociales ou les clivages de leurs sociétés : les allégeances tribales, claniques,ethniques, familiales, communautaires et minoritaires ou le poids des notabilités sontparticulièrement mobilisés 1. Bien entendu, les pouvoirs autoritaires faisant appel àces pratiques électorales ne sont pas à l’abri d’une montée de la « volatilitéélectorale » ou s’exposent aux calculs de l’électeur « individualiste » ou stratège. Lesrésultats d’une relance d’un processus électoral peuvent créer la surprise – plus parmiles observateurs étrangers d’ailleurs –, comme en Jordanie en 1989, avec la montéedes Frères musulmans et des islamistes indépendants 2. De plus, si les pouvoirs sontsuffisamment vigilants pour se méfier d’un scénario à l’algérienne, le cas jordanienmontre que les modes de contrôle, qui ont longtemps fonctionné, peuvent trouverleurs limites par déplacement de clivages sociaux qui sont à la base des calculs élec-toraux. Ainsi, la modification de la base sociale des Frères musulmans jordaniens aucours des années 1990 – avec une composante palestinienne de plus en plusimportante – change la nature de ce mouvement, qui était, sur la longue durée, un desprincipaux soutiens de la monarchie. Dans le contexte de l’exacerbation des affron-tements dans les zones de l’Autorité palestinienne, ce courant ramène sur la scènepolitique jordanienne un problème refoulé depuis 1970, celui des Palestiniens. Mais,dans la plupart des cas, l’utilisation sciemment calculée du rapport du vote au mondesocial – l’importance de l’appartenance à des groupes sociaux et ses conséquencessur la mobilisation 3 –, l’offre politique tronquée ou maintenue insuffisante et l’usagedu caractère déformant du système électoral permettent de limiter les « risques » dedérives (du point de vue des régimes). Les régimes peuvent être aussi gênés par lapériodicité obligée des échéances électorales à laquelle conduit la relance de pro-

1. Le choix des candidatures au sein du PND égyptien – même s’il est assez souventempreint d’un profond désordre – ou celui des candidats proches du régime en Jordanie relèveclairement de ces dimensions. Le PND n’a pas seulement aujourd’hui une fonction de partigouvernemental (il est souvent fortement ébranlé lors des élections), mais constitue unemachine de patronage importante, dont les élus locaux sont fortement sollicités, quelle que soitl’illégitimité initiale de leur élection. On retrouve là des mécanismes classiques de contrôle dia-gnostiqués par André Siegfried dans le contexte de la France du début du 20e siècle : « Lepeuple solidement encadré entre le presbytère et le château donne un exemple parfait d’ordredans la soumission et de respect dans la hiérarchie » (A. Siegfried, Tableau politique de laFrance de l’Ouest, Paris, Armand Colin, 1913, p. 34).

2. Mais les islamistes jordaniens ne gênent pas la politique étrangère du roi pendant laguerre du Golfe et participent au consensus au sein des élites politiques jordaniennes pour nepas agiter la « rue » dans cette période de crise. Les mêmes accommodements entre le Palais etles Frères musulmans se produisent dans d’autres contextes régionaux tendus, après le déclen-chement de la seconde intifada (2001) ou au moment de la guerre d’Irak (2003).

3. En Jordanie, le changement de mode de scrutin décidé entre les élections de 1989(autant de votes par électeur que de sièges à pourvoir dans sa circonscription) et celles de 1993(un homme, une voix) a eu des conséquences importantes pour la composition du parlement entermes de retour des leaders notabiliaires traditionnels (car les électeurs votent « utile »).Arafat utilise l’ethno-localisme pour contrôler le parlement palestinien aux élections de 1996.Cf. J.-F. Legrain, Les Palestine du quotidien, Beyrouth, CERMOC, 1999. Au Liban, la loi élec-torale se décompose en quatre lois électorales, différentes, selon les zones, pour la taille des cir-conscriptions, en fonction de calculs politiques.

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cessus électoraux… mais ils savent s’en accommoder, comme le montre, parexemple, le report sine die pendant deux ans des législatives jordaniennes (2001-2003) sous prétexte de contexte régional tendu. La plupart des régimes arabes ontprogressivement compris l’utilité de la transformation des modes de domination etd’une conversion à la « démocratie électorale » 1. Cependant, ils n’ont eu de cesse dereprendre en main ces ouvertures. Ils décrivent alors un continuum, depuis lesrégimes qui jouent de cet instrument dans un risque calculé (Jordanie, Yémen, Auto-rité palestinienne, Koweït, Qatar, Bahrein), jusqu’à ceux qui en restent aux vieillesrecettes unanimistes à peine rénovées (Syrie), en passant par ceux qui n’en font usagequ’avec circonspection, par peur de perdre le contrôle ou par incapacité (Égypte) 2.Se met alors en place ce modèle des élections qui suscitent à intervalles réguliers desprotestations et des boycotts massifs ou, en tout cas, le désenchantement électoral etl’abstention.

Ces analyses permettent de mettre en perspective les desserrements opérés parles régimes depuis les années 1990 en ce qui concerne les rapports entre exécutif etinstances élues. Aucun gouvernement n’a été renversé par une assemblée nouvelle-ment élue et l’effet de la pluralisation des scènes politiques par réintroduction deprocessus électoraux a été totalement déconnecté des problèmes de prise de déci-sion, de réforme des institutions gouvernementales ou de libéralisation del’économie 3. Aucune véritable forme d’opposition n’a émergé et le discours alter-natif, même s’il a été expressif, a plus souvent pris la forme d’une « opposition assupport for the state » 4. D’une part, les parlementaires ont souvent intériorisé lacontrainte et préféré la fonction à l’aventurisme, donnant aux régimes d’autrescartes – tels l’appât de la réélection ou le jeu sur les rivalités au sein des famillespour concourir pour un poste électif – qui permettent le contrôle d’un parlement.D’autre part, les parlements n’ont pas conquis les moyens techniques pour exercerleurs fonctions au plein sens du terme : la présidence en revient au parti dominantou gouvernemental ; leur travail n’est pas autonome par rapport à l’exécutif, car ilsn’ont pas les ressources nécessaires pour mener à bien des projets législatifs pourlesquels l’exécutif a la primauté. L’opposition dans le monde arabe, sans nier le cou-rage et l’authenticité de l’engagement de ses hérauts et au-delà des limites strictes

1. Sur l’illusion électoraliste, cf. L. Diamond, « Thinking about Hybrid Regimes »,Journal of Democracy, 13 (1), janvier 2002, p. 21-35.

2. Avec l’argument tautologique classique que les régimes prennent le risque de se lancerdans l’aventure électorale en permettant un degré d’ouverture d’autant plus grand qu’ils se sen-tent assurés de gagner. Le problème est alors celui des conséquences réelles de ces processus.Ces derniers conduisent à un renouvellement de la classe politique en Jordanie. En Égypte, sedessine un modèle d’autoritarisme et de libéralisation à moitié vide. Une élite égyptienne peuaventurière autour du président Mubarak ne semble pas décidée à débloquer les contradictions.Ainsi, lors des élections législatives égyptiennes de septembre 2000, le régime, en difficultésuite au contrôle judiciaire enfin mis en place, a recours, à nouveau, à des pratiques d’intimida-tion et d’arrestation d’activistes pro-démocratiques.

3. Le parlement jordanien est tenu à l’écart de la discussion des questions de politiqueétrangère, en particulier celles qui mènent à la signature de la paix avec Israël en 1994 ou dusuivi de la politique irakienne du roi Hussein. Les questions essentielles de réforme écono-mique ne passent pas par le parlement, mais sont décidées par le Palais.

4. W. Zartman, « Opposition as Support for the State », dans G. Luciani (ed.), op. cit.,p. 220-246. Sur la notion d’opposition, cf. les classiques de R. Dahl (ed.), Political Oppositionsin Western Democracies, New Haven, Yale University Press, 1966 ; R. Dahl (ed.), Regimes andOppositions, New Haven, Yale University Press, 1967 ; et les relectures du numéro spécial de larevue Government and Opposition (1997).

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placées par les régimes à l’activisme toléré, est également contrainte par ses fai-blesses propres, organisationnelles ou en termes d’ancrage social. Certaines expé-riences d’ouverture sont allées très loin… jusqu’à des formes de contestation del’exécutif, comme au Koweït – où existe un parlement particulièrement actif – et auQatar – avec le programme d’extension de la liberté d’expression et d’électionsmunicipales, puis législatives. Cela n’empêche pas la famille Al-Sabah (Koweït) dese réserver les leviers-clés ou les Khalifa (Qatar) de conserver le contrôle discrétion-naire sur les ressources fiscales essentielles, hors de portée du contrôle parlemen-taire. Il s’agit donc d’une rénovation de l’autoritarisme vers des dimensions plus ins-titutionnelles. Il ne saurait s’agir d’une démocratisation de systèmes paramélioration de l’imputabilité (accountability) et de la responsabilité des gouver-nants, mais plutôt d’une reformulation des instruments du contrôle par des régimesqui entendent garder leur emprise exclusive. L’autoritarisme a longtemps fonctionnédans un décharnement institutionnel. Désormais, il met en œuvre des institutionsdotées d’une légitimité électorale, sur lesquelles il garde un contrôle strict, dont illimite les prérogatives ou qu’il contrebalance dans des équilibres institutionnels oùla primauté de l’exécutif est maintenue. Chez ceux qui ne tentent pas les méca-nismes électoraux, des instances nommées (majlis al-chura) « émanant » de la« société civile » jouent le même rôle 1. Par corollaire, ces remarques permettent desouligner le dynamisme des autoritarismes : même si la prédation et la peur comp-tent parmi leurs principes constitutifs, ces pouvoirs sont capables de relever desdéfis. La longue durée de ces systèmes politiques en place depuis des dizainesd’années n’est pas à confondre avec une quelconque stabilité 2, mais s’explique parleur relative agilité et leur capacité de manipulation des ressources matérielles oulégitimatrices à des fins de prolongation de leur pouvoir. C’est l’incapacité à jouerde ces éléments qui peut mener à l’échec de certains de ces régimes, plus probable-ment que la mobilisation d’une opposition contre eux.

RÉFORME ÉCONOMIQUE ET OUVERTURES : LE SERPENT DE MER

La pression pour la réforme économique se fait forte depuis la décennie 1990. Lemonde arabe a longtemps été protégé par son caractère stratégique, qui lui permettaitde bénéficier de répits, et par la disponibilité dans cette région d’importantes rentesdirectes (pétrole) ou indirectes (aides ou prêts). Mais ces ressources sont devenuesinsuffisantes. L’endettement et le déficit budgétaire frappent jusqu’aux financespubliques saoudiennes. La réforme économique est à l’ordre du jour dans la plupartdes pays depuis une vingtaine d’années, si ce n’est plus, en particulier avec la question

1. Depuis les années 1990, tous les pouvoirs arabes ont remanié leur architecture constitu-tionnelle. Il ne s’agit pas de réorganiser le régime pour que « le pouvoir arrête le pouvoir »,selon les modèles classiques (J. Elster, R. Slagstad (eds), Constitutionalism and Democracy,Cambridge, Cambridge University Press, 1988 ; S. A. Arjomand, « Constitution and theStruggle for Political Development », Archives européennes de sociologie, 33 (2), 1992, p. 39-82), mais plutôt d’accroître le pouvoir de l’exécutif en renforçant ses structures et en les clari-fiant.

2. Au moins au sens rawlsien du terme, soit : « consensus par recoupement autour de prin-cipes de justice librement discutés ». La stabilité pour les régimes autoritaires n’est bien sou-vent que le consensus de quelques élites qui forment le noyau central du régime dans une formed’équilibre fragile.

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de la restructuration d’un secteur public surdimensionné 1. La globalisation exerce,depuis les années 1990, une pression accrue sur ces systèmes économiques, s’ils veu-lent bénéficier du nouveau régime de croissance par ouverture sur l’extérieur, dont elleest porteuse. Même les États pétroliers du Golfe connaissent désormais des problèmesconsidérables de chômage des diplômés et ne peuvent rester à l’écart. Tous les Étatsarabes ont progressivement adopté des lois d’investissement favorisant leurs rapportsavec l’extérieur. Mais les ouvertures économiques s’enlisent et le bilan est maigre. Lemonde arabe s’est plutôt « dé-globalisé » depuis les années 1990, comme le montre samoindre ouverture au commerce international et le faible développement relatif en sonsein des moyens de communication modernes 2.

La réforme économique, par-delà les déclarations fanfaronnes annonçant desétapes « décisives », reste inachevée. On lui confère le statut de quasi-panacée, pro-mettant de régler tous les défis économiques et sociaux, bien loin des lois et autresthéorèmes d’impossibilités que nous enseignent les économistes. Les chiffres avancéspar les régimes n’ont aucune signification et les analyses (macro-économiques) faitespar les grandes institutions internationales pèchent par excès d’optimisme 3. Les pri-vatisations ont marqué le pas au Koweït, Qatar et en Arabie Saoudite. En Égypte, lemouvement relancé à partir de 1993 s’est essoufflé sous le poids de la complexité dutissu économique, l’exécutif ne manifestant pas un intérêt empressé à définir desrègles claires. La privatisation en Jordanie a provoqué un chaos indescriptible qui n’arien à envier à celui de l’Égypte. L’ouverture de l’économie syrienne a été bloquée,pendant la décennie 1990, par le poids du système et, même si elle compte aujourd’huiparmi les slogans favoris de « la nouvelle génération », elle reste dans les limbes. Danstous les pays, la réforme n’est menée que dans des secteurs bien spécifiques : les ser-vices, la construction, le tourisme, les joint-ventures avec les investisseurs internatio-naux. Elle provoque dans le tissu économique autant de chaos que les blocages aux-quels elle prétend répondre. La nature des élites entrepreneuriales éclaireconcrètement cette impéritie des régimes. On a voulu voir dans les entrepreneurs ungroupe de pression, voire un agent de réforme, en faisant fi de leurs origines spéci-fiques. Ils représentent plus des « démocrates contingents » 4 que des démocratesconvaincus. La vieille classe entrepreneuriale active dans les années 1940-1950 – enÉgypte, jusqu’au tournant socialiste du régime nassérien, en Irak ou en Syrie,jusqu’aux coups d’État ba’thistes – qui, à partir de ses propriétés terriennes, s’étaitlancée dans l’agroalimentaire ou l’industrialisation, a été laminée par les régimes. Lesentrepreneurs actuellement en pointe ne sont pas, en général, leurs descendants, maisde nouvelles élites, celles qui ont appris à jouer des mêmes règles que le service public,pour obtenir devises, crédit, matières premières, parts de marché, reproduisant, à unniveau individuel, le « rent-seeking », qui permet, au niveau régional, le financement

1. E. Suleiman, J. Waterbury (eds), The Political Economy of Public Sector Reform andPrivatization, Boulder, Westview Press, 1990.

2. C. M. Henry, R. Springborg, op. cit., chap. 1-2.3. L’Égypte ou la Jordanie peuvent être présentées comme des succès par le FMI dans les

années 1990 (FMI, Egypt, Beyond Stabilization, Toward a Dynamic Market Economy,Washington, FMI, 1996, et FMI, Jordan, Strategy for Adjustment and Growth, Washington,FMI, 1998), mais cela ne saurait faire oublier les blocages structurels rencontrés par lesréformes. Les succès ainsi obtenus – en particulier, en Égypte – le sont par des mesures dras-tiques, au prix d’une diminution du degré d’ouverture à la mondialisation et de tarifs douaniersprohibitifs… sources de difficultés à moyen terme.

4. E. Bellin, « Contingent Democrats », World Politics, 52 (1), janvier 2000, p. 175-205.

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des régimes et alimente le « crony capitalism » (copinage) 1. Dans le cas saoudien, lerégime a marginalisé les puissantes familles entrepreneuriales, traditionnellement ori-ginaires de la province du Hijaz, qui dominaient l’économie dans les années 1940-1950, et a favorisé la montée d’une classe entrepreneuriale originaire du Nejd (le bas-tion originel du régime) 2. L’État jordanien a aidé à la naissance – comme contrepoidsd’un secteur privé traditionnellement palestinien – d’une classe entrepreneurialetransjordanienne, dont les liens avec le secteur public sont étroits. Il va sans dire que,dans le monde arabe, les chambres de commerce et autres associations issues desmilieux économiques ne manifestent pas grand désir de faire pression sur des diri-geants ou des hauts bureaucrates à qui elles doivent beaucoup. Dans la plupart des cas,elles sont des instruments aux mains du régime pour faire avancer ses politiques éco-nomiques et ne sont pas à même d’influencer le processus de libéralisationéconomique 3. Quand le tissu entrepreneurial acquiert quelque densité, la dichotomieentre quelques proches du régime, qui dominent par leurs activités, et le reste desentrepreneurs obère toute possibilité d’organisation autonome du secteur. Le blocagede la réforme et son caractère inachevé en découlent.

La réforme économique dans le monde arabe bute aussi sur deux écueils : unelimite inférieure constituée par ses conséquences sociales pour les populations les plusfaibles économiquement… et, surtout, pour une population nombreuse, occupant debasses fonctions dans les bureaucraties et, donc, composante de la base sociale desrégimes ; une limite supérieure, constituée par le nécessaire maintien du contrôle durégime sur les ressources rares, source de sa domination politique 4. L’immobilismeest alors la règle derrière les ouvertures affichées sur le plan économique. Il produitsocialement de véritables effets générationnels qui font lourdement sentir leur poids.

1. Les entrepreneurs de l’infitah (munfatihun) égyptiens ont souvent été importateurs pourle secteur public avant de devenir des intermédiaires entre le public et les entreprises étrangèreset de créer leurs propres entreprises (S. Said Imam, Man Yamlik Misr [Qui possède l’Égypte],Le Caire, Madbuli, 1985). Ils recherchent des profits rapides – investis hors du pays – et fonc-tionnent à partir d’entreprises familiales (Othman, Bahgat, Sawiri, etc.) dans l’agriculture, lesservices. Les cas syriens et irakiens sont encore plus caricaturaux, avec une forte présence des« créatures » du régime (le triumvirat Aidi, Nahhas, Attar en Syrie ; les entrepreneurs de laconstruction et les intermédiaires commerciaux en Irak). Cf. Y. Sadowski, PoliticalVegetables ? Businessmen and Bureaucrats in the Development of Egyptian Agriculture,Washington, Brookings Institution, 1991 ; V. Perthes, The Political Economy of Syria underAsad, Londres, I. B. Tauris, 1995 ; et I. Al-Khafaji, Al-Dawla wa al-Tatawwur al-Ra’smali fial-Iraq [L’État et le développement capitalistique en Irak], Le Caire, UN University, 1983.

2. Les chambres de commerce de Riyad et de Bureida sont, aujourd’hui, particulièrementactives, composées d’entrepreneurs liés au secteur public pour lequel ils ont précédemment tra-vaillé. Les liens avec la famille royale pour l’obtention de facilités étatiques de crédit oud’approvisionnement sont essentiels.

3. La législation économique et le timing de son introduction sont faits par l’exécutif sansaucun input social ni auditions publiques ou consultations. Le désordre règne le plus souvent,favorisant le « crony capitalism ». Au Koweït, la Chambre de commerce, où sont fortementreprésentées les familles de souche (asil) marchandes, a acquis un rôle important à partir de1982 (krach de Suq al-Manach), qui lui permet de faire du lobbying auprès des ministères. Maisson caractère très élitiste limite son poids social et ses capacités de mobilisation.

4. Il n’est pas étonnant que les libéralisations, même les plus ambitieuses, ne touchentjamais le secteur bancaire (pourtant élément essentiel). Le contrôle du secteur bancaire est lecœur même des régimes, car il est le lieu de l’octroi du crédit, donc du patronage. Le cas syrien,depuis juin 2000, est exemplaire de ces apories, avec le report de la création de banques privéeset l’utilisation de quelques banques libanaises soigneusement choisies pour assurer laconnexion entre la Syrie et les circuits bancaires internationaux.

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Ainsi, une jeune génération éduquée de détenteurs de PhD obtenus à l’étranger, auchômage, conteste dans tous les Léviathans autoritaires arabes les incapacités desrégimes, les copinages pour l’obtention des postes. L’autoritarisme est incapable decréer des opportunités d’emploi pour ces cadres potentiels autres que dans un secteurpublic, désormais aux capacités d’absorption limitées 1. La gestion sécuritaire de lacontestation ne suffit plus désormais, devant ces effets générationnels issus des boule-versements démographiques et de la structure très spécifique des pyramides d’âge 2.La génération du pétrole, née dans les années 1970, lasse des guerres, avait abandonnéle nationalisme arabe et les grands projets utopiques, pour accepter des réformes enespérant augmenter son niveau de vie. La nouvelle génération des années 1990 étouffedésormais dans des systèmes politiques répressifs et des économies véritables « usinesà chômeurs ». L’affaiblissement des solidarités familiales et claniques dans dessociétés marquées par l’urbanisation extrême affaiblit l’amortissement social du chô-mage sur une large échelle. Les mécanismes du « clanisme politique » (qabaliyyasiyasiyya) ou de l’État providence autoritaire (« al-mansaf + al-saif ») 3, à la base denombreux régimes du Golfe s’affadissent, créant des déclassés ou des désespérés, sanscanaux d’expression, si ce n’est la violence ou la déviance 4. Le développement de laviolence depuis quelques années en Arabie Saoudite ou dans le sud de la Jordanie enest le symptôme 5. La situation régionale et les interventions extérieures fournissentd’autres prétextes aux radicalisations.

« L’EXTÉRIEUR » COMME RESSOURCE OU DANGER POTENTIEL ?

Le facteur externe joue un rôle central au Moyen-Orient, région particulièrementsujette aux interférences extérieures. L’importance stratégique de la zone, la présencede réserves pétrolières considérables, la forte conflictualité régionale ont fourni unprétexte aux interventions des grandes puissances. Le fonctionnement du systèmerégional en porte la marque : les dirigeants des autoritarismes du monde arabe se meu-

1. L’entrée des diplômés du supérieur dans le secteur public, qui était une règle dans qua-siment tous les systèmes, quelles que soient leurs orientations idéologiques, est aujourd’huiabandonnée. Elle a été remplacée par l’entrée par « relations » (wasta) dans ce secteur, assurantla reproduction de la nomenklatura et son renouvellement. Mais ce mode d’entrée ne profitepas au grand nombre.

2. Cf. P. Fargues, Générations arabes, Paris, Fayard, 2000, et le constat du désormais trèsmédiatique Arab Development Report 2002, New York, UNDP, 2002.

3. K. Al-Naqib, op. cit.4. G. Kepel, Chronique d’une guerre d’Orient, Paris, Gallimard, 2002.5. La crise de légitimité du système jordanien n’est plus aujourd’hui « politique » (comme

la diagnostiquait M. Hudson, Arab Politics, The Search for Legitimacy, New Haven, Yale Uni-versity Press, 1977, p. 166-167, c’est-à-dire relative au caractère extérieur à la Transjordaniedes Hachémites régnant, qui, plus est, sur une population majoritairement palestinienne), maisest désormais sociale. Le roi Hussein a réussi à se construire comme une figure politique natio-nale, ouvrant la voie à son fils Abdallah II pour une succession bien acceptée (comme l’auraitété, sans aucun doute, tout autre successeur hachémite du monarque). En revanche, la crise éco-nomique et sociale est devenue l’élément le plus dangereux pour le système. En Arabie Saou-dite, sans surprise, les diplômés apportent leur soutien aux mouvements islamistes, qui contes-tent le pouvoir « corrompu » des Sa’ud au nom de l’islam et peuvent se reconnaître dans lathématique d’un Ben Laden. Dans un autre contexte, afin de souligner le caractère non excep-tionnel du monde arabe, la classe moyenne russe, qui a porté Gorbatchev, puis les réformes deEltsine, peut aujourd’hui céder aux sirènes du populisme xénophobe après son appauvrisse-ment au cours de la décennie 1990.

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vent dans un jeu où s’imbriquent politiques domestique et internationale/régionale.L’appui sur l’extérieur proche (le cercle arabe et les controverses autour du nationa-lisme arabe) ou l’extérieur plus lointain (les grandes puissances) a représenté une res-source importante pour la consolidation des régimes autoritaires, amenant la légitima-tion de leurs rôles internes ou régionaux 1, soutiens régionaux ou internationaux etfinancements des régimes…, mais aussi facteurs de déstabilisation et interventions. Lafin de la bipolarité fait sentir ses effets contrastés dans le monde arabe, apaisant cer-tains conflits (conférence de Madrid), mais permettant à d’autres de se déclencher(invasion du Koweït). L’effondrement de l’URSS prive les États arabes, pour certains,d’un allié ou, au moins, d’une source de rentes stratégiques et de fourniture d’arme-ments (Syrie, Irak), pour d’autres, d’un contrepoids à l’action américaine. Jusque là,un subtil jeu d’équilibre entre États-Unis et URSS était pratiqué très largement :n’avait-on pas vu l’émirat du Koweït en pleine « guerre de tankers » (août 1987) dansla phase terminale du conflit Iran-Irak utiliser la menace du repavillonnage de sesnavires par les Soviétiques pour obtenir une protection américaine ? Les États« faibles » de la région sont cependant capables par la suite d’obtenir une marge demanœuvre politique ou un relâchement des contraintes économiques pour perpétuerleur domination, même dans leurs rapports inégaux avec les États-Unis : Égypte etJordanie allègent les contraintes de leur fort endettement, pour la première avec sonalignement diplomatique au moment de la guerre du Golfe et, pour la seconde, par son« accrochage au wagon » (bandwagoning) du processus de paix d’Oslo ; la Syrie,orpheline du soutien diplomatique et de l’aide militaire et économique soviétique, par-ticipe à la coalition anti-irakienne lors de la guerre du Golfe de 1991 2.

Avec l’effondrement de l’Union soviétique et des démocraties populaires, lesautoritarismes arabes subissent aussi les effets de contagion et de diffusion des idéesde démocratisation 3. Mais les conséquences en restent limitées, les autoritarismes pre-nant la mesure des changements, en particulier, par la relance de processus électorauxbientôt repris en main (cf supra). Dans le contexte d’une présidence Clinton trèsactive, promotrice d’une vision du Moyen-Orient comme « zone de paix » marquéepar la démocratie et le marché (enlargement and engagement), une plus grande pres-sion est envisagée par l’administration démocrate en faveur de la réforme de régimesdont le credo démocratique n’éblouit pas les décideurs américains et dont les échecséconomiques – ou les budgets militaires – coûtent cher au contribuable américain. Lesconsidérations géopolitiques ne masquent plus les problèmes derrière les impératifsdus aux alliances stratégiques de la guerre froide et les nécessités de récompenser lesréalignements, comme dans le cas de l’Égypte en 1978. Pourtant, le « consensus deWashington » s’applique peu, dans les années 1990, au Moyen-Orient. Les Améri-cains caressent bien, dans les premières années de l’administration Clinton, l’espoirde mener quelques régimes au dialogue avec leur opposition ou de promouvoir desréformes économiques et d’avancer une conditionnalité démocratique. Mais ces vel-

1. Les autoritarismes saoudiens ou syriens ont ainsi pu exercer leur hégémonie sansentrave sur leurs « arrières-cours » (Conseil de coopération du Golfe, Liban) et freiner les évo-lutions « démocratiques » de ces dernières.

2. La Syrie subit des pressions américaines très fortes en 1991-1992, lorsque James Bakerse déclare peu dupe de l’engagement syrien aux côtés des États-Unis dans la guerre du Golfe oupendant la négociation syro-israélienne (1992-1999). Ces pressions externes sont gérées habi-lement par la diplomatie syrienne.

3. L. Whitehead, The International Dimensions of Democratization, Oxford, Oxford Uni-versity Press, 1996.

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léités sont vite abandonnées. D’une part, les régimes arabes jouent subtilement de lamenace islamiste – et du « scénario algérien » – pour rallier les décideurs américainsà leurs options sécuritaires 1. D’autre part, les États-Unis préfèrent maintenir, dans ladécennie 1990, les « pactes de stabilité » signés avec les élites autoritaires arabesdepuis Camp-David I 2, l’obtention d’une stabilité régionale – seulement violée parl’Irak en août 1990 – se faisant au prix du maintien en place des systèmes, de la stag-nation interne, voire du durcissement de la répression et de l’appauvrissement desclasses moyennes et populaires.

Enfin, à partir des années 1990, les régimes arabes subissent de plein fouet leseffets de la globalisation, « cette compression des distances au niveau du monde parémergence et densification de réseaux connectés, sociaux, environnementaux,économiques » 3. La globalisation soutient l’émergence de nouvelles dimensions nor-matives qui contraignent ou, à tout le moins, compliquent l’action étatique : libérali-sation économique, droits de l’homme, responsabilité des gouvernants 4. Les régimesarabes ont repris la rhétorique du marché et de la démocratie, et le caractère straté-gique de la zone leur a longtemps épargné les difficultés des ajustements nécessaires.Mais la globalisation fait le lit de l’interaction entre divers niveaux de gouvernance etde nouveaux types d’acteurs (transnationaux, identitaires), qui remettent en cause lesdimensions traditionnelles d’organisation de l’ordre international, la souveraineté oula territorialité 5, qui constituent aussi les barrières derrière lesquelles perdurent lesautoritarismes. L’apparition de nouveaux acteurs transnationaux, qui peuvent avoirdes liens avec l’extérieur dans des réseaux, pose un sérieux défi aux autoritarismesarabes. En effet, l’autoritarisme perdure dans le silence, loin des caméras et desmicros, loin des activismes divers pour les droits de l’homme. C’est pourquoi notam-ment la floraison des ONG dans le monde arabe est un phénomène très préoccupantpour les pouvoirs arabes 6. Les secteurs associatif, culturel ou charitable, jadis moinscontrôlés par les États que le domaine politique proprement dit, font désormais l’objetd’attentions particulières, comme le montrent les lois sur les associations âprementdiscutées en Égypte ou sous l’Autorité palestinienne ou l’attention portée en Jordanieà la régulation étatique du secteur associatif 7. Parallèlement, l’irruption des télévi-

1. Des officiels américains ont pris langue au cours des années 1990 avec des représen-tants de l’opposition égyptienne, en expliquant, au grand dam des autorités égyptiennes, qu’ilsprenaient contact avec toutes les parties. Cette coupable faiblesse est assez vite interrompue.

2. R. Leveau, « Après le 11 septembre, le monde arabe à la croisée des chemins », Poli-tique étrangère, 4, octobre 2001, p. 765-809 ; cf. aussi M. Kerr, El Sayed Yassin (eds), Rich andPoor States in the Middle East, Boulder, Westview Press, 1982, et W. B. Quandt (ed.), TheMiddle East Ten Years After Camp David, Washington, Brookings Institution, 1988.

3. D. Held, A. McGrew, The Global Transformations Reader, Cambridge, Polity, 2000, p. 3.4. B. Badie, « Le jeu triangulaire », dans P. Birnbaum (dir.), Sociologie du nationalisme,

Paris, PUF, 1998, p. 447-462, et S. Sassen, Globalization and its Discontents, New York, NewPress, 1998.

5. B. Badie, Un monde sans souveraineté, Paris, Fayard, 1999.6. De manière significative, une réunion des ministres de l’Intérieur de la Ligue arabe,

dont l’ordre du jour n’aurait pas dû être divulgué – mais est révélé par une indiscrétion duministre libanais – a été consacrée en 1996 à ce thème. Pour le moment, la force des ONGarabes est également leur faiblesse : leurs liens avec l’extérieur accroissent leur visibilité, maisles coupent des réalités locales, car le contact avec le bailleur de fonds devient primordial, dansune forme de « rent seeking » (autour de la recherche de financements).

7. Yasser Arafat a mis cinq années avant de signer la loi sur les ONG en 2000. L’accentformel mis sur les ONG qui foisonnent dans le monde arabe fait oublier, aux observateurs,l’importance du cadre législatif pesant dans lequel fonctionnent ces ONG et qui contraint forte-ment leur développement organisationnel ou leur autonomie financière.

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sions satellites (Al-Manar, Arab News Network ou Al-Jazira), le nouveau style de com-munication politique qu’elles imposent – en particulier, le débat contradictoire et polé-mique – et les thématiques qu’elles traitent – la dénonciation des excès de régimes,celle de la politique américaine en Irak, la solidarité avec l’intifada palestinienne,l’avenir de Jérusalem – introduisent un discours alternatif et corrosif. Ce derniercontredit les langues de bois des télévisions officielles, qui cherchent un difficile équi-libre entre la déploration nécessaire, mais l’inaction habituelle, et l’impératif de main-tenir les passions politiques de la « rue » calmes ou modérées. Mais, même à l’heured’Internet et du satellite, les pouvoirs arabes ont encore les moyens (en particuliertechniques) d’étouffer les accès autonomes de leurs sociétés à l’information.

L’élément externe le plus dangereux pour les régimes est l’évolution récente de lapolitique étrangère américaine. La stigmatisation de l’Irak comme « rogue state » parles États-Unis et l’unilatéralisme de leur politique irakienne dans la seconde moitié desannées 1990 provoquent le mécontentement des opinions arabes sensibles aux consé-quences sociales du maintien de l’embargo onusien et aux atteintes à la souverainetéd’un État arabe mis quasiment sous tutelle. Les régimes arabes, y compris les alliés lesplus proches des États-Unis, finissent par se désolidariser de la position américaine 1.La détérioration de la situation sur le terrain israélo-palestinien et l’échec progressifdu processus d’Oslo à partir de la seconde moitié des années 1990 suscitent des récri-minations régionales contre la position américaine, jugée trop proche d’Israël. Lesalliances privilégiées de l’Égypte, de la Jordanie, des États du Conseil de coopérationdu Golfe avec les États-Unis, qui leur assurent une aide financière, militaire et parfoisun véritable parapluie de protection, deviennent délicates à afficher dans ces condi-tions. Même si les régimes autoritaires ne connaissent pas de problème d’opinions ausens des « démocraties du public », ils ne sauraient s’aligner imprudemment sur lesÉtats-Unis à l’heure de la montée d’un anti-américanisme virulent dans des sociétéstravaillées par un nationalisme arabe teinté d’islamisme ou, à tout le moins, sensibili-sées à ce qu’elles perçoivent comme des injustices et des humiliations. Ces régimes seretrouvent placés dans une véritable situation schizophrénique pour les plus dépen-dants d’entre eux, comme les monarchies du Golfe, situation dont l’acuité devient deplus en plus intense à la fin de la décennie 1990. La réaction américaine après les atten-tats du 11 septembre accroît les grands écarts de ces régimes. La mise à l’index dumonde arabe, le renversement du régime de Saddam Hussein et les projets américainsde démocratisation (Middle East Partnership Initiative) ou de remodelage du Moyen-Orient (Greater Middle East) mettent dans l’embarras nombre de régimes. Ceux quisont tentés par le refus des positions américaines, comme la Syrie, se voient rangésdans une catégorie proche de « l’axe du mal » et voués aux gémonies dans un rapportde force disproportionné. Les alliés proches des États-Unis, comme l’Égypte oul’Arabie Saoudite, se voient régulièrement critiqués. L’installation de l’hyperpuis-sance américaine en Irak positionne désormais les États-Unis comme acteur régionalet modifie l’environnement stratégique de la zone, déstabilisant fortement les régimesarabes. La marge de manœuvre des autoritarismes dans l’utilisation du facteur exté-rieur devient étroite.

1. De nombreux États arabes reprennent des relations diplomatiques de niveaux diversavec l’Irak, signent des accords de libre-échange et permettent, en violation de l’embargo, desvols civils vers Bagdad au cours de l’été 2000. L’Irak est à nouveau invité aux réunions de laLigue arabe.

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QUEL EFFRITEMENT DE L’AUTORITARISME ?

Si les régimes autoritaires ont rassemblé des ressources suffisantes pour perdureret s’ils ont manifesté quelque intelligence politique ou, à tout le moins, quelqueslueurs de lucidité face aux évolutions, il ne saurait être question de nier les ornièresdans lesquelles ils se sont placés. L’autoritarisme a un fort potentiel destructeur, ladégénérescence des structures politiques n’étant pas sans conséquences pour la sociétéainsi gouvernée 1.

DÉGÉNÉRESCENCE POLITIQUE,RENOUVELLEMENTS ET « NOUVELLES GÉNÉRATIONS »

Les impasses multiples rencontrées par les autoritarismes et diagnostiquéesdepuis longtemps 2 n’ont pas été corrigées. Les dirigeants ont pérennisé, à l’aide dedivers artifices et par bricolage, des systèmes politiques qui, à l’image de l’AncienRégime français décrit par Alexis de Tocqueville, ne sont aujourd’hui qu’une accu-mulation de mesures inachevées perdant toute substance. L’immobilisme est alors larègle. Les échecs s’accumulent et les apories du contrôle autoritaire se révèlent augrand jour. Les sources de légitimité des différents régimes s’amenuisent, mêmeaprès les tentatives de régénération par l’ouverture électorale, ou devant l’enlisementde la réforme économique. Les opportunités extérieures ne sont pas toujours saisiesà temps 3. La montée du culte de la personnalité, affiché soit explicitement, soit impli-citement à travers la place démesurée accordée aux faits et gestes du dirigeant dansla presse ou à la télévision, est un indice a contrario des blocages. Le vieillissementdes dirigeants au sommet et celui des équipes qui les entourent ajoutent aux impasseset sont aussi le signe clinique de la crise des autoritarismes. Le numéro un peut qua-siment disparaître, comme dans les systèmes syriens ou irakiens dans les années1990, le leader devenant à la fois « virtuel » et omniprésent, dans une forme de dis-sociation entre « corps matériel » et « corps mystique » du chef (pour reprendre lescatégories de Ernst Kantorowitz) 4. Le régime saoudien est handicapé par l’état desanté déplorable du roi Fahd, qui, depuis 1995, n’a plus les capacités physiques pourgouverner et rappelle étrangement les « morts-vivants » à la tête de l’URSS (Brejnev,Tchernenko, Andropov) ou les dernières années de Deng Xiao Ping. L’état de santé

1. W. Zartman (ed.), Collapsed States, Boulder, Lynne Rienner, 1995.2. J. Waterbury, The Egypt of Nasser and Sadat, op. cit., et M. Hudson, Arab Politics…,

op. cit.3. L’immobilisme paralyse ces régimes et ne leur permet pas de tirer profit de nombre

d’opportunités. Par exemple, le caractère très fermé du régime irakien vis-à-vis de l’extérieur etl’atmosphère « bunker » qui y règne le conduisent à ne pas saisir des fenêtres d’opportunitésdiplomatiques, créées, par exemple, par les errements de la politique irakienne des États-Unisen 1999-2000, et à s’enfermer dans une logique de confrontation qui effraie ses voisins (commel’Arabie Saoudite et même le Koweït), pourtant de mieux en mieux disposés à son égard.

4. Les cinq dernières années d’Hafez al-Assad sont celles d’un leader qui, malade, nerecevait plus personne, n’intervenait plus en public, même à l’occasion des dates clés durégime, et vivait reclu dans son palais présidentiel, entouré de quelques proches assurant le fil-trage de ses visites. La Syrie semblait comme suspendue à l’attente de son décès. Dans le casirakien sous Saddam Hussein, le leader se dédouble devant les risques d’assassinat, se faitreprésenter par des « doubles » ou crée une mystique d’omniprésence du chef qui peut appa-raître à tout moment dans les rues de Bagdad sans que personne ne sache s’il s’agit de Saddamou d’un de ses sosies.

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de l’émir du Koweït ne facilite pas non plus les évolutions de cette société politiquefort active, ce modèle se reproduisant dans nombre d’autres émirats du Golfe. Danstous les cas, si la politique est affaire de sens 1, les régimes arabes montrent leur dégé-nérescence.

La transition dynastique en est le versant complémentaire. Nombre de régimesarabes entrent désormais dans une période de successions pour des raisons biologiques,à savoir l’âge avancé des dirigeants en place. Ces successions dessinent une dérivedynastique dans un certain nombre de républiques arabes – la Syrie l’illustre avecl’arrivée de Bachar al-Assad, mais des indices d’une même tendance sont diagnosti-qués en Irak sous Saddam Hussein, en Égypte 2, au Yémen, en Libye – fortementdénoncée dans le débat intellectuel au moment de la succession en Syrie en juin 2000.Les changements de dernière minute de l’ordre de la succession en Jordanie soulignentégalement le caractère manipulatoire de ces dynastismes. La dérive dynastique, au sensoù le fils succède au père dans une forme d’héritage du pouvoir, est le moyen le plussimple pour faire perdurer en l’état, à moindre frais, des systèmes très complexes.Moins que la constitution d’une dynastie politique à partir d’un réseau familial, elledénote, en fait, une tendance au « sultanisme » 3, au sens où le dirigeant, avant sa dis-parition, définit et bâtit le choix unique pour la succession. Le président ou le roi estcelui qui monopolise dans ses mains les flux (ressources, symboles légitimants, réseauxclientélistes) sources de pouvoir dans le système. Dans un tel cadre, il est plus aisé etmoins risqué de transmettre héréditairement les rênes à sa descendance directe. Cettedérive est aussi le produit de la dégénérescence institutionnelle : l’absence d’institu-tionnalisation des rapports entre État et société ne permet pas de renouvellement durégime en prenant véritablement en compte les mutations sociales ou les élites émer-gentes (technocrates, entrepreneurs, etc.). La plupart des systèmes politiques arabes ontassuré un renouvellement générationnel au sein des cadres autoritaires, qui a nourrileurs nomenklaturas. De nouvelles générations se sont élevées au sein du système saou-dien par l’armée ou l’administration 4. Le régime égyptien a procédé à l’introductionrégulière de nouveaux cadres, formés en économie, en finance, en management ou eningénierie : les anciens de l’équipe Sadate ont été remplacés par ceux qui tenaient lespostes situés juste en dessous d’eux dans les hiérarchies administratives. Mais l’autori-tarisme produit au sommet la gérontocratie et la stagnation, qui bloquent les renouvel-lements. La cooptation de nouvelles élites technocratiques ne signifie pas ipso factoleur intégration aux couches dirigeantes. En Arabie Saoudite, le pouvoir va échoir,après le roi Fahd, à des septuagénaires ou des octogénaires (les fils d’Ibn Sa’ud). Or, lalignée des fils d’Ibn Sa’ud comporte suffisamment de membres pour bloquer la montéevers le pouvoir des petits-fils d’Ibn Sa’ud, désormais éligibles, depuis la Loi fondamen-tale de 1992, pour les fonctions suprêmes. Un blocage en résulte et le bon équilibre dusystème est alors en jeu.

La thématique de la « nouvelle génération (al-jil al-jadid) de dirigeants arabes »illustre d’autres contradictions. Elle connaît son heure de gloire à la fin des années

1. C. Geertz, « The Politics of Meaning », dans The Interpretation of Cultures, New York,Basic Books, 1973.

2. En Égypte, une classe politique suffisamment large et l’armée freinent pour le momentles dérives dynastiques, qui ont cependant une réalité depuis la fin des années 1990, avec lamontée en puissance au sein du système politique du fils du président Mubarak.

3. H. E. Chehabi, J. Linz (eds), Sultanistic Regimes, Baltimore, The Johns Hopkins Uni-versity Press, 1998.

4. G. Salamé, « Political Power and the Saudi State », cité.

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1990, depuis qu’un certain nombre de successions a permis l’arrivée de dirigeantsjeunes (Syrie, Jordanie, Qatar, Bahrein, Maroc). Le changement du leadership prendla forme d’une transition générationnelle – l’arrivée de quadragénaires – plus qued’une transition politique au sens où l’entendent les « transitologues » 1. Cette tran-sition générationnelle est moins une réponse aux demandes d’ouvertures émanantdes sociétés que, plus simplement, redevable à la disparition par vieillesse etmaladie – ce qui constitue une nouveauté dans une région où le coup d’État a été unepratique fort répandue – de leaders arrivés en politique ou au pouvoir dans lesannées 1950-1960. Le renouvellement est absorbé par les contraintes de maintien dusystème, qui émoussent toute volonté réformatrice trop audacieuse 2. L’utilisation dela notion de « nouvelle génération » dans le discours produit par les différentsrégimes conduit à s’interroger sur la fonction politique de cette thématique. Leconcept de génération est historiquement souvent invoqué en période de crise,depuis Platon jusque dans les années 1920 ou 1930 chez Mannheim, Neuman ouSorokin. L’objectif, dans le monde arabe, est de recréer, par la référence à l’âge dansle discours politique, une proximité entre dirigeant et gouvernés, que la représenta-tion politique, même « modernisée » dans les années 1990, n’a pas réussi à refonder.La thématique des générations et de leur renouvellement amène l’idée d’une scan-sion qui transcende toutes les autres 3. Dans le cas du monde arabe, elle permet defaire oublier toutes les dimensions d’exclusion politique qui étayent les régimesarabes, dans une nouvelle proximité « fusionnelle » par l’âge entre le dirigeant et« le peuple », dont une strate démographique majoritaire écrasante a moins de vingt-cinq ans et n’a connu qu’un seul dirigeant. Cette rhétorique représente le dernierespoir offert aux générations des années 1990, après ceux, déçus, de la démocratisa-tion au début de la décennie 4. Le désenchantement s’installe, là encore, vite : letemps est un élément essentiel pour une population jeune qui a pu avoir quelquesespoirs, mais attend des mesures concrètes alors que les réalisations des nouveauxdirigeants se font attendre et que les réformes tangibles s’enlisent. Ces conclusionsrecoupent le constat opéré à partir d’une autre méthodologie par le panel d’expertsarabes rédacteurs pour l’United Nations Development Program du Arab HumanDevelopment Report 2003.

L’éloignement entre États et sociétés s’en trouve fortement accentué. La défé-rence envers des régimes dont on se méfiait, mais qui, néanmoins, étaient acceptéspour leurs capacités redistributrices, disparaît. Le rapport État/société n’est plus unerelation de légitimation, mais un pur rapport de manipulation et de peur réciproqueentre deux secteurs qui s’éloignent progressivement et finissent par s’ignorer. La

1. J. Linz, A. Stepan, Problems of Democratic Transition and Consolidation, Baltimore,The Johns Hopkins University Press, 1996.

2. Les instances dirigeantes du parti Ba’th et de l’État sont encore tenues par les généra-tions arrivées au pouvoir avec Hafez al-Assad ; la jeune génération a été propulsée dans leBa’th, mais n’a pas encore pris le contrôle de ses instances exécutives. La campagne de « luttecontre la corruption » lancée par Bachar al-Assad a pour fonction de permettre quelques déblo-cages. Mais elle ne saurait s’appliquer imprudemment. De même, le roi Abdallah II de Jordaniecontinue de s’appuyer sur les hommes montés en grade avec son père.

3. P. Favre, « De la question sociologique des générations et de la difficulté à la résoudredans le cas de la France », dans J. Crête, P. Favre (dir.), Générations et politique, Paris, Econo-mica, 1989, p. 283-311.

4. Le discours syrien, par exemple, ne s’y trompe pas, qui met l’accent sur l’acculturationà la modernité de Bachar al-Assad, sa pratique des nouvelles technologies… Le même type deconstruction d’images est utilisé par Abdallah II en Jordanie.

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légitimation laisse place à des rituels d’accoutumance au régime et à des spectaclespolitiques – culte du leader « éponyme » ou répétition à l’infini des « réalisations »du régime, thématiques sur lesquelles la Syrie 1 et l’Arabie Saoudite montrent désor-mais d’étranges parallèles. De plus, ces régimes se sont départis de nombre de leursfonctions économiques et sociales. Le thème de la « privatisation des États » est sou-vent évoqué pour décrire des logiques de « retranchement » ou de « désenga-gement » des États, opérées dans les années 1990 sous l’emprise de la rhétoriquelibérale ou sous pression extérieure des bailleurs de fonds 2. Ces termes sont trom-peurs s’ils sont utilisés dans le débat arabe, car ils font fi de la primauté de l’instancepolitique dans les mécanismes de gouvernement. Il ne s’agit pas de déplacementsstructurels de fonctions de l’État, mais d’expédients conjoncturels. Dans le raison-nement de l’économiste Albert Hirschman, l’idée de désengagement de l’État sup-pose l’existence de structures de marché où les acteurs peuvent s’organiser demanière privée face au retrait de l’État 3. Dans le monde arabe, les abandons del’État ne laissent pas place à des logiques de privatisation en ce sens, sauf pour lanomenklatura qui bénéficie de la privatisation sauvage des actifs publics. Mais cesretraits font place à des logiques de survie. Ainsi, dans le cas irakien sous SaddamHussein, l’abandon par l’État de pans entiers du système de protection sanitaire etsociale ou du système éducatif – qu’on pouvait supposer provisoire, au vu del’importance de la socialisation politique par l’école pour un régime autoritaire –laisse s’installer des logiques de solidarités familiales, claniques, communautaires,de quartiers ou d’associations locales. Les « stratégies de survie » dominent, chacunluttant pour nourrir sa famille, avant toute autre considération, autour de son groupefamilial proche ou de solidarités micro-communautaires. L’autoritarisme survit à lacrise en délaissant certaines fonctions, les sociétés ayant encore les capacités suffi-santes pour absorber ces abandons par leurs bricolages quotidiens, sans recourir à larévolte et à l’émeute 4.

LES DÉMOCRATES EXISTENT-ILS ?

La question des implications politiques de ces évolutions se pose. Les sociétésarabes, même celles marquées par la mentalité rentière, ne sont pas totalement anes-thésiées par les manipulations des autoritarismes. Des surfaces d’émergence, où undiscours alternatif peut se cristalliser, persistent. Ce dernier peut être « perverti » parle populisme ou réprimé par les appareils autoritaires, mais il renaît de ses cendresou maintient une lueur d’espoir et de lucidité dans des univers moroses 5. Le théâtre

1. L. Weeden, op. cit.2. M. Grindle, Challenging the State, Cambridge, Cambridge University Press, 1996.3. A. O. Hirschman, op. cit.4. Comme le note Guillermo O’Donnel (Counterpoints, Selected Essays on Authoritaria-

nism and Democratization, Notre Dame, Indiana, University of Notre Dame Press, 1999, p. 73-74), les « microcontextes du monde social, la texture de la vie quotidienne » ont directement àvoir avec les « éléments macro de la politique », tel le maintien de l’autoritarisme.

5. Si le régime syrien a fait face aux soubresauts géopolitiques du début des années 1990avec succès, le bouillonnement de la société syrienne dans l’année qui suit le décès d’Hafez al-Assad est beaucoup plus dangereux, car produit des dynamiques internes. Sans autorisation àpartir de la fin de l’été 2000 – une première en Syrie –, des clubs de réflexion (muntadayyat)animés par des intellectuels fleurissent dans tout le pays et commencent à discuter de sujetspolitiques, avant que le régime ne mette un terme à cette expérience un an après.

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ou la littérature illustrent ce potentiel de contestation, qui, par la dérision et la satire,dans des cadres précis, toujours à la limite – mais néanmoins qui autorise la publi-cation et la diffusion et sait passer à travers les filets des censeurs –, entretient unesprit critique acerbe. La question de la structuration sociale de ce discours se posealors. L’invocation de la notion de société civile est délicate et mérite quelquesclarifications 1.

D’une part, la vision néo-tocquevilienne de la société civile comme profusiond’associations reste contestée 2. L’effervescence sociale et associative peut aussi céderau populisme ou aux sirènes de l’extrémisme 3 ; les sociétés civiles arabes peuvent êtreintolérantes, pénétrées d’idées d’exclusion, « perverties » par l’autoritarisme.Guillermo O’Donnel, dans de fines analyses à partir de ses expériences au Brésil et enArgentine, montre que la société civile ne saurait être perçue comme une dynamiquede simple résurrection des groupes sociaux dans les régimes autoritaires affaiblis. Lasociété subit le poids du passé autoritaire, cette « remise à sa place de chacun » dansun silence contrit, cette « infantilisation », en présence de « kapos » sociaux… quigênent l’émergence d’une « voix horizontale » 4, toutes analyses qui s’appliquent auxsociétés arabes et à leur complexe définition du privé et du public 5. De plus, dans lecontexte des blocages israélo-palestiniens et de l’occupation en Irak, le facteurexterme (en particulier le discours américain des quatre dernières années de promotion« active » d’une démocratisation du Moyen-Orient), peut se révéler paralysant, sus-citer méfiance et réflexes identitaires obsidionaux chez les porte-parole potentiels dela société civile et être source de contradictions extrêmes pour des intellectuels libé-raux arabes qui n’entendent pas être perçus comme les marionnettes des projets amé-ricains. D’autre part, la société civile est plus complexe qu’une simple agrégationd’associations et suppose d’autres conditions, en particulier, des éléments de civilité.La société doit, en effet, se constituer politiquement – « la société politique » –, pour

1. La notion de « rue arabe » (al-chari’a al-arabi), qui fait florès, en particulier, dans saperception comme force de « pression » sur les politiques des régimes arabes, n’est qu’unereformulation récente des utopies de la société civile, dans sa vision d’un peuple uni hors del’État et contrepoids de celui-ci.

2. Cf. le débat autour de R. Putnam, Making Democracy Work, Princeton, Princeton Uni-versity Press, 1993.

3. C’est au sein du milieu associatif politisé que le NSDAP a recruté et non pas parmi leschômeurs déclassés (S. Berman, « Civil Society and the Collapse of the Weimar Republic »,World Politics, 49, avril 1997, p. 401-429).

4. G. O’Donnel, Counterpoints, Selected Essays on Authoritarianism and Democratization,op. cit., p. 71-72. Cette notion de « voix horizontale », inspirée des travaux de A. O. Hirschman(Exit, Voice and Loyalty : Responses to Decline in Firms, Organizations, and States, Cambridge,Havard University Press, 1970), exprime la capacité à s’adresser à d’autres au sein d’une société,condition nécessaire de la « voix verticale », interpellation des gouvernants (la voice au sens deHirschman). La société civile véhicule des valeurs de respect et de tolérance (et son rapport à lareligion est complexe). L’exemple égyptien montre que ces conditions ne sont pas réunies, avecles procès en hisba (ordre public islamique) et la persécution d’intellectuels (Farag Foda, assas-siné, Nasr Abu Zeid… parmi bien d’autres). Les procès en Jordanie, intentés contre ceux accusésde participer à la normalisation (tatbi’a) des relations avec Israël, n’augurent pas d’une sociétécivile tolérante. La première intifada palestinienne (1987-1990) a montré les capacités d’auto-organisation d’une contre-société palestinienne face à l’administration militaire israélienne et àses collaborateurs. Mais elle a suscité nombre d’intolérances et de poursuites de la « déviance »sociale (alcool, homosexualité, autonomie de la femme, etc.).

5. Dans le monde arabe, le public (qui s’oppose au privé) n’est pas seulement l’étatique,mais inclut aussi des dimensions (qui relèvent du choix individuel privé dans les sociétés occi-dentales) comme la famille, la sexualité, la conduite personnelle.

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soutenir la démocratisation 1. La recherche d’un langage politique commun, tout par-ticulièrement dans des sociétés mosaïques comme celles de la Syrie ou de l’Irak, estun impératif qui suppose plus qu’un simple « pacte politique » entre acteurs, mais unvéritable « pacte culturel » rarement atteint. La libération brutale des interdits peutdéstabiliser une société par résurgence du communautarisme, au départ fruit de straté-gies quotidiennes de survie, qui finit par devenir une clé de lecture des enjeuxpolitiques 2. La relation à l’État comme lieu légitime d’agrégation du social estessentielle : « La société civile n’est pas, ou pas seulement ni fondamentalement, unensemble de groupes ou d’organes, mais un processus ou une forme d’organisation,qui fait du régime politique le lieu légitime du social » 3. La dégénérescence desrégimes politiques arabes ne favorise pas ce processus. Les analyses des transitionsest-européennes nous enseignent que la recherche d’une « société (civile) contrel’État » – extrapolation du modèle polonais de Solidarność – n’est pas toujours le véri-table point de départ des transitions politiques dans des régimes épuisés. Les analysesinstitutionnalistes de la chute du communisme, sans nier l’importance des mobilisa-tions sociales, montrent la nécessité de « structures d’opportunités » qui permettent audiscours alternatif de s’infuser au sein même des régimes, de les corroder ou de lesparasiter 4. Les régimes arabes ont, certes, intégré un certain nombre d’élites techno-cratiques bien formées et au fait des réalités occidentales, susceptibles de jouer cesjeux, mais qui, pour le moment, préfèrent se taire 5. Enfin, à défaut de voir clairementémerger des « démocrates » et au vu des désillusions des années 1990, les observa-teurs se sont raccrochés aux perspectives d’émergence procédurale de la démocratie :des acteurs, même non-démocrates convaincus, peuvent fabriquer un jeu politiquedémocratique, par apprentissage ou accoutumance, voire « calculs », comme modalitéde sortie d’impasses politiques abyssales 6. Les analyses ont montré le caractère tauto-logique de ces raisonnements qui reposent in fine sur le postulat suivant : « Ainsi unpacte marche-t-il quand le système marche » 7. De plus, les régimes ont montré leurcapacité de récupération de ces processus. Enfin, dans le monde arabe, le discours surla démocratie ou sur la société civile (al-mujtama’ al-madani) – par ses dimensionsperfectionnistes, a-historiques, par sa revendication de pleine représentativité – est

1. E. Gellner, Conditions of Liberty, Londres, Hamish Hamilton, 1994, et J. Leca, « ErnestGellner, un poppérien historiciste », Revue française de science politique, 47 (5), octobre 1997,p. 515-533. Cf. la différence chez J. Linz et A. Stepan (op. cit., p. 272), entre « la société civileéthique dans l’opposition » et « la société politique dans une démocratie consolidée ».

2. Pour l’Algérie, cf. J. Leca, « Paradoxes de la démocratisation », Pouvoirs, 86, 1998,p. 7-28.

3. J. Leca, « De la lumière sur la société civile », Critique internationale, 21, octobre2003, p. 67.

4. D. Stark, L. Bruszt, op. cit. La transition hongroise a été rendue possible par les liensentre une opposition modérée et de nombreux cadres du régime (en particulier, dans des posi-tions technocratiques ou culturelles), ces derniers ayant abandonné le discours idéologique etayant adopté d’autres normes, facilitant la mise en place de liens avec l’opposition.

5. K. Al-Naqib (op. cit., p. 124-127), dans son travail sur les autoritarismes du Golfe, noteque si l’État attire à lui des groupes (tribaux, familiaux), c’est que ces groupes conservent uneforce propre… et il espère voir cette dernière un jour tournée vers des évolutions démocratiquescontre les régimes, la force persistante des ‘asabiyya créant de facto un pluralisme.

6. D. Rustow, « Transitions to Democracy : Toward a Dynamic Model », ComparativePolitics, 2, avril 1970, p. 337-363, et G. O’Donnel, Ph. C. Schmitter (eds), Transitions fromAuthoritarian Rule, Tentative Conclusions about Uncertain Democracies, Baltimore, TheJohns Hopkins University Press, 1986.

7. J. Leca, « La démocratisation dans le monde arabe… », cité, p. 42.

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devenu « un fait politique » surdéterminé, dans des sociétés marquées par l’État hégé-monique, et verse dans le populisme 1. Son utilisation comme arme pour lutter contreles islamistes dénote une autre dérive 2.

Le débat sur l’islamisme s’inscrit dans ce contexte 3. L’islamisme est, depuis ledébut des années 1980, un des principaux vecteurs de délégitimation des pouvoirsen place. La problématique dominante des années 1990 s’est concentrée autour dela question de la compatibilité entre islamisme et démocratie de manière trèsgénérale : elle a été déclinée sous de multiples formes, pour essayer de comprendresi les mouvements islamistes recherchaient la participation aux jeux électoraux enacceptant les principes démocratiques ou refusaient ceux-ci, que le refus soit directou fruit d’une stratégie de dissimulation pour prendre le pouvoir. Le problème de laviolence islamiste (politique, contre les femmes ou les déviances sociales) a étéâprement discuté. Au vu des développements qui précèdent, la référence au contextedémocratique pour développer des analyses semble un peu rapide : si les partis isla-mistes sont supposés non-démocrates, les régimes ne le sont pas, à coup sûr. Lesmouvements islamistes se développent dans un cadre autoritaire, qui pèse très for-tement sur les options et stratégies de ces mouvements 4. À des degrés divers, enÉgypte, Jordanie ou Yémen, les régimes ont opéré des ouvertures permettant l’accèslimité des acteurs islamistes à la scène politique, se sont faits les chantres d’uneré-islamisation d’État 5 ou ont laissé quelques espaces institutionnels d’affirmation àl’islamisme (comme le montre le rôle de l’Académie de recherche islamique d’Al-Azhar dans la censure artistique en Égypte). Ils ont éliminé en parallèle les tendancesviolentes de l’islamisme politique 6. Les mouvements islamistes ont, de plus, évoluéau cours des années 1990 avec le rôle accru d’une jeune génération en leur sein. Si lesmouvements islamistes constituent l’arlésienne de la démocratie (future), ils sont aussil’arlésienne du régime autoritaire : un tel régime ne peut les considérer comme partienégligeable, mais leur montée en puissance déstabilise le système 7. Les régimes n’ontnullement l’intention de laisser se développer des partis islamistes ayant une« fonction tribunicienne » (selon l’expression de Georges Lavau à propos du PCF) ou

1. A. Al-Azmeh, « Populisme contre démocratie », dans G. Salamé (dir.), op. cit., p. 233-252.

2. Le débat arabe introduit une distinction entre la société civile ahli (civile au sens fami-lial, primordial, communautaire, ce qui relève du suq, de la mosquée, de la famille) et la sociétémadani (civile au sens de civique, ce qui relève des partis, associations, syndicats). Cette dicho-tomie est utilisée pour disqualifier les mouvements islamistes. Cf. aussi B. Ghaliun, Le malaisearabe, l’État contre la nation, Paris, La Découverte, 1991, p. 132-138.

3. Le problème de l’islamisme justifierait d’un article à lui seul, donc sera abordé dans cetexte uniquement en rapport avec la problématique de l’autoritarisme.

4. G. Kepel, Djihad, Paris, Gallimard, 2002 ; F. Burgat, L’islamisme en face, Paris, LaDécouverte, 1995 ; et O. Roy, L’échec de l’islam politique, Paris, Le Seuil, 1994.

5. A. Al-Azmeh, Al-Ilmaniyya min Manzur Mukhtalif [La laïcité d’un point de vue diffé-rent], Beyrouth, Centre d’Études de l’Unité Arabe, 1992.

6. Le courant islamiste s’est scindé. La majorité s’est réincluse sur les scènes politiques,une minorité se réfugiant dans une dérive meurtrière ou dans une fuite internationale avecd’autres « enfants perdus » de l’islamisme politique, qui se retrouvent dans des réseaux prospé-rant sur un ensemble d’« États effondrés » (ou de zones où l’autorité centrale est affaiblie),depuis le Kenya, la Somalie, le Yémen, jusqu’au Pakistan – Karachi – ou en Afghanistan, pourfournir les cadres d’Al-Qa’ida. Il s’agit là d’un phénomène non spécifique au monde arabe etdéjà repérable dans la décomposition du mouvement de 1968, quelques reliquats (bande àBaader ou Armée rouge japonaise) se réfugiant dans le terrorisme international.

7. L. Binder, Islamic Liberalism, Chicago, Chicago University Press, 1988.

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faisant le lit d’une démocratisation à partir de l’intégration de la contestation (à l’instardu modèle du communisme italien décrit par Sydney Tarrow). Ils ont accepté, dans lesannées 1990, que les mouvements islamistes développent une action caritative etsociale, voire associative – syndicats professionnels, organisations non-gouvernemen-tales, campagnes contre la torture ou en faveur des droits de l’homme –, autorisantprosélytisme et patronage modéré. Parfois, les mouvements islamistes ont fait leurentrée dans certaines parties de la bureaucratie étatique (Jordanie) ou des instancesjudiciaires (Égypte). Mais leur potentiel politique, au sein des régimes autoritaires,reste limité 1. La montée en puissance des mouvements islamistes est ainsi le fruit d’unéquilibre entre les stratégies de grignotage par les acteurs islamistes d’un certainnombre de secteurs institutionnels (syndicats professionnels, aide sociale, cliniques,institutions culturelles, etc.) et les faiblesses de l’État, qui abandonne ces derniers(volontairement ou bien par manque d’effectivité et de légitimité, selon les analyses).

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La sortie de l’autoritarisme est donc complexe 2. Un régime autoritaire est capablede s’ancrer dans la longue durée et continue de peser, y compris après son effondre-ment. Les problèmes aujourd’hui rencontrés par les Américains en Irak illustrentconcrètement les conséquences de l’autoritarisme. Certes, le pouvoir autoritaire peuts’effondrer rapidement, surtout dans un rapport de force disproportionné, comme enmars 2003. Comme l’écrit Cornelius Castoriadis dans un autre contexte, « on aboutità une représentation du régime comme quelque chose d’à la fois très dur et très fragile[…] à l’image du verre […] il s’agit de quelque chose d’extrêmement dur, rigide, tran-chant et qui pourrait craquer brutalement à tout instant » 3. Mais l’autoritarisme fonc-tionne aussi selon un binôme « weak state, weak society ». Le chaos, à l’issue del’effondrement du régime irakien, est aussi le produit de la dégénérescence particuliè-rement avancée du système irakien, soumis à une dizaine d’années d’embargo et à ladéstructuration d’une société soumise à des dizaines d’années d’autoritarisme. Lesidéologues néo-conservateurs conseillés par leurs affidés opposants irakiens (le« Michigan bunch », comme les surnommait le général Jay Garner, premier adminis-trateur civil américain), qui pensaient, à l’issue de la « libération de l’Irak », trouverun État irakien et une société civile, ne rencontrent que l’anarchie et le pillage. Lechaos ne permet pas le surgissement de la démocratie, même si les populations sontsatisfaites d’être débarrassées de Saddam Hussein. Les allégeances micro-communau-taires tribales, ethniques ou religieuses qui ont permis la survie de la société persistent.D’une part, les acteurs raisonnent politiquement en fonction des réalités passées dansun jeu à somme nulle et non en vertu d’une société politique à constituer : les Chi’ites,en fonction du pouvoir qu’ils n’ont jamais eu et que leur majorité numérique, ainsi queleur organisation politique leur permet d’envisager ; les Sunnites, en fonction du pou-voir qu’ils ont perdu ; les Kurdes, en fonction de celui qu’ils ont gagné depuis la quasi-

1. Ces dimensions institutionnelles limitées semblent exclure la répétition de scénariossoudanais ou pakistanais. Dans ces deux cas, les mouvements islamistes ont recruté des cadresau sein de l’armée, préparant ainsi leur montée au pouvoir.

2. E. Bellin, « The Robustness of Authoritarianism in the Middle East », ComparativePolitics, 36 (1), janvier 2004, p. 139-157. Cf. le constat antérieur de Guy Hermet, Les désen-chantements de la liberté, Paris, Fayard, 1993.

3. C. Castoriadis, « Le plus dur et le plus fragile des régimes » (Entretien), Esprit, mars1982, p. 140-146.

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autonomie du Kurdistan, protégé par une zone d’exclusion aérienne nord et qu’ilsentendent conserver. Toute reconstruction institutionnelle est alors difficile. D’autrepart, les rapports au sein de la société irakienne sont marqués par l’empreinte autori-taire et nombre d’éléments utilisés par Saddam Hussein pour perdurer au pouvoir(usage des tribus, mentalité rentière, dépendance vis-à-vis de l’État et de ses redistri-butions, absence de groupes intermédiaires) sont reproduits par l’administrateur amé-ricain Paul Bremer et ses affidés irakiens revenus de l’extérieur. La tâche de recons-truction de l’Irak (nation-building), sans parler des prétentions à l’édification d’unsystème démocratique, s’avère donc complexe. Le vertueux discours néo-conserva-teur américain, en vogue au Pentagone, montre alors ses limites 1.

Philippe Droz-Vincent est maître de conférences en science politique. Il estl’auteur de « L’après-11 septembre. Où va la politique étrangère américaine ? :Afghanistan, Proche-Orient et Irak », Esprit, mai 2002, p. 46-68 ; « La politique étran-gère américaine et le Moyen-Orient », Esprit, numéro spécial, août-septembre 2002,p. 49-71 ; « Syrie : succession, dérive dynastique et perpétuation d’un régime », dansR. Leveau, A. Hammoudi (dir), Monarchies arabes. Transitions et dérives dynas-tiques, Paris, La Documentation Française, 2002, p. 180-215 ; « Les dirigeants desrégimes arabes face à l’intervention américaine en Irak », Politique étrangère, 3-4,2003, p. 105-120 ; « Syrie, les dilemmes d’un autoritarisme entre réformes internes etpressions américaines », Afrique du Nord, Moyen-Orient, Paris, La DocumentationFrançaise, 2004, p. 95-115, et de l’ouvrage Syrie/Jordanie. Pouvoirs autoritaires etsociétés bloquées, Paris, PUF, 2004. Ses recherches portent sur les recompositions del’autoritarisme dans le monde arabe et les évolutions de la politique étrangère améri-caine au Moyen-Orient.

RÉSUMÉ/ABSTRACT

QUEL AVENIR POUR L’AUTORITARISME DANS LE MONDE ARABE ?

La persistance de l’autoritarisme dans le monde arabe constitue une énigme. Ce trait spécifiquedes régimes politiques, déjà repéré dans les années 1990 avec le modèle des démocraties sansdémocrates, est aujourd’hui revenu en première ligne, à l’heure où l’administration Bush per-çoit l’autoritarisme des régimes arabes comme la cause des menaces émanant du Moyen-Orientet où la reconstruction de l’Irak après le renversement de Saddam Hussein rencontre des diffi-cultés abyssales. L’objet de cet article est de mieux comprendre l’autoritarisme : son cœur etses propriétés politiques, ses fragilités et ses capacités de renouvellement, les impasses sur les-quelles il débouche, mais aussi son empreinte durable sur les sociétés.

THE FUTURE OF AUTHORITARIANISM IN THE MIDDLE EAST

The resilience of authoritarianism in the Middle East remains an enigma. This special featureof Middle Eastern regimes was first noted in the 1990’s in studies describing democracieswithout democrats. It is nowadays at the forefront of international concerns at a time when the

1. Je remercie vivement pour leurs relectures et leurs conseils sur une version intermé-diaire de ce travail, Gilles Kepel, Jean Leca, Rémy Leveau et Élizabeth Picard, ainsi que, pourses réactions, Guy Hermet.

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Page 36: QUEL AVENIR POUR L'AUTORITARISME DANS LE MONDE ARABE · tique englobante, de mobilisation politique intensive ou de limites claires au pouvoir du dirigeant), il est important de le

Quel avenir pour l’autoritarisme dans le monde arabe ?

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Bush administration takes the authoritarian nature of the Arab regimes as the cause of potentialthreats against the United States and at a time when nation-building in Iraq encounters impor-tant difficulties. The aim of this article is to investigate the nature of authoritarianism: its defi-ning core and its political features, its weaknesses and the conditions that foster robust andtenacious authoritarianism, the paths leading to the dead-end situation in which authoritarianregimes put their societies and the strong imprint of their resilience on these societies.

RFSP54-6-945 à 979 Page 979 Lundi, 17. octobre 2005 6:24 18

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