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PAPERS 1 Le rêve comme interprétation de l'inconscient (Français) Comité d’Action de l’École Une 2018-2020 Lucíola Macêdo (EBP) Valeria Sommer-Dupont (ECF) Laura Canedo (ELP) Manuel Zlotnik (EOL) María Cristina Aguirre (NLS) Paola Bolgiani (SLP) Coordinatrice: Clara María Holguín (NEL) Équipe de traduction Coordinatrice: Valeria Sommer-Dupont Responsable Traduction: Silvana Belmudes Responsable Révision de traduction: Melina Cothros Édition - Réalisation graphique Secrétariat: Eugenia Serrano / Associés: Daniela Teggi y M. Eugenia Cora

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PAPERS 1 Le rêve comme interprétation de l'inconscient (Français)

Comité d’Action de l’École Une 2018-2020 Lucíola Macêdo (EBP) Valeria Sommer-Dupont (ECF) Laura Canedo (ELP) Manuel Zlotnik (EOL) María Cristina Aguirre (NLS) Paola Bolgiani (SLP) Coordinatrice: Clara María Holguín (NEL)

Équipe de traduction Coordinatrice: Valeria Sommer-Dupont Responsable Traduction: Silvana Belmudes Responsable Révision de traduction: Melina Cothros

Édition - Réalisation graphique Secrétariat: Eugenia Serrano / Associés: Daniela Teggi y M. Eugenia Cora

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PAPERS 1

SOMMAIRE

ÉDITORIAL, Manuel Zlotnik 03

1- Jorge ASSEF / Le rêve et son interprétation dans la direction de

la cure aujourd'hui -EOL 06

2- Carolina KORETSKY / L’interprétation du rêve : du sens à la faille - ECF 10

3- Amanda GOYA / Conclure - ELP 14

4- Laura RUBIÃO / Le rêve et les limites de l'interprétation - EBP 19

5- Cyrus SAINT AMAND POLIAKOFF / - Le rêve brûle- NLS 23

6- Fernando GOMEZ SMITH / Une pragmatique du rêve- NEL 27

7- Silvano POSILLIPO / Le rêve et les littoraux de l’Une-Bévue - SLP 31

Irene KUPERWAJS (A.E.) Un rêve qui montre le réel 36

Paola FRANCESCONI (A.M.E.) “De l’Autre scène à l’Une scène” 38

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Éditorial

Manuel ZLOTNIK

Le rêve nous montre que l'inconscient, par son infatigable travail de chiffrage, interprète. Lacan nomme cela interprétation sauvage. Ce Papers n°1 examine la thématique du rêve en tant qu’interprétation de l'inconscient. Avant Lacan, le rêve était envisagé comme une formation brute de l'inconscient et l'analyste avait pour tâche de l'interpréter, le déchiffrer et lui donner un sens.

Que l’inconscient soit déjà interprété dès avant la lecture de l’analyste est aujourd’hui un fait irréfutable. Par conséquent, la question à laquelle nous devons penser et que nous tentons de résoudre est : que fait l'analyste face à cela ? Quel chemin peut-il prendre si l'inconscient l'a devancé ?

Les travaux qui font suite à cet éditorial tentent non seulement d’élucider ce carrefour mais apportent également des précisions quant à la notion du rêve comme interprétation de l'inconscient.

Pour commencer, vous allez découvrir le travail de Jorge Assef qui présente avec beaucoup de clarté les bases de cette problématique : d'une part, l'interprétation freudienne à proprement parler, et l'interprétation de l'inconscient ; puis, l'ombilic du rêve comme obstacle auquel elles se heurtent ; et, enfin, l'interprétation proprement lacanienne comme alternative à cette impasse. Il avance ainsi vers la notion de l'usage du rêve comme ce qui permet à l'analysant d’aller au-delà du point d'angoisse du cauchemar, pointant un autre type de réveil.

Nous avons ensuite le travail de Carolina Koretzky qui situe dans l’œuvre de Lacan le moment où il introduit la notion du rêve comme interprétation de l'inconscient, interprétation sauvage, à rebours de l'interprétation raisonnée de l'analyste qui vise le réveil. Elle apporte un exemple clinique précieux de l'usage du rêve.

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PAPERS 1 / Éditorial

En poursuivant ce parcours, vous trouverez la contribution d'Amanda Goya, centrée sur la question du statut des rêves conclusifs de fin d’analyse précédant une demande de passe. Un travail très intéressant qui reprend la fameuse opposition entre inconscient transférentiel et inconscient réel et qui propose un nouage entre les deux, dans ces rêves qui constituent des évènements culminants de la fin d'une cure.

En milieu de ce Papers, Laura Rubiao présente un travail très précis sur le réveil chez Freud. Elle propose une hypothèse : le réveil est produit lorsque la capacité de l’inconscient à représenter atteint sa limite – l'Unerkannt –, et elle nous invite à penser, depuis cette perspective, la lecture que Lacan fait du rêve de l'injection faite à Irma, à partir de la suspension absolue du sens.

Ensuite, Cyrus Saint Amand Poliakoff développe d'une manière très incisive et poétique la paire continuité-discontinuité entre rêve et réveil. Il nous propose ici de considérer que les polarités : inconscient transférentiel et inconscient réel, vérité et évènement, sont liées par le nœud du rêve.

Puis, Fernando Gómez Smith fait, dans sa contribution, une proposition radicale : situant l'interprétation du rêve du côté de l'inconscient et le réveil du côté de l'analyste, il établit une intéressante dichotomie entre le sujet supposé savoir et le sujet supposé manœuvrer.

Nous terminons la série avec le travail de Silvano Posillipo qui précise très bien l'interprétation de l'analyste par rapport au rêve. Il propose de la concevoir comme l'introduction de l'acte dans la retraduction du texte du rêve. Il convient de se pencher sur la fin de son texte pour saisir comment il développe cette idée.

Comme bonus track de cette édition de PAPERS, nous avons deux contributions d'Irene Kuperwajs, AE, et de Paola Francesconi, AME.

À partir d'un rêve marquant l'entrée dans sa dernière analyse et qui la conduira à la passe, I. Kuperwajs nous montre le traumatisme

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PAPERS 1 / Éditorial

inaugural de la frappe de lalangue sur le corps, proposant une très belle illustration clinique de l'usage de l'imaginaire dans le tout dernier enseignement de Lacan.

Et, P. Francesconi nous montre avec une grande précision que lorsque nous rêvons que nous sommes en train de rêver, en réalité, la scène ne se redouble pas, mais elle se réduit plutôt à un indice de réel.

Ceci n'est qu'un modeste avant-goût de ce magnifique Papers que vous allez lire. Bonne lecture !

Traduction : Melina Cothros

Révision : Dominique Corpelet

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Le rêve et son interprétation dans la direction de la cure aujourd'hui

Jorge ASSEF - EOL La traduction exacte de Die Traumdeutung est « L'interprétation du rêve » qui permet l'équivoque entre : 1) Interpréter les rêves, se référant à la puissance symbolique et imaginaire des formations de l'inconscient, 2) Le rêve interprète, qui se réfère à l'expérience du réel.

C'est ainsi qu'avec l'équivoque incluse, la psychanalyse est née en 1900.

Interpréter les rêves

Si Freud a élevé le rêve au rang de voie royale d'accès à l'inconscient, c'est parce qu'il répond aux lois du langage avec la métaphore qui favorise un effet de capiton qui reprend et modifie les précédentes, et la métonymie qui introduit la voie allusive ou le mi-dire.

La communion entre le champ imaginaire-symbolique et le rêve comme formation de l'inconscient, résultat d'un travail d'articulation signifiante, c'est ce que nous appelons, avec Lacan, l'inconscient transférentiel. Le modèle classique d'interprétation des rêves que Freud nous a enseigné suit ce chemin, en produisant un sens autour de la souffrance du symptôme, des conséquences de l'histoire, des marques du roman familial, etc.

Néanmoins, Freud reconnut que sur le terrain onirique, il y avait aussi une limite au symbolique qu’il désigna comme « l’ombilic du rêve » : « l'inconscient est à proprement parler le psychique réel ». 1

Freud S., L'interprétation du rêve, Paris, Seuil, 2010, p. 655.1

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PAPERS 1 / Le rêve et son interprétation dans la direction de la cure aujourd'hui

Le rêve interprète

Pour Lacan, l’ombilic du rêve, en plus d'être un trou de sens, est une cicatrice qui fait un nœud dans le corps mais qui ne peut se dire parce qu'il est à la base du langage : « Dans le champ de la parole il y a quelque chose qui est impossible à reconnaître. De sorte que le Un a là une autre valeur [...] désigne à proprement parler l'impossibilité, la limite ». Le « Un » auquel se réfère Lacan est ce S1 2

isolé qui de manière contingente frappa le corps « […] qui initia, qui se répètera, qui itérera à la recherche d’une articulation. » 3

Dans tous les cas, la notion d’ « ombilic » implique que le rêve lui-même porte la marque des limites des registres symbolique et imaginaire, et devient souvent l'interprète de cette expérience, parvenant ainsi à saisir un effet du réel. C'est là que l’association libre échoue parce que le sens s'échappe. Cependant, ce type de rêve permet de penser au modèle d'interprétation proprement lacanienne, celle qui isole un S1 perturbant l'articulation signifiante.

Usage du rêve et son interprétation dans la direction de la cure aujourd'hui

On en revient à l'équivoque.

D'une part, le syntagme « l’usage du rêve et son interprétation » nous amène à la première voie que nous situons comme le champ de l'inconscient transférentiel, où l'interprétation des rêves consiste à déchiffrer et à chiffrer encore.

Cet aspect est nécessaire, encore aujourd'hui, dans notre clinique. Il sert à promouvoir la confiance dans le sujet supposé savoir et permet d'installer le dispositif, puisque croire à l'inconscient par le transfert est une première condition pour tout traitement possible.

Lacan J., « L'ombilic du rêve est un trou. Jacques Lacan répond à une question de Marcel 2

Ritter», La Cause du désir, n° 102, Paris, juin 2019, p. 37.

Serra Fediani, M., « Un rêve est un réveil qui commence », Quarto, n°123, novembre 2019, 3

p.93.

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PAPERS 1 / Le rêve et son interprétation dans la direction de la cure aujourd'hui

Aussi, tout au long d'une analyse l’interprétation type chiffrage-déchiffrage peut parfois scander une suite associative, ou encore ponctuer un laps de temps du parcours. Cependant, Miller précise que ce type d'interprétation des rêves « n'est pas la voie d'un vrai réveil pour le sujet ». 4

Or, avec la notion de réveil, nous approchons l'inconscient réel. C'est précisément l'autre sens du syntagme « l’usage du rêve et son interprétation » qui nous conduit aussi à ces rêves qui fonctionnent en réalisant dans quelle mesure une analyse implique une expérience du réel. Le cauchemar en est un exemple. À ce propos Miller soutient qu'une interprétation efficace agit comme un cauchemar : « un cauchemar (…) qu'on ne pourrait pas fuir », et souligne que le 5

progrès de la cure peut être repéré précisément par cet indice : quand le rêve parvient à se prolonger au-delà du point d'angoisse qui en était le point d’arrêt.

Il est clair que ce qui compte à ce stade, c'est une position analysante décidée, car pour que « le moment du réveil » produit 6

par une interprétation ne fonctionne pas défensivement comme dans le cauchemar, un choix subjectif est nécessaire, tel est le courage que Lacan attribue à Freud devant la gorge d'Irma . 7

Lorsqu'un effet de réel apparaît dans le rêve qui percute le sujet -sous les espèces de trace de l'objet a, de marque du trauma, ou encore de démantèlement d'une construction défensive − et qui parvient à dépasser le cauchemar en ouvrant une brèche vers ce reste ininterprétable appelé « l’ombilic du rêve », il est possible que le rêve lui-même écrive quelque chose de neuf, par exemple « un

Miller J.-A., « L’interprétation à l’envers », La Cause freudienne, n°32, Paris, 1996, p.12.4

Miller J.-A., « L’orientation lacanienne. La fuite du sens », enseignement prononcé dans le 5

cadre du département de psychanalyse de l’université Paris VIII, cours du 20 mars 1996, inédit.

Lacan J., Le Séminaire, livre XIV, « La logique du fantasme », leçon du 25 janvier 1967, 6

inédit.

Lacan J., Le Séminaire, livre II, Le moi dans la théorie de Freud et dans la technique de la 7

Psychanalyse. Paris, Seuil, 1978, p.186.

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PAPERS 1 / Le rêve et son interprétation dans la direction de la cure aujourd'hui

savoir-faire avec les signifiants de sa propre histoire facilité par la possibilité de jouer avec l'homophonie linguistique ». 8

Nous avons ici une liste tirée des témoignages de passe : Eidolon, Rhinocéros, Twingo, Niteroi, ZZZ. Tous, moyennant transfert, pourraient expliquer la proposition de Lacan : « […] le réel se spécifie aussi d’un Un, au sens d'un impossible. C'est ceci, il doit être démontrable, et toute l’expérience analytique ne fait que converger à le démontrer […] ». 9

Ces rêves sont révélateurs de l’usage que nous faisons du rêve actuellement dans la direction de la cure comme instrument de réveil et pourraient s’inscrire dans ce que dit Miller : dans l’une-10

bévue « Il [Lacan] en appelle à un signifiant nouveau, non pas simplement parce que ce serait un plus, mais parce qu’au lieu d’être contaminé par le sommeil, il déclencherait un réveil. ». 11

Que ce type de rêve apparaisse à la fin de l'analyse n'est pas fortuit, car comme le dit Lacan : « Toute une psychanalyse se déroule peut-être avant ce qui pourrait peut-être bien arriver, à savoir qu’on touche à un point de réveil », bien sûr ici, c’est l'érotique du temps 12

de chaque analysant qui se joue.

Traduction : Daniela Dighero

Révision : Alba Cifuentes

Merlet A., La passe encore (en-corps), Quarto n˚110, Bruxelles, 2015, p. 56.8

Lacan J., « L'ombilic du rêve est un trou…», op. cit, p. 39.9

Laurent É., Intervention à la Soirée de l’AMP, vers le Congrès XII de l’AMP. 28 janvier 2019, 10

Paris, inédit.

Miller J.-A., « En deçà de l’inconscient », La Cause Du Désir, vol. 91, n° 3, 2015, p. 11

97-126.

Lacan J., Mon enseignement, Paris, Seuil, 2005, p. 105.12

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L’interprétation du rêve : du sens à la faille

Carolina KORETZKY - ECF Dans le Séminaire D’un Autre à l’autre, Lacan reprend son « Compte rendu avec interpolation du Séminaire de l’Ethique » où il livre une 1

distinction précieuse au sujet de ce qu’on appelle « interpréter » un rêve : l’interprétation sauvage est celle livrée par l’inconscient et l’interprétation raisonnée, celle de l’analyste.

Pour Lacan l’analyste devait commencer par prendre acte d’un fait : qu’« il ne lui vient de l’inconscient par le rêve que le sens incohérent qu’il fabule pour habiller ce qu’il articule en manière de phrase ». Si 2

pour Freud l’essence du rêve réside dans le travail du rêve c’est parce que ce dernier produit une transformation langagière en image, ce qu’il appelle la prise en considération de la présentabilité . Ce 3

mécanisme du rêve consiste à rendre visible les pensées, c’est-à-dire, à transformer une pensée abstraite en une « langue imagée ». La 4

technique de découpage signifiant du récit permet éviter l’égarement par cet habillage imaginaire souvent farfelu. La logique du retour du refoulé conditionne l’interprétation car une fois cette phrase reconstituée, le désir inconscient, interdit et infantile peut s’énoncer.

Mais, Lacan poursuit : « ce qui lui vient par-là [du rêve] est déjà interprétation que l’on peut dire sauvage, et que l’interprétation raisonnée qu’il y substitue ne vaut mieux qu’à faire apparaître la faille que la phrase dénote . » Le rêve est donc une interprétation d’une 5

part parce que qu’il est un rébus, c’est-à-dire, une traduction imagée des termes signifiants, et d’autre part parce que sa formation abouti

Lacan J., « Compte rendu avec interpolation du Séminaire de l'Éthique », in Ornicar ? , 1

revue du Champ freudien, janvier 1984, n° 28, pp. 7-18.

Idem, p. 18.2

Freud S., L’Interprétation du rêve, Œuvres Complètes, t. IV, PUF, 2003, p. 384.3

Idem, p. 385.4

Lacan J., « Compte rendu avec interpolation du Séminaire de l'Éthique », op. cit,, p. 18.5

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PAPERS 1 / L’interprétation du rêve : du sens à la faille

dans la création d’un sens nouveau. Alors, s’il est déjà interprétation, que fait l’analyste en substituant cette interprétation dite sauvage par une autre, appelée raisonnée ? Si le rêve est interprétation sauvage – en tant qu’il crée un sens nouveau –, on peut déduire que l’interprétation dite raisonnée doit viser autre chose que la production du sens. Pour Lacan, à l’écoute du récit du rêve, la question de l’analyste n’est pas tant : qu’est-ce que ça veut dire ? mais : qu’est-ce que, à dire, ça veut ? 6

Dans cette dernière question, la recherche du sens du rêve est moins prédominante que la recherche du désir qui pousse à sa formation. Le déchiffrage vise le désir qui anime le dormeur en faisant ce rêve. Ce n’est pas le sens de la phrase principale d’un rêve mais la faille qui vient en premier plan : « Il ne s’agit dans cette interprétation raisonnée de rien d’autre qu’une phrase reconstituée, et d’apercevoir le point de faille où, en tant que phrase, et non pas du tout en tant que sens, elle laisse voir ce qui cloche. Et ce qui cloche c’est le désir ». C’est dans le défaut de signification que le désir est saisi. En 7

effet, si « Le désir du rêve n’est rien que le désir de prendre sens, (…) ce n’est pas la voie d’un vrai réveil pour le sujet. Freud a mis l’accent sur le fait que l’angoisse rompt le sommeil quand le rêve va déboucher sur le réel du désiré. C’est donc bien que le sujet ne se réveille que pour continuer à rêver ». 8

Etrange expression de Lacan : « le réel du désiré » ! Tentons de trouver ce qu’elle recèle à partir d’un exemple clinique de Serge Cottet. Le patient rêve d’une séance d’analyse épuisante au bout de laquelle son analyste lui dit : « Voulez-vous vous reposer ? Allez vous allonger ». Cottet rappelle la façon dont un psychanalyste soumis à l’orthodoxie freudienne aurait procédé face à un évident rêve de transfert : c’est une figuration par le contraire car le rêve montre un patient félicité par son analyste pour avoir beaucoup travaillé, quand en réalité, le travail analytique avance lentement par des séances où

Lacan J., Le Séminaire, livre XVI, D’un Autre à l’autre, Le Seuil, mars 2006, Paris, p. 198.6

Idem, p. 197.7

Lacan J., « Compte rendu avec interpolations du Séminaire de l’Ethique », op.cit., p. 18. 8

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PAPERS 1 / L’interprétation du rêve : du sens à la faille

prédomine anecdotes et bavardage. Pour l’analyste ce rêve dit le contraire de ce qu’il a réellement envie de lui dire, « réveillez-vous, vous ne vous fatiguez pas trop ». L’analyste intervient par une ponctuation qui reprend presque à la lettre la phrase centrale du rêve : « allongez-vous » et ajoute aussitôt « mais vous l’êtes déjà ! » Cette intervention que l’analyste ajoute au texte du rêve signale le point d’énonciation du sujet et montre la faille de la phrase du rêve. Si ce rêve « fait pléonasme avec l’expérience même » c’est en tant 9

qu’il figure une séance qui se redouble à l’infini. Le rêve illustre bien la thèse lacanienne selon laquelle « on ne se réveille que pour continuer à rêver » car le rêve lui-même contredit et élude l’impasse de la cure. Cottet propose de lire le rêve comme présentant deux séquences inversées dans le temps : ce n’est pas comme dans le rêve, une séance suivie d’une relaxation comme récompense mais une relaxation trop prolongée qui tend vers l’entrée en analyse. Cette interprétation inversée par rapport à l’interprétation faite par l’inconscient correspond à la position de jouissance du patient : suite à une période de laxisme sexuel, ce sujet a eu recours à une femme en place d’autorité venant le soulager d’un travail de défense pour différer au maximum sa jouissance, « il efface sa jouissance pour ne pas réveiller la colère de son maître ». 10

Voilà le « réel du désiré » : c’est la pulsion. Ce rêve est une ironie car il est tout à fait vrai qu’il travaille énormément, « il s’épuise à en dire le moins possible sur le fantasme qui le taraude. Les travaux forcés par le symptôme obsessionnel méritent bien récompense ». Si 11

l’interprétation proposée par l’analyste est orientée vers le réel, c’est parce qu’elle « arrache son interprétation au Nom-du-Père », c’est-12

à-dire, qu’elle vise à passer du transfert à la pulsion. L’inconscient interprète sauvagement : dans le rêve, il donne à l’analyste la place du père (interdicteur ou bienveillant) qu’il a toujours eu dans le

Cottet S., « Allongez-vous, rallongez-vous » in La Cause freudienne, Revue de 9

psychanalyse, n° 51, Navarin éditeur, 2002, p. 63.

Idem, p. 64.10

Idem.11

Idem., p. 65.12

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PAPERS 1 / L’interprétation du rêve : du sens à la faille

transfert, positionnant le sujet dans la vie dans un entre-deux, entre angoisse et culpabilité. Le signalement de la faille dans la phrase du rêve, « mais vous l’êtes déjà » n’ajoute pas un sens venant renforcer la place de l’analyste dans le transfert. Bien au contraire, cette interprétation raisonnée, permet au sujet la reconnaissance de la permission de jouir qu’il cherche à obtenir de l’Autre. Le réel de son symptôme, sa phobie du rapport sexuel, est masqué par cette permission attaché au Nom-du-Père qui se révèle finalement n’être qu’une fiction. Du transfert à la pulsion, d’un Autre à l’autre, ce passage a permis au patient de pouvoir s’adresser à la femme dans les mêmes termes de son énonciation : « allongez-vous ».

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Conclure Amanda GOYA - ELP

Quelle que soit la durée de la pratique de l'analyse, souligne Lacan dans Le moment de conclure, elle ne cesse pas d'être un exercice de charlatanisme qui ne manque pas de risques et qu’il faut prendre au sérieux, car ce qui y est dit implique des conséquences, la principale : attraper ce dans quoi on est captif, « l'inconscient c’est cela, ajoute-t-il : la face de réel de ce dont on est empêtré ». 1

Comment savoir quand se termine une analyse?

Dans beaucoup de témoignages d’AE nous constatons que la décision de mettre fin à l'analyse et de faire la demande de passe à l'École est généralement précédée, voire précipitée, par certains rêves, de ceux que nous appelons « conclusifs ».

De quelle étoffe sont fait ces rêves ? Quel est l’usage que le futur passant en fera ?

Suivant la direction suggérée par Jésus Santiago , le rêve peut se 2

conjuguer dans une dimension d'éternité, consubstantielle au sens, mode temporel propice à l'inconscient transférentiel qui fait appelle au déchiffrage. C’est une autre temporalité que réclame l'inconscient réel, ainsi qu'une autre manière de nommer la fonction qui relie le rêve à son ombilic, son reste non interprétable, et que, dans les textes d'orientation, on insiste à appeler : « usage du rêve », 3

« usage du réel qui est à la base de la formation du rêve », souligne 4

Jesus Santiago.

Lacan J., Le Séminaire, livre XXV, « Le moment de conclure », leçon du 10 janvier 1978, 1

Inédit.

Cf. Santiago J., Clínica del despertar imposible: sueño, eternidad y tiempo, Rebus 03, 2

Textes d’orientation, XIIe congrès de l’AMP, disponible sur internet.

Harari A., La différence absolue du rêve, Rebus 03, Ibid.3

Santiago J., « Clínica del despertar imposible: sueño, eternidad y tiempo », op. cit.4

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PAPERS 1 / Conclure

Le déchiffrement du rêve s'oppose-t-il à l’usage ? Pourrait-il masquer les possibilités de son usage, se demande l'auteur. Et il propose aux analystes lacaniens de faire usage du rêve depuis la médiation que le temps permet à partir de la fonction de la coupure. On comprend qu’il s’agit du temps logique, car où placerions-nous la coupure si elle n’était pas synchronisée avec le rythme propre au temps logique ?

De nombreux témoignages relatent, à la fin de la cure, un événement culminant où se nouent simultanément l'inconscient transférentiel et l’inconscient réel, à travers un rêve qui interprète le désir de passe, et, dans le même temps, se propage la force pulsionnelle qui pousse le parlêtre vers la porte de sortie : conclure et demander la passe.

Voici deux illustrations, deux témoignages de passe : celui de la Française, Aurélie Pfauwadel, et celui de l’Italien, Domenico Cosenza, que j’ai eu la chance d’entendre dans notre école, à Madrid.

Elle, dont la blessure originelle était constituée par l'abandon d'un père coureur de jupons, avait trouvé la boussole de son désir dans l'aliénation à l'Autre femme à qui elle supposait le savoir. Elle obtient une nomination : « la passion de l’a-pproche » à partir d'un rêve 5

qu'elle fait vers la fin. Une nomination qui n'est pas étrangère à sa façon de nommer sa passion hystérique : « S’a-pprocher de l’objet du père ». 6

Deux rêves conclusifs précipitent la fin ; dans l'un, la visite de la pulpeuse Scarlett Johansson qui soudain se transforme en une de ses patientes. L'analyste lui dit : « Je n'ouvre pas les yeux, mais je vous écoute. Continuez ». Elle conclut : « Le savoir y faire acquis vis-à-7

vis du regard me permet d’occuper la place de l'analyste. Le mirage éblouissant de l'Autre femme, aussi glamour soit-il, ne fait plus obstacle à l'écoute. Cette star qu'est Scarlett renvoie aussi à

Pfauwadel A., « La passion de l’a-pproche », La Cause du Désir n°98, Navarin, 2018, p.5

160-164.

Pfauwadel A., Ibid., p. 163.6

Pfauwadel A., Ibid., p. 163.7

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PAPERS 1 / Conclure

l'analyste, dont le nom signifie « étoile » et qu'elle avait choisie à 8

l’instant de voir le tourbillon de son corps dansant un tango.

L'acte final a lieu lorsqu'un rêve met en évidence une phrase adressée à l'analyste : « Je ne suis pas d'accord avec vous ! Les signifiants a-corps et désaccord, produits à l’exact croisement de mon accroche au corps de l'Autre et de mon agrafe au savoir de l'Autre, furent les dernières pépites de l'inconscient dont je me servis pour me séparer d’elle ». Lumineuse métaphore des « pépites de 9

l'inconscient » et de la double fonction des rêves conclusifs : interpréter le désir de passe, et propulser l'acte de passer par le dispositif.

Lui, dont la névrose tournait autour d'une mission fantasmatique à lui couper le souffle : sauver l'Autre de sa chute, soutenue par un asthme précoce précipite la fin de sa dernière analyse à partir d'une rencontre avec la voix de l'analyste qui était finalement dépouillée de sa valeur de demande . 10

Mais ce sont deux rêves qui scandent la fin : le premier se situe « la nuit suivant le tremblement de terre qui eut lieu en Italie centrale. […] La terre tremble, moi, je tombe ». Le rêve lui révèle ainsi qu'il 11

ne tombe pas parce qu'il est « maladroit », selon l’interprétation donnée par un pédiatre aux chutes répétées de son enfance. « C'est un réel sans loi qui s'ouvrait et commençait à trembler, provoquant mes chutes ». Le deuxième rêve concerne l'analyste, c'est le 12

dernier, la fin de l'analyse : « Je suis chez l'analyste, je lui indique que j'ai pris la décision de conclure. Il me dit au revoir avec un air affable. J’entre dans le métro et je le rencontre, mais il se transforme en une femme, une patiente de sa salle d'attente, une patiente

Ibid.8

Ibid., p. 164.9

Cosenza D., « La chute dans une analyse », La Cause du Désir, n°98, Navarin, 2018, pp. 10

165-170.

Ibid., p. 169.11

Cf. Cosenza D., « Otro respire », El Psicoanálisis 32, abril 2018, Barcelona, p. 261 y ss.12

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PAPERS 1 / Conclure

quelconque. Je cherche à m'approcher de lui pour lui parler, mais il n'y a aucune communication ». 13

Un lien mystérieux relie ce dernier rêve de désinvestissement transférentiel avec une révélation qui se dévoile lors des dernières séances, fournissant la clé secrète du cas. Il rend visite à l'analyste pour ajouter quelque chose qui restait à dire, et qui lui était venu par surprise après avoir quitté la consultation.

Il s’agit d’un événement traumatique arrivé avant sa naissance : la chute de sa mère alors qu'elle était enceinte de son premier enfant, avec pour conséquence la perte de ce premier enfant « qui aurait porté, par tradition familiale, mon prénom. Ce prénom est celui de mon grand-père paternel . » « Soudain me devint clair, comme si 14

c’était une révélation, ce qui soutenait ma pénible exigence fantasmatique d’éviter coûte que coûte la chute de l’Autre ». « Je 15

dois sauver l'Autre, car si l'Autre tombe, l'enfant meurt. […] Cette scène a été écrite dans le réel de l'inconscient, laissant une trace indélébile dans mon destin pulsionnel. […] Cette scène avait toujours été là, mais je ne la voyais pas, comme la lettre volée de Lacan, elle était depuis toujours devant mes yeux, mais je ne pouvais pas la lire ». « Il y allait de la vie du petit garçon, la vie de ce frère qui 16

n’était jamais né, auquel je découvrais subitement, non sans un certain frisson, que je m’étais identifié ». « S’ouvre ainsi mon 17

chemin vers la passe ». 18

Un chemin que chaque passant parcourt pendant un certain temps, animé d'un désir de transmettre, comme le souligne Lacan dans Le moment de conclure : « ce dont on est captif », selon ses mots. 19

Cosenza D., « La chute dans une analyse », op. cit., p. 170.13

Cosenza D., Ibid.14

Cosenza D., Ibid.15

Cf. Cosenza D., “Otro respiro”, El Psicoanálisis 32, abril 2018, Barcelona, p. 261 y ss.16

Cosenza D., op. cit., p. 170.17

Cf. Cosenza D., « Otro respire », op. cit.18

Lacan J., Le séminaire XXV « Le moment de conclure », leçon du 10 janvier 1978, op.cit.19

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PAPERS 1 / Conclure

Cette élucidation pourrait-elle contrecarrer la pente généralisée vers la somnolence dont nous, psychanalystes lacaniens, ne sommes pas exempts ?

Traduction : Alba Cifuentes Suarez

Révision : Pablo Reyes

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Le rêve et les limites de l'interprétation Laura RUBIÃO - EBP

L'hypothèse selon laquelle les rêves auraient la même structure que le symptôme névrotique, inaugure un champ d'investigation clinique fertile pour le jeune Freud, occupé par l'affirmation de la psychanalyse dans l'environnement scientifique de son temps. Le contenu manifeste des rêves préservait, sous une façade d'incongruité et d'inintelligibilité, un appel au sens de l’inconscient.

Freud définit précisément sa méthode en la distinguant d'un symbolisme extatique basé sur la capture d'un contenu sémantique universel ou la révélation d'un sens prédéterminé.

La publication de L’Interprétation des rêves est précédée d'un exercice d'interprétation de nombreux rêves biographiques, produits de l'angoisse de Freud lui-même, et des énonciations de ses patients. Il conclut rapidement que le rêve n'est rien d'autre que le récit du rêve, indissociable des conditions (matérielles) de sa représentabilité. Il suffit simplement de suivre l'analyse minutieuse des rêves contenus dans ce livre pour vérifier l'importance textuelle des mots et la façon dont Freud travaille rigoureusement sous les auspices de l'instance de la lettre. Lacan insiste sur le fait que le sens ne peut être recherché que comme un effet du sens auquel le rêveur est subordonné . 1

Un autre aspect crucial de l'analyse des rêves est que le désir étant indestructible, il n'y aurait pas de cible décisive pour le déchiffrement. Freud traite non seulement du succès de l'interprétation, mais aussi de ce à quoi il s'oppose sous forme de lacunes et de failles : élaboration et censure oniriques, facilitations et résistance. Chaque rêve, dit-il, contient en lui-même l'échec du désir de dormir – un effet

Cf. Lacan J., « La direction de la cure et les principes de son pouvoir », Écrits, Paris, Seuil, 1

1966, p. 593.

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PAPERS 1 / Le rêve et les limites de l'interprétation

de réveil généré par l'intensité des investissements des motions 2

pulsionnelles. Il avait déjà attiré l'attention sur le point où le rêve plonge dans l'inconnu , signalant une sorte de court-circuit ou un 3

arrêt radical du processus d’élaboration onirique.

À quelles conséquences cliniques cette rencontre prématurée avec la question de la limite de l’art interprétatif a-t-elle conduit ? Freud relie cette stagnation de l'activité onirique qui conduit souvent à un réveil, à la production de déplaisir résultant d'une augmentation de la tension intrapsychique. Les rêves d'angoisse sont dans ces cas les plus expressifs. Il est curieux de noter que les exemples recueillis par Freud suggèrent toujours une angoisse de la castration corrélée à 4

un désir de punition. De cette façon, ce qui est annoncé comme une coupure ou une expression de la limite de la possibilité de représenter est réintégré, par l’interprétation, à un scénario ou à un bord fantasmatique qui pourrait encore faire parler le sens refoulé. Si le rêve réveille, disons, l'interprétation fait dormir.

Comment Freud aurait-il pu utiliser la limite radicale de l’interprétation que lui-même aperçoit dans le travail du rêve ? L'a-t-il toujours assimilé au mur de la castration et à l'émergence d'une idée incompatible au sens du fantasme œdipien ?

Lacan a élevé le fameux passage de l’ombilic du rêve à la dignité d'un outil clinique crucial pour reconnaître l'émergence du réel qui surgit du tissu signifiant. Dans la notice du Séminaire XXIII, Miller souligne l'intérêt de Lacan pour le terme Unerkannt : « Lacan traduit l’Unerkannt par le “non-reconnu”. Il l’identifie à ce que Freud nomme l’Uverdrängt, le refoulé primordial ou originel […] où il voit “un nœud dans le dicible” comparable au trou dans la pulsion ». 5

Deux rêves célèbres interprétés par Freud et revisités par Lacan nous permettent d’entrevoir ce point opaque qui témoigne de la présence

Freud S., L’interprétation des rêves, Paris, PUF, 1996, p. 489.2

Ibid., p. 435.3

Cf. Freud S., L’interprétation des rêves, op. cit., p. 495-499.4

Miller J.-A., « Notice de fil en aiguille », Lacan J., Le Séminaire, livre XXIII, Le sinthome, 5

Paris, Seuil, 2005, p. 238-239.

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PAPERS 1 / Le rêve et les limites de l'interprétation

réelle de la jouissance et qui attend dans la cure, une possibilité de lecture.

Dans l'analyse du rêve de l’injection faite à Irma, Freud se confronte au carrefour de la solution hystérique (losüng) qui réfute à la fois l'existence d'une substance organique pathogène et l'élucidation du symptôme par la voie sémantique – avec laquelle, cependant, il n'arrête pas de rêver. Lacan déplace le centre des choses et nous propose de lire une série qui va de la bouche qui se ferme (esquivant le sens) au trou béant en passant par les bafouilles des « universitaires » bredouillant des choses insensées, jusqu'à l'apparition de la formule de la Triméthylamine, qui s'impose comme une pure figure de jouissance . 6

Mais c’est dans l’analyse du deuxième rêve de Dora que nous voyons plus clairement comment l’élément obscur et énigmatique échappe à Freud, qui préfère conserver sa position d’interprète du père, sans laisser la place à la question centrale de ce que veut une femme . 7

Dora reçoit une lettre de sa mère annonçant la mort de son père avec les mots suivants : « Maintenant il est mort, et si tu veux, tu peux venir. » Elle est perdue dans une ville inconnue, ne retrouve pas la 8

station et est prise par une angoisse d'immobilité. Elle arrive et tout le monde était déjà dans le cimetière. Ensuite, elle monte dans la chambre et va lire un livre. Dora ne va pas vers son père, elle s'arrête devant un écrit et dans ses associations, se rappelle à quel point elle avait été ravie devant l'image de la Madone. Qu'est-ce qu'elle veut vraiment ? Lacan nous invite à nouveau à lire le rêve à partir de ses trous et souligne combien Dora est captivée par le Mystère de la féminité . Tel qu’Irma, le féminin s'ouvre ici au point 9

du « non-reconnu », de suspension radicale du sens.

Cf. Lacan J., Le Séminaire, livre II, Le moi dans la théorie de Freud et dans la technique de 6

la psychanalyse, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 1978, p. 177-210.

Cf. Miller J.-A., « Sur le déclenchement de la sortie d’analyse (conjonctures 7

freudiennes) », La Lettre Mensuelle, n°118, p. 26-30 et n°119, Paris, 1993, p. 31-40.

Freud S., Cinq Psychanalyses, Paris, PUF, 1954, p. 70.8

Lacan J., « Intervention sur le transfert », Écrits, Paris, Seuil, 1966, p. 220.9

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PAPERS 1 / Le rêve et les limites de l'interprétation

Il est vrai que ces deux rêves datent des débuts de la psychanalyse et que Freud, dans Au-delà du principe de plaisir, souligne l'étrange présence de la pulsion de mort dans les rêves de traumatisés de guerre, donnant tout un poids théorique et clinique à la question de l'élément ininterprétable qui là, se présente. Les théories du traumatisme et de la compulsion de répétition mettent en évidence la présence de ce « nœud dans le dicible », principal vecteur de la formulation tardive de Lacan sur l'Inconscient Réel.

Traduction Ana de Melo

Révision Ana Cadar

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Le rêve brûle Cyrus SAINT AMAND POLIAKOFF - NLS

Par son retour à Freud, Lacan interprète Freud. En tant qu'interprétation lacanienne, sa lecture de la théorie du rêve marque les moments précis où les constructions freudiennes de la psychanalyse s’interprètent elles-mêmes déjà. Le rêve freudien de l’interprétation au service du sens est devenu le cauchemar freudien. Freud indexe l’Interprétation du rêve avec le rêve de l’enfant qui brûle. Pourquoi s’attache-t-il donc à ce cauchemar pour en faire un paradigme dans le chapitre VII de son livre sur le rêve ?

Père, ne vois-tu pas que je brûle ?

Rêve raconté à Freud, rêve lui-même emprunté à un autre rêve, rêve re-rêvé par son patient. Le rêve de l’inconscient au service du Nom-du-Père est en train de brûler. Il a brûlé pour Freud et ce dernier n’a pas pu détourner son regard. Le rêve structuré par le désir se consumait déjà d’un feu incandescent, le cauchemar de la rencontre avec le réel de la pulsion.

Avec l'appui du Séminaire XI et des formulations de Jacques-Alain 1

Miller, la thèse freudienne sur le rêve de 1900 dément le vecteur de l’inconscient réel alors même que Freud s’emploie à ériger ce qu’aujourd’hui nous comprenons comme l’inconscient transférentiel. La logique du rêve de Freud, réitérative et paradoxale, trébuche sur le nœud découvert dans la relation entre deux signifiants: endormi et réveillé. Le rêve lui-même est le nouage de l’inconscient en tant que transférentiel et de « l’inconscient, soit réel » 2

Cf. Lacan J., Le Séminaire, livre XI, Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse, 1

texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, coll. Champ Freudien, 1973.

Lacan J., « Préface de l'édition anglaise du Séminaire XI », Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, 2

p. 571.

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PAPERS 1 / Le rêve brûle

Dans le chapitre vii de l’Interprétation des rêves, Freud fait référence à Aristote, qui énonça que le rêve est comme « la pensée continuée jusque dans l‘état de sommeil. » Cette pensée mise à part, si on 3

isole continuée, les formations de l’inconscient, quand on est réveillé et quand on dort, établissent une continuité. En interprétant, l’inconscient persiste, fredonnant de mot en mot dans la chaîne d’associations que Freud utilisa, pointant la production du sens mise en jeu dans le fonctionnement psychique du rêve et du réveil. Ici, la continuité suit la logique du fantasme qui trouve consistance à travers le rêve et la vie, réveillée et endormie. C’est la formule « la vie est un songe », que Lacan a interrogée. 4

Cependant, les rêves d'angoisse continuent d'éveiller la curiosité de Freud. L’aspect traumatique du rêve expose la fonction de discontinuité. Il est ici possible de situer l’autre côté de l’interprétation des rêves, le vecteur qui s’oppose au sens. En psychanalyse l’opération de coupure produit une discontinuité dans la production du sens dans la chaîne signifiante, pour introduire donc un point de rupture dans notre rêverie quotidienne. Suivant l’axe de l’inconscient réel, lorsque nous rêvons, nous pouvons produire une coupure. Dans la théorie du rêve de Freud, le moment du réveil, trop proche du réel pour le confort de l’être-endormi, produit une interruption momentanée à la jonction entre le rêve endormi et le rêve éveillé. L’angoisse du réveil coupe le rêve, nous pouvons donc, après une brève rencontre avec le réel de la pulsion, continuer à dormir dans la vie éveillée. Ainsi nous poursuivons de bulle en bulle, de rêve en rêverie, comme une chaîne de perles de signifiants, pas sans reprendre notre souffle entre chaque épisode sémantique.

Nous pouvons isoler les deux vecteurs de l’inconscient comme interprétation, dans les métaphores que Freud utilise dans l’Interprétation du rêve. Du côté de l’inconscient transférentiel, Freud décrit le rêve comme un champignon surgissant de son mycélium dans le réseau des signifiants, le rêve est comme le fungi de l’ordre

Freud S., L’Interprétation du rêve, Paris, Seuil, 2010, p. 593.3

Lacan J., Le Séminaire, livre XI. op. cit, p. 53.4

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PAPERS 1 / Le rêve brûle

symbolique . Plus tard, Freud projette le rêve comme un feu 5

d’artifice, « on l'a installé pendant des heures et on l'allume en un instant. » Le rêve a cette qualité de faire éruption. Le rêve rutile 6

comme une réaction chimique qui s'accélère, le matériel signifiant refoulé brûlant l’atmosphère de l’imaginaire. Le rêve apparaît comme l’évènement perceptuel qui demande à être compris, qui demande aussi à demeurer silencieux. En lisant le chapitre vii de l’Interprétation du rêve à partir de notre orientation lacanienne, le rêve acquiert la qualité d’un évènement. C’est une rencontre où le parlêtre étend la dimension du sens. Interpréter un rêve stimule la production du sens autour de cette éruption énigmatique. De même, l’analyste peut réorienter le rêve sur sa propre fonction de perforation. Orienté par l’inconscient réel, le rêve est un évènement du parlêtre, un évènement où le langage entre en collision avec le corps.

Le cours d’une analyse peut osciller entre la vérité et l’évènement, deux polarités qu’Éric Laurent a soulignées dans son texte d’orientation pour le Congrès 2020 de la NLS . Au sein du 7

développement de la théorie du rêve de Freud, les deux polarités surgissent au niveau du texte, non pas l’une avant l’autre, mais liées inextricablement par le nœud du rêve. Dans le Séminaire XI, Lacan jette le gant de son orientation en relisant le rêve de l’enfant qui brûle. Freud écrit que le père de l’enfant qui brûle désire prolonger sa vie. Lacan explique que le père fut réveillé par le feu aveuglant qui se déclencha devant l’impossibilité de voir la mort. Sans le noyau de l'expérience de la psychanalyse, le réel, la vie ne serait qu'un rêve. Le rêve se produit autour de la rencontre avec le réel, une rencontre qui nous échappe toujours. Lacan la salue comme un « rendez-vous ». 8

Pour autant que notre rendez-vous avec le signifiant de l’Autre articule l’inconscient transférentiel, nous rêvons pour l'analyse. En

Freud S., L’Interprétation du rêve, Paris, Seuil, 2010, p. 568.5

Ibid., p. 620.6

Cf. Laurent É, « L'interprétation: de la vérité à l'évènement », discours prononcé le 2 juin 7

2019 à Tel-Aviv, disponible sur internet.

Lacan J., Le Séminaire, livre XI, op. cit, p. 53.8

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PAPERS 1 / Le rêve brûle

rêvant nous ouvrons la voie royale, en y posant chaque pierre et en traversant ainsi le paysage du sens et de la signification.

Mais qu’en est-il de notre rendez-vous avec le réel que Lacan souligne dans le Séminaire XI ? Le moment du réveil est une tuché, une rencontre avec le réel qui est toujours manquée de justesse, un vacuum rencontré entre la bulle du rêve et la bulle de la vie. C’est le réel de la pulsion qui nous réveille, le noyau vide brûlant qui ne peut jamais être vu mais qui nous force sans cesse à regarder. Le rêve a la fonction de la bobine du Fort-Da, une représentation de la répétition animée par le traumatisme . L’inconscient comme interprétation, 9

chiffrant (Fort) et déchiffrant (Da), enveloppe un trou et le scelle pour le rêveur. Le rêve de l’enfant qui brûle évoque l’inconscient réel, le sommeil du symbolique est réveillé par l’alarme à incendie de cette rencontre impossible, l’espace entre le fantasme et le traumatisme du réel.

Traduction : Delphine Velut

Révision : Dominique Corpelet et Melina Cothros

Cf. Ibid, p. 60.9

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Une pragmatique du rêve Fernando Gómez Smith - NEL

Lacan, en nous proposant dans son tout dernier enseignement une 1

nouvelle version de l’inconscient, établit une clinique dans la perspective du sinthome.

Elle se distingue par un usage du rêve différent du déchiffrement, et elle est orientée vers une pratique de l’Un qui s’appuie sur la primauté de la jouissance du corps. « J.-A. Miller signale qu’il existe des rêves où peut advenir une jouissance qui ne soit pas prise dans la machine fictionnelle, interdictrice ; où la jouissance se présente comme événement de corps. ». On distingue alors entre ce qui dans 2

le rêve correspond au champ de la fiction œdipienne, et ce qui appartient au champ de lalangue, se rapportant à l’ombilic du rêve qui interprète le traumatisme inaugural.

Lacan dans le Séminaire X souligne que l’angoisse propre au cauchemar est vécue comme l’angoisse de la jouissance de l’Autre . 3

Palomera travaille cette affirmation et dit que: « […] le cauchemar met en jeu une jouissance obscure qui ne se présente pas en forme de langage : on ne peut rien en dire, elle est opaque, impensable et innommable ». 4

C’est la présentification du réel, l’ombilic du rêve qui soumet le parlêtre à une jouissance qu’il éprouve comme étrangère, mais qui est en réalité la sienne et qui est vécue comme telle à cause du

Cf. Miller J.-A., « L’orientation lacanienne, l’Un tout seul », enseignement prononcé dans le 1

cadre du département de psychanalyse de l’université Paris VIII, cours du 2 mars 2011, inédit.

Baudini S., Naparstek F., « Présentation du XIIe Congrès de l’AMP », Rébus 01, textes 2

d’orientation XIIe Congrès de l’AMP, disponible sur internet.

Cf. Lacan J., Le Séminaire, livre X, L’angoisse, texte établi par J.-A. Miller, Paris, 2004, 3

Seuil, coll. Champ Freudien, p. 76.

Palomera V., « Dormir no es tan fácil », Blog de l’École Lacanienne de Psychanalyse, mai 4

2013, disponible sur internet.

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PAPERS 1 / Une pragmatique du rêve

relâchement du nœud. Le cauchemar comme expérience massive d’angoisse représente la commotion qui montre que la jouissance est ressentie dans le corps. La jouissance bouscule l’image et permet de faire l’expérience de ce sursaut, de ce bond du corps qui réveille pour continuer à dormir.

Le réveil révèle que les marques du réel ne sont pas dans le réveil en soi, mais dans ce qui dans le rêve provoque le réveil. Il vise au ne rien vouloir savoir, pour oublier le réel rencontré dans le rêve et continuer à rêver, les yeux ouverts cette fois.

Si le nouage fonctionne, la jouissance qui se présente dans le rêve est modérée, mais quand le symbolique se desserre dans le nœud, comme remarque Hebe Tizio, on constate comme événement de corps la jouissance qui réveille en une double manœuvre : « […] elle active le sujet, et elle libère le corps de cette oppression en lui permettant de récupérer son activité onirique ». C’est le corps qui 5

réveille, c’est la recomposition d’une réalité en rétablissant la défense, en même temps que dans ce réveil se présentifie le réel.

La nouvelle la clinique

Du tout dernier enseignement se dégage une perspective pour la pratique, à partir de laquelle il est important de nous interroger sur la formation et la position de l’analyste dans l’expérience analytique. C’est l’analyste qui doit mettre en acte l’interprétation sauvage à partir d’une orientation qui est davantage de l’ordre de l’acte que de la parole.

Ce n’est pas la même chose que de s’orienter dans la perspective du fantasme et de le faire à partir du Yad’l’Un, surtout que ce changement à des conséquences sur l’écoute de l’analyste. Ce qu’on écoute maintenant d’entrée c’est ce qui itère, c’est cette jouissance singulière qui est hors sens et qui ne fait pas de lien.

Il s’agit d’une clinique où l’on relève l’usage d’une pragmatique dans laquelle le forçage vise à déstructurer le système symbolique pour

Tizio H., « El sueño es una pesadilla moderada », El Psicoanálisis 33, octobre 2018, 5

Barcelone, p. 63.

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PAPERS 1 / Une pragmatique du rêve

nous introduire à l’usage logique du sinthome. La clinique du sinthome propose une nouvelle discipline de l’interprétation: l’analyste cauchemar, l’analyste chirurgien . 6

Ainsi, dans son dernier enseignement, Lacan élabore avec le nœud une modalité de traitement de la disruption de la jouissance par l’Une bévue, comme dit Éric Laurent. « Il reformule pour cela les termes classiques des instruments de l’opération psychanalytique : l’Inconscient, le Transfert, l’Interprétation pour en proposer de nouveaux : le parlêtre, l’acte, la jaculation soumis à la logique du Yad’l’Un, jaculation centrale dans toutes les conséquences qu’à fait entendre J.-A. Miller. Cet ensemble de reprises définit le cadre théorique d’une pratique de la clinique des folies sous transfert et du traitement de la disruption de jouissance […] ». Une orientation donc 7

qui vise à saisir ce trait de l’une bévue.

Surgit ainsi une nouvelle conception de l’interprétation dans sa dimension de forçage. « Elle ne vise pas la concaténation ou la production d’une chaîne signifiante. Elle prend acte de la nouvelle visée du serrage du nœud autour de l’événement de corps et de l’inscription qui peut être notée (a) en un usage renouvelé […] ». 8

Un analyste, dans une fonction bien différente que celle de l’interprétation du sens, serait plutôt en position de savoir manœuvrer, savoir couper. La coupure de la séance est comme un réveil abrupt, comme si un bruyant réveille-matin nous arrachait au sommeil. Elle s'adresse plutôt qu’au contenu de l’inconscient, à sa modalité d’avènement : rupture, surprise, une irruption qui désigne un impossible à dire.

Sur cette voie, l’interprétation devient, plutôt que le fait d’un sujet supposé savoir, le fait d’un sujet supposé manœuvrer. Un manœuvrer où l’accent est mis sur l’usage, non sur le déchiffrement, non sur l’interprétation signifiante, mais sur le fait de serrer, constater,

Koretzky C., Le réveil : Une élucidation psychanalytique, PUR, Rennes, 2012, p. 232.6

Laurent É., « Disruption de la jouissance dans les folies sous transfert », Hebdo blog, 15 7

avril 2018.

Lacan J., Le Séminaire, Livre XXII, « R.S.I », leçon du 11 février 1975, inédit.8

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PAPERS 1 / Une pragmatique du rêve

vérifier, surprendre… le cauchemar. C’est une interprétation où le S1 est sur le compte de l’analyste, mais c’est l’analysant qui apporte le S2.

Une interprétation dont l’essence est « l’équivoque qui suppose un renvoi au c’est écrit, [qui] convoque le rapport très complexe entre parole et écriture ». C’est elle que Lacan a appelé l’interprétation 9

sauvage et que Miller a appelé l’interprétation comme réveil, celle qui a à avoir avec ce qui advient dans le cauchemar. C’est pourquoi Miller propose que « […] l’interprétation efficiente de l’analyste est un cauchemar ». 10

C’est une traversée du « Ça veut jouir au Ça ne veut rien dire, parce que l’inconscient masque le Ça par le biais de la parole ». 11

Traduction : Rosana Montani-Sedoud

Révision : Juan Luis Delmont

Laurent É., « L’interprétation: de la vérité à l’événement », Discours prononcé à Tel-Aviv le 9

2 de juin de 2019, disponible sur internet.

Miller J.-A., «Nous sommes tous ventriloques», Filum, décembre 1996, n° 8-9, p. 21-22.10

Ibíd. 11

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Le rêve et les littoraux de l’Une-Bévue Silvano POSILLIPO - SLP

Est-ce que nous rêvons sur le rêve ? […] dans L’interprétation des rêves, Freud ne fait pas mieux :

sur le rêve, par l’association libre, sur le rêve il rêve . 1

L’interprétation du rêve, comme caractéristique de la pratique du psychanalyste, est élevée à la dignité de paradigme clinique de l’existence fonctionnelle de l’Inconscient. Suivant le schéma de l’acte manqué, tel le cas du nom Signorelli , au-delà des fragments 2

littéraux qui se déplacent à la faveur du glissement d’un signifiant à l’autre, Freud atteint un point d’impasse transversal par rapport au jeu de la métonymie et de la métaphore. Il ne sait rien en dire d’autre que l’inquiétude dont il est pris en tant que sujet, au-delà du fantasme.

Dans le rêve de « la belle bouchère » le signifiant saumon évoqué 3

par la patiente de Freud est bien au-delà de la grille interprétative, du jeu des rôles sur le savoir de l’analyste. Un lecteur attentif note que ce savoir supposé dans le transfert, reste un obstacle insurmontable de l’interprétation : la véritable énigme de la jouissance pointée par le signifiant saumon est inatteignable.

Ainsi, d’une part nous repérons la valeur interprétative de l’inconscient dans son travail sur le signifiant -soit comme parole soit comme image- et d’autre part, comme le montre le tout dernier Lacan élucidé par J.-A. Miller, nous constatons une marge : le bord

Cf. Lacan J., Le Séminaire, livre XXV, « Le moment de conclure », leçon du 11 avril 1978, 1

inédit.

Freud S., L’interprétation des rêves (1899), Paris, Seuil, 2010, pp.186-192.2

Freud S., Psychologie de la vie quotidienne (1901), France, Petite bibliothèque Payot, 1981, 3

vol. 4, pp.5-12.

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PAPERS 1 / Le rêve et les littoraux de l’Une-Bévue

qui outrepasse l’Autre et qui laisse entendre la continuité logique entre l’inconscient interprète et l’inconscient réel.

Le réel, qui est condition du Symbolique, dans le rêve se noue à la trame. Son récit, dans l’interprétation au second degré, ne peut pas être ultérieurement sublimé.

Le réel dit dans son dire, mais il ne parle pas, il reste silencieux, ancré à la pulsion de mort . 4

Résistance est le signifiant freudien pour indiquer dans la tyché, le mode de la rencontre avec le réel : la barre entre le signifiant et la jouissance qui voudrait représenter son signifié (s’il y en avait un). Ce n’est pas seulement une récupération impossible, mais une écriture illisible, marque d’une ex-sistence hors de toute signification.

L’analyse n’est pas une sublimation réussie, mais plutôt un échec, dit Lacan, une « escroquerie », si on prétend faire de l’inconscient un 5

universel.

Il s’agit plutôt d’essayer de dire quelle est la place du réel en relation à l’Une-bévue, autre façon d’appeler l’inconscient réel , 6

bévue nécessaire au parlêtre pour s’introduire au lien avec l’Autre dans le rêve.

L’Un de la jouissance, l’Un-tout-seul, ne pourrait pas tenir dans le corps-Autre. Si le signifiant a une fonction mortifère sur le corps de jouissance, celui-ci est aussi la condition pour faire des lieux traumatiques le champ de l’érotisation, à savoir des répétitions toujours manquées sur la prise de l’objet, et pour que le sujet se croit dans la vérité.

L’amour en est un effet, un bon semblant-partenaire du savoir pour compléter le vide de l’impossible du rapport sexuel. Dans le transfert, les rêves qui donnent épaisseur, mesure, trame, situant le travail

Ibid, p. 15. [cours du 13/11/68]4

Cf. Lacan J., Le Séminaire, livre XXIV, « L’insu que sait de l’une-bévue s’aile à mourre », 5

leçon du 11 janvier.1977, inédit.

Op. cit., leçons du 16 novembre 1976 et du 14 décembre 1976.6

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PAPERS 1 / Le rêve et les littoraux de l’Une-Bévue

onirique dans le champ d’attraction du savoir, exercent la fonction de demande adressée au complément de sens de la scène, appareillée à la sémantique de l’Inconscient.

La clinique de l’hystérie oriente Freud vers ce qu’il définira comme le roc de la castration, point de butée au regard de la signification du manque ; pourtant il avait à disposition l’ombilic du rêve, index d’une fuite de sens dont la limite est S(Ⱥ) . 7

Dans le double revers de l’élaboration, on peut repérer comment l’interprétation du rêve est déjà en place dans la transformation onirique. Transformation, dit Lacan, qui est la véritable vertu de l’inconscient interprète, qui en tant qu’inconscient ne pense pas, ne calcule pas, ne désire pas, mais laisse entendre . Le chiffrage 8

entretient l’être parlant, par le déchiffrage, dans son rapport à l’Autre. Au chiffre de la jouissance, la métaphorisation du chiffrage.

Reste la lettre, rebut de la séparation opérée par le réel. Le Symbolique ne peut pas dire le Tout et l’Imaginaire véhicule une part hors de l’image que la lettre capture.

La lettre, dans La lettre volée de Poe , est hors de l’image, c’est dans 9

la scène que son pouvoir agit. La lettre féminise comme objet de séduction celui qui rêve sa possession, rêveur qui croit avoir la réalité sous contrôle ; réalité, qui utilise lalangue, avec les pièces détachées qui voltigent et retombent dans les lettres, dans les fragments étrangers à la trame, au récit du rêve : le signifiant cherche le littéral dans le littoral de lalangue.

Le travail onirique d'interprétation - construction de vérité et de mensonge - produit par métonymie le plus de jouir, avec le risque sensible, pour l'analysant, d’entraîner un gain de jouissance à travers l’interprétation de sens: ce serait le déchiffrage supposant un chiffre à atteindre ou à définir, c'est-à-dire, supposer que rêver soit réaliser

Cf. Bassols M., « L’interprétation comme malentendu », La Lettre mensuelle, n° 153, 7

novembre 1996, pp. 7-10.

Lacan J., Le Séminaire, livre XVI, « La logique du fantasme », inédit, leçon du 19 avril 1967.8

Lacan J., « Le Séminaire sur “La lettre volée“ » (1955), Écrits, Paris, Seuil, 1966, pp. 9

11-59.

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le désir censuré surmontant le refoulement.

Dans Radiophonie Lacan insiste sur le sens comme quelque chose qui se perd, qui se rencontre comme l’impossible à ne pouvoir que se perdre . 10

Où est le sujet dans le rêve ? Comme l’expérience le montre, il est souvent réduit au regard, l’objet et le sujet coïncident ; c’est la vertu majeure de l’inconscient interprète que de maintenir la bévue du réel. Je dis bévue du réel et non pas bévue sur le réel, pour souligner la participation du vide dans la construction onirique, c’est-à-dire, la cause que le travail onirique noue dans les trois dimensions toriques.

Le rêve tourne autour de ses dits, comme un analysant, pour pouvoir dire. La cause hors-sens et hors production du maître, met toutefois le Je au travail.

L’inconscient interprète est de ce fait une machine entropique et travaille à la solde du réel : le trou du rêve, dit Lacan, est ce qui reste de la cause après avoir mis en œuvre la recherche, le chiffrage, la production de sens nécessaire qui procurerait au dormeur la garantie de vivre en connexion avec sa propre jouissance.

Lacan, dans le Séminaire de L’Une-bévue, dit que le rêve, comme chaque formation de l’inconscient, est un faux qui aspire au vrai, il a valeur d’échange . Dans le discours analytique se produisent des S1 11

qui vont vers l’interprétation, dont l’effet de vérité est néanmoins toujours aléatoire, c’est pourquoi, quand on en comprend les effets, ce n’est pas analytique, comme le rappelle J.-A. Miller . 12

Si on peut affirmer que le sujet est confronté à sa propre division subjective, nous pouvons également sortir de l’ontologie de la révélation, de la croyance à la bonne foi freudienne de l’inconscient, comme le propose J.-A. Miller.

Cf. Laurent E., « Interprétation et vérité », La Lettre mensuelle, n0 137, mars 1995, p. 5.10

Cf. Miller J.-A., « La passe du parlêtre », La Cause Freudienne, n° 74, 2010, p. 113-123.11

Cf. Miller J.-A., « L’orientation lacanienne, Les us du laps », enseignement prononcé dans 12

le cadre du département de psychanalyse de l’université Paris VIII, leçon du 2 février 2000, inédit.

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PAPERS 1 / Le rêve et les littoraux de l’Une-Bévue

À quoi se réduit l’interprétation analytique par rapport au rêve ? Comment introduire l’acte dans la retraduction du texte du rêve ?

La réponse de l’analyste est dans la lecture : la lettre plutôt que le signifiant et ses effets de sens , couper sur l’équivoque, entendue 13

comme ce qui relève du traumatisme, du trou dans le rapport avec la jouissance réelle. C’est le silence, avec la présence de l’analyste qui maintient active la fonction de pouvoir lire les alentours, les littoraux du trou ; silence du dit et de l’interprétation, qui fait résonner avec la présence, quelque chose du dire dans le corps du parlêtre, silence qui peut aborder ce qui ne cesse pas de ne pas s’écrire, afin que la parole de l’analysant du récit se transforme en mémoire d’un évènement réel de corps, inscription de la jouissance dans la contingence à laquelle le rêve appartient.

Traduction : Eleonora Renna.

Révision : Melina Cothros Un rêve qui montre le réel

Cf. Miller J.-A., La Cause Freudienne, op. cit.. 13

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Un rêve qui montre le réel Irene KUPERWAJS

Tout au long de mon expérience d'analysante les rêves ont fonctionné comme des pistes, des balises m'indiquant où je me trouvais et la direction à suivre. Certains de ces rêves ont noué le tissu de l'analyse au réel pulsionnel qui renvoie au traumatisme inaugural du choc de lalangue sur le corps.

Un rêve ayant marqué mon entrée dans la dernière tranche d’analyse en est l'illustration.

C’est suite au décès de l’analyste avec qui j’avais fait un cycle de huit ans que j’ai commencé l'analyse m'ayant conduite à la passe. Un rêve a surgi lors de la première rencontre avec l'analyste, il était question d'une image dans laquelle « l'analyste précédent gît sur le divan de son cabinet, les lèvres cousues ». Ce rêve révélait l'objet oral, qui se manifestait par le silence, pure pulsion orale qui se refermait sur sa propre satisfaction, reste qui n'avait pas été touché antérieurement. De cela, je n’en avais rien voulu savoir.

La jouissance autistique du symptôme, se taire, se noue à l'Autre dans le transfert par l'intermédiaire du rêve. Ainsi, non seulement cela pousse au déchiffrage mais l'analyste devient de surcroit partenaire de la jouissance du sujet.

« Motus et bouche cousue » ai-je ajouté en le relatant. 1

Les lèvres cousues, la bouche close, montrent la parole rivée au silence et à la mort. Il était question de mes propres lèvres cousues, la bouche mangeant le silence, noyau du pathos, ombilic du rêve.

Que m'enseigne ce rêve ?

En espagnol « en boca cerrada no entran moscas », littéralement « en bouche fermée 1

n’entrent pas de mouches » indiquant la signification d’être prudent avant de prendre la parole, mais qui comporte l’idée de « la fermer ».

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Que l'imaginaire dans le rêve peut indiquer un réel, un point de faille, qui angoisse. Comme l'affirme Jacques-Alain Miller « l'imaginaire du rêve offre parfois à ce qui est forclos du symbolique, une figuration pathétique qui se paye de l'angoisse. » Cette image du rêve 2

indiquait au début de l'analyse le réel pulsionnel en jeu. Ouvrir la bouche pour parler a permis, dans le travail d'analyse, la localisation de l'objet oral puis de l'objet voix comme partenaires du sujet dans la construction et la traversée du fantasme.

J'ai pu dévoiler que, dans mon programme de jouissance, l'analyste avait été choisie pour son « parler clair ».

La rencontre avec cette image et son effet de réveil ont laissé une empreinte profonde orientant mon expérience. Me désembrouiller, « retrouver ce dont on est prisonnier... la face de réel de ce dont on est empêtré » m’ont demandé quinze années supplémentaires. 3

Quinze années d'analyse pour constater que finalement il n'était plus question de la bouche close mais d'un impossible à dire et de la jouissance opaque du sinthome, de « ça jouit là où ça ne parle pas », le silence du réel. 4

Traduction : Véronique FUEYO-OUTREBON

Révision : Claudia VILELA

Miller J.-A., « Réveil », Ornicar?, n°20/21?, Paris, Lyse, 1980, p. 52.2

Lacan J., Le Séminaire, livre XXV, « Le moment de conclure », leçon du 10 janvier 1978, 3

inédit.

Miller J.-A., « L’inconscient et le sinthome », La Cause freudienne, n° 71, Navarin, Paris, 4

2009, p. 79.

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De l’Autre scène à l’Une scène Paola FRANCESCONI

« J'ai rêvé que je rêvais que ... ». Quelle position du travail onirique peut indiquer ce redoublement apparent de l’Autre Scène ?

Le rêve constitue souvent le meilleur moyen pour repérer les coordonnées d’un sujet par rapport à la jouissance propre et au désir de l’Autre. Le rêve ne fait pas seulement appel au sujet supposé savoir, mais il signale d'où, et comment, le sujet le fait, permettant ainsi à l'analyste d’entendre avec une certaine précision les conditions de la mise en scène, pour ainsi dire, de la jouissance du sujet, à ce moment-là, et la limite de son inscriptibilité, à ce moment-là, dans son inconscient. Il donne à entendre ce que le signifiant et la lettre peuvent véhiculer sur la Scène et, au contraire, ce qu’isole le réel, la limite, à savoir l’ombilication qui troue cette scène onirique, autrement nommée ombilic du rêve.

Comme le dit Lacan, c’est devant ce point que Freud s’arrête, en l’appelant refoulé primordial, « à la racine du langage », réel, trou qui est « la meilleure figure » que l’on peut donner. C'est pourquoi un 1

rêve représente souvent la voie royale du passage sur le divan, au travail analytique proprement dit.

C'est une impulsion à se faire reconnaître, où les chemins du dire de l’association libre permettent un “se faire entendre” du sujet de l'inconscient qui ne libère pas dans un premier temps comment il est interrogé par le désir de l'Autre. Dans le rêve, la transposition sur l'Autre Scène permet une plus grande proximité avec les conditions de l’allusion de lalangue qui agite le sujet à la façon dont il le fait entendre.

Lacan J., « L’ombilic du rêve est un trou », La Cause du désir, no102, Navarin Éditeur, Paris, 1

2019, p. 36.

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PAPERS 1 / De l’Autre scène à l’Une scène

L'Autre Scène où prennent place les questions concernant le sujet et son engagement dans l'appel au sujet supposé savoir, dessine de façon freudienne l'inconscient comme transfert, comme une interprétation qui libère une réponse et une possibilité d'invention d'un nouveau savoir.

Comme le dit Jacques-Alain Miller , le Séminaire XX déplace l'accent 2

de l'Autre à l'Un, avec des conséquences décisives, que ce soit aussi bien pour l'inconscient que pour le statut de la jouissance. Il apparaît là un nouvel inconscient, non plus transférentiel, mais réel, centré sur le Un de la jouissance.

Le sujet de la phrase citée au début rêve qu'il se trouve devant trois portes, il les ouvre et les ferme successivement. Chacune d'elles représente l'une des trois femmes qui partagent sa vie fantasmatique : l’épouse qui embrasse tout en se séparant, la maîtresse au fond du lit et la femme de l'amour, qu'il regarde du bas d'un escalier, très belle, mais qui porte au visage la marque de la mort.

Comment ne pas voir ici une référence au motif du choix des trois coffrets avec lequel Freud rend compte d’une structure sous-jacente du rapport de l’homme à l'Autre sexe ? Les trois femmes ici, 3

l’épouse/mère, la compagne et l'impossible amante. Et pourtant, dans ce “rêver de rêver” de cette scène tripartite, se dévoile un point d’ombilication du rêveur, non pas adressé à l'Autre, mais comme réponse d’un réel, un inconscient qui se révèle dans le battement de l’ouverture/fermeture des trois portes, qui le situe à un point de réel, non réductible au sens de chaque scène, et qui se révèle aussi dans les interstices de ce passage réel de la mise en acte, à sa non-inscription.

Comme dans d’autres cas, sous cette forme ou sous d’autres formes, nous touchons ici à la dimension où le non-sens de la structure est relié à l’inconscient réel du rêve.

Miller J.-A., « Les six paradigmes de la jouissance », La Cause Freudienne, no 43, octobre 2

1999, p. 7-29.

Freud S., « Le motif du choix des trois coffrets », L’inquiétante étrangeté et autres essais, 3

Gallimard, Paris, 1985, p. 61-82.

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PAPERS 1 / De l’Autre scène à l’Une scène

On pourrait dire que nous avons affaire ici au rêve, non pas comme Autre Scène, mais comme Une Scène, l’ombilication de l’Autre dans l’Un. « J'ai rêvé que j’étais en train de rêver que » est le contraire d'un redoublement de scène, c’est plutôt l'indice d'un réel. En effet, ce n’est pas un redoublement, mais plutôt une réduction. À l’envers de la thèse de Pirandello du « théâtre dans le théâtre ».

Traduction : Salvina Alba

Révision : Eleonora Renna

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