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What’s mine is yours
How collaborative consumption is changing the way we live
Cette fiche de lecture a été réalisée dans le cadre du cours « Grands Défis » donné par Denis
Bourgeois au sein de la Majeure Alternative Management, spécialité de troisième année du
programme Grande Ecole d’HEC Paris.
Collins, London, 2011Première date de parution de l’ouvrage : 2010
Résumé: What’s mine is yours est le premier ouvrage de référence sur la consommationcollaborative, ce mouvement qui propose une économie enrichie en lien social et qui faitémerger de nouvelles activités (notamment tous les « co » : co-voiturage, co-working, co-
housing …) ainsi que de nouveaux business models. Appuyé par de nombreux exemples,l’ouvrage tend à démontrer que la consommation collaborative est plus qu’une tendancemarketing : c’est une force de changement qui peut avoir un réel impact en termes dedéveloppement durable comme en termes de reconstitution du lien social.
Mots-clés: Consommation collaborative, Collaboration, Innovation sociale, Société deconsommation, Développement durable
What’s mine is yours
How collaborative consumption is changing the way we live
This review was presented in the “Grands Défis” course of Denis Bourgeois. This course is
part of the “Alternative Management” specialization of the third-year HEC Paris business
school program.
Collins, London, 2011Date of first publication: 2010
Abstract: What’s mine is yours is the first reference work on collaborative consumption, amovement that proposes nothing less than a socially enriched economy, new activities (suchas car-pooling, coworking, cohousing…) and new business models. Using a number ofexamples, the authors show that collaborative consumption is more than a marketing trend: itis a force for change with a real impact in terms of sustainable development and a mean to
build stronger communities.
Key words: Collaborative consumption, Collaboration, Social innovation, Consumptionsociety, Sustainable development
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Table des matières
1. Les auteurs et leur œuvre ..................................................................................................... 41.1. Brève biographie des auteurs .................................................................................. 4
1.2. Place de l’ouvrage dans la vie des auteurs ............................................................ 5
2. Résumé de l’ouvrage ............................................................................................................ 6
2.1 Plan de l'ouvrage ....................................................................................................... 6
2.2 Principales étapes du raisonnement et principales conclusions ............................ 7
3. Commentaires critiques ..................................................................................................... 20
3.1 Avis d’autres auteurs sur l’ouvrage ..................................................................... 20
3.2. Avis de l’auteur de la fiche ................................................................................... 21
4. Bibliographie de l’auteur .................................................................................................. 25
5. Références ........................................................................................................................... 26
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1. Les auteurs et leur œuvre
1.1. Brève biographie des auteurs
Rachel Botsman est une consultante et une innovatrice sociale spécialiste de la
consommation collaborative. Elle a obtenu un Bachelor of Fine Arts à Oxford avant de
rejoindre Harvard pour des études postgraduate. Elle y a travaillé comme chargée
d’enseignement à la Kennedy School of Government. Elle a été consultante chez Prophet et ?
What If ! et a travaillé à la Fondation Clinton où elle a occupé le poste de directrice « Kids
and Marketing ». Elle écrit régulièrement pour l’Australian Financial Review. Elle est
aujourd’hui conseillère stratégique d’OZOLab, fonds et incubateur à destination des start-ups
de l’environnement.
Roo Rogers est un entrepreneur, président de Redscout Ventures, une entreprise
spécialisée dans le conseil et le design en matière de marketing. Fils de l’architecte Richard
Rogers, il est titulaire d’un Bachelor de l’Université de Columbia et d’un Master en
développement économique de l’University College London. Il a notamment fondé OZOlab
et dirigé OZOcar, un service de transport « éco-luxueux » à New-York. Il a aussi lancé deux
entreprises, dans le domaine de la production audiovisuelle, Drive Thru Films et Drive Thru
Pictures. Il siège au conseil d’administration de Médecins du Monde UK.
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1.2. Place de l’ouvrage dans la vie des auteurs
L’ouvrage est la première publication de chacun des deux auteurs. Il se présente comme un
essai présentant l’état de l’existant et les perspectives actuelles sur la consommation
collaborative. Il est publié pour la première fois par HarperCollins aux Etats-Unis en 2010. La
version actualisée publiée par Collins au Royaume-Uni en 2011 totalise deux cent quatre-
v i n g t p a g e s . L a s o r t i e d u l i v r e s ’ a c c o m p a g n e d ’ u n s i t e d é d i é ,
www.collaborativeconsumption.com qui rassemble des éléments publiés sous license
CreativeCommons.
La parution du livre en 2010 intervient alors que la consommation collaborative a déjà
produit des résultats importants, comme l’illustre le succès d’eBay ou celui de Craiglist, qui,créés dans les années 1990, ont construit leur succès durant les années 2000. Toutefois, le
corpus sur la consommation collaborative n’est alors qu’à l’état embryonnaire. Le terme de
consommation collaborative n’aurait ainsi été créé qu’en 2007 par Ray Algar, un consultant
de la société Oxygen Consulting dans un article paru dans la lettre d’information Leisure
Report1. Cette réflexion sur la consommation collaborative prend plus généralement son sens
dans le cadre de la réflexion sur les pratiques de partage à l’âge d’Internet qui se développe
dans les années 2000. Une autre influence intellectuelle du livre, qui fait référence à cette
théorie, se trouve dans les travaux sur l’économie de fonctionnalité qui font notamment suite
au livre de Jeremy Rifkin, The Age of Access, paru en 2000. Une dernière influence
importante dans la naissance du concept de consommation collaborative est à chercher dans
les travaux qui lient collaboration et gestion des biens publics, et notamment dans le livre de
la Prix Nobel d’économie 2009 Elinor Ostrom, Governing the Commons, paru en 1990.
1 Algar, Ray (2007). « Collaborative Consumption », Leisure Report, Avril 2007, pp 16-17.
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2. Résumé de l’ouvrage
2.1 Plan de l'ouvrage
Introduction
Part 1: Context
- Enough is enough
- All-consuming
- From Generation Me to Generation We
Part 2: Groundswell
- The rise of collaborative consumption
- Better than ownership
- What goes around comes around
- We are all in this together
Part 3: Impact
- Collaborative design
- Community is the brand
- The evolution of collaborative consumption
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2.2 Principales étapes du raisonnement et principales
conclusions
Une critique de la société de consommation
Le corps de l’ouvrage s’ouvre sur une description du phénomène de la plaque de déchets
du Pacifique nord ( great garbage patch) et de sa découverte par Charles Moore, un marin
revenant d’une course à la voile et ayant décidé d’emprunter un itinéraire peu pratiqué. Ce
phénomène est pour les auteurs l’un des symptômes et l’une des conséquences de l’hyper-
consommation qui caractérise les sociétés occidentales.
L’ouvrage s’appuie donc sur une première étape qui est la dénonciation de la société
d’hyper-consommation. Cette critique s’appuie sur plusieurs arguments :
Le premier argument concerne la production de déchets induite par la consommation de
produits jetables (throwaway living ). Les auteurs décrivent le passage d’une économie de
pénurie durant la Première Guerre mondiale à une économie d’abondance dans les années de
l’après-guerre et le renversement des valeurs qui s’en suit, avec une vision positive du jetable.Ils associent au jetable, incarné par les gobelets en papier et en plastique dont les Américains
utilisent 146 milliards d’exemplaires chaque année, les consommations importantes de
matières premières dans les processus de fabrication notamment pour les appareils
électroniques. Pour les auteurs, qui se réfèrent alors aux travaux du sociologue Robert K.
Merton, deux biais comportementaux sont ici à l’œuvre : l’ignorance, qui empêche d’anticiper
les effets de son action, et « l’immédiateté impérieuse de l’intérêt » (imperious immediacy of
interest ).Un second argument concerne l’encombrement par des biens devenus inutiles. Ce
phénomène nourrit le développement des entreprises de self-stockage qui couvrent environ
deux cent dix-huit kilomètres carrés aux Etats-Unis. Or, cette importance du stockage
révèlerait selon les auteurs un autre continent caché de déchets. Ils citent à ce propos
l’intellectuel australien Clive Hamilton pour qui les déchets se définissent comme ce dont
nous n’avons pas l’usage, ce qui peut donc inclure ce que nous stockons pour un temps
indéfini : « The difference between the stuff we buy and the stuff we use is waste ».
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Le troisième et dernier argument contre la société d’hyper-consommation porte sur
l’insatisfaction consubstantielle à la société d’abondance. Les auteurs mentionnent notamment
que la part des Américains se déclarant très heureux atteint son point le plus haut en 1957,
alors que la société de consommation n’en était qu’à ses débuts. Aujourd’hui, le rêve de
posséder un nombre toujours plus important de choses de plus en plus grande valeur aurait
envahi la vie psychique des Américains et les condamnerait à l’insatisfaction. Les auteurs
reprennent pour illustre cette notion le concept d’ « hedonic treadmill » qui évoque un tapis de
course sur lequel les consommateurs courraient, à la poursuite d’une satisfaction qui leur
échappe toujours.
Les auteurs vont ensuite retracer la genèse de cette société de consommation et identifier
plusieurs forces qui ont produit ce résultat. Ces forces sont au nombre de quatre :
• le pouvoir de la persuasion et la manipulation des émotions, notamment par la
publicité qui a, par exemple, fait croire aux femmes qu’en commençant à fumer, elles
s’émancipaient (avec le slogan « Lightning the Torches of Freedom ») ;
• « l’effet Diderot » par lequel les consommateurs, par conformisme et parce qu’ils sont
pris dans un processus qu’ils ne maîtrisent pas, sont conduits à acquérir toujours plus
de biens car cela « irait bien » ou « complèterait bien » ce dont ils disposent déjà. Les
auteurs soulignent notamment la présence d’une telle dynamique dans l’image du
foyer idéal renvoyé par le rêve américain ( American dream) ;
• le développement des cartes de crédit qui ont un effet désinhibant, mesuré
scientifiquement, sur l’acte d’achat et dont chaque Américain possède en moyenne
quatre exemplaires. Les auteurs soulignent le fait qu’il s’agit ici d’une consommation
par l’endettement, d’autant plus dangereuse que les foyers américains sont peu
conscients de la dette moyenne de huit mille dollars, que les cartes de crédit
représentent pour chaque foyer, et des intérêts qu’elle génère ;
• l’obsolescence perçue ou programmée des produits, qu’elle provienne donc soit du
renouvellement des gammes de produits qui fait passer le produit âgé pour démodé ou
qu’elle soit inscrite dans la conception du produit, pour limiter sa durée de vie.
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L’alternative
Face aux dérives induites par la société de consommation, les auteurs décrivent et
défendent l’émergence d’une alternative, la consommation collaborative. Leur propos
consiste, en s’appuyant sur de nombreux exemples d’entreprises ou d’organisations relevant
de ce modèle, à illustrer, souligner les points forts, identifier les différents types de pratiques
ou de services et les grandes tendances de la consommation collaborative.
Un changement historique
Les auteurs introduisent le modèle de la consommation collaborative dans un chapitre
intitulé « from generation Me to generation We » : le changement dont il est question est bien
considéré comme un changement social profond présentant un caractère historique. Il
s’analyse aussi comme un retour à des idées et des valeurs anciennes, que la consommation
collaborative contribuerait à réhabiliter. Les auteurs citent notamment Adam Smith : selon
eux, il faut retrouver le sens de sa vision d’une richesse collective s’appuyant sur la primauté
de l’intérêt individuel. Cette vision a été trahie par la société de consommation qui, plus que
l’intérêt individuel, a promu la cupidité. Mais la vision initiale d’Adam Smith, qui pensait, en
la formulant, à l’intérêt des petits exploitants agricoles, relève des valeurs communautaires et
collectives (collective- and community-based values) défendues par les auteurs. Parmi les
autres exemples qu’ils donnent afin de revendiquer l’héritage de valeurs anciennes, les auteurs
mentionnent le cas de la Kellogg Company qui, en 1930, aurait raccourci la journée de travail
de ses employés dont la durée a été ramenée de huit à six heures. L’ambition de W.K Kellogg
était à la fois de partager le travail pour soutenir plus de ménages et de permettre aux ouvriers
de sortir d’un cercle vicieux où ils travaillaient plus pour consommer plus. Les effets positifs
de ce changement furent sensibles, à la fois pour la société, avec une meilleure vie familiale et
sociale des employés, et pour l’entreprise, qui connut notamment de forts gains de
productivité.
Les initiatives alternatives actuelles qui évoquent un retour à ces valeurs anciennes sont
notamment Etsy, un site de vente de productions artisanales créé en 2005 qui permet à 2deux
cent mille vendeurs de trouver des débouchés pour leur production d’objets faits à la main.
Dans le même esprit, les auteurs décrivent le retour des marchés fermiers dont le nombre est
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passé de 1700 en 1994 à 5750 en 2010 et, au Royaume-Uni d’un unique marché fermier à
Bath en 1997 à 550 marchés aujourd’hui.
Les auteurs distinguent trois caractéristiques du nouvel « état d’esprit du consommateur »
dans le cadre de ce type d’initiatives :
• la simplicité est recherchée, ce qui plaide en faveur d’une interaction directe avec le
producteur ;
• la traçabilité et la transparence sont au cœur de la relation de confiance qui s’établit ;
• la participation volontaire du consommateur est de plus en plus forte.
Un changement qui s’appuie sur l’Internet pour se traduire dans la réalité
Les auteurs rattachent ce changement au développement d’Internet mais ne l’y résument
pas : si l’Internet, et plus particulièrement le web 2.0, ont bien fourni des « outils de
collaboration massive » (weapons of mass collaboration2), l’ambition est bien de traduire les
logiques collaboratives dans des actions prenant place dans le monde réel, ce qu’ils formulent
à travers l’expression : Using the Internet to get off the Internet .
Ainsi, les mêmes dynamiques collaboratives qui ont permis l’émergence de Linux sont
aussi à l’œuvre dans le crowdsourcing c’est-à-dire l’externalisation de la réalisation d’un acte,
préalablement confié à un agent désigné pour le faire, à une large communauté constituée
grâce à un appel à la participation. Le crowdsourcing a déjà des conséquences concrètes très
sensibles, puisque grâce à ce principe, des marques, comme la marque de T-shirts Threadless,
dont les T-shirts sont tous dessinés en crowdsourcing , font participer les consommateurs à la
conception des produits.
La transposition des logiques collaboratives et des bonnes intentions qui peuvent
s’exprimer sur Internet à la vie réelle est un objet poursuivi en lui-même par certains projets
comme IfWeRanTheWorld.com, un site Internet lancé en 2010 et dont la fondatrice Cindy
Gallop s’est donnée pour objectif de mettre toute l’implication dont les internautes peuvent
faire preuve dans des jeux sociaux virtuels comme Farmville (soixante deux millions de
joueurs quotidiens en octobre 2010) au service de projets concrets d’utilité collective. Un
autre exemple particulièrement parlant est celui de l’initiative de Rainer Nõvalk, un Estonien
qui a conçu une campagne de collecte des déchets abandonnés dans la nature appelée Let’s Do
It. Cette campagne a tout d’abord vu sept cent cinquante bénévoles recenser dix mille cinq2 L’expression est de Don Tapscott et Anthony D. Williams dans Wikinomics, 2004
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cent dépôts d’ordures sauvages avant que, le 3 mai 2008, cinquante mille personnes, soit 4%
de la population estonienne, viennent collecter en cinq heures et pour cinq cent mille euros les
ordures que le gouvernement n’aurait pu collecter qu’en trois ans et moyennant vingt deux
millions cinq cent mille euros.
Les fondements du modèle
Les auteurs situent la consommation collaborative dans le même cadre que celui des
théories de la collaboration, telles qu’elles ont pu être formulées par la psychologie sociale.
Cela permet notamment de souligner que les comportements sur lesquels s’appuie la
consommation collaborative n’ont pas à s’appuyer sur un altruisme particulier et qu’ils sont
compatibles avec la croyance dans les vertus des marchés capitalistes et de l’intérêt
individuel. Fondamentalement, c’est parce qu’elles correspondent à l’intérêt bien compris des
individus que les pratiques collaboratives peuvent se développer.
Les auteurs dégagent néanmoins quatre « principes » sur lesquels s’appuient les initiatives
dans le domaine de la consommation collaborative.
Le premier principe est celui de la masse critique (critical mass) : pour fonctionner, une
initiative de consommation collaborative doit attirer suffisamment de personnes pour rester
attractive. Cela est particulièrement vrai dès lors qu’il s’agit de mise en commun et de partage
de ressources variées : un événement de swishing qui permet à des personnes d’échanger des
vêtements ne pourra être un succès que si le pool de participants et donc de vêtements est
suffisamment important pour constituer une offre assez large pour satisfaire le plus grand
nombre. Un concept lié à celui de la masse critique est celui de la preuve sociale ( social
proof ) : il s’agit de l’incitation procurée par le fait que des pairs s’engagent dans une pratique
de consommation collaborative. La preuve est ainsi socialement faite que le produit ou le
service est réellement attractif. Le principe de preuve sociale plaide en faveur de
l’organisation d’un cœur d’usagers fidèles qui feront la réputation du produit ou du service.
Le second principe est nommé par les auteurs « the power of idling capacity » : Il s’agit des
gisements de capacités excédentaires que la consommation collaborative peut mettre à profit.
Le premier exemple qui illustre cette idée est celui de la perceuse : la plupart des gens
n’utiliseront leur perceuse pour forer des trous qu’entre six et treize minutes dans toute leurvie. Or il y aurait aux Etats-Unis au total cinquante millions de perceuses : cela constitue un
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gisement important qui peut permettre la mutualisation des capacités et, in fine, supprimer le
besoin d’être propriétaire d’une perceuse. L’Internet est le moyen de cette mutualisation :
Robin Chase, le fondateur de Zipcar, une société d’auto-partage, a ainsi pu déclarer :
« This is what the Internet was made for, an instant platform sharing excess capacity
among many people ».
Parmi les exemples d’initiatives relevant plus particulièrement de ce principe que
mentionnent les auteurs, on peut aussi mentionner Landshare, un site Internet qui met en
relation des personnes disposant de surfaces cultivables avec des personnes qui souhaitent
faire pousser des fruits et légumes.
Un troisième principe mis en avant par les auteurs est ce qu’il nomme « Belief in ‘the
Commons’ ». Cette croyance dans la possibilité d’une gestion collective des communs est
directement issue des travaux d’Elinor Ostrom qui a prouvé qu’il n’y avait pas de fatalité à la
« tragédie des communs » théorisée par Garrett Hardin en 1968. L’engagement dans des
pratiques de consommation collaborative requiert en effet un certain degré de confiance dans
le fait que ce que l’on partage ne pâtira pas de la mise en commun. L’exemple que les auteurs
mentionnent à ce sujet est celui de la license Creative Commons qui permet de partager plus
facilement que le copyright classique tout en s’assurant que le contenu que l’on produit ne
sera pas utilisé à des fins auxquelles le créateur ne consent pas. Selon Lawrence Lessig, le
professeur de droit à Stanford qui est à l’origine de Creative Commons, cette licence a été
créée comme une solution à l’échec du partage, « a solution for failed sharing ».
Le quatrième principe est celui de la confiance entre personnes étrangères les unes aux
autres (« trust between strangers »). Les systèmes de consommation coopérative, qui sont
souvent des systèmes désintermédiés, n’accordent plus le même rôle de garant à
l’intermédiaire qui était central dans les circuits de distribution classiques. Il faut donc que le
système de consommation collaborative permette l’établissement d’un lien de confiance direct
entre consommateurs-coopérateurs. C’est notamment la fonction que jouent les systèmes de
réputation qui permettent de signaler les passagers clandestins et autres vandales et de les
exclure de l’échange.
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Les différents types de système de consommation collaborative
Les auteurs proposent une classification des systèmes de consommation collaborative en
trois types :
1. Les « Product Service Systems » qui dépassent la vision classique de la propriété pour
proposer une réponse au besoin à travers un service auquel le consommateur à accès. Plutôt
que de posséder une voiture, il aura ainsi accès à un système de vélos partagés, par exemple.
Le chapitre dans lequel les auteurs abordent ces systèmes, intitulé « Better than
ownership », se réfère notamment à l’analyse de Jeremy Rifkin qui, dans The Age of Access,
anticipe que l’accès à un service primera dans la préférence des consommateurs du futur sur la
propriété d’un bien. Parmi les business models qui s’inspirent de cette conception, les auteurs
mentionnent celui du leasing , qui a connu un fort développement dans beaucoup de secteurs
de l’économie ainsi que des exemples plus originaux, tels les services de location de jouets
comme Toy Loan ou DimDom, en France : l’idée est de permettre de louer des jouets et donc
de changer régulièrement les jouets d’un enfant, dont il est toujours susceptible de se lasser.
Le service s’adresse notamment aux grands-parents qui peuvent souhaiter que l’enfant ait
accès à des jouets quand ils le gardent sans pour autant acheter ces jouets.
Les auteurs soulignent que les services relevant de cette économie de l’accès présentent
plusieurs avantages, au nombre desquels le fait que, plus que dans la vente classique, ils
permettent de construire une relation dans la durée avec le consommateur, de mieux le
connaître et de lui proposer des services pouvant répondre à ses besoins. Ces services sont
aussi facilement marketable car ils comportent une promesse forte de gain de temps et de
simplicité. La campagne de publicité de la société d’auto-partage Zipcar, avec des slogans
comme « 350 hours a year having sex. 420 looking for parking » met en avant ces avantages.
Au-delà de la location classique, les auteurs montrent que les Product Service Systems
peuvent avoir d’autres développements, avec par exemple la location de pair-à-pair telle que
la permet par exemple Zilok. Les auteurs font aussi le lien entre les Product Service Systems
et les offres de service s’inspirant du principe « cradle to cradle » (du berceau au berceau),
qui conduit l’entreprise à considérer son produit sur l’ensemble de son cycle de vie et dans la
perspective d’un recyclage du produit arrivé en fin de vie, par réinjection de ses composants
et en amont de la chaîne de production. L’exemple de l’entreprise Interface est notamment
cité : spécialisée dans les sols souples, elle est passée d’un modèle de vente à un modèle de
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leasing et de réutilisation des sols usagés comme matière première, avec l’objectif, selon son
directeur, d’être la première entreprise industrielle totalement durable vers 2020.
2. Les marchés de redistribution (redistribution markets) qui permettent à un bien
d’occasion d’être transmis à un nouvel acteur qui en aurait l’usage. Cette transmission peut
être réalisée sur un monde marchand ou selon un principe de gratuité, ils peuvent être réalisés
entre personnes qui se connaissent comme entre personnes étrangères l’une à l’autre. Surtout,
la redistribution s’intègre dans un cadre plus général où elle interagit avec d’autres notions,
les « cinq R » (réduire, recycler, réutiliser, réparer et redistribuer), pour produire des effets
particulièrement intéressants du point de vue de la soutenabilité.
Freecycle est l’exemple le plus simple de marché de redistribution. C’est un service qui
met en relation des personnes qui souhaitent se débarrasser d’un bien usagé ou d’occasion et
qui, plutôt que de le traiter comme un déchet, propose de le donner gratuitement à une
personne qui manifesterait un intérêt pour l’objet. Lancé en 2003, le site rassemblait en 2010
sept millions d’utilisateurs de quatre-vingt quinze pays différents rassemblés, afin que les
biens soient transmis dans un cadre de proximité et qu’ils ne génèrent pas de transports trop
importants, dans 4 885 groupes locaux. Si Freecycle est un service gratuit et décentralisé,
UsedCardboardBoxes.com est un service centralisé et payant qui se rattache néanmoins à la
catégorie des marchés de redistribution : il s’agit d’un service qui collecte des boîtes en carton
auprès de grandes entreprises, les trie et constitue avec elles des kits de déménagement à prix
réduits. Ce service se veut une alternative à la fois low-cost et durable au fonctionnement
classique, qui voyait les boîtes en carton utilisées par les entreprises être envoyées en Chine
pour être recyclées ou détruites et les consommateurs acheter au prix fort des boîtes en carton
neuves pour leur déménagement.
Les marchés de redistribution sont l’occasion pour les auteurs de revenir sur ce qui est à la
base de la consommation collaborative, c’est-à-dire la capacité de créer et d’entretenir des
relations collaboratives mutuellement profitables d’échange entre les personnes :
• Ils soulignent tout d’abord que la collaboration dont il s’agit ici n’est pas
nécessairement une collaboration réciproque : la collaboration, traditionnellement
conçue selon le principe « I’ll help you, if you help me » devient ainsi « I’ll help you,
someone else helps me ». Ce fonctionnement serait notamment à l’œuvre sur Twitter,
où les utilisateurs peuvent, de façon désintéressée, aider un autre utilisateur en
prévenant Twitter que son compte a été piraté, comme dans Freecycle où l’oncontribue sans rien attendre de la personne qui récupère ce que l’on a à lui transmettre.
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• Un autre aspect nouveau de la collaboration est le contrôle des mécanismes d’échange
par les pairs et non par une autorité centralisée. Craiglist, une plateforme de petites
annonces est ainsi un site modéré par ses utilisateurs constitués en groupes locaux.
• Les auteurs défendent enfin sur le fond la capacité des acteurs à avoir des échanges
collaboratifs. Ils citent notamment les travaux de Werner Güth qui tendent à prouver
qu’il existe une capacité innée, découlant de la capacité d’empathie des êtres humains,
à se prononcer sur le caractère juste d’un prix. Une consommation vraiment
collaborative au sens où les acteurs chercheraient un gain collectif plutôt qu’un gain
individuel, pourraient donc trouver dans ces travaux des fondements intellectuels
solides. Le second argument mis en avant par les auteurs pour défendre la faisabilité
des marchés de redistribution concerne les systèmes de réputation qui, à l’image du
plus connu des systèmes de réputation sur Internet, celui d’eBay, permettent de fixer
un cadre favorable à la coopération puisqu’ils permettent de replacer l’échange dans
un cadre temporel plus large : les acteurs ont intérêt à ne pas adopter de
comportements non-coopératifs pour maintenir leur réputation et ainsi pouvoir
continuer à échanger sans être pénalisés par un mauvais track record.
3. Les « styles de vie collaboratifs » (collaborative lifestyles) sont le troisième type de
système de consommation collaborative identifié par les auteurs : dans ce système, ce sont des
biens intangibles comme les compétences, le temps, l’espace ou l’argent qui sont échangés.
Les espaces de coworking , le prêt social ( social lending ) ou l’hospitalité collaborative comme
le couchsurfing relèvent de ce modèle qui, par rapport aux deux autres, requiert un plus haut
niveau de confiance et présente une dimension communautaire importante.
Les auteurs associent aux « styles de vie collaboratifs » le renouveau de l’économie de troc
illustré par exemple par le site de troc de biens et de services Bartercard qui, parce qu’il
permet d’accumuler des « barter dollars » sur un compte individuel, affranchit l’économie du
troc de la nécessité d’un échange réciproque entre deux individus.
Les monnaies alternatives sont aussi intégrées à cette catégorie : les auteurs décrivent
notamment la monnaie alternative VEN, née dans le milieu du coworking en général et dans
le réseau Hub Culture en particulier, et qui présente l’originalité de se situer entre un moyen
de paiement classique et un outil de remerciement symbolique : cette monnaie s’obtient en
reconnaissance d’une faveur (conseil, mise en relation...) faite à un coworker et peut être
dépensée en biens ou services dans le réseau des coworkers voire changée contre de la « vraiemonnaie » dans les espaces de coworking .
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Le prêt social ( social lending ) est aussi cité comme participant aux « styles de vie
collaboratifs » : le site Zopa, décrit par l’un de ses fondateurs comme « un marché
d’obligations pour le prêt à la consommation », qui met en relation emprunteurs et prêteurs,
est ainsi présenté commune une alternative désintermédiée au système bancaire traditionnel.
Le prêt social aurait aussi la vertu de permettre de diminuer les taux d’intérêt de 20% par
rapport au crédit classique tout en maintenant un taux de défaut très faible.
Parmi les autres exemples d’initiatives relevant des « styles de vie collaboratifs », les
auteurs mentionnent aussi le cas particulièrement intéressant de WeCommune :
l’entrepreneuse à l’origine de ce projet, Stephanie Smith, avait initialement travaillé sur une
rue en impasse, organisant la rencontre des personnes qui y habitaient, ce qui avait abouti à un
élan coopératif entre voisins, ceux-ci envisageant alors de co-voiturer, de partager une pile de
compost ou encore de créer un poulailler collectif. Réalisant que c’est moins le potentiel pour
la collaboration qui manquaient, que les outils de coordination nécessaires à la collaboration,
Stephanie Smith a lancé en 2009 WeCommune, une plateforme offrant différent services
permettant de se coordonner (tels que des outils pour gérer un système de troc ou organiser
collectivement la garde des enfants, etc.). En 2010, WeCommune aurait déjà permis
l’apparition de trois cent communes utilisant ces outils.
Impacts de la consommation collaborative
Dans une troisième partie de l’ouvrage dédiée à l’impact de la consommation
collaborative, les auteurs s’intéressent aux prolongements du mouvement et à ce qu’il signifie
notamment pour le marketing :
1. Le premier des impacts recensé concerne le design, et le design au sens le plus
fondamental du terme, qui dépasse la question de la beauté pour s’intéresser aux usages. La
consommation collaborative remettrait le design, et particulièrement le design des systèmes,
au cœur de la conception et de la production des biens et des services : ce renouveau de la
pensée du design conduirait à ne plus simplement produire un bien à partir d’une matière
première pour ensuite le vendre et ne plus s’en soucier, mais à s’intéresser à la façon dont le
bien est produit et à ce qu’il deviendra une fois vendu, ce qui ouvre la voie à des modèles
comme la gestion du cycle de vie du produit ou le cradle-to-cradle.
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Les auteurs citent le professeur de design industriel italien Enzo Manzini, qui identifie les
quatre caractéristiques principales des « systèmes de service collaboratif » (collaborative
service systems) du point de vue de leur design. Ces caractéristiques sont les suivantes :
• La fluidité d’utilisation ( fluidity of use) : le service doit être conçu pour être
d’utilisation facile afin notamment de lever les barrières à l’entrée qui peuvent exister.
Un site d’échanges de bien de pair-à-pair comme Swap.com propose ainsi un calcul
automatique des frais d’envoi des colis ainsi que des étiquettes prêtes à imprimer.
• La réplication (replication) : le design des systèmes de service collaboratif favorise
leur réplicabilité dans des contextes différents. Parce qu’ils procurent des avantages à
leurs utilisateurs, l’utilisation de ces systèmes se répand facilement.
• Les modes d’accès diversifiés (diversified access) : les systèmes de service
collaboratif proposent différentes manières d’accéder au service (avec des formules
d’abonnement et d’achat unitaire) comme d’en bénéficier (avec, dans le domaine de la
nourriture, tout le continuum de services entre le marché fermier, l’Amap (community-
supported agriculture scheme), les jardins partagés « à la Landshare » et l’échange de
travail contre de la nourriture).
• La dernière caractéristique du design des systèmes de service collaboratif serait le
support de communication amélioré (enhanced communication support ) sur lequel ils
s’appuieraient. Les systèmes étant destinés à nourrir des dynamiques de partage,
utilisent en effet le principe même de leur fonctionnement comme un moyen pour
communiquer et pour se répandre.
2. Le second impact concerne le marketing et les marques. Les auteurs expriment l’idée
que la communauté devient la marque (« community is the brand »). La consommation
collaborative répondrait en effet aux besoins supérieurs du consommateur, au sens de la
pyramide de Maslow, car elle lui permettrait de cultiver son « être social ». Ce faisant, elle
crée des communautés d’utilisateurs qui font la force des marques : la communauté des
coureurs organisée par Nike, Nikeplus, relèverait de ce principe.
Les consommateurs, entrés dans cette dynamique communautaire, produisent un discours
collectif sur le service qui va assurer sa promotion. Les auteurs mettent en gardent contre
l’idée de « faire dire » aux utilisateurs qu’ils aiment la marque en soulignant que la parole de
la communauté ne se laisse pas orienter, et que cela peut déboucher sur des critiques, des
parodies, du « mauvais buzz ». Ils jugent que la bonne attitude à adopter pour une entreprise
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est d’encourager les échanges sur son produit ou son service et de les écouter plutôt que de
chercher à faire reproduire par la communauté le discours que l’entreprise aimerait entendre.
Les auteurs soulignent tout l’avantage de cette dimension communautaire. Elle permet en
effet non seulement de promouvoir mais aussi de faire évoluer le produit. Le site de prêt
social Zopa, qui encourage ses membres à discuter sur n’importe quels sujets, a ainsi selon les
auteurs permis de « réinventer la façon dont le risque crédit est estimé » grâce au regard
critique des internautes.
In fine, les auteurs expliquent que la consommation collaborative peut aboutir à des
« marques sans marques » au sens où, à partir du moment où ils découlent d’un vrai besoin,
les systèmes de consommation collaborative, à l’image du très austère Craiglist, n’ont pas à
être conçu pour être « sexy » ni même à faire l’objet d’une promotion particulière.
Dans un chapitre à caractère conclusif, « The evolution of cooperative consumption », les
auteurs reviennent sur les grands déterminants qui feront selon eux le succès de la
consommation collaborative :
Le premier de ces déterminants tient au positionnement des acteurs de changement : ceux-
ci doivent chercher à changer l’état d’esprit du consommateur (« changing the consumer
mind-set ») en lui faisant comprendre l’intérêt et la valeur de la consommation collaborative
plutôt que chercher à le contraindre par des règlementations ou des contraintes diverses.
Les auteurs mentionnent à ce propos l’épisode qu’ils nomment le « grand débat sur les
machines à laver » (Great washing machine debate) : le parti écologiste du Royaume-Uni
aurait, au tournant des années 1970-1980, échoué à empêcher la faillite des laveries
concurrencées par les machines à laver individuelles. Aucune des actions envisagées, que ce
soit celle de la taxation ou celle de la campagne de sensibilisation, n’aurait pu renverser cette
tendance qui a vu la fermeture de 50% des laveries britanniques de 1964 à 1992. L’alternative
proposée par les auteurs est celle d’un concept de laverie où les personnes peuvent pratiquer
d’autres activités que faire leur lessive (écouter de la musique, boire un verre...) : Brainwash,
parce que ce concept fait de la laverie un lieu communautaire attractif, serait en quelque sorte
la solution au problème des écologistes anglais des années 1970.
Le second élément qui pour les auteurs participera au développement de la consommation
collaborative est le développement de systèmes de réputation. A la fois élément d’attractivitédes pratiques collaboratives et outil de contrôle par les pairs, la réputation est l’une des
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monnaies de l’économie collaborative. Les auteurs anticipent la création d’un compte
réputationnel unique qui agrègerait les informations sur la réputation d’une personne dans
divers systèmes de consommation collaborative et qu’ils désignent sous le terme de
« reputation bank account ».
Enfin, les auteurs abordent brièvement la question des conséquences macroéconomiques
du développement de la consommation coopérative : s’ils réaffirment que la consommation
coopérative sera source de nombreuses opportunités entrepreneuriales, ils reconnaissent aussi
que son développement devra s’accompagner d’une réflexion sur la valeur (« redefining
value ») à l’image des réflexions sur la mesure de la croissance et les alternatives au Produit
Intérieur Brut (PIB) menées en France par Amartya Sen et Joseph Stiglitz.
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3. Commentaires critiques
3.1 Avis d’autres auteurs sur l’ouvrage
L’ouvrage a reçu de nombreux commentaires élogieux, principalement dans la presse
anglo-saxonne, qu’elle soit généraliste ou spécialisée dans l’économie. Les commentaires ont
salué pour l’essentiel le caractère inspirant, notamment d’un point de vue business, de la thèse
soutenue et le travail d’état des lieux du phénomène réalisé :
•
Le Financial Times3
a ainsi salué « un livre remarquablement optimiste et accessible à propos d’une révolution sociale en devenir ».
• Dans The Economist4, Ron Conway, un business angel américain, a cité les travaux de
Botsman et Rogers et décrit la consommation collaborative, avec les marchés peer to
peer (P2P), comme « the most thought-provoking sector I see developing in 2012 ».
• Enfin, Time magazine5 a mentionné la consommation collaborative, en citant
l’ouvrage de Botsman et Rogers, comme l’une des dix idées qui changeront le monde.
• Rachel Botsman et Roo Rogers ont par ailleurs présenté leur travail dans un article à la
Harvard Business Review6 en 2011.
L’ouvrage a aussi connu une certaine résonance et quelques critiques dans les cercles qui
observent les évolutions de l’économie et de la société à l’heure d’Internet et du P2P :
• Sur lemonde.fr et InternetActu, Hubert Guillaud de la Fondation Internet Nouvelle
Génération (Fing) a consacré un papier à « la montée de la consommation
collaborative »7 où il soulève le fait que derrière la consommation collaborative se
cachent dans certains cas « des modèles d’affaires qui n’ont rien d’altruiste ». Il
mentionne aussi la possibilité que la consommation collaborative soit un effet de mode
ou un phénomène de niche et doute que le paradigme réputationnel présente dans
l’ouvrage de Rogers et Botsman puisse tenir toutes les promesses qu’on lui attribue.
3 Scott I, « What’s Mine is Yours - Review by Izabella Scott », Financial Times, 7 février 20114 Conway R, « Where angels will tread », The Economist, 17 novembre 20115 « 10 ideas that will change the world », Time, 17 mars 2011
6 Botsman, R. and Rogers, R. (2010) « Beyond Zipcar : collaborative consumption » Harvard BusinessReview; Vol. 88 Issue 10, Octobre 2010
7 Guillaud, H. La montée de la consommation collaborative, lemonde.fr et InternetActu, 24 septembre 2010
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• Sur Aljazeera.com8, Michel Bauwens, théoricien du P2P, a défendu l’idée que les
évolutions que constituent l’open-source, le crowdsourcing et la consommation
collaborative sont porteuses non pas comme l’avancent Botsman et Rogers de
nouveaux marchés pour le capitalisme mais au contraire d’une remise en cause de ce
système économique (cf infra).
3.2. Avis de l’auteur de la fiche
La force de l’idée
Ce qui impressionne le plus dans le livre et dans l’environnement dans lequel il s’inscrit,
c’est le succès de la consommation collaborative et la forte viralité de l’idée comme du
phénomène. La consommation collaborative n’est pas un mouvement unifié ni même une idée
théorisée de façon très précise, cependant elle produit déjà des effets significatifs avec
l’émergence d’acteurs aussi importants qu’eBay, et surtout un grand nombre de petites
initiatives. Le phénomène de la consommation collaborative semble avoir une capacité à faire
entrer facilement les personnes dans ce type de logique et à susciter des comportements
collaboratifs dans la sphère de la consommation. Pourquoi une telle force du phénomène et de
l’idée sur laquelle il s’appuie ?
Une première série d’explications tient à ce que le phénomène résonne avec de multiples
préoccupations et de multiples idées qui caractérisent l’esprit du temps. Le Zeitgeist actuel est
en effet marqué par l’importance de la crise écologique et la recherche de modèles qui
concilient développement et soutenabilité environnementale. Il est aussi marqué par l’ère de
l’information et l’importance croissante accordée aux échanges virtuels et aux logiques de
réseau et d’accès, par rapport à la propriété de choses concrètes. Une autre dimension du
Zeitgeist , et en particulier de celui à venir, est la crise économique et les nombreuses
contraintes qu’elles posent, que ce soit en termes d’emploi, de pouvoir d’achat, de rupture
avec des modèles économiques trop dépendants du crédit. La dernière dimension de l’esprit
du temps concerne le local : les défenseurs du local se préoccupent de la fragilité générée par
les interdépendances au niveau mondial et parient sur une organisation reposant davantage sur
8 Bauwens, M. « The $100bn Facebook question: Will capitalism survive 'value abundance'? » , AlJazeera.com,
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des territoires de proximité résilients (on pense notamment au grands débats sur la
« relocalisation » des industries en France, aux circuits courts, aux monnaies locales, aux
projets d’autonomie énergétique, aux promesses des FabLabs d’une production industrielle de
proximité, etc…).
La consommation collaborative fait écho à tout cela : à ceux préoccupés d’écologie, elle
dit qu’il est possible de réduire les besoins en mutualisant plus et de réutiliser ce que nous
considérions comme des déchets ; à ceux qui regardent Internet comme le creuset des
évolutions sociales à venir, elle peut faire valoir sa parenté avec l’économie Internet et
souligner que, comme sur Internet, les logiques de réseau, de réputation, d’échanges de pair-à-
pair et d’accès à l’information sont au cœur de son modèle. Par ailleurs, dans un contexte de
crise économique, la consommation collaborative peut mettre en avant le fait qu’elle permet
des gains de pouvoir d’achat, de nouveaux business models et donc des créations d’emplois.
Enfin, elle n’oublie pas la dimension territoriale puisqu’elle propose dans de nombreux cas de
structurer des communautés locales de consommateurs-coopérateurs.
Une seconde source de succès de la notion de consommation collaborative tient au fait
qu’elle s’appuie sur un courant de pensée en plein développement : les théories de la
coopération, à dominante économique, ont en effet remporté un large succès, illustré par
l’attribution du prix Nobel d’économie à Elinor Ostrom pour son œuvre sur la gestion des
communs, au point de devenir les théories dominantes dans certains champs comme celui de
la gestion environnementale.
Une dernière explication, portant elle sur la force des pratiques collaboratives plutôt que
sur l’idée, tient à l’avantage comparatif que procure la collaboration. Les travaux de Robert
Axelrod à partir de la théorie des jeux, notamment The evolution of cooperation, tendent en
effet à montrer que les comportements coopératifs, en particulier lorsqu’ils ont lieu dans un
contexte social où la coopération n’est pas la règle, apportent à ceux qui les adoptent un
avantage comparatif de type sélectif qui permet aux comportements de coopération de se
répandre dans un groupe social. Si l’on couple donc la description faite par Botsman et
Rogers avec le modèle théorique proposé par Robert Axelrod on peut donc imaginer que la
consommation collaborative connaisse à l’avenir un fort développement car elle offrira à ceux
qui rentreront dans ce type de fonctionnement un avantage comparatif par rapport à ceux qui
resteront au bord de la route.
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Les manques de l’ouvrage
Si l’ouvrage est manifestement une source d’inspiration pour ses lecteurs et a l’immense
mérite de faire un bilan quasi-exhaustif du phénomène de consommation collaborative, il
s’apparente avant tout à un essai de vulgarisation sur un phénomène social et ne prétend pas
constituer une avancée sur le plan théorique. Si l’ouvrage apporte le regard de certains travaux
théoriques sur le phénomène et citent notamment des travaux de psychologie sociale ou
d’économie, il procède avec ces théories comme avec les exemples d’initiatives, les mettant
en relation sans les questionner plus avant.
Le principal apport théorique de l’ouvrage est la classification qu’il opère entre les
systèmes de consommation collaborative. Or, cette classification apparaît assez peu
convaincante car, si l’on comprend ce que sont les « product service systems » et les
« marchés de redistribution », les « styles de vie collaboratifs » posent problème du point de
vue de la cohérence de la catégorie. Il est en effet assez difficile de soutenir que le prêt social
constitue un vrai style de vie alternatif.
Si l’on souhaitait prolonger le propos de l’ouvrage sur un plan théorique, plusieurs angles
de recherche pourraient utilement compléter la vision des auteurs.
En premier lieu, il est probable que l’analyse sociologique ou la psychologie sociale puisse
encore apporter un éclairage sur la consommation collaborative. Les auteurs ne détaillent en
effet pas outre mesure ce qui permet au niveau individuel de s’engager dans des modes de
consommation collaborative et à quelles conditions l’individu adopte durablement ce type de
pratiques. Les auteurs ne s’intéressent pas non plus aux caractéristiques sociologiques des
personnes qui s’engagent effectivement dans ces pratiques : cela est dommageable car la
consommation collaborative est l’exemple même de la pratique qui peut être caricaturée
comme « bobo » quand elle est peut-être pratiquée bien au-delà de cette catégorie de la
population.
La vision de la consommation collaborative que les auteurs présentent interroge
particulièrement les discours qui sont émis sur la société française et particulièrement ceux
qui concernent la défiance9. Si, comme ont pu l’écrire Yann Algan et Philippe Cahuc, la
9 Alban Y., Cahuc P., « La société de défiance : comment le modèle social français s’autodétruit ? », Opusculesde CEPREMAP n°09, CEPREMAP, décembre 2007
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société française est marquée par un haut degré de défiance non seulement à l’égard des
institutions mais aussi au niveau inter-individuel, peut-on tenir en France un discours aussi
optimiste sur la consommation collaborative que celui de Botsman et Rogers?
En second lieu, les auteurs manifestent probablement un biais d’optimisme sur les
conséquences économiques prévisibles de la consommation collaborative. Comme l’aborde
Michel Bauwens dans l’article cité précédemment, il n’y a rien de moins sûr que le fait que la
consommation collaborative et les évolutions qui font aujourd’hui système avec elle ( peer-to-
peer , libre, etc.) aient un effet obligatoirement positif en termes économiques.
Si les auteurs reconnaissent par exemple que la consommation collaborative permet de
moins consommer grâce au partage ou encore qu’elle est facteur de désintermédiation dans les
rapports économiques, ils ne semblent pas en tirer toutes les conséquences au plan
macroéconomique. Ce qu’ils décrivent comme l’avenir du capitalisme apparaît dans certains
cas comme une économie sans emploi, dans d’autres comme une économie sans échange
monétaire, voire sans accumulation. Le seul changement profond que semblent voir les
auteurs est l’atteinte de la soutenabilité environnementale. Mais derrière cela se pose la
question bien plus problématique de la transition vers un autre modèle de développement,
voire celle de la décroissance.
En conclusion, on peut donc dire que le mouvement que Botsman et Rogers décrivent
apparaît effectivement comme bien plus qu’une mode marketing, comme un facteur de
changement profond de notre système économique. On reconnaîtra le caractère positif de ce
changement, notamment pour l’environnement mais aussi pour le corps social. Mais l’on
comprendra aussi que les auteurs ne dissipent pas toute l’incertitude sur les conséquences
qu’un changement d’une telle ampleur…
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4. Bibliographie de l’auteur
Les articles de Rachel Botsman sur son site personnel (Lien)
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5. Références
Ouvrages :
Alban Y. and Cahuc P. (2007). « La société de défiance : comment le modèle social françaiss’autodétruit ? », Opuscules de CEPREMAP n°09, CEPREMAP
Axelrod, R. (1984). The evolution of cooperation, Basic books
Articles :
Algar, Ray (2007). "Collaborative Consumption", Leisure Report, Avril 2007, pp 16-17.
Botsman, R. and Rogers, R. (2010) "Beyond Zipcar : collaborative consumption" HarvardBusiness Review, vol. 88, n°10
Guillaud, H. "La montée de la consommation collaborative", lemonde.fr et InternetActu, 24septembre 2010