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Le suffixe préroman - ué, -uy dans la toponymie aragonaise et catalane (1) Por Gerhard Rohlfs (Universidad de Munich) 1. L'histoire du problème L 'ORIGINE du suffixe -ué, -uy, répandu dans la toponymie pyrénéen- ne d'Aragon et de Catalogne, a été, à plusieurs reprises, l'objet de discussions scientifiques. Déjà J . Balari y J o v a n y dans ses Orígenes históricos de Cataluña (Barcelona, 1899) avait discuté la, question des toponymes en -uy (Balastuy, Bernuy, Corroncuy, Mencuy, Pernuy), en les attribuant au substrat indigène (p. 5), sans préciser ni leur origine ni leur signification. Plus tard R. M e n é n d e z Pidal dans son travail «Sobre las vocales ibéricas e y o en los nombres to- ponímicos» (Rev. de Fil. Esp., V. 1918, pp. 225-255) a cru pouvoir dis- tinguer deux sources de notre suffixe (p. 235 ss.), dont il identifie 1. Indications bibliographiques et abréviations: ALVAR, MANUEL, El habla del Campo de Jaca. Salamanca, 1948. BADÍA, A., Le suffixe -ui dans la toponymie pyrénéenne catalane. Dans: Mé- langes Karl Michaëlsson, Göteborg, 1952, p. 31-37. CIL = Corpus inscriptionum Latinarum. ELCOCK, W.-D., Toponimia menor en el Alto Aragón (Actas de la Primera Reunión de Toponimia Pirenaica, 1948). Zaragoza, 1949, p. 77-118. GARCÍA BLANCO, M., Contribución a la toponimia aragonesa medieval. Dans: Actas de la Primera Reunión de Toponimia Pirenaica. Zaragoza, 1949. HOLDER, A., Altceltischer Sprachschatz. Leipzig, 1896-1913. MADOZ, P., Diccionario geográfico - estadístico -histórico. Madrid, 1848. Oríg. — R. MENÉNDEZ PIDAL, Orígenes del español. Madrid, 1950. RFE = Revista de Filología Española. RFH = Revista de Filología Hispánica. SCHULZE,, W., Zur Geschichte der lateinischen Eigennamen. Göttingen, 1904. TOVAR, A., Estudios sobre las primitivas lenguas hispánicas. Buenos Aires, 1949. A.FA-IV 129

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Le suffixe p r é r o m a n - ué, -uy dans la toponymie a ragona i se et catalane (1)

P o r G e r h a r d R o h l f s (Universidad de Munich)

1. L'histoire du problème

L 'ORIGINE du suffixe -ué, -uy, répandu dans la toponymie pyrénéen­ne d'Aragon et de Catalogne, a été, à plusieurs reprises, l'objet de

discussions scientifiques. Déjà J . Balari y J o v a n y dans ses Orígenes históricos de Cataluña (Barcelona, 1899) avait discuté la, question des toponymes en -uy (Balastuy, Bernuy, Corroncuy, Mencuy, Pernuy), en les attribuant au substrat indigène (p. 5), sans préciser ni leur origine ni leur signification. Plus tard R. M e n é n d e z P i d a l dans son travail «Sobre las vocales ibéricas e y o en los nombres to­ponímicos» (Rev. de Fil. Esp., V. 1918, pp. 225-255) a cru pouvoir dis­tinguer deux sources de notre suffixe (p. 235 ss.), dont il identifie

1. Indicat ions bibliographiques et abréviat ions: ALVAR, MANUEL, El habla del Campo de Jaca. Salamanca, 1948. BADÍA, A., Le suffixe -ui dans la toponymie pyrénéenne catalane. Dans : Mé­

langes Ka r l Michaëlsson, Göteborg, 1952, p . 31-37. CIL = Corpus inscriptionum Latinarum. ELCOCK, W . - D . , Toponimia menor en el Alto Aragón (Actas de la P r imera

Reunión de Toponimia Pirenaica, 1948). Zaragoza, 1949, p . 77-118. GARCÍA BLANCO, M., Contribución a la toponimia aragonesa medieval. Dans :

Actas de la P r i m e r a Reunión de Toponimia Pirenaica. Zaragoza, 1949. HOLDER, A., Altceltischer Sprachschatz. Leipzig, 1896-1913. MADOZ, P., Diccionario geográfico - estadístico -histórico. Madrid, 1848. Oríg. — R. MENÉNDEZ PIDAL, Orígenes del español. Madrid, 1950. RFE = Revista de Filología Española. RFH = Revista de Filología Hispánica. SCHULZE,, W., Zur Geschichte der lateinischen Eigennamen. Göttingen, 1904. TOVAR, A., Estudios sobre las primitivas lenguas hispánicas. Buenos Aires, 1949.

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l'une avec la désinence basque - t o i , ayant la valeur du latin -etum (basque ariz-toi «chênaie»), l'autre avec la désinence basque - o i , exprimant une tendance ou propension (basque ardanoi «affectionné au vin»). Dans le premier groupe le Maître range les toponymes Alas­tuéy, Alastrué, Ramastué, Arestúy, Balestúy, Mentúy, Bretúy, Serra­dúy, dans le deuxième groupe tous les autres représentants de notre suffixe: Allué, Ambonúy, Beranúy, Botué, Bressúy, Corroncúy, Orcan­tué, ecc. S'intéressant surtout au côté phonétique du problème, Me­néndez Pidal ne s'occupe pas trop de l'analyse individuelle de ces noms. Il se contente d'établir l'étymologie seulement de Aquilué «en­droit des aigles», Arestúy = basque ariztoi «chênaie», Alastuéy = bas­que lats-toi «lieu de ruisseau», Paternué «endroit paternel» et Serra­dúy = basque sarra-toi «endroit où il y a des scories», tandis que la grande majorité de nos toponymes (plus de 80 noms!) reste sans explication. Cette interprétation de notre suffixe a été acceptée, par la suite, par la plupart des savants: Lapesa, Oliver Asín, Entwistle, Alvar, Badía Margarit2.

Néanmoins il y a eu d'autres tentatives d'expliquer notre suffixe. D'après V. G a r c í a de D i e g o il faudrait partir d'une termi­naison celtique -oi, signe du nominatif pluriel : Paternoy = Padiernos «les paternels», Montanuy «los Montanos», Bretuy «los Bretos»3. Cette hypothèse se heurte décidément au fait qu'une terminaison de cette valeur n'aurait jamais pu porter en gaulois l'accent tonique. Dernière­ment M. J u l i o C a r o B a r o j a a émis une autre hypothèse qui défend l'origine romane de notre suffixe. En partant du fait que la désinence latine - o n e ( m ) a donné en basque -oi (arratoi 'ratón'), il propose de voir dans notre suffixe le latin - o n e m , qui, passé à travers la phase de prononciation basque -oi, aurait évolué en -ué et -uy : P a t e r n o n e m > Paternuy, A r d a n o n e m > Ardanué4. Le savant espagnol ne nous dit pas, quelle valeur il faudra attribuer à la désinence latine. Le point le plus faible de son hypothèse est le fait qu'il ne nous fournit aucune preuve qu'effectivement l'n inter-

2. R. LAPESA, Historia de la lengua española (1942), p. 19, édition de 1950, p. 23; J. OLIVER ASÍN, Iniciación al estudio de la historia de la lengua española, 1939, p. 14; M. ALVAR, El habla del Campo de Jaca, 1948, p. 135; A. BADÍA MAR­GARIT, Mélanges Michaëlsson, p. 31.

3. Manual de dialectología español (Madrid, 1946), p. 213; Estudis Romànics, I, 1948, p. 208.

4. Materiales para una historia de la lengua vasca en su relación con la latina (Salamanca, 1946), p. 134-136.

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LE SUFFIXE PRÉROMAN -UÉ, -UY DANS LA TOPONYMIE ARAGONAISE ET CATALANE

vocalique se soit effacé dans la langue préromane, parlée autrefois dans la région où domine notre désinence.

Parmi toutes ces tentatives il n'y a qu'un fait qu'on puisse accep­ter sans restrictions. C'est la certitude apportée par le travail de Me­néndez Pidal, que les deux désinences -ué (antérieurement -uéy) et -úy ont pour base un même vocalisme (-oi), dont -ué (-uéy) serait la solution aragonaise, tandis que -úy aurait suivi l'évolution pho­nétique du catalan5. Récemment M. B a d í a M a r g a r i t a pu, ajouter à ces deux solutions un troisième développement, en démon­trant que -úy a pu être réduit à -i (de même que *nuit en catalan a abouti a nit): Beraní serait donc sorti d'un *Beranúy, Andaní d'un *Andanúy6.

2. Les radicaux7

En s'occupant de notre suffixe, on a, jusqu'à présent, négligé d'étudier plus à fond les radicaux des toponymes qui se terminent en -ué (-uéy) et -úy (-i). C'est l'immense quantité des bases emplo­yées dans la composition avec notre suffixe qui aurait dû fournir la clé du problème. Dans mon travail «Sur une couche préromane dans la toponymie de Gascogne et de l'Espagne du Nord» (Rev. de Fil. Esp., XXXVI, pp. 209-256) j'ai exposé les raisons qui m'ont porté à reconnaître des anthroponymes dans les radicaux des centaines de toponymes qui se terminent en -ués (Aragon) et -ós (Gascogne). C'est seulement la grande variété des bases a n t h r o p o n y m i q u e s qui peut expliquer l'immense quantité des radicaux de ces toponymes. C'est par cette voie que je crois avoir porté le problème du suffixe -ués, -ós à une nouvelle solution (voir ici p. 149):

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Andernós «propriété d'un Andernus» Balirós «propriété d'un Valerius» Chisagués «propriété d'un Gisacus» Gaillagós «propriété d'un Galliacus» Gallués «propriété d'un Gallus» Sabalós «propriété d'un Sapalus» Vidalós «propriété d'un Vitalis»

6. Cf. l'arag. pueyo et le cat. puig ( p o d i u m ) , l'arag. gueit et le cat. vuit ( o c t o ) ; voir RFE, V, p. 156.

16. Mélanges de philologie romane offerts à M. Karl Michaëlsson (Göteborg, 1952), p. 35.

7. Je laisse hors de mon travail les quelques toponymes qui appartiennent

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Je n'hésite pas à appliquer le même procédé au problème qui nous occupe ici. Personne encore ne s'est soucié de la grande affinité que les radicaux de notre suffixe présentent avec les toponymes gallo-romans en -ac (-ay, -ey, -é, -y) en France. On sait que ces noms de lieu sont formés avec des bases anthroponymiques.

Abesué: Asué: Brenúy: Campanué: Cellúy: Corroncúy: Gabardué: Labazuy:

Avessac Assac Brenac Campagnac Ceilhac Corronsac Javerdac Lavassac

Llesûy: Martillué: Mencúy: Montanúy: Sensúy: Serué: Seurí: Villarué:

Lessac Martillac Mensac Montagnac Sensacq Serac Sévérac Vildrac

D'autres analogies existent entre nos toponymes et les noms de lieu qui en Italie sont formés, également sur des bases anthropony­miques, avec les suffixes -ago, -ano, asco et -ate:

Barnúy: Binué: Campanué: Castarmúy: Ensúy:

Barnasco Binasco Campagnano Casternago Enzano

Martillué: Mencúy: Pernúy: Roní: Sensúy:

Martigliano Menzago Pernate Ronago Senzano

Tous ces noms de lieu contiennent dans leurs radicaux des an­t h r o p o n y m e s : A v i t i u s , B r e n n u s , C a m p a n u s , C e l l i u s , C o r o n i c u s , L e t t i u s , M a r t i l i u s , ecc.

Comme, évidemment, il doit y avoir des lacunes dans nos con­naissances de l'ancienne onomastique, nous nous croyons autorisés à conjecturer des anthroponymes qui ne sont pas représentés dans les inscriptions ou dans d'autres sources.

C'est par le procédé comparatif que nous chercherons à appuyer la probabilité de l'existence d'un cognomen qui ne nous est pas attesté. Avec l'aide de Assac (France) nous croyons pouvoir recons-

à d'autres régions d'Espagne, p. e., Araduéy (León), Bernúy (Segovia, Ávila), Espelúy (Jaén), Narcué (Navarra), Peranúy (Salamanca). Je ne m'occupe pas non plus des toponymes assez nombreux en -oy de Galice (Becerroy, Ferroy, Fingoy, Gandoy, Picoy), auxquels on doit attribuer une origine particulière.

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truire pour Asué un cognomen * A s s u s , avec l'aide de Lavassac (France) pour Labazúy un gentilice * L a b a c i u s . A la base des gentilices V e n t i n i u s , V e n t i 1 i u s , V e n t i c i u s , V e n ­

t i d i u s on a certainement le droit de postuler l'existence d'un cog­nomen * V e n t u s , qui expliquerait le toponyme Bentué. Pour Na­varcué nous proposerons un anthroponyme * N a v a r k o s à côté de N a v u s sur l'existence d'un nom C o r i a r c o s à côté de C o r i u s . L'existence des toponymes Gilhac et Gilly en France nous donne la possibilité de conjecturer un gentilice * G i l l i u s (dérivé du cognomen G i 11 o ), acceptable aussi pour Gillué.

L E S NOMS EN -UÉ ET -ÚY

1. Abesué, lieudit près de Bielsa, prov. Huesca, part. Boltaña (El­cock, p. 95) contient le gentilice A v i t i u s attesté dans le Nord de l'Espagne (CIL., II, 2569). Pour l'évolution phonétique on peut comparer le cat. presar ( p r e t i a r e ) , agusar ( a c u t i a r e ) . Le même anthroponyme s'est conservé dans Avezzano (deux fois en Italie), tandis que Avessac (Loire-Inf.) et Avessé (Sarthe) semblent postuler un * A v i c i u s .

2. Aidi, probablement réduction d'une forme antérieure *Aidúi (Badía Margarit, p. 35), village de la commune de Llavorsí,

part. Sort, prov. Lérida. Paraît contenir un cognomen *Agidus, qui est à la base de A g i d i 11 u s , attesté dans la Tarraconen­sis (CIL. II, 4456), de A g e d i n i u s , attesté en Gaule Trans­alpine et A g e d o v i r u s , attesté en Gaule Transalpine (CIL. XIII, 5929 et 3101). Il est possible que le même radical gaulois se cache dans le nom de la commune Aydat (< *Aydac?) du dép. de Puy-de-Dôme.

3. Alastrué (prov. Huesca, part. Boltaña) représente très proba­blement une déformation d'une forme antérieure Alastué avec insertion d'un r parasite, cfr. en français rustre pour ruste, re­gistre ( r e g e s t a ), esp. ristra ( r e s t i s ). Voir Alastuey.

4. Alastuey (prov. Huesca, part. Jaca), Alastué a. 1090 (García Blanco, 122), au XIXe siècle prononcé faussement Alastruey

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(Madoz, I, p. 202), est expliqué par Menéndez Pidal comme pro­venant du basque last-toi «lieu de ruisseau» (RFE. V, 236 et Orig., p. 462). L'analogie de Allassac (Corrèze) qui contient le gentilice A l a c i u s , attesté en Gaule Cisalpine (CIL. V, 1983), permet de penser à une déformation de *Alatsuéy ( *Alazuey).

5. Allué (prov. Huesca, part. Jaca) contient le cognomen A l l u s attesté en Espagne (CIL. II, 1020), ou bien le gentilice A l l i u s attesté en Gaule Transalpine (CIL. XIII, 5206).

6. Andaní, village de Alfarrás (prov. Lérida, part. Balaguer), re­monte probablement à une forme antérieure *Andanúi (Badía Margarit, p. 36). Comme nd en catalán aurait été assimilé à n (segona < secunda), on peut conjecturer une forme primi­tive *Anedanúi. Le cognomen A n e t u s est attesté en Aquitaine (Holder, III, p. 622). Sur cette base on a pu former un anthro­ponyme * A n e t a n u s , de même que A u p i a n u s existe à côté de A u p i u s , O c t a v i a n u s à côté de O c t a v i u s 8 .

7. Ambonúy, v. Envonúy

8. Aquilué (prov. Huesca, part. Jaca), Aquilui a. 1059 (Orig., p. 141), Aquiluei a. 1079 (dans Documentos de Sancho Ramírez), est ex­pliqué par Menéndez Pidal comme «endroit des aigles» (REF. V, p. 239). Contient plus probablement le cognomen A q u i l u s , attesté en Espagne (CIL. II, 904). Le même anthroponyme se pré­sente dans le fundo A q u i 1 i a c o (Holder, I, 167), qui aujourd'hui s'appelle Éguilly (Côté d'Or). Il y a un autre Eguilly (Aube) en Champagne et Eguilley dans le dép. de la Haute-Saône.

9. Ardanué, prononcé aussi Ardané (prov. Huesca, part. Benabarre, hameau de Neril) fait postuler un anthroponyme * A r d a n u s , dérivé du cognomen gaulois A r d a , attesté en Gaule Transal­pine (CIL. XIII, 1632). On peut confronter le cognomen Ar­d a c u s qu'on lit comme nom d'un figulus (CIL. II, 4970). Un * A r d a n u s paraît s'être conservé aussi dans Ardenay (dép. Sarthe).

8. Voir Rev. de Fil . Esp., XXXVI, pág. 224.

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10. Ardanúy (prov. Huesca, part. Benabarre, hameau de Castanesa). Voir No. 9.—Inadmissible comme source le basque ardan-oi, «vi­gnoble» (Oríg., p. 462), étant donnée l'altitude (ca. 1.500 m.) des deux villages.

11. Arescúy, nom d'un ancien château dans le Pallars, prov. de Lé­rida (Badía Margarit, p. 32) ne peut être séparé du cognomen A r e s c o s attesté en Afrique (CIL. VIII, 13139).

12. Arestúy (prov. Lérida, part. Sort) a été identifié par Menéndez Pidal avec le basque ariztoi «bois de chênes» (REF. V, 235). Fait penser avec plus de probabilité au cognomen A r i s t u s , attes­té dans une inscription de la province de Lugdunum (CIL, XIII, 1673).

13. Asué, montagne près de Broto (prov. Huesca, part. de Boltaña) trouve des analogies frappantes dans les noms de lieu Assac (Tarn), Assay (Indre-et-Loire), Assé (Sarthe), Assago (Lombar­die). On peut penser à l'existence d'un cognomen * A s s u s, dont on a tiré le nom de personne A s s o n i u s , attesté en Gaule Cisalpine (CIL, V, 6902).

14. Azanúy (prov. Huesca, part. Tamarite) contient le cognomen A t t i a n u s attesté dans une inscription d'Andalousie (CIL. II, 1064). Pour l'évolution phonétique nous citons l'espagnol maçana (manzana) < M a t t i a n a , maza < * m a t t e a.

15. Bafalúy (prov. Huesca, part. Benabarre) peut se rattacher au cognomen V a b a 1 u s , attesté dans une inscription d'Oviedo (CIL. II, 2700). La forme Bafalúy au lieu d'un *Babaluy serait due à une dissimilation.

16. Balastuy ou Balestúy (prov. Lérida, part. Sort), fait penser au cognomen B 1 a s t u s attesté dans une inscription de Gaule Transalpine (CIL. XIII, 679). Si l'on suppose une forme anté­rieure Belestúy (cfr. le cat. balança < b i l a n c i a ) , le nom de lieu peut être mis en relation avec le cognomen B e l e s t u s , attesté dans une inscription de Bordeaux (Holder, I, 374). Dans le dép. de la Haute-Garonne on a le toponyme Balesta (< Bales­tac?), qui peut dériver de ce dernier nom.

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17. Barnúy, nom d'un ancien château dans le Pallars, prov. Lérida (Badía Margarit, p. 32) contient le même anthroponyme qui s'est conservé dans Barnay (Saône-et-Loire) et Barnasco, nom d'un village en Suisse méridionale. Contient le cognomen B a r n a , attesté dans des inscriptions d'Espagne et de Gaule Transalpi­ne (CIL. II, 3282 et Holder I, p. 351).

18. Belsué (prov. et part. Huesca) paraît se rattacher au cognomen gaulois B e 1 s a ou B e l s u s , attesté dans des inscriptions de Gaule et d'Angleterre (CIL. VII et XIII). N'est pas exclue une base hispanique, cfr. le basque beltz 'noir'.

19. Bentué de Nocito (prov. Huesca, part. Boltaña) peut représenter un cognomen * V e n t u s , dont le radical revient dans les an­throponymes V e n t i n u s (attesté en Espagne), V e n t i n i u s , V e n t i l i u s , V e n t i c i u s , V e n t i d i u s (W. Schulze, p. 252).

20. Bentué de Rasal (prov. Huesca, part. Huesca). Voir No. 19.

21. Beranúy (prov. Huesca, part. Benabarre) ne peut être séparé du cognomen V e r a n u s , attesté dans des inscriptions de Gaule et d'Espagne (CIL. II et XIII).

22. Beranúy, prononcé aussi Brenúy, village de la commune de Mon­rós (prov. Lérida, part. Sort). Voir No. 21.

23. Beraní, prononcé aussi Braní, village de la commune de Rialp (prov. Lérida, part. Sort), réduction très probable d'une forme antérieure * Beranúy (Badía, p. 35).

24. Berganúy (prov. Huesca, part. Benabarre). On peut postuler un anthroponyme * B e r g a n u s , appartenant à un radical * B e r g u s, dont on a tiré les noms de personne gaulois B e r g u l l a (CIL. V, 4121) et B e r g u s s a (CIL. XIII, 3285).

25. Bernúy (prov. Lérida, part. Sort), a. 1052 Ueranue (Oríg., p. 141) devrait contenir, d'après Menéndez Pidal, le latin v e r a n u s (ib., p. 142). Je préfère y voir le cognomen V e r a n u s , attes­té dans une inscription d'Aquitaine (CIL. XIII, 407) et de la Gaule

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du Nord (ib. 3056). Le toponyme Bernúy se rencontre aussi hors de notre zone aragonaise-catalane: deux fois dans la prov. d'Ávi­la, trois fois dans la prov. de Segovia. Dans ces cas il sera plus juste de les ramener au gaulois v e r n a «aune».

26. Berroy (prov. Huesca, part. Boltaña) peut représenter le cogno­men B e r r a attesté en Gaule Cisalpine (CIL. V, 8115, 20). Celui-ci survit aussi dans Berrac (Dép. Gers) et Berry (Aisne).

27. Bestué (prov. Huesca, part. Boltaña). On peut supposer un cognomen * V e s t u s , qui est à la base du nom de personne V e s t o n i u s (en Gaule, CIL. XII, 91) et du cognomen V e s ­t i n u s , attesté dans des inscriptions de Gaule et d'Espagne. Un gentilice * B e s t i u s survit dans le toponyme Bestiac (Ariège).

28. Binué (prov. Huesca, part. Jaca), écrit antérieurement Binués (Madoz, s. n.), rappelle Binago (Lombardie) et Binasco (Lombar­die). Toutes les formes peuvent être dérivées du cognomen B i n u s , at testé dans une inscription d'Ombrie (CIL, XI, 4670).

29. Botué, attesté dans des documents aragonais du XIe siècle (RFE. V, 236), nom d'un village disparu, ne peut être séparé du cognomen gaulois B o t t u s (CIL. XII, 1105 et XIII, 10010, 345).

30. Brenúy (prov. Lérida, part. Sort) ne peut être séparé de Brenac (Aude) et de Breny (Aide). Tous ces noms contiennent le cog­nomen gaulois B r e n n u s (Holder I, p. 525).

31. Bresúy ou Bressúy (prov. Lérida, part. Sort) peut contenir l'an­throponyme gaulois B r e c c i u s , attesté dans une inscription d'Andalousie : G . B r e c c i u s S e c u n d i a n u s (CIL. II, 1730). Le même gentilice survit dans les toponymes Bressac (Drôme. Ardèche) et Bressy (Haute-Savoie).

32. Bretúy (prov. Lérida, part. Sort) contient très sûrement le cog­nomen B r i t t u s , attesté en Gaule Cisalpine (CIL. V, 5002).

33. Cabarúy, lieudit près de Bonansa (prov. Huesca, part. Benaba-

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rre), doit son origine au cognomen C a v a r o s , nom d'un roi gaulois (Holder I, 873).

34. Campanué, nom d'une montagne au nord de Graus (prov. Hues­ca, part. Benabarre), se rattache au cognomen C a m p a n u s , attesté dans des inscriptions d'Espagne (CIL. II). De C a m p a ­n u s on a tiré en France Campagnac (Tarn, Aveyron) et Cam­pagnano en Italie.

35. Carpué ou Carpuey, près de Jaca, prov. Huesca (Alvar, 135) est formé avec le cognomen gaulois K a r p o s ( C a r p u s ) , attesté dans des inscriptions de Gaule et d'Espagne (CIL. II et XII).

36. Castarmúy, nom d'une montagne près de Bonansa (prov. Hues­ca, part. Benabarre) rappelle le toponyme Casternago en Lom­bardie et Kesternich (Rhenanie). Les deux noms font préssup­poser l'existence d'un cognomen gaulois * C a s t e r n u s ou * C a s t a r n u s (Holder III, 1140). Le cognomen C a s t u s est assez fréquent dans les inscriptions de Gaule Transalpine. Quant au suffixe -arnus, on peut confronter S e g i a r n u s (CIL. VI) à côté de Segius, Dousarnus (CIL. XII) à côté du cognomen gaulois D o u s .

37. Cellúy ou Sellúy (prov. Lérida, part. Sort) rappelle les topony­mes français Ceillac (Hautes-Alpes) et Ceilhac (Haute-Loire). Ces noms nous ramènent au cognomen C e 11 i u s ou C e 1 i u s ( C a e l i u s ) , attesté en Gaule Transalpine (CIL. XIII, 3285) et en Espagne (CIL. II).—Voir Selluy.

38. Corroncúy ou Corruncúy (prov. Lérida, part. Tremp) ne peut être séparé du cognomen hispanique C o r o n i c u s (Tovar, 107); on peut confronter aussi C o r o n c a , comme nom d'un potier dans une inscription de Lyon (Holder I, p. 1133). Un gentilice C o r r o n c i u s survit dans le toponyme Corronsac. (Haute-Garonne). Quelle relation y a-t-il entre Corroncúy et le Corron­co de Durro, nom d'une montagne à 15 kilomètres de notre village?

39. Chinagüé, lieudit dans le territoire de Sobás, prov. Huesca,

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LE SUFFIXE PRÉROMAN -UÉ, -UY DANS LA TOPONYMIE ARAGONAISE ET CATALANE

part . Boltaña. Ne peut être séparé du cognomen hispanique I n a c h u s (CIL. II, 4457), pour lequel on peut postuler une prononciation * J i n a c h u s . Quant à l'évolution phonétique, nous renvoyons à l'arag. chinebro ( g e n i p e r u s ) et chenullo ( g e n u c u 1 u m ) .

40. Denúy (prov. Huesca, part. Benabarre) peut être rat taché au cognomen D i n u s , attesté dans une inscription de la Tarra­conensis (CIL. II, 6349, 19). En France on a Denac (Cantal), qui présuppose le même cognomen.

41. Ensúy, Loch den Suy a. 1359, ancien château dans le Pallars (Badía Margarit, p. 33) avec un radical qui revient dans En­zano (Lombardie). Aux deux toponymes peut suffire le cogno­men E n i c i u s , attesté dans une inscription de Gaule Cisalpine (CIL. V, 7850).

42. Envonúy (Ambonúy d'après Menéndez Pidal, RFE, V, 241), prov. Lérida, part. Sort, contient le cognomen pyrénéen En­n e b o n u s , attesté dans une inscription d'Aquitaine (Hol­der I, 1439).

43. Eresué (prov. Huesca, part. Boltaña) fait penser au cognomen hispanique E r i s ou E r o s (CIL. II). Sur une inscription d'Aquitaine on lit, en forme de datif, le nom de femme E r e ­s i n e (CIL. XIII, 341).

43. Espúy (prov. Lérida, part. Sort) n 'appartient probablement pas à notre groupe: doit être interprété comme es pui «la colline» (Coromines, RFH. V, 15).

44. Gabardué, lieudit dans le territoire de la commune de Espuén­dolas, part. Jaca, prov. Huesca (Alvar, p. 135). Si l'on tient compte du f u n d u m C a b a r d i a c u m (aujourd'hui Caver­zago) en Gaule Cisalpine (CIL. XI, 1301), on peut reconstruire un anthroponyme celtique * C a b a r d o s . Pour le changement de c initial, on peut confronter l'esp. gato ( c a t t u s ) , gabia ( c a v e a ) . Le même cognomen gaulois s'est conservé dans le nom du village Javerdat ( < *Javerdac) dans le dép. de Haute-Loire.

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45. Gallisué (prov. Huesca, part. Boltaña) doit être un dérivé du gentilice G a l l i c i u s , attesté en Italie et en Angleterre (CIL. VI et X). Un *Gallicianum survit dans le nom du hameau Gallician (Gard), avec accentuation grecque dans le nom du village (de langue grecque) Gallicianò en Calabre.

46. Gillué (prov. Huesca, part. Boltaña), fait penser à Gilhac (Ar­dèche) et Gilly (Côte-d'Or), qui ont pour origine le gentilice G i 11 i u s , attesté dans une inscription de Nîmes (CIL. XII, 3691). Notre nom peut se rattacher aussi au cognomen G i l l o , attesté dans la Tarraconensis (CIL. II, 3437).

47. Gronestué dans des documents aragonais du XIe siècle (RFE. V. 236), village qui a disparu. On peut reconstruire un cognomen * C r o n i s t u s sur l'existence d'un anthroponyme C r o n u s , attesté dans une inscription de la Tarraconensis (CIL. II, 5592). Quant au suffixe, on peut confronter le cognomen C a r i s t u s (Espagne, CIL. II) à côté de C a r u s .

48. Labazúy (prov. Huesca, part. Benabarre) peut être rattaché à Lavassac (Gard). Sur ces deux noms on peut reconstruire un gen­tilice * L a b a c i u s , dérivé du même radical * L a b u s , dont on a tiré le cognomen L a b i n c u s , attesté en Gaule Cisalpine.

49. Larinzué, lieudit de la commune de Tella, part. Boltaña, prov. Huesca (Elcock 94), semble postuler un gentilice * L a ­r i n c i u s , dérivé du cognomen hispanique L a r u s (Voir no. 50). Confrontez L a b i n c u s (voir no. 48).

50. Larrué ou Larué (García Blanco, p. 125), variante médiévale d'un village qui aujourd'hui s'appelle Larués (prov. Huesca, part. Jaca); voir RFE. XXXVI, p. 243. Contient probablement l'anthroponyme L a r u s , attesté en Espagne (CIL. II, 5597).

51. Llesúy ou Llessúy (prov. Lérida, part. Sort) peut être comparé avec les noms de lieu de la France: Lessac (Charente), Lessay (Manche) et Lessy (Moselle). On peut imaginer à leur origine le cognomen L e t t i u s , attesté en Gaule Transalpine (CIL, 13, 4168).

52. Lorrui a. 1135, Lorroi a. 1009, Lorrue a. 1056 (Oríg., p. 141),

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LE SUFFIXE PRÉROMAN -UÉ, -UY DANS LA TOPONYMIE ARAGONAISE ET CATALANE

village en Aragon qui a disparu, fait penser à Lorry (Moselle). Dans des inscriptions d'Espagne et de Gaule Cisalpine on trouve le cognomen L o r e i u s (CIL. II et V).—Voir No. 64.

53. Martillué (prov. Huesca, part. Jaca) ne peut être séparé du gen­tilice romain M a r t i l i u s , qui survit en Martillán (Salaman­ca), Martillac (Gironde) et Martigliano (Italie). Ou bien de M a r t i l l a , nom de femme, attesté dans des inscriptions his­paniques (CIL. II, 1712, 1896, 3197).

54. Mencúy (prov. Lérida, part. Sort) peut contenir un cognomen * M i n c u s dont ont été tirés les gentilices M i n c u l l i u s (CIL. X, 1096), M i n c i 1 i u s (ib. IX, 747) et M i n c i u s (ib. V, 4908). Ce dernier survit dans les toponymes Mensac (Drôme) et Menzago (Lombardie).

55. Mentúy (prov. Lérida, part . Sort). Avec l'aide des toponymes Menty (Pas-de-Calais) et Mentigny (Rhône) on peut recons­truire un anthroponyme * M e n t u s (* M e n t i n i u s ) , qui peut être appuyé par les anthroponymes M e n t o et M e n t i n a , attestés dans des inscriptions d'Espagne et de Lusitanie (CIL. II, 2149a et 5036).

56. Monebúi, nom d'une montagne, prov. Lérida, part. Sort (Badía Margarit, p. 33). On peut conjecturer un anthroponyme * M o ­n e v o s , dérivé du cognomen M o n u s , attesté en Gaule Holder II, 627). Pour la formation, on peut confronter C a r e ­v u s (Gaule, CIL. XIII, 10010, 3280a) à côté de C a r u s , Lu­t e v o s (Gaule, CIL. XII) à côté de L u t o s .

57. Montanúy (prov. Huesca, part. Benabarre) ne peut être séparé du cognomen M o n t a n u s , attesté très souvent dans des inscriptions d'Espagne et d'Aquitaine. Du gentilice M o n t a n i u s on a tiré les toponymes Montagnana (Italie), Montagnano (I ta­lie), Montañana (Huesca), Montagnac (Gard, Hérault, Dordogne, Lot-et-Garonne), Montagny (Loire, Oise, Côte-d'Or).

58. Nabarcué, lieudit dans la commune de Bonansa, part. Bena­barre, prov. Huesca. On peut postuler un anthroponyme * N a -

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v a r k o s , dérivé du cognomen N a v o s ( N a v u s ) que l'on lit sur des inscriptions de Gaule et d'Espagne. On peut confronter le cognomen C o r i a r c o s à côté de C o r i u s .

59. Orcantué, Orcentué, Orcandué, dans des documents aragonais du Xe et XIe siècle (RFE. V, 236), nom d'un village disparu. On peut reconstruire un anthroponyme * U r c a n t u s , formé sur le radical * U r c - , que l'on rencontre dans les anthroponymes ibériques U r c i c o (CIL. II, 2818), U r c e s t a r (ib. 2087) et U r c h a i l (ib. 2087). On peut confronter le cognomen gaulois B i r r a n t u s (tiré de B i r r o ) et C a r a n t u s à côté de C a r u s.

60. Paternoy (prov. Huesca, part. Jaca), Paternue, XIe siècle, a été expliqué par Menéndez Pidal comme «endroit paternel» (RFE. V, 240). Je préfère postuler un cognomen * P a t t i r n u s , dérivé du cognomen P a t t a, attesté dans des inscriptions de Gaule et de Germanie (CIL. XIII). Pour le suffixe - i r n u s , on peut confronter les anthroponymes I a v i r n u s , L i c i r n u s et L o g i r n u s , attesté dans des inscriptions de Gaule et d'Es­pagne; voir CIL. II, 2940, II, 4970, 268 et Holder II, 279. A un * P a t t i r n a c u m peut remonter le nom du village Patornay (Jura).

61. Pedarmúy ou Pedramúy, cité par Menéndez Pidal (RFE. V, 241), prov. Huesca, part. Benabarre, reste énigmatique.

62. Penarruy, lieu dit de la commune de Senet, prov. Lérida, part. Tremp (Badía, 33), en admettant une forme antérieure *Penarúy < *Pendarúy, peut représenter le cognomen hispanique P i n d a r a , attesté dans la Tarraconensis (CIL. II, 3909).

63. Pernúy, village de la commune de Sort, part. Sort, prov. Lérida. Inacceptable l'opinion de A. Badía: «il s'agit peut-être d'une confusion avec Bernúy» (p. 33). Contient le même anthroponyme qui survit dans le nom de lieu Pernate (Lombardie)9. A leur origine on peut supposer le cognomen P e r r n u s , attesté dans

9. Pour la valeur du suffixe -ate, voir Rev. de Fil. Esp., XXXVI, p. 219; Archiv fuer das Studium der neueren Sprachen, vol. 184, 1944, p. 112; G. ROHLFS, An den Quellen der romanischen Sprachen (Halle, 1952), p. 160.

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LE SUFFIXE PRÉROMAN -UÉ, -UY DANS LA TOPONYMIE ARAGONAISE ET CATALANE

une inscription de Lyon (CIL. XIII, 1739), ou Perennis attesté en Espagne (CIL. II, 258).

64. Ralúy (prov. Huesca, part. Benabarre) paraît postuler un cog­nomen (gaulois?) * R a l l u s . Un gentilice * R a l l i u s a servi à former les toponymes Raillac (Aveyron) et Railly (Yonne). D'après une communication de M. Coromines Ralúy serait une déformation de la forme médiévale Lorrui.—Voir No. 52.

65. Ramastué, prononcé aussi Remastué (prov. Huesca, part. Bol­taña) ne peut être séparé du cognomen R e m e s t o , attesté dans une inscription de Clermont-Ferrand (CIL. XIII, 1485): H i c r e q u i e s c i t b o n e memorie R e m e s t o .

66. Renanué (prov. Huesca, part. Boltaña) paraît continuer le cog­nomen R e n a n u s, attesté dans une inscription de Pannonie (CIL. III, 11 1111): U l p . R e n a n u s , qui représente un dérivé du cognomen Renus, qu'on lit dans des inscription d'Espagne et des deux Gaules.

67. Roní (prov. Lérida, part. Sort), sorti probablement d'une forme antérieure *Ronúy (Badía, p. 36), fait penser à Ronago (Lom­bardie). Dans une inscription de Mayence on trouve le nom d'une femme: R u n a (Holder II, 1247).

68. Salmanúy a. 1359, château dans le Pallars, prov. Lérida, part. Sort (Badía, p. 33), contient évidemment le cognomen S a l m a n e s , attesté dans une inscription d'Angleterre (CIL. VII, 1119).

69. Sanúy, nommé antérieurement Sanahuy (Badía, p. 33), lieu ap­partenant à la commune de Lérida (prov. et part. Lérida). La forme Sanahuy est déconcertante. Pour Sanúy, on peut penser à l'anthroponyme S a n a , attesté dans une inscription de Bor­deaux (CIL. XIII, 10010, 1715).

70. Satué (prov. Huesca, part. Jaca), Sotué XIe siècle (RFE. V, 236) est certainement un dérivé du cognomen gaulois S o t t u s, at­testé dans une inscription d'Aquitaine (CIL. XIII, 956).

71. Sellúy, voir Cellúy.—Pourvu que Sellúy soit la forme primitive,

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on peut confronter Seillac (Loire-et-Cher) et Seilhac (Corrèze). Ces toponymes contiennent le cognomen S e l i u s , attesté dans des inscriptions de Gaule Transalpine (CIL. XII, 1796 et XIII, 2266).

72. Semolué, prononcé aussi Semulué et Semalué, hameau près de Fanlo (prov. Huesca, part. Boltaña), peut être formé sur un cog­nomen * S e m b u 1 u s ou * S e m b a l u s , dérivé du cognomen aquitanique S e m b u s (CIL. XIII, 56, 136, 166, 434). Pour la formation, on peut confronter les noms de personne A c t u l u s à côté de A c t u s , C o t t a l u s à côté de C o t t u s , D r u ­t a l u s à côté de D r u t o s , B u r r a l u s à côté de B u r r u s . Voir Semúy.

73. Semúy, lieudit appartenant à la commune de Barbastro (prov. Huesca, part. Barbastro), contient probablement le cog­nomen aquitanique S e m b u s ; voir Semolué. Le radical S e m ­b u s s'est conservé aussi dans les noms de deux villages de Gascogne: Séméac (Hautes-Pyrénées), Séméacq (Basses-Py­rénées).

74. Senegüé (prov. Huesca, part. Jaca), Senebué a. 1066 (García Blanco, p. 126), Senebui a. 1061 (Oríg., p. 141), paraît contenir un cognomen * S e n e v u s , dérivé de l 'anthroponyme gaulois S e n u s , attesté en Gaule. Pour le suffixe - e v u s , on peut con­fronter les noms de personne gaulois L u t e v u s et N e m a ­t e v u s , attestés en Gaule Transalpine.

75. Sensúy (prov. Lérida, part. Tremp) rappelle les toponymes Sen­sacq (Landes) et Senzano (Toscane). Ils ont à leur origine le gentilice S e n t i u s , attesté dans des inscriptions d'Espagne et de Gaule (CIL. II et XIII).

76. Senúy (prov. Huesca, part. Benabarre), en territoire de langue catalane, fait penser à Sénac (Hautes-Pyrénées). Les deux noms peuvent très bien représenter le cognomen S e n d u s , attesté en Aquitaine (CIL. XIII, 2).

77. Sercué (prov. Huesca, part. Boltaña) paraî t se rattacher au

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LE SUFFIXE PRÉROMAN -UÉ, -UY DANS LA TOPONYMIE ARAGONAISE ET CATALANE

cognomen S i r i c u s , attesté dans une inscription de Bologne (CIL. XI, 6712, 413), ou bien à S i r i c c o , attesté dans des in­scriptions d'Aquitaine (CIL. XIII, 111 et 265).

78. Serradúy (prov. Huesca, part. Benabarre) a été expliqué par Menéndez Pidal (RFE. V, 236) comme «endroit de scories» (bas­que sarra-toi). Il est préférable de recourir au cognomen S i r a ­d u s , attesté dans une inscription d'Aquitaine (CIL. XIII, 13, 310). Le même nom (avec suffixe latin: - a n u m ) survit dans le nom du village Siradan dans le département des Hautes-Pyrénées. Le -rr- peut résulter de l'influence de l'arag. serrato 'colline'.

79. Serué (prov. Huesca, part. Jaca) rappelle les toponymes fran­çais Serac (Ariège), Sery (Yonne, Ardennes). Leur origine peut s'expliquer par le cognomen S e r u s , attesté dans une inscrip­tion de Gaule Transalpine (CIL. XIII, 7582).

80. Seurí, village de la commune de Llessúy (prov. Lérida, part. Sort) peut être rattaché au cognomen S e v e r u s , attesté très fréquemment dans les inscriptions d'Espagne et de Gaule Transalpine. Pour l'évolution phonétique, on peut confronter le cat. viure < v i v e r e , moure < m o v e r e . A la même base remontent les noms de lieux Sévérac (Aveyron, Tarn), Sevrey (Saône-et-Loire) et Sévry (Cher, Yonne).

81. Sesué (prov. Huesca, part. Boltaña) se rattache probablement au cognomen S i s s u s , attesté dans des inscription de Gaule Transalpine (CIL. XIII, 10011, 127 et 5012).

82. Somponui IX s., Soponui XII s. dans des documents de la Seu d'Urgell (prov. Lérida), endroit non identifié. Reste énig­matique.

83. Tendrúy ou Tenrúy (prov. Lérida, part. Tremp). En l'absence de formes anciennes, reste obscur.

84. Tercúy (prov. Lérida, part. Tremp). Dans une inscription de Castellón de la Plana on lit le cognomen T i r c i n u s (CIL. II, 6256, 45) qui doit remonter à une base anthroponymique * T i r c u s .

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85. Toronzué, lieu dit de la commune de Linás de Broto (El­cock, p. 89), prov. Huesca, part. Boltaña. Paraît se rattacher à un anthroponyme * T a u r o n t i u s , dérivé du cognomen T a u r u s , qui est attesté dans des inscriptions d'Espagne (CIL. II, 3556 et 5720). Le suffixe - o n t i u s appartient à l'onomas­tique de l'Espagne ( S e c o n t i u s ) et de la Gaule Transalpine ( A l l o n t i u s , B r e g o n t i u s , M a r o n t i u s , V o c o n ­t i u s ) .

86. Villarué (prov. Huesca, part. Benabarre), écrit aussi Villarúy. Paraît être dérivé d'un anthroponyme * V i l l a r o s 1 0 . Celui-ci peut être conjecturé sur l'existence d'un cognomen gaulois V i l l o, attesté dans plusieurs inscriptions de Gaule Transalpine (CIL. XII, 5686 et XIII, 10010, 2647), et sur les anthroponymes gaulois C a i l a r u s (à côté de C a i l u s ) , C a r n a r u s (à côté de C a r n u s ) , C a r t a r u s (à côté de C a r t u s ) , C a r v a r u s , E p a r u s , M a s c a r u s .

Le suffixe

Tout le monde peut se déclarer d'accord avec Menéndez Pidal sur le fait que les deux formes principales de notre suffixe (-ué, -úy) remontent à une même forme phonétique antérieure -oi. Reste à discuter l'hypothèse soutenue par Menéndez Pidal, selon laquelle notre suffixe aurait pour origine deux sources différentes:

1. l'ibérique - t o i (Ramastué, Arestúy) 2. l'ibérique - o i (Aquilué, Ardanúy)

On a déjà vu le point faible de cette opinion. Vu le caractére basco-ibérique de ces suffixes, il est clair que nos toponymes, au moins dans leur majorité, devront être formés avec des radicaux qui se retrouvent en basque. Or, le Maître lui-même n'a su expliquer qu'une partie minime de nos noms de lieu. D'autre part: est-il con­cevable que le même suffixe - o i , exprimant l'idée d'une tendance, se soit ajouté à plus de 70 radicaux différents?

10. Un V i l l a r o s est contenu aussi dans le nom de famille français Vildrac ( * V i l l a r a c u m ), qui provient d'un nom de lieu.

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LE SUFFIXE PRÉROMAN -UÉ, -UY DANS LA TOPONYMIE ARAGONAISE ET CATALANE

A travers l'analyse détaillée des radicaux contenus dans nos toponymes nous croyons avoir pu démontrer que le soi-disant suffixe -toi est l'effet d'un simple mirage. Des noms comme Arestúy, Ba­lastúy, Ramastué, Bretúy, Sotué ne contiennent pas un suffixe - t o i , mais sont formés sur les anthroponymes Aristus, Belestus, Remesto, Brittus, Sottus.

Rien n'empêche donc d'admettre pour l'ensemble de nos toponymes une terminaison unique.

Quelle a été cette terminaison? Personne, jusqu'à présent, n 'a observé que dans l'anthroponymie

ancienne de l'Europe occidentale à côté de certains noms de personne est attestée une forme allongée par le suffixe - o i u . Voici les exem­ples que j 'a i pu réunir:

A t t i o i u s , attesté en Gaule Transalpine (CIL. XIII, 4273) à côté du gentilice A t t i u s , attesté en Espagne11.

A n n i c c o i o s , attesté en Aquitaine (Holder I, 157) à côté du cog­nomen A n n i c c u s , attesté dans une inscription de Nîmes (CIL. XII, 3896).

C a p i t o i u s , attesté dans une inscription de la Narbonensis (CIL. XII, 2373) à côté du cognomen C a p i t o s , attesté dans une ins­cription de Bordeaux (Holder I, 759).

C o n t e d o i u s , à côté du gentilice C o n t e d i u s , tous deux at tes­tés dans des inscriptions de la Lugdunensis (Holder I, 1107 et CIL. XIII, 2843).

C o n t e s o i o s (Holder II, 841, sans localisation), dérivé du gentilice gaulois C o n t e s s i u s , qu'on lit dans plusieurs inscriptions de Gaule Transalpine (CIL. XII, 1821 et 2008).

L u s s o i u s , nom d'une divinité de Luxeuil (Haute-Saône), attesté dans une inscription de cette ville (CIL. XIII, 5425).

11. D'après Weissgerber At t i o i u s serait dû à une fausse lecture au lieu de A t t i c i u s (Rhein. Mus., 84, 333).

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Avec une certaine vraisemblance on peut ranger dans notre groupe quelques noms formés avec - o d i u s . On sait que dans m e d i u s et h o d i e le d s'était effacé assez tôt en latin. Comme p r i d i e est devenu p r i j e (CIL. V, 1713), on lit dans les inscriptions des cas d'orthographe inverse : c o d i u g i (CIL. X, 2559) = c o j u g i . On a donc, peut-être, le droit d'identifier - o d i u s à - o i u s :

A11 o d i u s , attesté en Gaule (TLL. I, 1713) à côté du cognomen Al l u s , attesté en Espagne (CIL. II, 1020).

C a r a n t o d i u s , attesté en Gaule (CIL. XIII, 100025, 136) à côté de C a r a n t i u s de la même inscription.

G e n e t o d i a , nom de femme attesté en Gaule Transalpine (CIL. XIII, 2975) à côté du cognomen G e n e t u s (ib. 8228).

Il est malaisé de porter un jugement sur la valeur précise de notre terminaison. Puisque nous avons relevé la grande analogie des toponymes formés par -ué et -úy avec les toponymes qui contiennent le suffixe gaulois - a c u (voir p. 132), on serait porté à lui donner une fonction à peu près pareille. En effet, le suffixe gaulois - a c u , lui aussi, a été employé dans la formation de nouveaux noms de personne : A l l i a c u s à côté de A l l i u s , A r t a c u s ( A r t o s ) C a r i a c u s ( C a r i u s ) , J u l i a c u s ( J u l i u s ) 1 2 . C'est le même procédé dont les Romains se sont servis pour former un O c t a ­v i a n u s sur O c t a v i u s , J u l i a n u s sur J u l i u s , M a r t i a n u s sur M a r t i u s , V a l e r i a n u s sur V a l e r i u s . Il est donc très probable que notre suffixe - o i u s a eu la valeur du gaulois - a c o s et du latin - a n u s , c'est à dire la fonction d'exprimer l'idée «appar­tenant à» : O c t a v i a n u s appartenant à la familie d'O c t a v i u s.

Voici donc le résultat que nous nous permettons de présenter : Les toponymes formés avec le suffixe -ué (-uéy) et -úy sont à ranger, dans leur signification à côté des formations galloromanes Arnac, Aurillac, Balzac, Bersac, Gabriac et des formations romanes en Ita­lie: Albuzzano, Appiano, Aprigliano, Cornegliano, Ottaiano, Sa­vignano.

12. Voir G. Rohlfs, Rev. de Filol. Esp., tome XXXVI, p. 224.

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LE SUFFIXE PRÉROMAN -UÉ, -UY DANS LA TOPONYMIE ARAGONAISE ET CATALANE

La terminaison - o i u est-elle compatible avec les formes moder­nes de notre suffixe -ué, -úy? Aucun doute n'est permis, après l'étude de Menéndez Pidal, que -ué et -úy aient eu pour source un -oi antérieur (avec ó ouvert). D'autre part nous savons que la perte de la voyelle finale -u (ou -o) est normal en territoire de langue cata­lane (ull< o c l u , puig < p o d i u , hai < h a b e o ). Quant à l'Ara­gon, il suffit de citer l'opinion du Maître: «la pérdida de la -o era propia del dialecto primitivo del país» (Orígenes, p. 174), tendance qui justement s'est conservée dans les noms de lieu de l'Aragon: Tierz < t e r t i u , Monclús, Lupiñén, Campaz, Corraláz, Plan, Ber­dún, Morcát13.

Reconstitution de la couche historique

Dans notre étude «Sur une couche préromane dans la toponymie de Gascogne et de l'Espagne du Nord» (Rev. de Fil. Esp., tome XXXVI) nous avons pu circonscrire l'aire de dispersion du suffixe toponymi­que -ués (Aragüés, Bernués, Gallués) entre la région de Pampelune et le río Esera, en faisant ressortir son centre d'irradiation maximale dans le ressort judiciaire de Jaca (p. 253). Quant au suffixe -ué et -úy, son maximum de diffusion est lié aux ressorts judiciaires de Boltaña, Benabarre et Sort, avec des manifestations beaucoup plus faibles dans la région de Jaca et dans le ressort judiciaire de Tremp. Vers l'ouest les derniers exemples de notre suffixe se perdent au delà du río Gállego entre Sabiñánigo et Puente de la Reina (Alas­tuey, Paternoy, Carpué, Gabardué). Vers le sud elles ne passent pas une ligne qui va de Huesca par Tamarite à Balaguer. Vers l'est, dans la région de Sort et de Tremp, les derniers exemples (Balastúy, Corroncúy, Sensúy, Tendrúy) —avec une seule exception (Envonuy)— ne passent pas la Noguera Pallaresa14.

Tandis que pour le suffixe -ués (qui provient d'une forme ancien­ne - o s s u ) nous avons pensé à l'attribuer à la peuplade des Jacitani (tribu soeur des Aquitani?), on sera tenté de rattacher le suffixe -ué et -úy à un territoire qui, grosso modo, a été habité par les Iler­g e t e s .

Le parallélisme complet qui existe dans l'emploi du suffixe -ués

13. Voir A. Kuhn, Revue de linguistique romane, XI, p. 85. 14. Voir la carte dans les "'Orígenes" de Menéndez Pidal (1950), p. 464.

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(-ós) entre le territoire des Jacitani et les régions habitées par les Aquitains nous a portés à inscrire ces peuples dans le même groupe ethnique, groupe d'origine probablement pré-ibérique. Quant aux Ilergetes, les auteurs anciens ont circonscrit leurs domiciles entre le río Gállego et le río Segre. C'est justement dans ces limites que le suffixe -ué, -uy a servi à former une quantité extraordinaire de to­ponymes. Il est plus malaisé de formuler un jugement sur le carac­tère ethnique des Ilergetes. Ce qui paraît sûr, c'est qu'ils ne devaient pas être apparantés aux Vascones. A en croire les auteurs anciens, ils seraient à ranger dans le groupe des tribus ibériques15. Si cette opinion est juste, on est surpris de ne pas voir notre suffixe s'étendre au sud de Huesca et de Tamarite. On a l'impression que les Ilergetes ont dû parler une langue qui probablement n'était pas celle des Ibères.

Faudra-t-il les rattacher à cette grande famille méditerranéenne qui a habité le Nord-Est de la péninsule hispanique avant l'invasion des Ibères et des Celtes? Est-il trop osé de penser à une parenté avec les L i g u r e s , dont l'existence dans la péninsule hispanique est attesté «por textos griegos antiguos y respetables»?16

Quant au suffixe -o i u (ou -o d i u ), les exemples que nous avons cités ne permettent pas de préciser sa descendance linguistique. Les inscriptions où nous avons rencontré notre suffixe, appartiennent à un territoire qui de l'Aquitaine va jusqu'à la Moselle et à la Côte d'Azur: suffixe gaulois ou ligurien? Or, il est intéressant de voir que notre suffixe réapparaît dans un territoire assez éloigné de la Gaule Transalpine.

Dans des inscriptions de Pannonie nous lisons les anthroponymes B r i m o i u s (CIL. III, 4131), C o e m o i u s (ib. 3792), T u r o i u s (ib. 10725)17. Ces noms aussi sont prolongés sur un radical anthropo­nymique: B r i m (CIL. XIII, 10010, 353), C o i m o (ib. III, 10354), T u r u s (ib. III, très fréquent en Dalmatie). Le domaine de leur dif­fusion laisse supposer que ces noms appartiennent aux I l l y r i e n s . On connaît la théorie qui attribue aux anciens Illyriens une part

15. Telle est aussi l'opinion de Schulten (Numantia, tome I, 1914, p. 79), et de Bosch-Gimpera.

16. Menéndez Pidal, dans la Zeitschrift für romanische Philologie, tome 59, 1939, p. 195.

17. Je dois ces exemples à une aimable communication de M. H. Krahe (Tü­bingen).

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décisive dans la colonisation de l'Europe centrale et occidentale. D'après les dernières recherches ce seraient eux qui auraient indo-germanisé les liguriens13. Sous cette nouvelle lumière l'origine ligurienne de -ué et úy gagnerait en probabilité.

Est-il possible de préciser le caractère de notre substrat à l'aide des radicaux qui se sont fossilisés dans les noms de lieu que nous venons d'analyser?

La plupart des anthroponymes que nous croyons avoir indentifiés dans les noms de lieu en -ué et -úy, paraissent dériver de l'onomas­tique gauloise : * A g i d u s , A l a c i u s , A q u i l u s , A r d a , A r i s t u s , B a r n a , B e l s a , * B e r g u s , B e r r a , B o t t u s , B r e c c i u s , B r i t t u s , * C a b a r d o s , C a v a r u s , C a r p o s , * C a s t e r n u s , G i l l o , * L a b a c i u s , * M i n c u s , * M o n e ­v o s , * N a v a r k u s , * P a t t i r n u s , P e r n u s , * R a l lu s, * R e m e s t o , R u n a, S i s s u s, S o t t u s , V e r a n u s, * V e s t u s. Cette prédominance de l'élément gaulois ne veut pas dire nécessai­rement, que la région pyrénéenne entre le río Gállego et la Noguera Pallaresa ait été habitée essentiellement par des tribus de souche celtique. Comme plus tard l'onomastique romaine a servi à former une quantité énorme de toponymes au moyen du suffixe gaulois - a k o s dans le territoire des deux Gaules (Campagnac, Flaviac, Floirac, Frontenac, Juillac, Marsac, Marcillac, Marignac, Savignac; Marzago, Marcignago, Ponzago, Savegnago), on peut être sûr que, dans une période antérieure, l'onomastique gauloise s'est communi­quée aux peuplades qui se trouvaient exposées à l'ascendant de la civilisation gauloise ou celtibère.

Sont plus intéressants les éléments indigènes d'origine hispani­que ou ibérique qui se dégagent de nos toponymes : C o r o n i c u s , C r o n u s , I n a c h u s , E n n e b o n u s , E r e s - , * L a r i n c i u s L a r u s , P i n d a r a , T i r c u s , * U r c a n t i u s , V a b a l u s. Il y en a d'autres qui semblent accuser une provenance aquitanique: A n e t u s , B e l e s t u s , S a n a , S e m b u s , S e n d u s , S i r i c c o S i r a d u s . Sont peu nombreux les toponymes qui se rattachent à l'onomastique latine : C a m p a n u s , G a l l i c i u s , M a r t i l i u s , M o n t a n u s , S e v e r u s .

Un certain nombre parmi les toponymes que nous avons étudiés, semblent contenir un anthroponyme qui ne permet pas une attribution

18. Voir J. Pokorny, Zeitschrift für celtische Philologie, 21, 1938, p. 59 ss.

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sûre: A l a c i u s , A v i t i u s , A t t i a n u s , B i n u s , C e l l i u s , D i n u s , * M e n t u s , R en a n u s , Se l i n s , S e n t i u s , Se r u s , T a u r o n t i u s , V e n t u s .

Reste enfin un très petit groupe de toponymes qui s'est soustrait à toute identification: Pedarmúy, Somponúi, Tendrúy.

Il est très difficile de dire, si parmi les groupes que nous venons de distinguer, on peut admettre des élements liguriens. On trouve, en tout cas, des analogies frappantes avec la toponymie de cette Italie qui avant l'invasion des Celtes a été habitée par les Ligures:

Asué: Assago (Lomb.) Barnúy: Barnasco (Suisse mér.) Binué: Binasco (Lomb.) Castarmúy: Casternago (Lomb.)

Ensúy: Enzano (Lomb.) Gabardué: Caverzago (Emilie) Pernúy: Pernate (Lomb.) Roní: Ronago (Lomb.)

Est-ce que ces coïncidences sont suffisantes pour corroborer la théorie d'une o r i g i n e l i g u r i e n n e d e s I l e r g e t e s ?