Occasional Papers n°36 - mafhoum.com

56
Optimiser le processus de Barcelone Dorothée Schmid publié par l’Institut d’Etudes de Sécurité de l’Union européenne 43 avenue du Président Wilson F-75775 Paris cedex 16 tél. : + 33 (0) 1 56 89 19 30 fax : + 33 (0) 1 56 89 19 31 e-mail : [email protected] www.iss-eu.org Occasional Papers 36 Juillet 2002

Transcript of Occasional Papers n°36 - mafhoum.com

Page 1: Occasional Papers n°36 - mafhoum.com

Optimiser le processusde Barcelone

Dorothée Schmid

publié par

l’Institut d’Etudes

de Sécurité de

l’Union européenne

43 avenue

du Président Wilson

F-75775 Paris cedex 16

tél. : + 33 (0) 1 56 89 19 30

fax : + 33 (0) 1 56 89 19 31

e-mail : [email protected]

www.iss-eu.org

Occasional Papers

n°36Juillet 2002

Page 2: Occasional Papers n°36 - mafhoum.com

En janvier 2002, l’Institut d’Etudes de Sécurité (IES), est devenu une agence autonomede l’Union européenne, basée à Paris. Suite à l’Action commune du 20 juillet 2001, il faitmaintenant partie intégrante des nouvelles structures créées pour soutenir le développe-ment de la PESC/PESD. L’Institut a pour principale mission de fournir des analyses et desrecommandations utiles à l’élaboration de la politique européenne. Il joue ainsi un rôled’interface entre les experts et les décideurs à tous les niveaux. L’IES UE succède à l’Institutd’Etudes de Sécurité de l’UEO, auquel une décision du Conseil de l’UEO avait donné nais-sance en 1990 afin de catalyser le débat européen en matière de sécurité.

Les Occasional Papers sont des essais que l’Institut juge approprié de diffuser, en vue decontribuer au débat sur les questions d’actualité concernant la sécurité européenne. Ilsrésultent normalement de recherches effectuées par les boursiers de l’Institut, de contribu-tions préparées par des experts extérieurs ou de projets de recherche collectifs organisés parl’Institut (ou avec son soutien). Ils reflètent la position des auteurs, indépendamment decelle de l’Institut.

Ces Occasional Papers sont annoncés dans le Bulletin de l’Institut et peuvent être obte-nus, sur simple demande, dans la langue utilisée par l’auteur – français ou anglais. Ils peu-vent également être consultés sur le site Internet de l’Institut : www.iss-eu.org

Institut d’Etudes de Sécurité de l’Union européenneParis

Directeur : Nicole Gnesotto

© Institut d’Etudes de Sécurité de l’Union européenne 2002. Tous droits réservés. Tous droits de tra-duction, d’adaptation et de reproduction par tous procédés réservés pour tous pays.ISSN 1608-5000Edité par l’Institut d’Etudes de Sécurité de l’UE et imprimé en France par l’imprimerie Alençonnaise,conception graphique Claire Mabille (Paris).

Page 3: Occasional Papers n°36 - mafhoum.com

1

Optimiser le processusde Barcelone

Dorothée Schmid

Diplômée de l’Institut d’études politiques de Paris et ancienne étudiante de l’Université deParis-I (Panthéon-Sorbonne), Dorothée Schmid achève, sous la direction de GhassanSalamé, la préparation d'une thèse de doctorat en Sciences politiques portant sur lePartenariat euro-méditerranéen. Membre à titre individuel du réseau de rechercheEuroMesCo, elle effectue par ailleurs différents travaux de consultance externe sur desthèmes euro-méditerranéens.

Occasional Papers

n°36Juillet 2002

Page 4: Occasional Papers n°36 - mafhoum.com

2

Sommaire

5

4

3

2

Résumé 3

Introduction 5

Les potentialités de Barcelone : revue des atouts du Partenariat 9

2.1 Un cadre de négociations multilatérales unique 9

2.2 Des notions non exclusives de la sécurité, de l’économie et de la culture 10

2.3 Un cadre institutionnel expérimental 12

2.4 Des éléments de bilan positifs pour les différents intervenants 13

2.5 Le Partenariat mal aimé : les raisons d’un décalage 15

Les contraintes pesant sur le Partenariat euro-méditerranéen 16

3.1 L’asymétrie en Méditerranée 16

3.2 L’insatisfaction concernant les institutions et les méthodes du Partenariat 18

3.3 Les incertitudes du mécanisme libéral 20

3.4 La vulnérabilité face à la conjoncture politique :le conflit israélo-arabe comme preuve de la fragilité de Barcelone 22

Une esquisse de clarification : réflexion sur les objectifs du Partenariat 24

4.1 Les intérêts européens en Méditerranée 24

4.2 Les intérêts « euro-méditerranéens » 26

4.3 Les intérêts nouveaux des pays partenaires méditerranéens 29

4.4 Les choix pour l’Europe 31

Monter en puissance et en efficacité : quelques propositions 33

5.1 Les grands choix d'avenir : un cadre de référence pour activer les potentialités du Partenariat 33

5.2 Quelques propositions 40

Conclusion 46

Annexes 49

a1• Sigles 49

a2• Bibliographie 50

6

1

a

Mes remerciements vont à IsabelSchäfer et Dimitrios Triantaphylloupour leurs justes retouches et leursencouragements constants.

Page 5: Occasional Papers n°36 - mafhoum.com

3

...

Résumé Optimiser le processus de Barcelone

On s’accorde généralement à dire que, depuis son lancement en 1995 à Barcelone, le Parte-nariat euro-méditerranéen n’a pas vraiment répondu aux grands espoirs qu’il avait suscités.Les ambitions initiales de cette nouvelle forme de politique méditerranéenne étaient en effettrès importantes : assurer la paix et la stabilité régionale, encourager un développement écono-mique partagé, permettre une meilleure connaissance mutuelle de part et d’autre de la Médi-terranée. Ces grandes ambitions sont aujourd’hui tempérées, et le Processus de Barcelone glissedésormais insensiblement de la discrétion à la banalité. Discrétion, car les atouts, réels, du Par-tenariat, sont mal appréciés du grand public et des pays partenaires eux-mêmes ; banalité, carl’originalité du projet initial se dilue dans des procédures communautaires classiques et tropcomplexes à la fois. Au final, le Processus de Barcelone est souvent considéré, au pire, commeun dispositif inutile à vocation plus ou moins publicitaire, et au mieux, comme une déclinai-son locale de la mondialisation commerciale.

L’effort de bilan est ici toujours repoussé, au motif que cette politique serait encore tropjeune pour être évaluée. Sept ans n’auraient-ils donc pas suffi au Partenariat pour atteindrel’âge de raison ? Il semble pourtant légitime aujourd’hui de réfléchir à « l’acquis deBarcelone », selon l’expression utilisée par la Commission elle-même. L’urgence d’une telleréflexion est particulièrement évidente dans le contexte de l’après 11 septembre. Les attaquesterroristes perpétrées sur le sol américain ont en effet brutalement réactualisé les inquiétudessécuritaires qui avaient inspiré Barcelone. L’Europe s’interroge aujourd’hui à nouveau surune possible « menace méditerranéenne » et, au-delà de quelques mesures d’urgenceconcrètes, confirme son intention de traiter le terrorisme sur le long terme et à la racine. Or leprincipe du Partenariat est précisément de faire face à la menace méridionale, multiforme etimprécise, de façon globale, et en tenant compte de facteurs économiques et sociaux tradition-nellement négligés par l’analyse stratégique. La dynamique vertueuse du libéralisme, qui asso-cie une démocratisation progressive des institutions politiques à la diffusion de l’économie demarché, est ainsi au cœur du projet libre-échangiste de Barcelone.

Le Partenariat euro-méditerranéen est dans les faits un cadre de travail original, offrant lapossibilité de structurer une action autonome de l’Union européenne dans la région. Pourquoile Processus de Barcelone s’est-il donc, chemin faisant, détourné de sa perspective stratégiqueessentielle ? Quel sens donner aujourd’hui à un Partenariat que sa lourdeur et sa complexitérendent de moins en moins gérable ? Répondre à de telles questions suppose, une fois rappeléesles contraintes qui pèsent sur Barcelone de façon permanente, de se pencher sur les intérêts quientrent en jeu dans la relation euro-méditerranéenne, avant de réfléchir sur les méthodes et lesinstitutions du Partenariat.

Le Partenariat est en effet une construction complexe, additionnant dans une grandeconfusion les motivations et les objectifs des partenaires des deux rives de la Méditerranée. Amesure que l’intégration régionale progresse, les conflits de plus en plus visibles entre ces diffé-rents intérêts et objectifs contrarient l’effort de structuration d’ensemble. D’importantescontradictions en résultent, qui mènent le Partenariat à des impasses. Quelques grands choix

Page 6: Occasional Papers n°36 - mafhoum.com

4

ne peuvent plus aujourd’hui être différés si l’on veut garantir une nouvelle mobilisation dans lecadre de Barcelone.

Quatre thèmes de réflexion apparaissent ainsi comme prioritaires pour l’avenir du Partena-riat. Premièrement, le sens de la relation partenariale elle-même, qui suppose de clarifier enquoi le statut de « partenaire » peut être considéré comme attractif et porteur d’une dynamiquepour les pays tiers méditerranéens. Deuxièmement, la portée de l’ambition régionale et la pré-tention de Barcelone à traiter simultanément le politique, l’économique et le social ; introduireune dose de flexibilité dans le Partenariat et réfléchir à une forme de conditionnalité politiquesont ici des sujets de réflexion ouverts. Troisièmement, l’insuffisante visibilité du Partenariat,qui met en question sa faible institutionnalisation et son aspect parfois expérimental. Quatriè-mement enfin, la pertinence et la centralité du cadre méditerranéen lui-même, à la veille de l’é-largissement de l’Union, et alors que de nouvelles lignes de structuration géopolitique se dessi-nent au-delà de la Méditerranée.

Sur ces quatre thématiques, des alternatives se dégagent, qu’il appartiendra à l’Europe detrancher. Différentes améliorations concrètes pourront alors être utilement envisagées pourredynamiser à court terme le cadre de Barcelone.

Optimiser le processus de Barcelone

Page 7: Occasional Papers n°36 - mafhoum.com

1

Introduction

5

L’ambition tempérée : le Processus de Barcelone entre discrétion et banalité

Depuis sept ans qu’il existe, le Partenariateuro-méditerranéen est mal connu, souvent

critiqué, et, finalement, rarement évalué à l’aunede ses qualités propres. Beaucoup d’analystescontinuent à dénoncer ses pesanteurs et sastructure inégalitaire, réclamant notammentune meilleure prise en compte du « point de vuedu Sud »1. Le Processus de Barcelone est ainsisouvent considéré, au pire, comme un gadgetinutile, une sorte d’initiative publicitaireeuropéenne, et au mieux comme le volet régio-nal d’un processus de libéralisation commer-ciale globale, c’est-à-dire comme une déclinai-son locale de la mondialisation.

Le Partenariat euro-méditerranéen est à lafois tout cela et – heureusement – davantage. Lespromesses faites en novembre 1995 à Barceloneétaient importantes : paix et stabilité en Médi-terranée, développement économique partagé,meilleure connaissance mutuelle. Ces pro-messes dépassaient sans doute en pratique lesmoyens d’action des protagonistes du futursystème euro-méditerranéen. La maîtrise de cesystème revenant finalement aux Européens, ilest intéressant d’entendre aujourd’hui certainsacteurs européens décrire Barcelone comme uneexpérience « typique des politiques extérieures

de l’Union européenne avant Amsterdam »2.Barcelone serait ainsi une tentative d’utiliser, defaçon différente, les outils traditionnels de l’ac-tion extérieure communautaire, c’est-à-dire lesaccords commerciaux et les financementspublics, avec des objectifs plus ouvertementpolitiques, à un moment où l’Union européennesouhaitait jouer un rôle plus important sur lascène internationale.

L’ingéniosité, philosophique et institution-nelle, du système de Barcelone, est ainsi certaine.Mais c’est peut-être sa complexité même qui ledessert. En pratique, le Partenariat euro-médi-terranéen n’a jamais vraiment ressemblé à l’am-bitieux dispositif que l’on pouvait imaginer en1995. Le Partenariat n’a jamais fonctionné demanière équilibrée. Ses objectifs, à l’exception dela zone de libre-échange, se sont insensiblementdilués. Sa visibilité est faible, et ses outputs diffi-ciles à estimer. Barcelone serait donc finalement,selon les termes d’un observateur venu du Sudméditerranéen, « a grand design, but no grandmechanism » (« un grand projet, mais pas ungrand mécanisme »3).

Le Processus de Barcelone existe cependantbel et bien et fonctionne à sa manière. Son exis-tence même, son ancrage progressif dans les ins-titutions communautaires, sont le signe d’unecontinuité méritoire, qui mérite examen. Nenégligeons donc pas « l’acquis de Barcelone »,selon l’expression aujourd’hui utilisée par laCommission européenne4. Nous reviendrons

1 Cette position est, par exemple, traditionnellement défendue par Bichara Khader ; voir Le Partenariat euro-méditerranéen vu du Sud,L’Harmattan, Paris, 2001.2 Entretiens avec Andreas Strub, Task Force Mediterranean / Barcelona, UPPAR, Secrétariat général du Conseil.3 Expression de Gamal Soltan, réunion d’évaluation du programme « Interlinkages within the EMP », dans le cadre du réseau de rechercheEuroMesCo, avril 2002.4 L’expression est utilisée pour la première fois, semble-t-il, dans la Communication de la Commission au Conseil et au Parlement européen, en vuede préparer la réunion des ministres des Affaires étrangères à Valence, 22 et 23 avril 2002, Bruxelles, SEC (2002) 159 f inal, p. 2.Lorsque l’on parle d’acquis communautaire, une certaine ambiguïté est de mise, car l’expression est classiquement utilisée dans le cadre dela problématique de l’élargissement ; mais un entretien à la DG Relex nous a permis de vérifier qu’il s’agissait bien ici de l’acquis spécifiquede Barcelone.

Page 8: Occasional Papers n°36 - mafhoum.com

6

largement au cours de cette étude sur lesavancées obtenues dans le cadre de Barcelone.Ce travail de bilan, tout à fait nécessaire, a étérepoussé jusqu’à présent, dans l’idée que le Par-tenariat euro-méditerranéen était un phé-nomène trop neuf pour se prêter à l’évaluation.Pourtant certains événements récents ontaccéléré le travail d’inventaire ; l’effet 11 sep-tembre est ici très net. Depuis plusieurs mois, lePartenariat concentre à nouveau l’attention desresponsables politiques.

Barcelone et le raccourci du 11 septembrePour Barcelone, l’effet 11 septembre a pratique-ment fonctionné comme une machine à remon-ter le temps : le 11 septembre nous a renvoyésdirectement au début des années 1990, à lagrande époque de la réforme de la politiqueméditerranéenne5 de l’Union. A cette époque, ledébat public était dominé par l’hypothèse du« Clash des civilisations » ; les analystes s’inter-rogeaient sur la pertinence de cette vision dumonde, et inventaient des moyens pour éviter laconfrontation. Alarmés par une étude macro-économique de la Banque mondiale, certains

fonctionnaires de la Commission s’inquiétaientalors de l’approfondissement des inégalités éco-nomiques et démographiques entre le nord et lesud de la Méditerranée6. Le thème de la menaceméditerranéenne était repris par les Etats latinsde l’Union, Espagne, France et Italie, qui semobilisaient pour promouvoir des institutionscommunes et des formes de dialogue nouvelles àl’échelle régionale7.

Instabilité politique, montée de l’islamisme,sous-développement et pauvreté, démographienon maîtrisée et risque de migrations clandes-tines ; tous les thèmes qui figuraient alors dansle dossier méditerranéen nous sont encore trèsfamiliers. L’ambition du Partenariat euro-médi-terranéen était de répondre à toutes ces préoccu-pations à la fois. Le principe de l’initiativeeuropéenne était que la menace méridionale,protéiforme et imprécise, ne pouvait être traitéeque sur le long terme, en tenant compte de fac-teurs économiques et sociaux jusqu’ici négligéspar l’analyse stratégique. Cette vision des chosesnous est redevenue familière ; aujourd’huiencore, l’Europe a très exactement la prétentionde traiter le terrorisme sur le long terme et à laracine8.

Le raccourci est pourtant trompeur9. Au-delàde certaines similitudes réelles, les conditions

Optimiser le processus de Barcelone

5 La majuscule s’impose puisque la politique méditerranéenne est identifiée en tant que telle dans les politiques extérieures communautairesdepuis 1972, année de définition d’une « Politique méditerranéenne globale ».6 L’existence de cette note interne de la Banque mondiale et son impact sur la réflexion commnautaire nous ont été signalés par Jean-PaulJESSE, fonctionnaire de la Commission, à l’époque de son détachement auprès de la présidence française de l’Union, pour préparer laconférence de Barcelone IV à Marseille.7 On se souviendra d’abord du Groupe 5 + 5, promu par la France, qui traitait de questions stratégiques en Méditerranée occidentale ; maisaux sources directes de Barcelone on trouve surtout l’initiative commune hispano-italienne débouchant en 1993 sur la création de laConférence sur la sécurité et la coopération en Méditerranée (CSCM). Une citation du conseiller de Francisco Fernandez Ordoñez, alorsministre espagnol des Affaires étrangères, résume exactement la perception de la Méditerranée par les Etats latins au début des années 1990,et illustre bien la similitude des préoccupations d’époque à époque : « Il y a un divorce croissant entre les deux rives de la Méditerranée.L’écart de revenus s’élargit sans cesse. La population de la partie européenne atteint sa phase de stagnation mais celle de la rive méridionaledoublera au cours des deux ou trois prochaines décennies. Il y a résurgence du traditionalisme au Sud à cause de l’échec des modèles dedéveloppement économiques, importés de l’étranger. Cela peut conduire à la radicalisation et à un nouveau conflit de civilisation entre l’Islamet l’Occident ». Voir Luis Fernandez de La Peña, cité par Atsutsé Kokouvi Agbobli, « Le jeu de l’Europe en Méditerranée », Afrique 2000 n°8,janvier-mars 1992, p. 12.8 Voir par exemple le Rapport de la Commission, Description générale de l’action de l’UE à la suite des événements du 11 septembre et évaluation deleur impact économique probable, COM (2001) 611 final. Ce texte fait explicitement référence au Partenariat euro-méditerranéen, en signalantque « La crise fournit une raison supplémentaire d’accélérer le Processus de Barcelone » (p. 5).9 La Méditerranée a très vite focalisé l’attention des observateurs après le 11 septembre ; on se référera par exemple au numéro spécial dela revue Confluences Méditerranée, « La Méditerranée à l’épreuve du 11 septembre », n° 40, hiver 2001. L’analyse peine apparemment à serenouveler en ce moment de crise, et les anciens référents (débat huntingtonien) demeurent souvent l’unique soutien d’un argumentaire unpeu dépassé par les événements.

Page 9: Occasional Papers n°36 - mafhoum.com

dans lesquelles le schéma euro-méditerranéen aété dessiné étaient évidemment différentes ducontexte de crise que nous connaissons aujour-d’hui10. Barcelone n’était pas une réponse àchaud à une crise aiguë ; c’était plutôt une tenta-tive de traiter à froid des facteurs de crise sur lelong terme.

S’il fallait citer une première différence essen-tielle entre le contexte qui a entouré la prépara-tion du Partenariat euro-méditer-ranéen, etcelui qui détermine la réaction européenne auxattentats du 11 septembre, on citerait évidem-ment la détérioration du Processus de paixisraélo-arabe. L’intensification de la crise auProche-Orient est d’abord un obstacle majeur àla relance du Partenariat, mais elle est peut-êtreaussi une illustration de son échec politique.C’est précisément cette interaction qui rend lasituation ingérable : autant l’escalade de la vio-lence entre Israéliens et Palestiniens est une forteincitation à améliorer les politiques europé-ennes en Méditerranée, autant elle s’affirmecomme un facteur d’instabilité central, quiruine les efforts européens de conciliation régio-nale. Nous devons donc résolument admettreaujourd’hui que la séparation stricte initiale-ment décidée entre la gestion du Partenariateuro-méditerranéen et celle du Processus de paixest une fiction. Reste à inventer une solutionpour permettre aux deux chemins de progresseren parallèle, ce qui sous-entend probablementqu’ils progressent ensemble.

Une deuxième différence, moins sensiblemais néanmoins réelle, concerne le contextecommercial international dans lequel s’insère lePartenariat. Soulignons d’abord la progressiondes négociations commerciales multilatérales àl’échelle mondiale. Deux constats sont iciimportants : 1. les zones protégées le sont demoins en moins ; 2. les pays « dominés » réagis-sent et trouvent des formes d’organisation alter-natives. L’Union européenne elle-même a faitévoluer le réseau de ses relations avec des paysproches, s’engageant notamment depuis lesannées 1990 dans la mise en place d’une zone de

libre-échange avec les pays du Conseil de coopé-ration du Golfe (CCG). Finalement, la zone delibre-échange euro-méditerranéenne n’appa-raît-elle pas désormais aux pays partenairescomme un avantage économique de secondrang, alors que l’Europe intègre rapidement denouveaux Etats sur sa frontière est ?

Cela nous amène à une troisième catégorie dedifférences, qui pèse de façon essentielle sur l’ac-tion extérieure de l’Europe : les transformationsinternes de l’Union européenne elle-même.L’Europe d’aujourd’hui est plus unie, ellepossède une monnaie unique, travaille à larefonte de ses institutions communes, ettâtonne sur les chemins de la politique exté-rieure commune. L’action extérieure de l’Unionest de plus en plus fréquemment placée sous lesprojecteurs, alors que la volatilité de la décision –ou de l’indécision, c’est-à-dire du débat – sembles’être conjoncturellement accrue. En tout étatde cause, les procédures ont évolué depuis 1995,de nouveaux moyens d’expression, si ce n’estd’action, sont apparus, et la politique extérieurede l’UE a connu plusieurs fois l’épreuve du feu.Le Processus de Barcelone peut dans ces condi-tions apparaître comme une survivancearchaïque, à mi-chemin entre une coopérationclassique que l’on cherche à alléger, et une diplo-matie commune qui se doit d’être toujours plusréactive.

Tout a donc changé, et le choc du 11 sep-tembre devrait nous inciter à réexaminer l’exis-tant d’un œil plutôt neutre. La redécouverteactuelle du Partenariat est trompeuse, et sonmaniement n’est pas inoffensif. Le Processus deBarcelone reste d’ailleurs très critiqué, même sil’on considère qu’il présente des potentialitésintéressantes. En réalité, il ne s’agit pas de redon-ner brutalement vie à un processus inerte, maisbien d’utiliser à bon escient des procédures etdes outils déjà rodés, en modifiant éventuelle-ment ou en affinant leur usage, pour répondre àde nouveaux objectifs, dans des conditionsdifférentes. Le risque serait donc de ne pas utili-ser de façon adéquate l’héritage des sept ans

10 Cette réflexion sur l’évolution du contexte du Partenariat a déjà été esquissée par Claire Spencer, dans « The Euro-MediterraneanPartnership: Changing Context in 2000 », Mediterranean Politics, vol. 6, n°1, printemps 2001, p. 85-89. Rédigé au moment de la présidencefrançaise de l’Union européenne, soit fin 2000, le texte restait dans l’ensemble valable pour mettre en garde la présidence espagnole, un anet demi plus tard.

7

Introduction

Page 10: Occasional Papers n°36 - mafhoum.com

8

Optimiser le processus de BarceloneL

passés, d’afficher des priorités illusoires, et d’exi-ger du Partenariat des résultats pour lesquels iln’a pas été conçu. Puisque le Partenariat existe,et puisqu’il avance vers une forme de maturité, ilest légitime de chercher à optimiser cette res-source ; mais sans oublier surtout que le 11 sep-tembre a aussi démontré la nécessité d’autrespolitiques. Barcelone sera peut-être à termeconsidéré comme un simple volet d’une poli-tique extérieure européenne plus large, dans unerégion à redéfinir, au-delà de la Méditerranéeelle-même. On pourrait ainsi conclure que le 11septembre a remis à la mode le Partenariat, maisaussi qu’il le banalise.

Vers une remise en ordre

Il y aurait donc un risque à travailler dans lecadre de Barcelone comme si c’était un espacevierge. Le concept initial, qui est très ambitieux,ne doit pas être sacralisé si la réalité démontre

qu’il est par trop utopique. Il est indispensablede dégager honnêtement les points de frictionqui ont freiné les avancées du Partenariat, et ilserait opportun de profiter de la crise pour lefaire progresser. Cela suppose de réfléchir à lafois aux objectifs du Partenariat, à ses méthodeset à ses institutions.

Nous tenterons ainsi dans un premier tempsde résumer les atouts uniques du Partenariat,mais aussi d’énumérer les contraintes qui pèsentde façon permanente sur le cadre de Barcelone.Puis nous tenterons d’expliciter les objectifs duPartenariat, en analysant les intérêts, pas forcé-ment complémentaires, de ses différents prota-gonistes : les intérêts européens tout d’abord,parfois difficiles à identifier et à hiérarchiser ;mais aussi les intérêts des pays partenaires, rare-ment évalués et pris en compte dans la défini-tion des règles du jeu. Cette clarification del’existant pourra alors déboucher un certainnombre d’axes stratégiques, et sur quelques pro-positions d’actions concrètes.

Page 11: Occasional Papers n°36 - mafhoum.com

2

Les potentialités de Barcelone : revue des atouts du Partenariat

L e Partenariat euro-méditerranéen fait depuissa mise en place l’objet de nombreuses cri-

tiques ; les Cassandre annoncent même réguliè-rement sa mort prématurée11. Pourtant le Pro-cessus de Barcelone continue à fonctionner enmobilisant des acteurs de plus en plus nom-breux et des moyens de plus en plus sophisti-qués. Avant de revenir sur les contraintes quibloquent le développement du Partenariat etcontrarient son fonctionnement, il est utile derappeler que ce cadre de coopération original ades atouts singuliers, que l’on ne peut se per-mettre de négliger.

2.1 Un cadre de négociationsmultilatérales uniqueLa Méditerranée moderne ne serait-elle pas unecréation de l’Europe communautaire ? Histori-quement, l’invention de la Méditerranée accom-pagne depuis le XIXe siècle l’émergence dessciences sociales en Europe ; elle est le produitd’une approche intellectuelle qui voudraitconcilier harmonieusement géographie et cul-turalisme. La transposition institutionnelle del’idée méditerranéenne est l’aboutissement leplus récent de cette tradition12.

Il est certain que l’Union européenne acontribué récemment pour une part importante

à la popularisation de ce concept scientifique-ment non abouti, mais politiquement et cultu-rellement porteur. La promotion de la Méditer-ranée sert les intérêts de l’Union européenne.Elle apparaît en effet comme un cadre de coopé-ration idéal car elle est avant tout rassembleuse :se référer à la Méditerranée, c’est éviter de men-tionner des divisions culturelles ou stratégiquesrenvoyant à des conflits insolubles. La scissionentre le Maghreb et le Machrek, ou encore laréférence au Proche-Orient, qui renvoie immé-diatement au Moyen-Orient, désignant en faitimplicitement le monde arabe, et posant in finel’Islam comme antagoniste du judaïsme et dumonde chrétien, sont autant de notions que laMéditerranée comprend, mais sans les explici-ter. La Méditerranée est conciliatrice, elle apaiseles imaginaires troublés.

Ce choix méditerranéen est un choix spécifi-quement européen. C’est ce qui fait son origina-lité. L’Union européenne a consacré le bassinméditerranéen comme un décor commun, pourdéployer sa propre action extérieure autour dethématiques unificatrices, sur lesquelles ellegarde évidemment la main. L’Europe a enquelque sorte imposé son monopole en Médi-terranée. Le Processus de Barcelone est ainsi leseul cadre de coopération, dans cette région dumonde, d’où la concurrence américaine estabsente13. Les Etats-Unis n’y ont même pas le

9

11 Filant la métaphore médicale, la restitution finale d’un groupe de travail sur le Partenariat organisé à l’Institut universitaire européen deFlorence estimait ainsi en 1999 que le Partenariat avait quitté « la salle des urgences » et se trouvait alors « en salle de réanimation ». Depuislors, il semble que la convalescence se poursuive.12 Pour une archéologie de la Méditerranée, comme création scientifique, puis politique, continue, on consultera utilement Anne Ruel,« L’invention de la Méditerranée », Vingtième siècle, Paris (32), oct.-déc. 91, p. 7-14, ainsi que Marie-Noëlle Bourguet, L’invention scientifiquede la Méditerranée : Egypte, Morée, Algérie, édition de l’EHESS, Paris, 1998, Collection Recherches d’histoire et de sciences sociales, et enfinGérard de Puymege, « L’émergence institutionnelle de la Méditerranée (1975-1996) », dans Relations internationales, automne, n°87, 1996,p. 325-344.13 Sur la concurrence régionale entre Etats-Unis et Europe, voir par exemple Volker Perthes, « The Advantages of Complementarity: US andEuropean Policies towards the Middle East Peace Process », The International Spectator, vol. XXXV, n°2, avril-juin 2000.

Page 12: Occasional Papers n°36 - mafhoum.com

14 Cette évidence ressort par exemple d’un entretien mené avec Michel Duclos, ambassadeur français au Comité politique et de sécurité,Bruxelles, mars 2002.15 Déclaration de Barcelone, adoptée lors de la Conférence euro-méditerranéenne, 27-28 novembre 1995, p. 2.16 Ibid.17 Pour une discussion plus complète du schéma logique qui sous-tend le Partenariat, on lira utilement la contribution de Hafedh Zaafraneet Azzem Mahjoub, « The Euro-Mediterranean Free-Trade Zone: Economic Challenges and Social Impacts on the Countries of the Southand East Mediterranean », dans Alvaro de Vasconcelos et George Joffe (dir.), The Barcelona Process / Building a Euro-Mediterranean RegionalCommunity, Frank Cass, Londres, 2000.18 Le Processus de Barcelone anticipe d’ailleurs ainsi, comme nous le verrons un peu plus loin, la problématique de l’interpillarité au seinde l’Union européenne.

10

statut d’observateur. Cette particularité estconsidérée comme très précieuse par bien desdiplomates européens14.

Les déclinaisons pratiques de la vocation uni-ficatrice méditerranéenne sont très impor-tantes. Le Partenariat euro-méditerranéen par-vient en particulier à surmonter dans sonfonctionnement la division la plus évidente et laplus meurtrière de la région, celle qui résulte duconflit israélo-arabe. Le Partenariat assied ainsirégulièrement autour des mêmes tables Israé-liens et Arabes, et leur permet de discuterensemble de sujets ciblés, en laissant de côté latension politique persistante qui les empêche dese fréquenter dans d’autres enceintes. Les réu-nions multilatérales « de routine » du Partena-riat (réunions de hauts fonctionnaires sur dessujets sectoriels) rassemblent ainsi régulière-ment des représentants des 27 Etats partenaires.Cette performance est extrêmement remar-quable, dans la mesure où, à intervalles réguliers,l’acuité de la crise devient telle qu’il est pratique-ment impossible de faire cohabiter les représen-tants d’Israël et ceux de certains Etats arabesdans d’autres cadres de discussion.

2.2 Des notions nonexclusives de la sécurité, del’économie et de la culture

Le Partenariat euro-méditerranéen est à l’ori-gine un projet essentiellement politique, dontl’horizon est la stabilisation régionale. En 1995,dans la Déclaration finale de la Conférence deBarcelone, les quinze ministres des Affaires

étrangères de l’Union européenne et ceux desdouze pays tiers méditerranéens se sont d’abordengagés à promouvoir « la paix, la stabilité et lasécurité de la région méditerranéenne »15. Desmoyens autres que politiques et militaires, etnotamment des moyens économiques impor-tants, sont mobilisés au service de ce projet poli-tique. Les protagonistes du Partenariat s’enga-gent ainsi à œuvrer pour « un développementéconomique et social, durable et équilibré dansla perspective de réaliser leur objectif deconstruire une zone de prospérité partagée »16.Ce deuxième objectif est apparemment subor-donné au premier. Il est en fait un objectif inter-médiaire17, dans la perspective globale de la sta-bilisation : le développement économique estavant tout ici un moyen de réduire le fossé desrichesses entre nord et sud de la Méditerranée, cequi diminuera les risques de conflit de toutenature entre l’Europe et ses voisins méridio-naux.

Le mécanisme de diffusion entre richesseéconomique et apaisement socio-politique estdonc au cœur du projet euro-méditerranéen. LePartenariat est une action globale, qui vise àenclencher une dynamique de paix, en comptantsur des interactions fructueuses entre le poli-tique, l’économique et le social. Pour la forme, lePartenariat s’inspire directement du modèle dela Conférence sur la sécurité et la coopération enEurope. Il s’articule ainsi autour de trois volets :un volet « politique et de sécurité », un volet« économique et financier » et un volet « social,culturel et humain ». Toute l’originalité du pro-jet réside en fait dans la porosité assumée entreces trois domaines de coopération18. Les troischamps d’action de Barcelone communiquent,

Optimiser le processus de Barcelone

Page 13: Occasional Papers n°36 - mafhoum.com

et c’est l’interaction entre les trois domainesd’intervention qui est considérée comme béné-fique : il est bien clair à l’origine – et même si ceprincipe risque ensuite de souffrir dans la pra-tique d’une certaine dégradation – que le Proces-sus de Barcelone n’avancera que si les trois voletsprogressent ensemble.

Les interactions entre les différents voletssont donc prévues et souhaitées19. Si l’on ana-lyse le contenu et la fonction de chacun des troisvolets, dans le texte de la Déclaration de Barce-lone et dans le programme de travail qui lui estannexé, on constate ainsi que la vocation de cha-cun des volets n’est pas exclusive et que les effetsinduits dans un domaine doivent se diffuser versles autres. Et l’on comprend que la finesse de cemécanisme est sous-tendue par des analyses nonexclusives des concepts de la sécurité, de l’écono-mie et des droits humains.

Le premier volet, politique et stratégique,intègre une conception élargie, non classique, dela sécurité. Il prend en compte des types demenaces qui ne sont pas uniquement de naturemilitaire. Les migrations, la drogue, la crimina-lité, sont clairement mentionnées commeautant d’éléments importants de la sécurité enMéditerranée. La prise en compte de ces élé-ments de soft security donne d’emblée le ton : l’é-conomie et la sociologie des pays partenairesentrent de façon essentielle dans le mécanismede stabilisation européen.

Le deuxième volet de Barcelone concerne lepartenariat économique et financier. Dans cedomaine, la Commission a voulu donner à l’éco-nomie un rôle politique, en établissant un lienentre développement économique et moderni-

sation politique. Le schéma de raisonnementimplicite est que la libéralisation de l’économiedoit entraîner à moyen terme une forme de libé-ralisation politique et de démocratisation. Parailleurs, au-delà de la réforme interne desrégimes tiers méditerranéens, l’économie sera infine l’instrument de la paix entre Etats : l’ouver-ture des économies et le renforcement de l’inter-dépendance commerciale entre les partenairesdoivent à long terme éloigner les causes deconflit inter-étatiques20.

Le troisième volet enfin, celui des échangesculturels et humains, a également une vocationpolitique majeure. Il est d’abord la seule réponseraisonnable aux tenants de la thèse « huntingto-nienne » du choc des civilisations ; l’Europeaffirme ici que pour s’entendre entre voisins, ondoit d’abord se connaître. Si l’on dépasse ce pre-mier niveau de compréhension un peu simple,aux accents culturalistes, et que l’on se placedans une perspective plus rigoureuse etmachiavélienne, on comprend que la diffusiondu modèle européen des droits de l’Hommepeut avoir des conséquences opérationnellesintéressantes. Le soutien apporté à l’Etat dedroit prend en effet un sens plus clair dans uneperspective kantienne de rapprochement insti-tutionnel, facteur de paix à terme. L’hypothèsede la paix démocratique, réélaborée avec un cer-tain succès par les experts en sciences politiquesdepuis la chute du mur de Berlin21, est ici prisecomme axiome de départ. Ses partisans considè-rent, on le sait, que les démocraties libéralesn’entrent pas en conflit. De nombreux commen-tateurs du Partenariat sont explicitement sen-sibles à cette thèse22 et estiment que la politique

19 Cette subtilité de structure est encore aujourd’hui confirmée par les commentaires des fonctionnaires de la DG Relex en charge desdossiers méditerranéens. Elle ressortait particulièrement clairement d’un entretien mené en juin 1998 avec Eberhard Rhein, ancien DirecteurMéditerranée et l’un des concepteurs de la Déclaration de Barcelone. 20 On peut ainsi resituer le système euro-méditerranéen dans la lignée du « doux commerce » des philosophes libéraux du XVIIIe siècle. L’idéephilosophique libérale qui inspire le projet euro-med explique sans doute à la fois sa grande cohérence formelle et ses difficultés pratiques.Ce point spécifique sera développé dans la thèse de doctorat que prépare l’auteur, en relation avec les traditions historiques libéralesprévalentes dans les différents Etats membres de l’Union.21 Cette thèse, popularisée notamment par Michael Doyle, est critiquée par John Macmillan dans « A Kantian Protest Against the PeculiarDiscourse of Inter-Liberal State Peace », Millenium: Journal of International Studies, 1995, vol. 24, nº3, pp. 549-562.22 Tout récemment encore, on retrouve dans un travail accompli par le Bertelsmann Group for Policy Research la même hypothèse, maisprésentée ici comme un axiome : « Democracy and good governance (…) will also ensure stability, for democracies do not go to war witheach other to resolve mutual conflicts ». Bertelsmann Group for Policy Research, paper présenté aux VIIe Kronberg Talks, janvier 2002, p. 17.

11

Les potentialités de Barcelone : revue des atouts du Partenariat

Page 14: Occasional Papers n°36 - mafhoum.com

23 Pour une première analyse des institutions du Partenariat, voir Geoffrey Edwards et Eric Philippart, « The Euro-Mediterranean Partnership:Fragmentation and Reconstruction », European Foreign Affairs Review, vol. 2, 1997, p. 476 et ss., et aussi Eric Philippart, « Deconstruction andReconstruction of EU pillars: The Euro-Mediterranean Partnership and the Middle East Peace Process », contribution présentée à la ThirdPan-European International Relations Conference ECPR-ISA, Vienne, septembre 1998.

12

méditerranéenne de l’Europe est une occasionde tester sa pertinence.

Notons enfin, pour confirmer la porositéentre les trois volets de Barcelone, que les conte-nus des premier et troisième volets sont trèsproches. Des objectifs strictement semblables –lutte contre la criminalité organisée, trafic dedrogue, terrorisme – sont ainsi mentionnés endeux points différents du texte de Barcelone,mais servis selon le contexte par des instrumentsdifférents.

2.3 Un cadre institutionnelexpérimentalLa philosophie du Partenariat euro-méditer-ranéen marque une évolution par rapport auxprincipes inspirant les politiques extérieurespassées de l’Union. L’extension de la politiqueméditerranéenne nouvelle manière à de nou-veaux domaines d’intervention – le politique, lestratégique et l’humain - brouille la structure entrois piliers du Traité de Maastricht. De ce fait,les institutions et les procédures du Partenariatont acquis des traits spécifiques23. Cet aspectexpérimental du Processus de Barcelone pré-sente un intérêt pour l’Union, dans la mesure oùil lui permet d’inventer de nouveaux modes defonctionnement.

En pratique, la gestion du Partenariatincombe à la Commission. La Déclaration deBarcelone attribue en effet à celle-ci la prépara-tion et le suivi des réunions prévues dans le pro-gramme de travail de la Déclaration ou résultantdes décisions du Comité euro-med. C’est doncdans les bureaux de la DG Relex et aussi désor-mais dans ceux de l’office EuropAid que sontconcentrés les plus importants effectifs tra-vaillant autour du Partenariat.

Une première originalité mérite d’êtresignalée dans le processus de décision du Parte-nariat. Il prévoit en effet l’intervention d’unorgane hybride : le Comité euro-med, composé

de hauts fonctionnaires spécialisés, venus des 27Etats partenaires. Ce comité, qui se réunit envi-ron tous les deux mois, occupe une position clé.Les groupes de travail du Conseil se réunissantsur des questions euro-méditerranéennes met-tent d’abord au point la position européenne.Les dossiers partent ensuite directement devantle Comité euro-med, sans transiter par le CORE-PER, sauf en cas de désaccord important, ouencore lorsque les dossiers sont destinés à uneréunion des ministres des Affaires étrangères.Cette spécificité, qui permet une plus granderapidité de traitement, peut s’expliquer de diffé-rentes manières. Premièrement, par la présence,au sein même des groupes de travail, des « Barce-lona Senior Officials », qui composent égale-ment le Comité euro-med, et dont l’expertise estreconnue. Ensuite, par le fait que le contenu desdossiers euro-méditerranéens prête en généralpeu à débat entre les Etats membres. Certainsanalystes estiment enfin, et cela nous intéresseici davantage, que cette particularité signe lanécessité, pour remplir le mandat délivré par leProgramme de travail de Barcelone, de disposerde procédures à la fois flexibles et rapides.

Le Partenariat euro-méditerranéen est unsystème global, et sa traduction en actes estforcément complexe et raffinée. Le Processus deBarcelone n’est donc pas de nature strictementinter-gouvernementale, ni uniquement com-munautaire au sens du premier pilier de Maas-tricht. Il requiert la mobilisation de toute unesérie d’institutions, mais aussi d’agents indivi-duels et de groupes informels. C’est plus parti-culièrement le cas pour les actions qui relèventdu troisième volet de Barcelone. La société civilea très tôt été invitée à intervenir dans différentsprogrammes régionaux, dès avant la tenue de laconférence de Barcelone. De 1992 à 1995, l’expé-rience des programmes Med a ainsi permis à laCommission de tester en Méditerranée la coopé-ration décentralisée, déjà consacrée dans lecadre de Lomé. Les acteurs de la société civileavaient à l’époque répondu de façon très dyna-

Optimiser le processus de Barcelone

Page 15: Occasional Papers n°36 - mafhoum.com

mique à l’appel communautaire, en montantrapidement de nombreux réseaux d’action thé-matiques. Le bilan qualitatif de l’expérienceserait aujourd’hui difficile à établir. Prématuré-ment interrompus, les programmes Med onttout au moins libéré une énergie que les gouver-nements ne savent pas toujours déployer eux-mêmes, ni capter.24 Depuis lors, les différentsprogrammes thématiques mis en place par laCommission s’efforcent encore de faire cohabi-ter acteurs étatiques, ONG et individus, dansune synergie théoriquement porteuse d’unemeilleure connaissance mutuelle.

2.4 Des éléments de bilanpositifs pour les différentsintervenants

Le système de Barcelone, tel qu’il existe actuelle-ment, satisfait au moins en partie les différentsacteurs qu’il mobilise, notamment du côtéeuropéen. C’est l’un des décalages désormaisclassiques du Partenariat euro-méditerranéen :très critiqué de l’extérieur, il est jugé comme rela-tivement satisfaisant en interne. Lorsque l’oninterroge des représentants des différentes insti-tutions européennes, ou des représentants desEtats membres de l’Union, ou encore des repré-sentants des Etats tiers méditerranéens impli-qués dans la construction euro-méditer-ranéenne, aucun n’en tirera un bilancomplètement négatif, et chacun y trouvera deséléments de satisfaction. Ces éléments positifsvarient certes selon la position des intervenants,mais il est d’autant plus intéressant d’analyserces différentes appréciations.

Les représentants de la Commission suivent

par tradition avant tout les progrès du volet éco-nomique du Partenariat, et les défendent systé-matiquement comme étant la preuve du dyna-misme de l’ensemble. Ainsi, dans lacommunication destinée à préparer le sommeteuro-méditerranéen de Valence, les rédacteursde la Commission tracent un bilan positif duchemin parcouru depuis Marseille, en souli-gnant que « la dimension critique du Partenariatest atteinte ». Ce constat est à la fois un satisfecitconcernant les choix essentiels du Partenariat, etl’annonce implicite qu’il n’y a pas de retour enarrière possible. Quant aux perspectives del’année, le document affirme que « le temps estvenu d’approfondir et de renforcer les décisionsde Marseille et de présenter des initiatives visantà créer de nouvelles richesses et à accroître laprospérité ».25 L’économie reste donc bien ici à lafois l’horizon et le moteur du Partenariat.

Le Conseil s’intéresse depuis une périodeplus récente aux potentialités des premier ettroisième volets du Partenariat, sans encoresavoir cependant comment intervenir dans leurmise en acte. Au sein de cette institution l’onpressent la possibilité d’articuler les méca-nismes de Barcelone et les objectifs de la PESC,dans la ligne de la Stratégie commune pour laMéditerranée, définie en juin 2000 au Portugal,lors du Conseil de Feira26.

Le Parlement européen, de son côté, saisit lesoccasions offertes par le Partenariat pour expri-mer des positions politiques et développer sescoopérations extérieures27. Au cours des cinqdernières années, le Parlement a su s’emparer dedifférents dossiers politiques du Partenariat(droits de l’Homme en Turquie, crise algé-rienne). Mais son initiative probablement laplus spectaculaire, est toute récente et liée à l’in-tensification de l’intifadah et de la répression

24 Sur l’expérience des programmes Med, voir Dorothée Schmid, « Les Programmes Med : une expérience européenne de coopérationdécentralisée », dans Monde arabe, Maghreb-Machrek, n°153, juillet-septembre 1997, p. 61-68.25 Op. cit. dans note 4, p. 3. 26 Stratégie commune de l’Union européenne pour la région Méditerranée, annexe V, Conclusions de la Présidence, Conseil européen de Feira, juin2000 (SN 2000/ ADD I).27 Le Parlement européen compte ainsi une délégation pour les relations avec Israël, une pour les relations avec le Conseil législatifpalestinien, une pour les relations avec les pays du Machrek et le Golfe, une pour les relations avec les pays du Maghreb et de l’UMA ; unForum parlementaire euro-méditerranéen se réunit par ailleurs une fois par an ; les conclusions de la Conférence euro-méditerranéenne deValence appellent finalement à la mise en place d’une Assemblée parlementaire euro-méditerranéenne.

13

Les potentialités de Barcelone : revue des atouts du Partenariat

Page 16: Occasional Papers n°36 - mafhoum.com

28 Il est juste de noter que le Commissaire Prodi a pris position en faveur du Parlement sur cette affaire. 29 De nombreux acteurs associatifs se sont chargés de répercuter le coup d’éclat du Parlement européen auprès de l’opinion. Il s’agitnotamment du réseau associatif qui organise régulièrement un Forum civil alternatif, en marge du Forum civil euro-med officiel, en parallèleaux grandes conférences euro-méditerranéennes. Voir par exemple, pour la France, L’autre sommet : rencontres euro-méditerranéennes contre lamondialisation libérale, Medbadil, Marseille, 2001.30 Le réseau d’instituts de recherche EuroMesCo a mené en l’an 2000 une étude sur la perception du Partenariat euro-méditerranéen parl’ensemble des Etats partenaires. Les différences de perspectives que nous esquissons ici y sont bien visibles.31 Différents épisodes du dossier euro-marocain illustrent bien une certaine tendance revendicatrice des pays partenaires. Le dossier de lapêche est classiquement litigieux avec ce pays, mais d’autres questions donnent lieu à des contentieux réglés au jour le jour et sans publicitéexterne.

14

israélienne dans les territoires palestiniens. Le10 avril 2002, le Parlement européen adoptaitune résolution demandant au Conseil européend’instaurer un embargo sur les livraisonsd’armes à destination d’Israël et de la Palestine,et de convoquer le Conseil d’association UE-Israël, afin de suspendre l’accord d’associationeuro-méditerranéen entre l’Union et Israël.Cette prise de position maximaliste, qui tran-chait avec le ton d’apaisement des autres institu-tions28, a été largement relayée par les médias eta obtenu un écho certain auprès de la sociétécivile européenne29. Elle est assez symboliqued’une recherche de positionnement du Parle-ment, qui s’efforce de politiser le cadre de Barce-lone.

De leur côté, les Etats membres portent sou-vent un œil moins indulgent sur les développe-ments du Partenariat, souvent considérécomme une sorte d’usine à gaz sans utilité pré-cise ni véritable capacité de réaction. Les diffi-cultés rencontrées par l’administrationfrançaise sur le dossier euro-méditerranéen,pendant la préparation et le déroulement de laprésidence française de l’Union, symbolisentbien cette désaffection progressive d’un pays ini-tialement moteur du Partenariat. La critique del’inertie euro-méditerranéenne débouche rare-ment sur des propositions de réforme substan-tielles de la part des Etats membres, sauf lorsque

les enjeux du Partenariat recoupent certainesambitions nationales ; les Européens ne dédai-gnent pas ainsi de se réclamer du Partenariatlorsque la logique régionale peut venir à l’appuide leurs propre diplomatie.

Les pays tiers méditerranéens, enfin, sontsans doute les plus critiques lorsqu’ils ont l’oc-casion de s’exprimer à ce sujet30. Leur vision duPartenariat s’exprime de façon privilégiée dansle cadre de la négociation des accords bilatéraux,mais aussi tout au long de la mise en œuvre desprogrammes afférents, où les autorités parte-naires savent faire valoir une position nationaleparfois tranchée31. L’adhésion spontanée despays tiers méditerranéens au système de Barce-lone est néanmoins démontrée à travers l’achè-vement progressif du réseau des accords decoopération bilatérale. Les Etats partenairesrejoignent ainsi tous, à leur rythme, la futurezone de libre-échange. La signature de l’accordbilatéral avec l’Egypte, à l’été 2001, a définitive-ment ancré la crédibilité du Partenariat, et ren-forcé l’idée de « masse critique » avancée par laCommission. L’achèvement récent des négocia-tions avec l’Algérie ainsi qu’avec le Liban sontencore à mettre à l’actif du bilan. Tous les Etatspartenaires ont désormais signé un accord d’as-sociation « nouvelle génération » avec l’Europe,à l’exception de la Syrie, qui stationne encoredans le corridor des négociations.

Optimiser le processus de Barcelone

Page 17: Occasional Papers n°36 - mafhoum.com

2.5 Le Partenariat mal aimé :les raisons d’un décalage

Le Processus de Barcelone existe, il progresse, etl’on peut considérer qu’il est entré depuis l’an2000 dans une phase de réforme et d’améliora-tion32. C’est pourquoi nous estimions juste etutile de pointer les avantages d’un systèmedésormais bien installé, et suffisamment rodédans son fonctionnement pour constituer unevraie base d’action.

Cette mise au point semblait nécessaire, dansla mesure où le Partenariat est fréquemment cri-tiqué par des observateurs qui ignorent la plu-part de ses raffinements techniques. Une telleposture critique s’explique en partie par l’ab-sence de publicité, autre que négative, faite auPartenariat : l’information circule peu, et mal33.Entre partenaires même, le Processus de Barce-lone ne focalise pas une attention continue. Onpourrait presque en ce sens se féliciter que lesaléas du Processus de paix aient permis, en diversmoments de crise, d’exposer partiellement au

yeux du grand public la trame du Partenariat ;mais le biais d’information est tel, dans cesconditions, que le caractère global et durable duProcessus échappe bien souvent aux lecteurs dela presse quotidienne.

Pourquoi une telle discrétion ? On trouveraci-après quelques voies d’explication possible àce mutisme communautaire. Risquons d’ores etdéjà une position synthétique en constatant quele Processus de Barcelone est un systèmeinstable, en modification constante, et dont latendance est souvent difficile à percevoir. Sacomplexité et son instabilité rendent tout dis-cours d’affichage délicat, sauf à tomber dans deslieux communs, qui seraient le reflet de bonnesintentions inutiles, ou encore dans des explica-tions procédurales dont les enjeux finaux nesont pas faciles à percevoir.

Admettons enfin que les critiques émises surle Partenariat ne sont certes pas gratuites, et quela réflexion sur les voies et moyens de sa réformedoit être entretenue. C’est pourquoi nous nousdevons maintenant d’analyser quelquescontraintes fortes qui pèsent sur le développe-ment du Processus de Barcelone.

32 Citons pour appuyer ce constat la communication de la Commission rédigé peu après le Conseil de Lisbonne, en vue de préparer laquatrième réunion euro-méditerranéenne des ministres des Affaires étrangères, Redonner un souffle au Processus de Barcelone, COM (2000) 497final, ainsi que les conclusions de la Présidence française à l’issue de la conférence euro-méditerranéenne de Marseille, novembre 2001. Cedernier texte se présente comme un document d’experts, et annonce pour l’essentiel des réajustements techniques dans le fonctionnementdu Partenariat. Le ministre français des Affaires étrangères, Hubert Védrine, confirmait oralement ce constat le 16 novembre, lors de laconférence de presse de clôture à Marseille.33 Il suffit pour s’en convaincre de comparer la masse plutôt réduite des publications, académiques ou de vulgarisation, consacrées auPartenariat, avec le flot d’écrits portant sur les politiques communautaires vis-à-vis de l’Europe de l’est ou des pays ACP. La politiqueméditerranéenne est certainement la moins commentée des grandes politiques de coopération extérieure européennes.

15

Les potentialités de Barcelone : revue des atouts du Partenariat

Page 18: Occasional Papers n°36 - mafhoum.com

3

Les contraintes pesant sur le Partenariateuro-méditerranéen

Après sept ans de travail, il semble évidem-ment raisonnable de dresser un bilan

coût/objectifs ou objectifs/résultats de Barce-lone. Les critiques essentielles pointent le plussouvent l’inertie et le déséquilibre du Partena-riat34. Mais soulignons que, pour beaucoupd’analystes, critiquer le Partenariat, c’estd’abord admettre une forme de déception parrapport aux espoirs de 1995. La conférence deBarcelone était en elle-même un événementdiplomatique majeur, et devait marquer ledépart symbolique d’une nouvelle ère ; or la réa-lité du Partenariat se replace plutôt aujourd’huidans une forme de continuité par rapport auxstructures de la politique méditerranéennepassée.

Il est en fait probable que le Partenariat recèledes potentialités non exploitées. Mais une visionréaliste des procédures de Barcelone, et de l’envi-ronnement dans lequel le Processus se déroule,sont nécessaires avant de réaffirmer l’ambitionrégionale. Pour mieux comprendre commentaméliorer le fonctionnement du système euro-méditerranéen, nous estimons donc utile de rai-sonner en termes de contraintes. Les insuffi-sances du Partenariat s’expliquent en effet pardes obstacles qu’il est nécessaire d’identifier pré-cisément, pour parvenir à les lever ou à lescontourner.

Quatre contraintes importantes pèsent sur lePartenariat et seront examinées ici. Les deux pre-mières contraintes sont de nature institution-nelle, et renvoient à un constat de carence desacteurs engagés dans le Processus et des outilsdisponibles. La troisième contrainte renvoie à laméthode d’action choisie par les Européens et àla philosophie même du Partenariat : le schéma

libéral de Barcelone est moins cohérent et moinsefficace en pratique que sur le papier. La qua-trième contrainte enfin est à la fois le résultat etle symptôme des autres paramètres : les fai-blesses structurelles du Partenariat expliquentque son fonctionnement soit régulièrementaffecté par des développements politiques denature conjoncturelle. Il suffit ainsi d’un seulconflit ouvert en Méditerranée, le conflitisraélo-arabe – certes, un conflit majeur à l’é-chelle des relations internationales –, pourmettre à mal une vision globale très ambitieuseet rendre inefficace ce qui pouvait être considérécomme un système raffiné de prévention desconflits.

3.1 L’asymétrie enMéditerranée L’Europe, entendue comme Union européenne,est un acteur institutionnel clairement struc-turé et une puissance économique reconnue ; laMéditerranée n’existe pas. Voilà résumé enquelques mots tout le potentiel créateur de l’ini-tiative européenne, mais aussi toute la difficultéde mettre en œuvre ex nihilo un projet de l’am-pleur du Partenariat. Les pays tiers méditer-ranéens ne forment pas un ensemble cohérent.C’est là le premier défaut essentiel du Processusde Barcelone : le jeu est excessivement inégal carl’Europe ne trouve pas dans la région d’interlo-cuteur à sa mesure. En choisissant de traiter avecune collection d’Etats isolés, l’Europe étaitcertes assurée de garder la main, mais elle s’expo-sait aussi d’emblée à tous les inconvénients duleadership.

34 On se référera encore à Bichara Khader, qui explore depuis une dizaine d’années cette asymétrie systématique dans la politiqueméditerranéenne de l’UE.

16

Page 19: Occasional Papers n°36 - mafhoum.com

Face à une construction institutionnellecommunautaire désormais solide, c’est bien uneforme d’anarchie qui prévaut de l’autre côté de laMéditerranée : il n’existe pas à l’heure actuelled’organisation d’Etats méditerranéens compa-rable, de près ou de loin, à l’Union européenne.Pourtant, à l’origine même du Processus de Bar-celone on retrouve un projet de Partenariateuro-maghrébin, où l’Union du Maghreb arabe(UMA) était identifiée comme un interlocuteurcrédible. La perspective de voir se constituer uneunion maghrébine organisée sur le modèle del’Union européenne s’est bien éloignée depuislors. Des diplomates mentionnent aujourd’huiparfois la presque défunte UMA, en encoura-geant sa réactivation ; mais de tels discours poin-tent seulement de loin en loin la prééminencedans la région de réflexes nationalistes decrise35. Les pays partenaires méditerranéens nesont pas mûrs pour l’union, ni même pour unecoopération approfondie entre eux, que cettecoopération ait ou non l’Europe pour modèle oupour partenaire.

L’asymétrie économique entre les rives nordet sud de la Méditerranée est par ailleurs un fac-teur de distorsion très important. L’inégalitéentre les niveaux de développement de l’Unionet de ses partenaires méditerranéens est déjà évi-dente. Mais la parcellisation économique dubassin méditerranéen accentue encore lecaractère dominant de l’économie européenne.L’émiettement des situations, la variété desstructures économiques sont importantes entreles pays partenaires méditerranéens. Lorsque leséconomistes veulent tester la validité de la zonede libre-échange euro-méditerranéenne, et anti-ciper sur ses effets à l’échelle régionale, ils sontsouvent tentés de la comparer à l’ALENA. Maiscette comparaison avec le traité de libre-échange

nord-américain n’est pas vraiment pertinente,car les pays du Sud méditerranéen ne consti-tuent pas une entité unifiée, et ne présenterontjamais individuellement une masse critique suf-fisante face à l’Europe, contrairement à ce qui seproduit dans le cas du Mexique face à ses parte-naires d’Amérique du Nord36.

L’Europe est dans le Partenariat à la fois lepôle de croissance, l’exportateur principal, et unbailleur de fonds essentiel pour le développe-ment méditerranéen. L’économie européenne sepose en noyau de la croissance régionale etconcentre au final sur elle le bénéfice écono-mique du développement des échanges régio-naux. Avant que des dynamiques d’intégrationSud-Sud ne se manifestent, se produit ainsi lefameux effet économique dit de hub and spoke37,centré sur l’Europe : le Partenariat euro-méditer-ranéen entraîne une concentration des investis-sements directs étrangers au sein de l’Unioneuropéenne (le moyeu de la roue, ou hub), audétriment des pays méditerranéens (les rayonsde la roue, ou spokes), car les investisseursconsidèrent toujours comme plus intéressant des’installer en Europe, dans la perspective éven-tuelle de rayonner ensuite vers les pays du Sud.

La faiblesse et la faible diversification ducommerce entre les pays tiers méditerranéenseux-mêmes traduit de même cet effet d’attrac-tion extrême exercé par l’Europe sur la zone. Lespays partenaires n’ont pas vraiment le choix deleur positionnement économique, et les fluxcommerciaux méditerranéens n’évoluent grossomodo ni dans leur direction, ni dans leurcontenu. Bruxelles encourage certes fortementles efforts de structuration du commerce Sud-Sud, mais les résultats obtenus sont encore loind’être convaincants. La signature en mai 2001 del’accord de libre-échange d’Agadir entre quatre

35 Plusieurs auteurs ont clairement expliqué comment le modèle occidental de l’Etat-nation avait été transposé de façon spécifique dansle contexte arabe ; voir par exemple à ce sujet Bertrand Badie, Les deux Etats, pouvoir et société en Occident et en terre d’Islam, Points Seuil Essais,édition revue, Paris, 1997. L’importation tardive du modèle national, dans des contextes mal préparés à ce tournant culturel et institutionnel,explique que la centralisation du pouvoir demeure dans ces pays un principe inébranlé et maintenu souvent par la force. Bien loin duspectaculaire aggiornamento que subissent de ce point de vue les Etats européens, on constate que, au sud de la Méditerranée, la nation restetoujours à construire, et avant tout à défendre.36 Pour approfondir un aspect de cette question, voir Dorothée Schmid, « L’avènement de l’Euro et ses conséquences en Méditerranée »,contribution présentée au 1er Congrès d’études méditerranéennes de l’Institut d’études européennes de Florence, mars 2000.37 Pour une explicitation du concept, voir Akiko Suwa-Eisenmann, contribution au groupe de travail du Commissariat général du Plan sur« Economie et migrations en Méditerranée », mai 2000.

17

Les contraintes pesant sur le Partenariat euro-méditerranéen

Page 20: Occasional Papers n°36 - mafhoum.com

38 Voir René Leray, « Le rôle des grands partenariats dans une PESC/PESD cohérente et efficace, premiers éléments de réflexion »,document de travail interne élaboré dans le cadre d’un séminaire de travail de l’Institut d’Etudes de Sécurité de l’UEO, septembre 2001.39 L’ensemble de ce constat d’asymétrie doit en partie être nuancé lorsque l’on prend en compte les situations particulières ; le cas d’Israëlmérite un traitement tout particulier, car sa relation à l’Europe n’est pas marquée par la problématique de l’inégalité, si fortement présenteailleurs.

18

pays de la région, saluée comme un signal fort enfaveur d’une intégration des échanges entre payspartenaires méditerranéens, est le dernier épi-sode en date d’un long travail de rééquilibragevolontariste entre Nord et Sud. En l’état actueldes choses, on peut cependant se demander si laconstitution du groupe d’Agadir, rassemblantdes pays qui ne sont pas contigus géographique-ment (Maroc, Tunisie, Egypte et Jordanie), etdont les structures économiques ne sont ni vrai-ment comparables, ni complémentaires, entraî-nera des évolutions concrètes. Au-delà des vœuxpieux, il est très probable que l’Europe resteraencore pour un temps certain le pôle dominantet structurant du libre-échange en Méditer-ranée.

Ces asymétries obèrent de façon évidente ladynamique partenariale. Quel sens donner eneffet au terme « partenariat » si les parties ne s’yengagent pas à valeur égale et n’en retirent pasdes bénéfices comparables ? Nous reviendronsplus avant sur l’ambiguïté de ce terme, quel’Union européenne a utilisé à plusieurs reprisespour étiqueter ses coopérations extérieures, etqualifier en fait des relations de natures trèsdifférente38. Il convient particulièrement à cepoint de se demander en quoi cette relation par-tenariale se différencie de la relation établie parl’Union avec les Etats de l’Europe centrale etorientale. L’exercice euro-méditerranéen com-porte une mise à distance des pays partenaires,qui exclut par avance la mise en place de méca-nismes compensatoires efficaces. Il n’y a pas icide quitte ou double : dans leur grande majorité,les pays partenaires méditerranéens ne sont pascandidats à l’adhésion ; pour ceux qui le sont, etde façon crédible (Chypre, Malte), l’européani-sation est déjà acquise et la mise à niveau n’estpas nécessaire ; pour d’autres, la perspective derejoindre un jour l’Union reste insaisissable(Turquie) ; enfin, il n’y a pas de mécanisme inci-tatif fort pour faire entrer les autres Etats ditspartenaires dans un jeu coopératif avec l’Eu-rope39. Rien ne justifie sur le fond pour ces pays

une accélération des réformes politiques et insti-tutionnelles requises pour rejoindre la zone delibre-échange. L’asymétrie euro-méditer-ranéenne entretient ad libitum la responsabilitéde l’Europe dans la gestion du Partenariat. Orcette responsabilité est parfois bien lourde à por-ter.

3.2 L’insatisfaction concernantles institutions et les méthodesdu Partenariat

Les institutions du Processus de Barcelone reflè-tent bien cette asymétrie et sont critiquables surdeux points essentiels. Premièrement, le Proces-sus est insuffisamment institutionnalisé. Cettecritique, fréquente, émane surtout de deux typesd’intervenants : d’abord, de quelques personna-lités « institutionnalistes » de la Commissioneuropéenne – qui réclame ainsi implicitementplus de moyens pour le Partenariat –, et ensuite,des pays partenaires méditerranéens – qui sou-haiteraient renforcer leur capacité de négocia-tion avec les institutions européennes. Ladeuxième insatisfaction souvent exprimée ren-voie à la complexité du système de Barcelone. LePartenariat implique dans les faits de nom-breuses structures, pas forcément faciles à iden-tifier, et dont les compétences peuvent se che-vaucher.

Une institutionnalisation insuffisante

Le Processus de Barcelone est insuffisammentancré dans les structures communautaires. LaCommission a d’emblée manqué de moyenspour concrétiser l’élan de Barcelone. Installer laMéditerranée dans la bureaucratie communau-taire supposait de créer des structures ad hoc,mais dans le respect des contraintes matérielleset financières strictes. Le Partenariat, même s’il aété consacré par la dévolution d’une sous-direc-

Optimiser le processus de Barcelone

Page 21: Occasional Papers n°36 - mafhoum.com

tion spécifique au sein de la DG Relex à la Com-mission, n’a pas eu la latitude nécessaire pourimposer une culture bureaucratique propre,comparable par exemple à la culture Lomé. Demême, les administrations nationales des Etatsmembres ont un peu tendance à négliger le Par-tenariat euro-méditerranéen. Les structuresadministratives spécialisées, lorsqu’elles exis-tent, sont peu étoffées40.

Outre cette faible représentation dans lesadministrations européennes, force est deconstater que le Partenariat n’a pas généré d’ins-titutions propres. Hormis les classiques conseilsd’association, qui officient au niveau des rela-tions bilatérales, et le Comité euro-med, quinous intéresse autant par sa vocation que sacomposition, aucune institution spécifiquedurable n’est née du Partenariat. Il semble que lasous-institutionnalisation du premier volet, quirenvoie aux aspects politiques du Partenariat,soit délibérée, car elle reflète le blocage des dos-siers du fait de l’évolution du conflit israélo-arabe. Ce volet se concrétise donc seulement pardes rencontres périodiques de hauts fonction-naires sur les questions politiques et de sécurité.La plupart des réunions du Partenariat, tousvolets confondus, impliquent finalement deshauts fonctionnaires spécialisés, sur des sujetsspécialisés. Il n’y a pas de réunion prévue auniveau des chefs d’Etat et de gouvernement.

Signalons enfin à nouveau que les structuresde gestion du Partenariat laissent peu de place àl’expression des pays tiers méditerranéens. LaCommission, d’abord chargée du travail com-munautaire stricto sensu, prépare aussi les réu-nions du Comité euro-med. Les pays partenairesse plaignent de ce fait régulièrement de ne pasêtre associés à la conception et à la mise en œuvredu Partenariat. Ils reprochent notamment à laCommission de ne pas les informer suffisam-ment en amont sur les propositions présentéesau Comité euro-med. Etant confrontés au der-nier moment aux initiatives européennes, ils se

trouveraient systématiquement placés dans uneposition défensive. Par ailleurs, les mécanismesde fonctionnement du programme financierMEDA impliquent aussi très peu les Etats parte-naires. Les grandes lignes des programmes indi-catifs sont décidées par le Conseil. Les décisionsde financement sont ensuite adoptées par laCommission, assistée par un « Comité med ». Ilreste en bout de chaîne aux pays partenaires àadopter et mettre en œuvre les réformes pro-posées, en discutant a priori leur calendrier, ouen retardant celui-ci pour marquer une forme dedésaccord41.

La complexité des intervenants, source deconfusion

De nombreuses directions de la Commission(on pourrait en recenser au moins huit) contri-buent au Processus de Bercelone, ce qui rend trèsdifficile une vision d’ensemble. Quatre direc-tions du Conseil, de nombreux comités, sous-comités et délégations du Parlement européeninterviennent par ailleurs sur des dossiers euro-méditerranéens.

Les institutions communes qui intervien-nent dans le deuxième volet de Barcelone, soit levolet le plus structuré, sont de nature différenteselon le type d’accord qui lie le pays partenaireconcerné à l’Union. On distingue deux cas defigure, suivant la nature de la relation bilatérale :le cas type, qui se traduit par la signature d’unaccord d’association, est le cas de la Turquie, quiest liée à l’Europe par un mécanisme d’uniondouanière. Chaque accord a sa propre structureinstitutionnelle, suivant les procédures clas-siques de l’article 238 du Traité sur les Commu-nautés européennes. Certaines activités du Pro-cessus ayant une vocation régionale, enpréparation de la future zone de libre-échange,des réunions multilatérales de hauts fonction-naires sont également organisées régulièrementsur des sujets ad hoc. Enfin, des réunions impli-

40 Voir Geoffrey Edwards et Eric Philippart, op. cit. dans note 23, p. 475. La motivation méditerranéenne de certains Etats européens sembles’être d’ailleurs diluée avec le temps. Nous sommes aujourd’hui assez loin des mobilisations observables au tournant des années 1990. Ledossier euro-méditerranéen, traditionnellement considéré comme un dossier prioritaire pour les Français, n’aura ainsi pas bénéficié en l’an2000 de toute l’attention prévue durant la présidence française de l’Union.41 On peut observer de tels exercices de freinage dans la plupart des dossiers bilatéraux depuis l’ouverture des négociations avec les paysjusqu’à la mise en pratique des différentes clauses des accords. La gestion des programmes bilatéraux souffre ainsi de multiples lenteursqui ne sont pas toutes imputables aux lourdeurs de la bureaucratie bruxelloise.

19

Les contraintes pesant sur le Partenariat euro-méditerranéen

Page 22: Occasional Papers n°36 - mafhoum.com

42 Nous avons par exemple tenté cet exercice pour la dernière proposition de la Commission, citée dans la note 4. 43 Est-il besoin de rappeler que le dossier portant sur la gestion des Programmes Med était un des éléments à charge retenus par le Parlementeuropéen contre la Commission Santer en 1999 ?44 Claire Spencer signale par ailleurs que la Stratégie commune pour la Méditerranée fait partie de ces textes communautaires qui cèdentau syndrome de la shopping list, ce qui le rendrait en soi assez peu opérationnel, et donc relativement inoffensif ; voir Claire Spencer, « TheEU and Common Strategies : the Revealing Case of the Mediterranean », Advice to the House of Lords Select Committee on the EuropeanUnion (Sub-Commitee C), Inquiry into the Common Mediterranean Strategy, 2000-1, p. 12.

20

quant des acteurs issus de la société civile ont étéorganisées dans le cadre du troisième volet,essentiellement au cours des deux dernièresannées.

Différentes couches institutionnelles sesuperposent donc ainsi sans ordre ni hiérarchieparticulière. Il en résulte une certaine confusion,qui nuit à la visibilité du Partenariat, et nourritaussi le reproche constant d’une « bureaucrati-sation » de Barcelone. Le processus est dans l’en-semble assez peu transparent ; il devient parexemple très difficile de retracer, et ce unique-ment au sein de la Commission, le schéma d’éla-boration d’une proposition destinée auConseil42. Les procédures de concertation dansles services de la Commission impliquent eneffet pour chaque document un cheminementcomplexe, qui rend très difficile, au final, la loca-lisation de toute impulsion politique.

Où se fait donc la politique méditer-ranéenne ? Comme pour toutes les politiquescommunautaires, la réponse réside sans doutedans un entre-deux instable. Mais en l’absenced’intérêt manifeste de la part du Conseil, laCommission a longtemps détenu la clé dusystème euro-méditerranéen. Or les équipescommunautaires, démotivées un temps pard’assez graves incidents de parcours43, ont laissédécliner progressivement le souffle de Barce-lone.

Les interactions avec la PESC

On comprend chemin faisant que c’est l’aspectinter-piliers de Barcelone qui pose particulière-ment problème. Cet aspect du Partenariat, qui ledistingue des autres politiques extérieureseuropéennes, symbolise assez bien ce que pou-vait être une action extérieure de l’Europe avantAmsterdam. Or l’Union est entrée dans l’èrepost-Amsterdam, avec la consolidation d’insti-tutions et l’apparition de nouveaux instruments

dédiés à la PESC. Ce nouvel élément du dossierinstitutionnel pose de plus en plus clairementproblème : pour organiser les relations entre leProcessus de Barcelone, la PESC et la PESD nais-santes, il faudrait avoir établi une division desrôles par essence contradictoire avec la philoso-phie de Barcelone.

Au-delà des incertitudes sur les compétencesde chacun, les relations entre les différentesadministrations concernées par le dossier médi-terranéen s’organisent dans les faits de façonpragmatique. Le Secrétariat du Conseil jouedepuis l’origine un rôle d’appui essentiel dans lapréparation des réunions de hauts fonction-naires du premier volet. L’adoption en juin2000, au Conseil de Feira, de la Stratégie com-mune pour la Méditerranée pouvait inciter àpenser que la Commission serait bientôtdépossédée de cette compétence floue enmatière de politique extérieure acquise grâce auPartenariat. En réalité, le contenu de la Stratégiecommune reprend pour l’essentiel celui de laDéclaration de Barcelone44 ; la concurrenceentre Commission et Conseil n’est donc pasencore à l’ordre du jour sur ce terrain. Mais, si àl’avenir l’UE était appelée à jouer un rôle plusgrand dans la résolution du conflit israélo-arabe, il ne fait pas de doute que les petits arran-gements institutionnels actuels déboucheraientsur quelques crises et réaménagements.

3.3 Les incertitudes dumécanisme libéralLe libéralisme est la source d’inspiration philo-sophique et le moteur du Partenariat euro-méditerranéen. Le potentiel de réforme de Bar-celone repose en effet, comme nous l’avonsexpliqué plus haut, sur l’hypothèse que libéra-lisme économique et politique vont de pair et serenforcent mutuellement. Cette théorisation

Optimiser le processus de Barcelone

Page 23: Occasional Papers n°36 - mafhoum.com

vertueuse ne fonctionne malheureusement pastoujours en pratique, et le cas concret du Parte-nariat euro-méditerranéen en est un bonexemple. Pour le moment, la réalité démontreque la zone de libre-échange progresse, à sonrythme, mais pas la réforme politique desrégimes tiers méditerranéens. Trois points d’in-certitude méritent ici d’être mentionnés concer-nant la mise en œuvre de la prescription libéraleen Méditerranée.

La première incertitude porte sur la capacitémême de la prescription économique libérale àamorcer le développement. Ce point n’a pas étédéfinitivement tranché par l’analyse macro-éco-nomique. Les modèles de développement dusud-est asiatique ont par exemple démontréqu’un mélange de dirigisme et de spécialisationéconomique, greffés sur un marché intérieur ini-tialement dynamique, sont les principaux fon-dements du modèle de croissance tirée par lesexportations (export-led growth)45. En l’étatactuel des choses, ce modèle asiatique apparaîtdifficile à transposer dans la plupart des payspartenaires méditerranéens. Les facteurs de lacroissance économiques sont multiples et parmieux interviennent des conditions de naturesociologique (niveau d’éducation de la popula-tion active), des conditions touchant à la naturede l’environnement économique (système légalet financier permettant les investissements) quisont loin d’être remplies dans la plupart desEtats méridionaux du Partenariat. Les recom-mandations de la Commission fixent périodi-quement de nouveaux objectifs en ce sens, pourlutter contre les fondements structurels dusous-développement. L’ouverture des écono-mies sur l’extérieur peut alors à la limite êtreconsidérée comme le point d’aboutissementd’un grand effort de réforme structurelleinterne. Or, dans le cadre des accords d’associa-tion bilatéraux euro-méditerranéens, lesmesures de désarmement douanier sont parmiles premières mesures concrètement mises enœuvre. Leur effet est immédiatement ravageursur les finances publiques des pays concernés,ainsi que sur l’équilibre de leur balance commer-

ciale avec l’Union européenne. En revanche, lesprogrammes de « mise à niveau » entrepris enparallèle ne produiront leurs résultats qu’à pluslong terme.

Tant que l’incertitude pesant sur la capacitédes économies des pays partenaires à s’adapteraux exigences des accords bilatéraux n’est paslevée, le degré de volonté des dirigeants tiersméditerranéens à s’engager dans un processusd’ajustement restera également incertain. Lessystèmes économiques des pays tiers méditer-ranéens sont dans leur grande majorité marquéspar une forte tradition d’intervention du secteurpublic. Ils sont à la fois très réglementés etfermés sur eux-mêmes. Le chemin sera donc trèslong pour atteindre partout l’idéal d’une écono-mie de marché ouverte. Le bilan des effortsentrepris en faveur d’une modernisation écono-mique place jusqu’à présent les pays du Bassinméditerranéen très loin derrière les perfor-mances des pays d’Europe centrale et orientale.Il faut évidemment compter avec la réticence degouvernements qui ne sont pas disposés à lâcherla main sur le plan économique sans obtenir degaranties pour leur avenir politique. L’idéal trèseuropéen de la dynamique libérale n’inspire quede très loin l’action des dirigeants tiers méditer-ranéens : la croissance économique peut êtrepour eux un objectif, mais elle s’entend souventen termes de captation de richesse, et n’impliquepas forcément une distribution plus équitablede la propriété, ni des changements institution-nels majeurs, et encore moins une avancée vers ladémocratie.

Cela nous amène à examiner un scénario spé-cifique entrant dans ce cadre théorique des libé-ralisations jumelles, économique et politique.On admettra volontiers que le changement éco-nomique aura des effets sociologiques et, parvoie de conséquence, politiques ; mais commentprévoir le sens de cette évolution ? EberhardKienle décelait par exemple dès 1998 une forteambiguïté dans les perspectives euro-méditer-ranéennes, en signalant que : « Le nouveau par-tenariat (...) peut avoir des conséquences surtoutnégatives pour la prospérité et la stabilité des

45 Voir par exemple Santo Dodaro, « Comparative Advantage, Trade and Growth: Export-Led Growth Revisited », World Development, n°19(9), septembre 1991, p. 1153-1165.

21

Les contraintes pesant sur le Partenariat euro-méditerranéen

Page 24: Occasional Papers n°36 - mafhoum.com

46 Eberhard Kienle : « Destabilization through Partnership ? Euro-Mediterranean Relations after the Barcelona Declaration », MediterraneanPolitics, vol. 3, n°2, automne 1998), p. 1.47 L’auteur s’est penché sur cette question, peu de temps après la tenue de la conférence de Barcelone. Voir Dorothée Schmid, « Pour unréalisme méditerranéen », Esprit n°221, Paris, mai 1997, p. 56-61.48 L’auteur a pu constater de visu le maniement d’une telle rhétorique en Syrie dès 1998, au moment où le gouvernement syrien s’engageaitdans son premier round de négociations bilatérales avec l’Union européenne.49 Claire Spencer signale ainsi que la Stratégie commune pour la Méditerranée, sortie en juin 2000, prend pour la première fois officiellementacte des interactions entre le Processus de Barcelone et le conflit du Proche-Orient, sans pour autant insister sur l’impact négatif de cesinteractions sur le Partenariat, ni se risquer à clarifier les rôles respectifs que pourraient jouer la Commission et le Conseil dans le règlementdu conflit ; voir Claire Spencer, op. cit. dans note 44, p. 10.

22

pays concernés »46. Le choc économique produitpar l’ouverture des frontières pourrait surtout,dans un premier temps, avoir un effet déstabili-sateur. Le libre-échange risque d’entraîner desfaillites nombreuses dans certains secteursindustriels brutalement exposés à la concur-rence extérieure, de créer de nouvelles inégalitéssociales, et in fine, en l’absence de mécanismes deredistribution efficaces, de faire porter le poidsde l’ajustement sur les couches économiques lesplus pauvres de la population. Le potentiel dedéstabilisation sociale et politique du Partena-riat n’est donc pas négligeable47et les gouverne-ments tiers méditerranéens y sont attentifs. Faceà ce risque, le réflexe naturel des régimes autori-taires ne sera pas de passer la main, mais plutôtde s’assurer préventivement un meilleurcontrôle de la situation. Certains Etats ontd’ailleurs ici beau jeu de poser en défenseurs dupeuple contre une nouvelle offensive du capita-lisme mondial. L’Europe devient alors un boucémissaire fort utile ; en agitant le spectre de lamondialisation, dont l’Europe serait le porte-parole, les gouvernements cherchent à préserverle sentiment de l’unité nationale et en profitentpour renforcer la fidélité au régime, pour éviterque les événements ne se retournent contre lui48.

Il est en fait impossible aujourd’hui de tran-cher définitivement sur la pertinence ou l’échecdu mécanisme libéral de Barcelone. Nous noustrouvons pour l’heure installés dans une zoned’indétermination où l’Europe peut continuer àdéfendre le schéma vertueux de l’enchaînementlibéral, et pourrait même travailler activement àla préservation de sa vertu. Mais il apparaît jus-tement, et nous y reviendrons, que lesEuropéens n’ont jusqu’ici jamais démontré d’in-tention politique claire dans la pratique du Par-tenariat ; ils ont très librement laissé les forces de

l’économie travailler en faveur de la réformepolitique, qui ne s’est pas concrétisée. Depuis1995, la conditionnalité politique présente engerme dans la Déclaration de Barcelone, et tra-duite dans les accords bilatéraux par l’inclusiond’une clause de suspension liée au respect desdroits de l’Homme, n’a ainsi jamais étéactionnée. Tout un travail de test, mais aussi deconviction, par un dialogue concret, reste donc àaccomplir pour prouver la justesse des intui-tions libérales de Barcelone.

3.4 La vulnérabilité face à laconjoncture politique : le conflitisraélo-arabe comme preuve dela fragilité de BarceloneLa dernière contrainte majeure qui pèse sur lePartenariat peut selon nous être considéréecomme la résultante logique des défauts quenous venons de souligner. Pour l’observateuroccasionnel, les aléas du Processus de Barceloneapparaissent comme directement liés aux déve-loppements du conflit israélo-arabe. Selonnous, le conflit met surtout en lumière, demanière brutale et récurrente, les insuffisancesdu Partenariat.

On sait qu’à l’origine, il a été explicitementdécidé de découpler le Processus de Barcelone dela gestion du Processus de paix. Ce principe dudécouplage a toujours été maintenu, y comprispar les acteurs de la PESC49. Pourtant, dès 1997,la première conférence ministérielle de suivi deBarcelone, qui se tenait à La Valette, a été« contaminée » par la crise proche-orientale. Lecontexte était celui d’une reprise de la colonisa-tion israélienne en Cisjordanie. La conférence de

Optimiser le processus de Barcelone

Page 25: Occasional Papers n°36 - mafhoum.com

la Valette s’est achevée sur une déclaration finaleminimaliste de la présidence néerlandaise, quin’était pas parvenue à concilier des logiquesnationales divergentes. Dès lors, les observa-teurs pouvaient sans risque condamner le voletpolitique et stratégique de Barcelone à une mortprématurée. En pratique, la fiction du décou-plage ne tenait pas.

Depuis, le Partenariat est occasionnellementdevenu une enceinte pour que l’une ou l’autrepartie au conflit israélo-arabe exprime ses posi-tions et exerce une forme de chantage. L’auradiplomatique de Barcelone en pâtit évidem-ment. Ce sont les événements les plus visibles duPartenariat, c’est-à-dire les grandes conférencesministérielles, qui sont le plus volontiers instru-mentalisées par les parties au conflit. Ainsi, laconférence ministérielle de Marseille, ennovembre 2000, a-t-elle été boycottée par lesreprésentants syriens et libanais. Jusqu’à la der-nière minute, il a été question de l’annuler. Laconférence a heureusement été maintenue : son

annulation aurait certainement signifié la mortsymbolique du Partenariat.

Depuis lors, le conflit n’a jamais cessé deparasiter Barcelone. La déclaration finale de laconférence euro-méditerranéenne de Valence,en avril 2002, comporte ainsi plusieurs pagesdédiées au conflit et aux efforts accomplis parl’Union en faveur de la paix50. Pour les tenantsde la grande ambition méditerranéenne, cettevulnérabilité de Barcelone est difficile àadmettre. Un Partenariat renforcé ne pourrait-ilpas résister aux tensions locales et aux pressionsconjoncturelles ? L’impact extrême du conflitisraélo-arabe résume en fait très bien les grandesfaiblesses du Partenariat : bilatéralisme quiprime sur la dimension régionale, asymétrie ins-titutionnelle, objectifs trop complexes et finale-ment flous. C’est à ces objectifs que nous allonsmaintenant revenir. Il nous est en effet essentielde mieux les cerner avant de réfléchir auxmoyens d’améliorer l’efficacité du Partenariat.

50 Conclusions de la Présidence, Ve Conférence euro-méditerranéenne des ministres des Affaires étrangères, Valence, les 22 et 23 avril 2002.

23

Les contraintes pesant sur le Partenariat euro-méditerranéen

Page 26: Occasional Papers n°36 - mafhoum.com

4

Une esquisse de clarification : réflexion surles objectifs du Partenariat

L e Partenariat euro-méditerranéen a été conçupour répondre à des objectifs définis par les

Européens. Lorsque l’on se penche sur sa genèse,et que l’on suit les étapes de préparation de laDéclaration de Barcelone, on se rend biencompte que la consultation des Etats parte-naires n’était pas à l’origine une priorité51. Etpourtant le Partenariat est censément inspirépar des intérêts communs aux deux rives de laMéditerranée, des intérêts qui seraient « euro-méditerranéens ». On est alors amené à sedemander si ce tour de passe-passe initial seconfirme, dans la réalité, comme fondateurd’une logique partenariale.

Plusieurs niveaux d’intérêts entrent en fait enjeu dans le Partenariat, sans forcément coïnci-der. Sous couvert de transversalité, l’Europe par-vient assez bien, dans les enceintes multilaté-rales, à faire prévaloir sa propre conception del’avenir régional. De leur côté, les pays parte-naires méditerranéens n’ont pas de vision régio-nale à négocier avec l’Europe ; en revanche, ilsont su utiliser le canal des relations bilatéralespour faire passer un certain nombre de revendi-cations d’ordre national. Sur le tard, il est ainsiapparu que les pays concernés élaboraient desobjectifs propres par rapport au Partenariat, etque ces objectifs-là pouvaient éventuellemententrer en conflit avec les intentionseuropéennes.

Le Partenariat est donc un édifice complexe,mêlant dans une grande confusion, sans douteen partie volontaire, les intérêts et les objectifssubséquents des uns et des autres. A mesure quel’intégration régionale progresse, les conflitsd’objectifs sont de plus en plus susceptibles de serévéler au grand jour et de contrarier l’effort destructuration globale. C’est pourquoi tenter de

clarifier les intérêts en cause nous semble à toutle moins nécessaire. Une telle explicitation estindispensable pour nourrir une réflexioneuropéenne sur les fondamentaux de l’unitéméditerranéenne, afin de définir une stratégieviable sur le long terme.

4.1 Les intérêts européens enMéditerranéeC’est en 1972 que l’Europe s’est dotée pour lapremière fois d’une « politique méditer-ranéenne globale ». Cette première tentative derationalisation ne s’est pas faite dans l’urgence,comme ce fut le cas pour Barcelone. Le tournantdes années 1990 a cristallisé sur le tard un cer-tain nombre de questions pressantes en Médi-terranée, que l’Europe a choisi de traiter par uneapproche ouverte, en définissant des prioritéscommunes, supposées fédératrices pour le Nordet le Sud : les priorités euro-méditerranéennes.

Un simple retour en arrière permet de com-prendre que l’Union européenne est attachée àla Méditerranée par des liens complexes, définis-sant des types d’intérêts qui se distinguent parleur échelle, leur substance et leur horizon tem-porel. Les fondements historiques de la poli-tique méditerranéenne l’ancrent dans des pro-blématiques de long terme - développementéconomique, préservation de l’environnement -parfois directement marquées par l’héritagecolonial - liens économiques, migrations ; onpeut rappeler à ce propos l’ordre dans lequel ontété signés les premiers accords bilatéraux avecdes pays tiers méditerranéens : les anciennescolonies françaises du Maghreb ont naturelle-ment été les premières intégrées dans le système

51 Sur la genèse de la Déclaration de Barcelone, voir par exemple Esther Barbe, « The Barcelona Conference: Launching Pad of a Process »,Mediterranean Politics, vol. 1, n°1, été 1996, p. 25-42

24

Page 27: Occasional Papers n°36 - mafhoum.com

des accords préférentiels avec la Communautéeuropéenne.

Il serait donc éclairant, à ce stade de notreréflexion, d’essayer d’identifier les intérêtseuropéens spécifiques qui entrent en jeu enMéditerranée, afin de comprendre ce que l’Eu-rope cherche pour elle-même dans le Partenariat.Deux catégories d’intérêts seront envisagées icipour faciliter la réflexion : des intérêts d’ordreessentiellement matériels, et des intérêts entermes de valeurs.

Les intérêts matériels

Les intérêts « matériels » renvoient aux gainsmesurables, quantitatifs, que l’Europe pourraittirer du Partenariat. Ils sont de nature politiqueet économique. Sur le plan politique, l’Unioneuropéenne cherche avant tout, et c’est bien cequi est mis en avant dans le texte de Barcelone, àstabiliser la région. Pour servir cet objectif final,des objectifs intermédiaires ont été définis danschaque volet : la construction d’un espace deconfiance stratégique, le développement écono-mique et l’établissement d’un dialogue culturelentre les deux régions. En réalité, la stabilisationpolitique de la région impliquerait, on l’a vu, unfine tuning de tous les instants, afin de maintenirun vrai contact multilatéral, et de contrôler insitu les effets de la libéralisation économique. Lastabilisation politique à long terme empruntedonc une voie étroite.

Les intérêts strictement économiques nesont pas absents de la nouvelle politique médi-terranéenne, même s’ils sont sans doute fonda-mentalement moins importants. Pour com-prendre la rationalité économique duPartenariat, il faut se référer à la littérature sur larégionalisation, et replacer notre réflexion dansle cadre de la mondialisation libérale. Le Parte-nariat euro-méditerranéen est en fait, mutatismutandis, une tentative de copier le modèle nord-

américain libre-échangiste de l’ALENA52.Lorsque Barcelone a été conçu, une batailleouverte se livrait déjà depuis dix ans sur le ter-rain commercial international entre les troisgrandes puissances économiques de l’époque,Europe, Etats-Unis et Japon. La régionalisationéconomique s’imposait alors comme une consé-quence rationnelle de l’ouverture des frontières.La régionalisation peut en effet assumer deuxmissions divergentes : elle permet, pour les uns,d’accompagner la logique de la mondialisation,pour la mener à son terme ; et elle est considéréepar les autres comme un moyen d’y résister pro-visoirement. L’Asie et les Etats-Unis ont très tôtopté pour la première solution, en négociant lamise en place d’unions économiques régionales,telles que l’ASEAN et l’ALENA, pour mettre enœuvre, à grande échelle, une division optimaledu travail. Il était dans ces conditions symboli-quement très important que l’Europe, troisièmemembre de la triade, ait elle aussi son espace deprojection économique propre.

Le modèle macro-économique classique de ladivision du travail peut tout à fait être transposéen Méditerranée, pour certains secteurs indus-triels, et avec certains pays. Dans les années1980, le Maroc, la Tunisie et la Turquie ont déjàsu mettre à profit le système de préférences quela Communauté a accordé à l’ensemble des paystiers méditerranéens dans le secteur manufactu-rier. Ces trois pays ont effectivement modifié defaçon importante la spécialisation de leursystème productif, en l’orientant essentielle-ment vers le segment « habillement » du secteurtextile. A l’avenir, pour que l’effet de l’ouverturedes frontières soit positif, il faudrait cependantque le libre-échange n’enferme pas ces écono-mies dans des spécialisations peu porteuses etfavorise une réelle progression dans l’échelle desavantages comparatifs53. En l’absence d’unetelle dynamique, l’Union européenne restera lagrande bénéficiaire du libre-échange euro-médi-

52 Cette vision d’une région économique est avant tout celle de la Commission ; voir, par exemple, la communication de la Commissionau Conseil et au Parlement, Renforcer la politique méditerranéenne de l’Union européenne : vers l’établissement d’un partenariat euro-méditerranéen, COM(94) 427 final. Du côté des Etats membres, la Méditerranée est à l’origine plutôt perçue comme une région au sens politique ; sur la différenceentre ces deux types d’approche, voir par exemple Louise L’Estrange Fawcett (dir.), Regionalism in World Politics : Regional Organization andInternational Order, Oxford University Press, Oxford, 1995. 53 Pour une discussion des avantages comparatifs méditerranéens, on pourra se référer à Jacques Ould Aoudia, « Enjeux économiques dela politique euro-méditerranéenne », Monde arabe, Maghreb-Machrek, n°153, juillet-septembre 1997, p. 24-44.

25

Une esquisse de clarification : réflexion sur les objectifs du Partenariat

Page 28: Occasional Papers n°36 - mafhoum.com

54 Sur la thématique des valeurs européennes, dans le contexte méditerranéen, et face aux Etats-Unis, on pourra consulter respectivementFati B’chir, « Europe-Maghreb : perceptions réciproques », L’Evénement européen, n°17, mars 92, p. 127-136, et le numéro spécial deCommentaires, été 2001,vol. 24, n.°94, « L’Europe et les Etats-Unis ».

26

terranéen. Elle trouvera d’abord en Méditer-ranée une main-d’œuvre peu coûteuse et de plusen plus qualifiée, à même d’exécuter certainestâches ingrates d’une chaîne de productioncontrôlée par le Nord. Par ailleurs, les marchésnationaux des pays partenaires méditerranéensconstituent un débouché naturel pour les pro-duits européens. Le niveau du déficit commer-cial euro-méditerranéen, déjà important avantBarcelone, s’est accru depuis 1995, témoignantdu dynamisme des exportations européennessur ces marchés pratiquement captifs.

Les intérêts en termes de valeurs

En termes de valeurs, on pourrait dire que l’Eu-rope poursuit dans le Partenariat un doublebut : la promotion externe de ses propres valeurspolitiques et morales d’une part, et la construc-tion d’une identité européenne autonomed’autre part. Ces deux objectifs se rejoignent etse renforcent mutuellement. Leur instrumentd’action privilégié est évidemment le troisièmevolet du Partenariat. Cependant, l’affichage desvaleurs européennes que sont le respect deslibertés politiques fondamentales et des droitsde l’Homme, et l’établissement de l’Etat de droit,renvoient aussi au premier volet de Barcelone.

La formulation de ces valeurs est philosophi-quement primordiale, en elle-même ; mais ellerevêt également une importance cruciale d’unpoint de vue plus pragmatique, pour le renforce-ment de la construction identitaire européenne.C’est là un effet en retour essentiel du Processusde Barcelone. La réussite, ou l’échec, du Partena-riat, met implicitement en débat les élémentsfondateurs du système philosophique et poli-tique européen que sont l’idée de progrès, lamodernité, la démocratie. L’Union européennese doit non seulement d’assurer pour elle-mêmele respect de ces valeurs, mais elle doit encoreconvaincre les pays partenaires de leur validité.Si elle y parvient, elle prouvera qu’elle a passé un

palier important dans la recherche de la cohé-rence identitaire.

Ce renforcement identitaire se répercuteradans un deuxième temps sur la structuration dusystème international. L’affirmation d’un cadred’interprétation du monde proprementeuropéen contribuera à détacher l’image de l’Eu-rope du pôle américain dans l’imaginaire tiersméditerranéen. L’Union européenne mériteraitde s’échapper parfois du camp « occidental » oùl’enferme souvent une vision simple du monde.Et à terme, affirmer une identité européenne,c’est aussi se donner les moyens de la défendre.C’est donc un pas essentiel pour installer l’Eu-rope comme acteur majeur sur la scène des rela-tions internationales54.

4.2 Les intérêts« euro-méditerranéens »Les objectifs du Partenariat sont mis en avantpar les Européens comme des objectifs partagéset dotés de ce fait d’un label « euro-méditer-ranéen ». Ils répondent à des intérêts présentéscomme transversaux. Mais cette prétenduetransversalité mérite d’être examinée de façoncritique. La définition des intérêts communs duPartenariat revenant de facto à l’Europe, certainesquestions transversales sont envisagées dansune optique en fait très européenne ; on pourraitfinalement, pour simplifier la réflexion, distin-guer les intérêts « réellement » partagés de ceuxque nous qualifierons de « faussement » trans-versaux.

Les questions transversales

Existe-t-il des domaines de coopération « objec-tifs » en Méditerranée, c’est-à-dire des domainesoù émergent des intérêts réellement partagés ?Certains analystes vont aujourd’hui jusqu’àintroduire la notion de « biens publics » médi-

Optimiser le processus de Barcelone

Page 29: Occasional Papers n°36 - mafhoum.com

terranéens55, pour souligner l’existence d’en-jeux collectifs régionaux. En pratique, certainschamps de coopération horizontale ont été tôtdéfinis en Méditerranée.

Le plus évident de ces domaines de coopéra-tion, qui illustre bien cette notion d’intérêtstransversaux, est sans doute la protection del’environnement. Une première convention deprotection de l’environnement méditerranéen aété signée en 1975 à Barcelone56. Depuis lors,cette thématique est un peu laissée de côté, carson contenu semble moins immédiatementutile. Le sujet, assez populaire, permet pourtantde mobiliser facilement les opinions publiques.Il ne s’agirait pas ici de promouvoir une visionangélique de l’écologie, en négligeant de prendreen compte les contraintes du développement.Mais il est probable que tous les pays partenaireschercheraient à préserver leurs ressources écolo-giques, s’ils pouvaient y parvenir sans obérerleur croissance économique ni aliéner leur sou-veraineté politique. Une réflexion commune estdonc envisageable sur ce terrain neutre. Ledéfaut de ce projet est que ses effets en termes despill-over institutionnel et politique sont relative-ment faibles.

La démographie est un autre sujet d’intérêtcommun à l’échelle du bassin méditerranéen,même si elle renvoie à des situations très diffé-rentes entre les rives nord et sud. Le déficitdémographique du Nord fait face à la vitalité duSud, même si pratiquement tous les pays de larégion ont désormais accompli leur transitiondémographique. La gestion des flux démogra-phiques est certes devenue un point d’achoppe-ment régulier dans les échanges entre gouverne-ments méditerranéens. Pourtant, lesperspectives à moyen terme dessinent une formed’équilibre57 qui devrait concilier les positionsdes différents partenaires. La surveillance desévolutions démographiques, le contrôle de la

natalité dans les pays partenaires, mais aussi leséchanges contrôlés de migrants, pourraient êtredans un avenir relativement proche des thèmesde coopération possibles.

L’agriculture est, depuis les origines de lapolitique méditerranéenne de l’Europe, un sujetde discorde entre Méditerranéens du Nord et duSud. La préservation des intérêts des agricul-teurs européens, par une réglementation ad hocdes marchés, est un des principes fondateurs del’Europe unie. La concurrence entre produitsméditerranéens est ainsi devenue au fil du tempsun enjeu politique majeur des négociationseuro-méditerranéennes, les lobbies agricoleseuropéens parvenant dans l’ensemble assez bienà restreindre l’accès des produits du Sud auxmarchés européens. Mais les règles du jeu évo-luent aujourd’hui rapidement, et l’ouverturecroissante des marchés mondiaux contraintl’agriculture européenne à des ajustementsrapides. Il est indéniable que certains pays parte-naires méditerranéens détiennent dans cedomaine des avantages comparatifs impor-tants, que le libre jeu du marché permettrait demettre à profit. Ainsi, si l’on se place dans uneoptique d’intégration régionale à long terme,une véritable organisation de la production à l’é-chelle de la région entière est envisageable58.

Les intérêts faussement partagés

La Méditerranée est-elle vraiment fédératrice ?Cette question préalable est nécessaire, car elleremet d’emblée en cause une vision faussementangélique d’un avenir commun rêvé, « euro-méditerranéen ». Le sort erratique du fameux« dialogue culturel en Méditerranée », reléguéjusqu’au 11 septembre parmi les dossiers lesmoins urgents de Barcelone, illustre assez bienl’indécision européenne sur ce point. Il est trèséclairant d’étudier la façon dont l’Europe a

55 « Idées pour relancer le Processus de Barcelone », policy paper produit par l’Institut catalan de la Méditerranée (ICM) à l’issue d’unséminaire spécialisé, décembre 2001, p. 7. Les experts de l’ICM citent parmi ces biens publics « la protection de l’environnement, ladiminution de la pauvreté, l’amélioration des conditions sanitaires, éducatives et professionnelles, ou encore la protection des droits del’Homme ».56 Voir Serge Antoine, « Dix-huit pays riverains dans un même bateau ? Le souci de l’environnement et du développement durable », Peuplesméditerranéens n°62-63, janvier-juin 1993, p. 255-277.57 Voir l’étude de Isabelle Attane et Youssef Courbage, La démographie en Méditerranée : situation et projections, Programme des Nations uniespour l’environnement, Plan d’action pour la Méditerranée, Economica, collection Les fascicules du Plan bleu, Paris, 2001.58 René Leray retient également cette dimension agricole comme un sujet potentiellement fédérateur en Méditerranée. Voir op. cit. dans note38.

27

Une esquisse de clarification : réflexion sur les objectifs du Partenariat

Page 30: Occasional Papers n°36 - mafhoum.com

59 Pour une étude plus précise du contenu des productions culturelles du Partenariat, voir Isabel Schäfer, « The Reinvention of theMediterranean as a Geo-Cultural Region and the Role of Cultural Repertoires », contribution présentée au IIIe Congrès d’étudesméditerranéennes de l’Institut universitaire européen de Florence, mars 2002.60 Le « néo-méditerranéisme » des acteurs du Partenariat est une notion que l’auteur explore dans sa prochaine thèse de doctorat; notiondéjà reprise et élaborée par Julie Monin dans « La dimension culturelle du Partenariat euro-méditerranéen », mémoire présenté pour leMagistère de Relations internationales et Action à l’étranger de l’Université de Paris-I, Panthéon-Sorbonne, septembre 2001.61 L’expression est directement empruntée à François Burgat, dans L’islamisme au Maghreb : la voix du Sud, nouvelle édition revue et augmentée,Payot, Paris, 1995, collection Petite bibliothèque Payot.62 « Europe, the Mediterranean and the Middle East, Strengthening Responsibility for Stability and Development », document de travailprésenté par le Bertelsmann Group for Policy Research, aux VII Kronberg Talks, janvier 2002.63 Il est toujours délicat d’établir une hiérarchie du risque pour les droits de l’Homme dans la région ; on peut néanmoins signaler quel’Algérie ou la Tunisie, par exemple, font l’objet d’une vigilance renforcée.

28

choisi de traiter cette question. Les programmesculturels, au sens large, qui ont été lancés jusqu’àprésent, tendaient à promouvoir la vision idéaled’une Méditerranée partagée, berceau commundes grandes civilisations et lieu d’échanges pri-vilégié. Les productions audiovisuelles issuesdes programmes régionaux thématiques sym-bolisent très bien ce biais fédérateur, qui évitesystématiquement d’ouvrir un débat sur lesdifférends culturels historiques entre les rivesnord et sud de la Méditerranée59. Ce « néo-médi-terranéisme », ou méditerranéisme nouveau estune tendance observable de façon assez large,mais très liée à la promotion de la Méditerranéecomme sujet culturel dans le cadre du Partena-riat. C’est en tout cas une productioneuropéenne, qui ne renvoie à aucun référentstable dans la culture arabo-musulmane60. Orles événements du 11 septembre ont douloureu-sement ébranlé la cause néo-méditerranéiste. Ilsnous ont assez brutalement rappelé que la com-plicité culturelle n’était pas toujours de mise, etque l’ignorance volontaire de tout un pan de laculture sociale méditerranéenne, c’est-à-dire del’Islam, considéré comme phénomène sociolo-gique et politique, pouvait avoir des implica-tions stratégiques graves. Le dialogue cultureldoit certainement être une priorité du Partena-riat. Il doit simplement permettre aussi l’expres-sion de « la voix du Sud »61.

Venons-en maintenant à des intérêts plusprécis et censément communs, mis en avant parles Européens, et qui ne semblent pas, après ana-lyse, aussi partagés que prévu. Nous pourrionsles appeler les objectifs « faussement » transver-saux. Deux cas précis méritent d’être explicitésde façon critique pour illustrer cette expression :il s’agit de la lutte commune contre le terro-

risme, et de l’établissement de la zone de libre-échange.

Depuis le 11 septembre 2001, la lutte contrele terrorisme figure en première place surl’agenda international américain, et égalementen très bonne place sur l’agenda européen. Cettepriorité est liée à l’existence d’une menace isla-miste plus ou moins clairement mentionnéedans les discours officiels. Il paraît donc logiqueque cette préoccupation soit traitée, du côtéeuropéen, dans le cadre du dossier euro-médi-terranéen.

Une lourde ambiguïté se manifeste alors, carla lutte antiterroriste n’est certainement pasenvisagée de la même façon des deux côtés de laMéditerranée. Comme l’exprime très justementune note récente d’un groupe d’analystes alle-mands62, dans le contexte méditerranéen, leslignes entre terrorisme, résistance à l’oppressionet groupes d’opposition politique sont mal défi-nies. Il conviendrait donc, selon les auteurs del’étude, d’entamer un « dialogue pragmatique »avec les pays du sud de la Méditerranée sur unebase ad hoc, en vue avant tout d’identifier desintérêts communs. Dans les faits, le risque d’at-teintes graves aux droits de l’Homme, au pré-texte de situations d’exception, est réel dans cer-tains pays partenaires63. L’Europe serait alorsinstrumentalisée, intervenant malgré ellecomme caution, dans un jeu qui ne correspondni à ses valeurs ni, même, finalement, à sesintérêts stratégiques immédiats. Le danger d’ac-croître l’instabilité, plutôt que de l’apaiser, est eneffet réel, lorsque les régimes entrent ouverte-ment en conflit avec la force sociale de contesta-tion puissante que représente l’islamisme danscertains pays.

Cette tension complexe entre respect des

Optimiser le processus de Barcelone

Page 31: Occasional Papers n°36 - mafhoum.com

droits de l’Homme et sécurité des citoyens, laplupart des Etats européens doivent désormaisla gérer au quotidien. Le respect des libertéspubliques est pour nous un acquis historiqueincontournable. Le débat public reste ouvert surces questions, mais il tranche en règle très géné-rale en faveur de la liberté. Il semblerait peuopportun de céder à la contagion répressive enimportant en Europe une dose nouvelle de dis-cours sécuritaire. Le terrorisme est pour lesEuropéens une menace qui pèse sur l’exercicequotidien des libertés individuelles. Il ne doitpas devenir un prétexte pour dévoyer les pou-voirs établis, en leur donnant des pouvoirs quioutrepassent leur légitimité.

Un autre dossier mérite également d’êtrerééxaminé de façon nuancée : celui de l’ouver-ture commerciale multilatérale en Méditer-ranée. La perspective de la zone de libre-échangeest désormais bien acceptée par les pays tiersméditerranéens, et nous en analyserons les rai-sons plus avant. Il n’est cependant pas évidentque ses effets soient aussi bénéfiques pour lesEtats du sud de la région que pour leurs parte-naires commerciaux européens64. L’effet béné-fique escompté pour l’Europe - ouverture denouveaux marchés - est immédiat et pratique-ment sans contrepartie. La concurrence médi-terranéenne ne porte en effet que sur des pro-duits pour le moment exclus du processus delibéralisation. Il s’agit des produits agricoles,auxquels l’Europe, soucieuse de préserver sonsecteur primaire, a d’emblée réservé un sort àpart. En retour, certains partenaires méditer-ranéens ont négocié longtemps pour obtenir desconditions relativement satisfaisantes pour cer-tains de leurs produits agricoles65. C’est pour-quoi l’on pourrait facilement risquer une ana-

lyse critique, d’inspiration marxiste, du libre-échangisme de Barcelone. On transposera ici lacritique classique faite aux libre-échangistesanglais de la fin du XIXe siècle, dont les convic-tions libérales servaient surtout une volonté depuissance commerciale et de domination poli-tique de l’Empire66.

4.3 Les intérêts nouveauxdes pays partenairesméditerranéens

La position des pays tiers méditerranéens vis-à-vis du Partenariat est assez mal appréciée. Pouréviter de compliquer le tableau régional, on pré-tend souvent qu’elle n’est pas très définie. LePartenariat ne serait en fait pour les Etats parte-naires qu’un objet mal cerné, dont l’utilité glo-bale échappe à l’entendement. Dans les faits, ona vu que le système institutionnel de Barcelonene laisse pas une grande place à l’expression desintérêts des pays partenaires. En outre, il n’esteffectivement pas certain que tous les pays aienteu une vision très élaborée du Partenariat aumoment où celui-ci leur a été proposé67. Mais laposition de certains Etats s’est cristallisée àmesure que se mettait en place le système de Bar-celone68. La négociation des accords bilatérauxd’association a été pour l’Europe une occasionde se confronter directement à cette positionnouvelle, et d’autres indices existent qui révèlentla construction progressive d’une réaction auPartenariat. Il existe donc certainement desintérêts proprement tiers méditerranéens, donton peut essayer de dresser intuitivement uneliste.

64 Les études prospectives sur les effets potentiels de la zone de libre-échange sont nombreuses. On proposera ici de se référer à l’articlede Alfred Tovias et Jordi Bacaria, « Free Trade and the Mediterranean », Mediterranean Politics, vol. 4 n°2, été 1999, p. 3-22.65 On pense par exemple à l’Egypte ou à la Jordanie ; l’accord d’association signé avec cette dernière une première fois en 1997 a dû êtrerenégocié depuis en raison du désaccord de certains Etats européens concernant les quotas agricoles (tomates).66 On se reportera au débat historique sur l’instauration des Corn Laws en Grande-Bretagne, bien résumé par exemple par Scott Burchilldans le chapitre « Liberal Internationalism » de Theories of International Relations, Macmillan, London, 1996.67 Plusieurs observateurs arabes, notamment, s’accordent sur ce point (vision par exemple recueillie lors d’un entretien avec Ghassan Salameen 1999 : les gouvernements tiers méditerranéens n’auraient pas entièrement, voire pas du tout, saisi la portée de Barcelone au momentoù les Européens leur présentaient le package du Partenariat.68 Les contributions académiques des pays partenaires sur le Processus de Barcelone restent malheureusement très rare, alors quel’ajustement des decision-makers semble actuellement en cours. On pourra donc consulter sur cette question George Joffe, « SouthernAttitudes Towards an Integrated Mediterranean Region », dans Richard Gillespie (dir.), The Euro-Mediterranean Partnership, Political andEconomic Perspectives, Pinter, London, 1997, p. 12-29.

29

Une esquisse de clarification : réflexion sur les objectifs du Partenariat

Page 32: Occasional Papers n°36 - mafhoum.com

69 Rappelons ainsi que les Européens sont les premiers bailleurs d’aide publique de l’autorité palestinienne. Il s’agit évidemment du dossierd’aide le plus politique du Partenariat.70 En matière d’optimisme, on pourra consulter l’une des premières analyses prospectives sur les effets du libre-échange méditerranéen :Isabelle Bensidoun et Agnès Chevallier, Europe-Méditerranée : le pari de l’ouverture, Economica, Paris, 1996, collection CEPII.71 Ce biais du Partenariat a d’ailleurs été dénoncé très tôt, en particulier par Béatrice Hibou et Luis Martinez, dans « Le partenariat euro-maghrébin : un mariage blanc ? », Etudes du CERI , n. 47, novembre 1998.

30

En matière de coopération financière, lesintérêts sont clairs. Chaque pays souhaited’abord obtenir de l’Europe les financements lesplus importants possibles. L’Europe est pourcertains Etats de la région un bailleur de fondsmajeur69.Une forme de compétition s’établitmême en pratique entre les pays partenairespour obtenir de l’Europe l’enveloppe la plus sub-stantielle en bilatéral.

Toujours dans le volet économique, notonsque la perspective de la zone de libre-échange estbien admise dans l’ensemble par les pays parte-naires, alors qu’elle ne sert pas forcément leursintérêts. Elle représente d’abord pour eux uneoccasion de s’initier progressivement aux nou-velles règles du commerce mondial. Le Partena-riat est en quelque sorte perçu comme un auxi-liaire naturel de la mondialisation : dans uncontexte où tout pousse à l’ouverture des fron-tières, l’Europe propose un cadre d’adaptationintéressant, accompagné d’incitations institu-tionnelles et d’aides financières à la transition.

Mais quels seraient les intérêts commerciauxpropres des pays partenaires dans le contexted’une telle zone de libre-échange ? En se fondantsur une simple analyse de leurs avantages com-paratifs actuels, on constate à nouveau à quelpoint la question agricole est centrale. D’autresproduits entrent certes en jeu dans la probléma-tique commerciale euro-méditerranéenne :matières premières, hydrocarbures pour cer-taines puissances économiques régionales, etenfin certains biens de consommation indus-triels. Une forme de sous-traitance est envisa-geable entre l’Europe et les pays partenaires, etexiste déjà pour quelques produits (textilenotamment, avec la Turquie et la Tunisie). Sil’on adhère à la théorie des effets comparatifsdynamiques, on peut admettre que les écono-mies tiers méditerranéennes se restructureronten fonction des effets de l’ouverture, et évolue-

ront vers de nouvelles spécialisations indus-trielles plus porteuses. Ce pari est néanmoinstrès ambitieux et surtout inspiré par les visionsoptimistes des macro-économistes européens70.

Du point de vue politique, les Etats parte-naires ont compris que le Partenariat était aussiun gage de respectabilité. Il y a pour certainsrégimes un véritable enjeu de crédibilisationpolitique dans Barcelone. On en veut pourpreuve la récente signature de l’accord d’associa-tion entre l’Union et l’Algérie, difficilementnégocié, mais fatalement débloqué au momentoù le régime algérien traverse une crise de légiti-mité aiguë. L’Europe cautionne ici indirecte-ment des pratiques politiques sévèrement criti-quées ailleurs71.

Enfin, s’entendre avec l’Europe, c’est aussi,pour certains Etats arabes, obtenir un contre-poids à la puissance américaine dans la région.Ce calcul diplomatique de rééquilibrage joue unrôle particulier dans le contexte du règlement dela crise israélo-arabe. Le soutien financier assuréà l’Autorité palestinienne est ainsi souvent inter-prété comme une prise de position diploma-tique implicite, comme les prémisses d’un enga-gement politique de l’Union européenne auprèsdes Palestiniens.

Ce sont ces différentes données venues duSud que les Européens ont un peu négligé deprendre en compte jusqu’à présent. Au-delà de lasimple prise conscience de ces revendicationstiers méditerranéennes, presque individualistes,il apparaît indispensable d’intégrer finalementtous ces points de vue dans un ensemble cohé-rent. Si cet effort d’intégration globale n’est pastenté, le Partenariat souffrira de plus en plus decomportements non coopératifs, qui freinerontsa progression, s’ils ne le conduisent pas toutsimplement à l’éclatement.

Optimiser le processus de Barcelone

Page 33: Occasional Papers n°36 - mafhoum.com

4.4 Les choix pour l’Europe

Les dangers de l’ambiguïté

Une fois cet effort de clarification mené à bien,reste à traduire les intérêts dégagés plus haut entermes d’objectifs partenariaux. Tenir comptede l’ensemble des intentions des uns et desautres suppose parfois de rapprocher deslogiques difficilement conciliables. Dans cesconditions, le Partenariat serait condamné àtomber dans le minimalisme ou à cultiver l’am-biguïté. Certains acteurs européens du Proces-sus considèrent justement que l’une des vertusde Barcelone est de ne rien préciser, ne rien sur-exposer. Si l’on se range à cette opinion, mainte-nir l’incertitude sur les redondances déjà men-tionnées entre les contenus des premier ettroisième volet, éviter de clarifier la répartitiondes domaines et des moyens d’action, tous ces à-peu-près souvent critiqués par les observateurs,deviennent défendables, et la posture instable del’Union serait en fait délibérée.

Cette posture être appréciée de deux façons.Valoriser l’ambiguïté de Barcelone reviendraiten premier lieu à reconnaître les vertus de l’in-formel72. Même si l’Europe garde des exigencesde fond, la tactique recommanderait dans la pra-tique de conserver une attitude souple et unebonne dose de tolérance face aux « écarts » despays partenaires, notamment en matière poli-tique, tout en continuant à piloter de façon plusprécise les accords économiques bilatéraux.Maintenir le contact, et faire en sorte que les rela-tions bilatérales restent de bonne qualité, seraitalors considéré comme un acquis essentiel ensoi, et une garantie d’influence ultérieure.

Mais rester dans le flou évite évidemmentaussi de faire des choix. Du fait de sa lourdeur etde sa complexité institutionnelle - et il est en celacomparable à bien d’autres politiques de coopé-rations -, le Partenariat euro-méditerranéen estassez inerte. L’inertie relative de ses procéduresne l’empêche pas d’évoluer dans ses domainesd’intervention. La diversité des thématiques

traitées dans les programmes régionaux entémoigne : lorsque le Partenariat veut innover,dans des domaines qui ne sont pas politique-ment tabous, il le peut. La gamme assez étenduedes exigences de réformes et des prestationscoopératives contenues dans les différentsaccords bilatéraux le démontre aussi très bien : àchaque pays ses solutions. Mais au final, la mul-tiplication des options possibles rend l’en-semble particulièrement peu lisible.

Le Partenariat « à la carte » devient ainsi unesorte de monstre protéiforme sur lequel il esttrès difficile de porter une appréciation, car trèspeu d’intervenants peuvent se vanter de conser-ver une vision claire du tout73. Cette confusionpèse lourdement sur la vocation politique duPartenariat. Chemin faisant, ce sont en effetpresque toujours les impératifs économiquesqui s’imposent, par souci de consensus et parcommodité de gestion.

Le choix de l’affichage

Une remise en ordre serait salutaire, et seulel’Union européenne est en mesure d’en décider.Les Européens continuent en effet à fixer seulsles règles du jeu euro-méditerranéen : en l’étatactuel des institutions du Partenariat, c’est bienl’Union qui choisit les priorités et décide dudegré de prise en compte des prétentions sud-méditerranéennes.

Les exigences économiques posées parl’Union sont assez claires et elles sont soutenuespar un contexte international idéologiquementet institutionnellement favorable. Mais au-delàde la constitution de la zone de libre-échange, ilest à l’heure actuelle très urgent que l’Europedécide où elle veut porter le Partenariat olitique-ment. Quel que soit le choix opéré - option« libérale », avec faible pression politique, ouoption « dirigiste », avec conditionnalité ren-forcée à la clé, ce choix aura des conséquencesopérationnelles intéressantes concernant l’affi-chage des objectifs du Partenariat.

Faut-il donner en effet donner, dans le cadre

72 Ce thème de l’informel revient souvent dans le discours des « politiques » ou des « diplomates » européens, que ce soit au COPS ou auSecrétariat du Conseil.73 C’est sans doute ce qui explique les écarts de jugements entre un analyste et l’autre, une institution et l’autre.

31

Une esquisse de clarification : réflexion sur les objectifs du Partenariat

Page 34: Occasional Papers n°36 - mafhoum.com

32

même de Barcelone, davantage de publicité auxintérêts mutuels des deux parties, faut-il provo-quer entre partenaires un débat public sur lesfinalités du Partenariat ? L’Europe ne pourrait-elle pas aujourd’hui, à l’issue d’un tel débat,reformuler une déclaration d’intention aucontenu politique clair ? Retenons au moins icique l’affichage commun des objectifs serait unmoyen important de faire progresser l’appro-priation du Partenariat par les pays tiers médi-terranéens.

Une mesure politique au symbolisme fortconsisterait ainsi à produire annuellement unedéclaration solennelle sur l’état du Partenariat.L’énoncé d’un tel discours pourrait incomber àune présidence méditerranéenne tournante,

désignée elle aussi sur une base annuelle. Cetteprésidence aurait ensuite pour charge de sur-veiller les avancées du Partenariat pendantl’année, et s’appuierait du point de vue logis-tique sur un mécanisme commun de suivi duPartenariat. On peut dans cette optique imagi-ner la mise au point d’un index partenarial,fixant des critères pour évaluer régulièrement etobjectivement les résultats du Partenariat. Lamise au point d’un tel index fournirait parailleurs un outil précieux pour faire avancerl’idée de conditionnalité dans la relation bilaté-rale avec les pays partenaires, idée sur laquellenous reviendrons plus avant avec davantage dedétails.

Optimiser le processus de Barcelone

Page 35: Occasional Papers n°36 - mafhoum.com

5

Monter en puissance et en efficacité :quelques propositions

Une fois engagée cette réflexion sur les objec-tifs, et en gardant à l’esprit les conditions

spécifiques qui contraignent l’exercice du Parte-nariat, il nous est possible de dégager des axes detravail pour l’avenir. Notre ambition reste biend’optimiser l’existant, c’est-à-dire de tirer partides ressources du Partenariat euro-méditer-ranéen tel qu’il existe, et non d’initier uneréforme drastique de sa structure et de sesméthodes. La complexité du système de Barce-lone le rend en effet paradoxalement assezflexible, car il permet de traiter, avec des instru-ments variés, des thématiques différentes. LePartenariat est encore en devenir, sa formecomme ses buts ne sont pas complètement fixés,et nous nous trouvons finalement dans unezone d’incertitude relative, riche de possibilités.

Quatre thèmes de réflexion sont selon nousprioritaires pour l’avenir du Partenariat. Surchacun de ces sujets, l’Union européenne setrouve confrontée à un choix relativementsimple ; à chacune de ces quatre thématiquesrépond donc une alternative, que nous tentonsici de dégager. Une fois posées ces alternatives, etsans forcément trancher en faveur de la perti-nence de tel ou tel choix, nous dégageronsquelques propositions d’actions ciblées, quipourraient redynamiser dans l’immédiat le Pro-cessus de Barcelone.

5.1 Les grands choix d’avenir :un cadre de référence pouractiver les potentialités duPartenariatClarifier l’horizon Sud du Partenariat

Qu’est-ce que le Partenariat euro-méditerranéenoffre de spécifique aux pays partenaires ? Il est

urgent de répondre à cette première question sil’on veut conserver la capacité de mobilisationde Barcelone. Le terme de Partenariat apparaîten effet comme assez flou lorsque l’on se risqueà un inventaire des partenariats européens déjàexistants74. Il définit sans doute une relationrenforcée, mais il n’est pas toujours simple derepérer où se situe le privilège partenarial. Ainsi,le statut de partenaire, s’il va au-delà de la coopé-ration classique, ne garantit pas pour autant, etsurtout pas dans le cas méditerranéen, la pers-pective de l’adhésion à l’Union européenne.

L’alternative consiste donc ici pour l’Europeà décider d’augmenter l’input des pays parte-naires dans la construction euro-méditer-ranéenne, ou bien à conserver systématique-ment la maîtrise de l’ensemble du Processus deBarcelone.

Vu du côté européen, le choix du Partenariatrenforcé est évidemment risqué. L’Union peutcertes donner des signaux politiques forts endirection du Sud, si les Etats européens parvien-nent à s’entendre entre eux sur des objectifscommuns : la création d’une institution finan-cière autonome dédiée à la Méditerranée, envi-sagée avant la conférence euro-méditerranéennede Valence, aurait certainement, de ce point devue, été perçue au Sud comme un signal d’enga-gement très fort.

Mais avant de s’engager davantage, l’Unionsouhaite sans doute disposer d’interlocuteursmatures, ayant vraiment démontré leur volontéde convergence dans les trois domaines couvertspar le Partenariat. Une économie saine, l’affi-chage d’intentions comme d’actes clairs concer-nant un certain nombre de principes politiques,et une volonté d’ouverture culturelle, à défautd’une identification stricto sensu aux valeurseuropéennes, apparaissent ainsi comme descritères a minima pour prétendre à un statut departenaire véritable. Une déclaration politique

33

74 Voir René Leray, op. cit. dans note 38

Page 36: Occasional Papers n°36 - mafhoum.com

75 Ce thème est par exemple présent dans la contribution déjà citée du Bertelsmann Group for Policy Research.

34

solennelle, consacrant l’existence de tels critères,et revêtant la forme d’une sorte de constitutioneuro-med, pourrait être une base de travail inté-ressante. La rédaction d’un index partenarial,sorte de manuel résumant les méthodes et lesprocédures, et déclinant en principes les valeurscontenues dans cette déclaration d’intentions,pourrait aussi être utile. Une forme de chemine-ment partenarial serait ainsi défini, impliquantune progression, avec des étapes symboliques.Afin de nourrir cette réflexion, certains ana-lystes considèrent que la Turquie, qui occupedéjà une place à part entre adhésion et Partena-riat, pourrait servir de modèle aux autres paystiers méditerranéens75.

Impliquer davantage les pays tiers méditer-ranéens signifie en fait les responsabiliserdavantage. Ce choix sera difficile à mettre enpratique, car les pays partenaires ne sont pasforcément prêts, ni matériellement (par mécon-naissance des questions euro-méditeranéennes,manque de cadres qualifiés, etc.), ni psychologi-quement (la position du cavalier seul n’est pas siinconfortable dans le cadre euro-med), à entrerdans un système plus contraignant. Ils récla-ment pourtant d’être traités davantage d’égal àégal, sans pour autant se préparer à cela.

Pour accroître le sentiment d’appropriation,et surtout de responsabilité, des pays parte-naires vis-à-vis du Partenariat, il faudrait sansdoute anticiper leurs revendications, et forcerleur participation. Il est ainsi nécessaire de lesengager fortement dans le fonctionnement aujour le jour des procédures partenariales. L’op-tion du Partenariat renforcé aurait donc desconséquences évidentes en termes d’institution-nalisation : il faut d’abord envisager d’associerdavantage les pays partenaires à la définition del’agenda euro-méditerranéen, et à la prise dedécision. Rééquilibrer les pouvoirs en faveur duComité euro-med serait dans cette vision deschoses une mesure symbolique idéale ; mais onpeut aussi considérer qu’une telle avancée nepeut être qu’un aboutissement.

Signalons aussi à ce propos à quel point lasymbolique des lieux est importante, dans une

perspective d’appropriation : la tenue des événe-ments euro-med, de façon alternée, sur la rivenord et la rive sud, doit demeurer un principeessentiel, et tous les efforts possibles méritentd’être tentés pour respecter cette règle.

On comprendra donc que le choix de l’appro-fondissement du Partenariat ne renvoie pas uni-quement au respect de critères d’évaluationfigés, ou à une mesure de performances définie àl’avance. Il suppose un degré de concertationpermanente élevé, l’établissement de règles defonctionnement partagées et la recherche d’uneculture de négociation commune. Nous ensommes sans doute encore loin. Mais la logiquemême du processus euro-med n’est-elle pas deparvenir in fine à une telle forme de complicité ?

La problématique de la flexibilité :conditionnalité et partenariat« à plusieurs vitesses »

Le Partenariat est un cadre de coopération glo-bal : il prétend traiter en même temps des pro-blématiques d’ordre politique, économique ethumain et ce, à l’échelle de la Méditerranéeentière. Nous avons jusqu’ici insisté sur le faitque la globalité du système de Barcelone est unedes conditions de son efficacité : c’est de l’inter-action entre les différents types d’action envi-sagés que dépend théoriquement la réussite duprojet de stabilisation régionale.

En pratique, le Partenariat s’exprime à tra-vers la série des accords bilatéraux signés entrel’Union européenne et les Etats tiers méditer-ranéens. Or les relations bilatérales entre l’Eu-rope et les différents pays partenaires ne pro-gressent pas au même rythme. Certains de cespays deviendront membres de l’Union d’ici peu ;dans d’autres, les réformes politiques et écono-miques sont ralenties ou bloquées, pour diffé-rentes raisons. Dans ces conditions, certainsobservateurs suggèrent aujourd’hui d’accroîtrela flexibilité au sein du Partenariat, et d’en faireun Partenariat « à plusieurs vitesses ». Prendreune telle position renvoie en fait à deux choixdifférents ; nous nous trouvons donc face à deux

Optimiser le processus de Barcelone

Page 37: Occasional Papers n°36 - mafhoum.com

alternatives, selon notre trame de réflexion.La première alternative consiste à choisir de

faire avancer prioritairement le volet écono-mique du Partenariat, en considérant que levolet commercial est central, et que l’établisse-ment de la zone de libre-échange est un but ensoi ; ou bien au contraire d’accentuer l’orienta-tion politique du Partenariat, en élaborant unmécanisme clair de conditionnalité, qui force enpratique le lien entre réforme économique etpolitique.

La deuxième alternative consiste à choisirentre une approche méditerranéenne globale etune approche sous-régionale, en mettant l’ac-cent sur la coopération bilatérale avec les pays lesplus avancés, ou avec des groupes de pays quiprésentent un début d’unité institutionnelle.

❚ TRAVAILLER LE LIEN ENTRE LES VOLETS : VERSUNE CONDITIONNALITÉ EXPLICITE ET NÉGOCIÉE

Le Processus de Barcelone est fondé sur le prin-cipe du fonctionnement conjoint et de l’interac-tion entre ses trois volets. La main invisibled’Adam Smith est ici en charge de diffuser lesbonnes pratiques libérales au-delà du seul mar-ché, afin de démocratiser les institutions poli-tiques autant que les valeurs sociales. Nousavons pourtant vu à quel point il était difficile decompter sur de tels automatismes libéraux.

Est-il alors pertinent de maintenir envers etcontre tout ce mythe de l’interaction entre lesdifférents volets de Barcelone ? Dans ce momentintermédiaire où l’économie devient lentementmaîtresse du champ euro-méditerranéen,l’Union européenne pourrait être bientôtamenée à s’exprimer sur sa vision politique defond. Prenant acte des échecs passés en matièrepolitique et stratégique, certains analystes pré-conisent d’ores et déjà une fragmentationaccrue du Processus, voire une disparition pureet simple des premier et troisième volets du Par-tenariat. On se concentrerait alors sur la mise enplace de la zone de libre-échange et sur l’appro-fondissement du marché commun euro-médi-terranéen.

Depuis le 11 septembre, la politisation duPartenariat est pourtant de nouveau à l’ordre dujour, même si elle n’est pas conçue de façonagressive. Le Partenariat est certainement unoutil utile pour suivre des évolutions socio-poli-tiques potentiellement porteuses de nouvellesmenaces en Méditerranée. L’interaction entreéconomie et politique existe ; il n’est certes pasfacile de lui donner une direction, mais il est éga-lement difficile d’évacuer du champ de laréflexion un paramètre aussi puissant. Parailleurs, si l’Union européenne, de par ses spéci-ficités institutionnelles, et par tradition histo-rique, est habituée à gérer le cloisonnemententre économie et politique, il n’en est pas demême pour les partenaires méditerranéens. Il esthautement probable que les pays partenaires necroient pas en la neutralité politique de l’écono-mie ; ils perçoivent dans l’ensemble Barcelonecomme un cadre politique autant qu’uneenceinte de négociation commerciale. Ignorer celien est donc assez peu réaliste.

C’est pourquoi il semble urgent d’engagerune réflexion sur le lien entre objectifs poli-tiques et instruments économiques ; c’est toutela thématique de la conditionnalité, évitée jus-qu’ici, sans doute dans un souci libéral, quiapparaît alors.

Comment agir en faveur des objectifs poli-tiques et stratégiques du Partenariat sansrompre la confiance ? Il faudra probablementpour cela réfléchir à des formes de conditionna-lité ouvertes ou contractualisées. La pratique ducas par cas est de toute façon indispensable pouratteindre un certain degré d’efficacité, car il estnécessaire d’évaluer très précisément l’impactdu Partenariat sur l’économie et les institutionsde chaque pays partenaire, afin de comprendreoù agir en priorité, et avec quels instruments. Ladéfinition d’un index de référence des valeurs etdes objectifs du Partenariat, déjà mentionnée,serait un cadre utile pour négocier ensuite desavancées spécifiques, pays par pays. Au final, onpourrait envisager de négocier une forme deconditionnalité croissante, qui lierait de façonplus étroite droits et obligations, au fur et à

35

Monter en puissance et en efficacité : quelques propositions

Page 38: Occasional Papers n°36 - mafhoum.com

76 Certains experts suggèrent ainsi « d’encourager la concertation de groupes de pays qui feraient fonction de moteurs sur certainesdimensions concrètes du Partenariat » (ICM, op. cit. dans note 55). Nous souscrivons à cette proposition, tant qu’il ne s’agit pas decoopérations organisées sur un mode exclusif, entre certains pays européens et certains pays méditerranéens.

36

mesure que l’intégration de chaque pays dans lecadre économique régional progresse.

❚ RÉGIONALISATION, SOUS-RÉGIONALISATION

OU BILATÉRALISATION

L’échec du dialogue pan-méditerranéen enmatière politique et stratégique, et la déclinai-son concrète du volet économique de Barceloneen partenariats bilatéraux, plaideraient pourcertains en faveur d’un éclatement géogra-phique du Partenariat. La perspective d’un Par-tenariat « à plusieurs vitesses », sur le modèle descoopérations renforcées que pratique déjàl’Union dans d’autres régions du monde, offri-rait ainsi la possibilité de concentrer les moyenslà où les réformes progressent plus vite, et deconstruire des foyers d’intégration sous-régio-nale.

On peut en réalité se demander si cette solu-tion, en brisant le cadre d’ensemble méditer-ranéen, ne viendrait pas à bout du Partenariatlui-même. A quoi tiendrait alors en effet l’idéalde l’intégration régionale ? Il nous semble aucontraire plutôt nécessaire, du point de vueeuropéen, d’insister aujourd’hui sur la dimen-sion globale de Barcelone, car seule la grandeambition méditerranéenne garantit la mobilisa-tion de méthodes et de moyens adéquats pournourrir une logique collective. Soulignons, parailleurs, que l’approche méditerranéenne a legrand avantage d’être neutre culturellement etinstitutionnellement parlant ; la popularisationde la Méditerranée comme espace d’action est engrande partie l’œuvre de l’Union européenne, etil est important que l’Europe continue à fairevivre cet espace de coopération qu’elle s’estdonné. Inversement, l’émergence de processusde coopération spécifiques entre les pays parte-naires méditerranéens ne peut qu’être béné-fique. Elle contribue en effet à briser le tête-à-tête tellement inégal entre l’Europe et les payspartenaires76.

Interrogeons-nous donc à ce stade sur lesdifférentes dimensions du concept de régionali-

sation. La Commission européenne apparaîtparticulièrement concernée par la dimensioncommerciale de la régionalisation. La signaturede l’accord d’Agadir entre quatre pays de larégion a ainsi été saluée comme un signal fort enfaveur d’une intégration des échanges Sud-Sud,objectif toujours réaffirmé mais qui apparaîttoujours lointain. Nous avons exprimé quelquesdoutes sur la portée concrète immédiate de cetaccord. L’Europe restera certainement encorepour longtemps le pôle commercial dominanten Méditerranée. Or le risque est évidemmentque cette domination européenne ne nourrisseun sentiment de rejet sur la rive sud de la Médi-terranée.

C’est pourquoi les autres dimensions de larégionalisation doivent également attirer notreattention. La mise en avant de thématiquesrégionales fédératrices, autres que le marchécommun, entre selon nous de façon très évi-dente dans la vocation de Barcelone. Les théma-tiques « neutres » déjà en partie exploitées,comme l’environnement, ou encore la culture,doivent être réactivées systématiquement.

Il convient pour cela de rééxaminer la réparti-tion du budget communautaire. Le règlementMEDA pour la période 2000-2006 fixe un bud-get de 5,35 milliards d’euros, auxquels s’ajoute-ront 7,4 milliards d’euros de prêts de la BEI. Onsait déjà que, 26 % seulement des fonds deMEDA I ayant été réellement déboursés, la prio-rité est désormais de mieux cibler l’aide, etd’améliorer la capacité d’absorption dans lespays partenaires eux-mêmes. Il serait également,de notre point de vue, judicieux de réviser la pro-portion du budget réservée aux programmesrégionaux. Les programmes régionaux, dont lepotentiel intégrateur est certainement le plusfort, ne représentent actuellement que 10 % del’ensemble des fonds alloués au Partenariat. Orla Commission s’apprête à lancer cette année denouveaux programmes régionaux, qui serontfinancés sur la même enveloppe. Si l’enveloppeglobale n’augmente pas, les futurs programmesrisquent d’être réduits à des principes de fonc-

Optimiser le processus de Barcelone

Page 39: Occasional Papers n°36 - mafhoum.com

tionnement, sans avoir les moyens de leursambitions. Un effort pourrait donc être utile-ment envisagé dans ce domaine.

Préserver l’approche régionale semble doncindispensable. Rappelons que les prémissesd’une structuration sous-régionale ne sont pasvraiment réunies ; on se rend bien compte quel’institutionnalisation du grand Maghreb neprogresse que très lentement. Mais signalons aupassage que la coopération thématique entrepays méditerranéens mais non forcément voi-sins semble plus prometteuse que l’option sous-régionale. La Commission s’applique déjà àdévelopper de telles coopérations, dans desréseaux géographiquement ouverts77.

Il est en fait probable que la nécessaire flexi-bilité du Partenariat s’exprimera à l’avenirplutôt dans un cadre bilatéral. Notons d’ailleursà ce sujet que le lien entre les trois volets de Bar-celone reste plus facile à activer dans un cadrebilatéral que sur un plan régional ; le thème de laconditionnalité, en particulier, n’a de vrai sensque dans un cadre bilatéral.

La visibilité du Partenariat : entreprocessus informel et institutionnalisationrenforcée

Le Partenariat euro-méditerranéen est malconnu du grand public et sa portée est probable-ment mal appréciée par les pays partenaires. Ilest d’usage de regretter ce manque de visibilité,qui aurait des conséquences négatives à plu-sieurs titres. L’opinion publique européenne estpeu au courant des évolutions du Partenariat ;les institutions de l’Union ne sont guère incitéesà améliorer son fonctionnement. La méconnais-sance des objectifs et des mécanismes du Proces-sus de Barcelone par les pays partenaires eux-mêmes pose également problème, car elle met endoute leur adhésion aux fins communes du Par-tenariat.

« L’invisibilité » du Partenariat présentecependant des avantages, et nombreux sont les

diplomates qui insistent sur la souplesse d’un telsystème. Le Partenariat est essentiellement lelieu de négociations « techniques », puisque l’é-conomie et le commerce constituent le cœur deses compétences. Les sujets techniques permet-tent souvent d’éviter les confrontations d’ordrepolitique, et le Partenariat permet ainsi à tous lesacteurs régionaux d’expérimenter sur le longterme une forme de modus vivendi. Le défautd’institutionnalisation de Barcelone pourraitalors en lui-même être considéré comme unatout, car le Processus est alors perçu commed’autant moins contraignant. Cette caractéris-tique est particulièrement précieuse en situa-tion de crise, comme celle que traversent actuel-lement les relations israélo-arabes. Lesprocédures informelles jouent en effet dans cecontexte un rôle essentiel pour maintenir uncontact, même ténu, entre les protagonistes duconflit.

L’alternative serait donc ici entre discrétionet visibilité. Si les mécanismes de la PESC étaientappelés à se développer en Méditerranée, et par-ticulièrement pour faire face au conflit israélo-arabe, le Partenariat pourrait se trouver confinédans un rôle de soutien aux initiatives diploma-tiques européennes, et ne jamais accéder de cefait au devant de la scène. Mais la discrétion ainsientretenue n’est sans doute pas tenable à longterme, dans la mesure où l’opinion s’empare deplus en plus fréquemment des grands enjeux del’économie mondiale, pour en dénoncer les fina-lités politiques. L’Europe sera donc certaine-ment, ici comme ailleurs, amenée à s’expliquer.Le récent débat public sur d’éventuelles sanc-tions à l’encontre d’Israël illustre bien cette exi-gence nouvelle de transparence. La pressiond’une opinion publique mobilisée par le Parle-ment européen n’a certes pas suffi à emporterune décision du Conseil en faveur des sanctions.Cette mobilisation a néanmoins permis à biendes militants d’apprendre à mieux connaître lefonctionnement des institutions communau-taires.

77 C’est tout le principe des programmes dits régionaux, qui en général impliquent des partenaires issus de deux pays du Nord et deux paysdu Sud.

37

Monter en puissance et en efficacité : quelques propositions

Page 40: Occasional Papers n°36 - mafhoum.com

78 Entretien avec René Leray, DG Relex, unité B/1, Droits de l’homme et démocratie, Bruxelles, mars 2002.

38

En revanche, si l’Union s’engage résolumenten faveur de la visibilité du Partenariat, troischantiers de travail sont envisageables. Le pre-mier, déjà mentionné ailleurs, est celui de l’insti-tutionnalisation du Partenariat. Cette institu-tionnalisation est à envisager aussi bien au Nordqu’à l’interface entre Nord et Sud : l’individuali-sation des structures euro-méditerranéennesdoit être poussée autant que possible àBruxelles, et de nouvelles institutions mixteseuro-méditerranéennes, rassemblant Euro-péens et partenaires méditerranéens, doiventpar ailleurs être créées, et si possible localisées auSud. Certains fonctionnaires européens vontjusqu’à réclamer la création d’une forme deCommission méditerranéenne, sur le modèle dela Commission européenne, c’est-à-dire d’unorgane indépendant des Etats-nations et dotéd’un pouvoir de proposition en direction duConseil78.

Le deuxième chantier est celui de la commu-nication autour du Partenariat. Un programmerégional sur ce thème est en préparation depuisdeux ans à Bruxelles, car la Commission a depuislongtemps conscience qu’un effort doit êtreentrepris en ce sens. La tâche de faire connaître lePartenariat dans les Etats partenaires devraitpar nature incomber surtout aux délégationscommunautaires présentes dans ces pays. L’ac-tuelle réforme de déconcentration des pouvoirsde la Commission pourrait apporter quelquesinnovations sur ce plan. On peut enfin estimerque les thèmes de communication les plusimportants pour construire l’image publique duPartenariat sont les grandes actions intégra-trices, en privilégiant la dimension régionale duPartenariat, qui est certainement la dimensionla moins visible lorsque l’on se place du point devue des pays partenaires. Mais il est égalementindispensable de faire mieux connaître les insti-tutions européennes ; populariser l’acquis com-munautaire reste sans doute le meilleur moyend’inciter les pays partenaires à s’engager plusavant dans le Partenariat.

Cet effort en matière de communicationdébouche sur un troisième chantier possible :celui de la formation. La formation du capitalhumain est un ingrédient essentiel pourconstruire une aire de compréhension mutuelleen Méditerranée. Développer les échangeshumains apparaît ainsi comme un véritableimpératif pour intégrer les finalités du Partena-riat dans les préoccupations du grand public. Endehors de la formation urgente des cadres admi-nistratifs des pays partenaires, il serait certaine-ment utile à l’avenir de se pencher sur les pro-grammes scolaires de la petite enfance, afin d’ydonner une place décente à des thèmes généra-teurs de dialogue. Le travail accompli ces der-nières années par le programme méditerranéende l’UNESCO peut être considéré comme unmodèle à cet égard.

La place du Partenariat dans l’ensembledes politiques extérieures de l’UE

Le Partenariat euro-méditerranéen est un cadrede travail à part, qui a été intentionnellementséparé des autres initiatives européennes dans larégion. L’isolement du Partenariat et, en parti-culier, le cloisonnement entretenu par rapportau règlement du conflit israélo-arabe sontvolontaires. Notre hypothèse est cependant quele Partenariat souffre de cet isolement, qui estaussi facteur de marginalisation. D’autres ini-tiatives méditerranéennes ou régionales coexis-tent avec le Partenariat, et les interférences entreces différents cadres de travail sont de plus enplus nombreuses ; il est donc sans doute tempsde réfléchir à l’établissement de synergies posi-tives.

Par ailleurs, l’adhésion prochaine de Chypreet de Malte à l’Union européenne, tout comme laprise en compte de la candidature turque,minent fondamentalement la pertinence ducadre euro-méditerranéen. Bientôt, l’Unioneuropéenne se trouvera confrontée en Méditer-ranée à ce qu’elle cherchait à contourner depuis

Optimiser le processus de Barcelone

Page 41: Occasional Papers n°36 - mafhoum.com

le départ: un ensemble d’Etats arabes, auxquelss’ajoutera Israël, soit différentes entités assezpeu enclines à travailler en équipe79.

L’alternative serait sans doute ici de conser-ver mutatis mutandis le cadre de travail euro-méditerranéen, en considérant que l’approcheméditerranéenne demeure pertinente et cen-trale, ou bien de réintégrer le Partenariat dansune ambition extérieure plus large.

D’un point de vue économique, une complé-mentarité naturelle serait probablement àrechercher avec la région du Golfe. L’Unioneuropéenne est déjà engagée dans un processusde libéralisation des échanges avec les pays duConseil de coopération du Golfe. Il pourrait parexemple se révéler utile d’associer ces pays à ladéfinition de stratégies de financement du déve-loppement en Méditerranée.

Sur le plan stratégique, on sait que, depuis laconférence de Barcelone, l’ambition d’établir undialogue en matière de défense et de sécurité n’apas pu être concrétisée. Les tensions régionalespersistantes l’expliquent en partie. Mais il fautaussi rappeler l’existence d’un autre cadre d’ac-tion très important, qui complique le position-nement stratégique européen en Méditerranée :l’OTAN reste pour le moment la principale orga-nisation de défense et de sécurité en Europe, etpoursuit sa propre politique de coopérationméditerranéenne80. Le « dialogue méditer-ranéen de l’OTAN » a ainsi entraîné un certainnombre de pays méditerranéens dans uneréflexion Nord/Sud sur la sécurité régionale. Lesparties prenantes au Processus de Barcelone nesont pas encore parvenues à articuler ceparamètre de long terme à une vision, qui leurserait propre, de la sécurité régionale. A l’avenir,il est important de réfléchir à une complémenta-rité possible entre ces deux cadres d’action.

Les relations ambiguës qu’entretient la PESCavec le Partenariat sont par ailleurs devenuesune source constante de confusion. La fiction

du découplage avec les événements du Proche-Orient est de plus en plus difficile à maintenir, etrisque de bloquer toujours plus le fonctionne-ment du Partenariat à l’avenir. Le risque d’unéchec diplomatique a priori de la dernière confé-rence euro-méditerranénne de Valence étaitgrand. Au final, l’aggravation de la crise israélo-arabe n’aura pas empêché le processus euro-méditerranéen de se poursuivre, mais la confu-sion des rôles s’est encore accrue aux yeux dugrand public. Faut-il désormais en prendre acte,et articuler plus clairement le Partenariat à laPESC, afin de soutenir une action européennede long terme en faveur de la paix au Proche-Orient ? Le pragmatisme impose aujourd’hui deretarder des évolutions que l’idéal politiqueréclamerait pourtant. Tant que les procéduresde la PESC ne permettront pas de soutenir uneaction suivie sur le moyen terme, de façon extrê-mement ferme et réactive, beaucoup d’acteursconsidéreront qu’un resserrement des liens avecle Processus de Barcelone serait plutôt nuisible àcelui-ci.

Il est malgré tout urgent de réfléchir àd’autres synergies positives, si l’on souhaite quele Partenariat conserve un sens politique, au-delà de la zone de libre-échange. La géographiene nous impose pas seulement la Méditerranée.Le 11 septembre a rappelé à notre bon souvenirque l’arrière-pays de la mare nostrum méritait luiaussi d’être surveillé de près. Le monde arabe etl’Asie centrale sont peut-être à nouveau lesseules catégories géopolitiques pertinentes pourqui veut raisonner en termes de sécurité. Inscrirele Partenariat dans une vision qui dépasse laMéditerranée, réactiver peut-être les contactsentre l’Union et la Ligue arabe – d’ailleurs invitéeà participer à la conférence de Valence – et initierune nouvelle forme de dialogue euro-arabe, pen-ser finalement la Méditerranée comme uncentre opérationnel géographique, qui n’empê-cherait pas l’Europe de mener une réflexion

79 Cette perspective explique que différents analystes suggèrent aujourd’hui à demi-mot de « sortir » Israël du Partenariat, afin de rendreà celui-ci une certaine cohérence politique et économique. Les défenseurs de cette position insistent sur les avantages que tous les payspartenaires, Israël compris, retireraient de ce compromis. Mais la portée politique négative d’une telle décision dépasserait selon nous deloin celle des petits arrangements ainsi permis au Partenariat. Par ailleurs, la différence reste un moteur de progrès essentiel dans l’arèneméditerranéenne ; plutôt que de chercher à homogénéiser le Partenariat, ne faut-il pas regretter qu’il perde bientôt de sa diversité ?80 Voir Martin Ortega, « Pour un partenariat euro-méditerranéen en matière de sécurité et de défense », Dialogo Mediterraneo, mars 2001.

39

Monter en puissance et en efficacité : quelques propositions

Page 42: Occasional Papers n°36 - mafhoum.com

40

ouverte ; autant de sujets de réflexion désormaispressants si l’on veut préserver la pertinence dela relation euro-méditerranéenne.

5.2 Quelques propositions

Les axes de travail que nous venons de dégagerpeuvent se décliner pour certains d’entre eux – età supposer que les alternatives proposées iciaient été tranchées – en propositions concrètes.Nous présenterons ces dernières en deuxrubriques : tout d’abord, des suggestions théma-tiques, pour chaque volet du Partenariat ; puisdes améliorations que l’on pourrait qualifierd’horizontales, concernant les outils de mise enœuvre du Partenariat : ses institutions et sesméthodes.

Les thèmes de travail envisageables

❚ LE VOLET POLITIQUE ET DE SÉCURITÉ

Depuis qu’elle existe, l’Europe communautaireest une puissance civile. Les lents progrès accom-plis vers la mise en place d’une politique de sécu-rité et de défense commune semblent aujour-d’hui porter leurs premiers fruits, mais nechangeront pas cette donnée de base : dans leurphilosophie même, les notions communau-taires de la sécurité et de la défense sont nourriespar une réflexion sur la prévention des conflitset le rétablissement de la paix.

La Déclaration de Barcelone intègre plu-sieurs approches différentes de la sécurité. Lepremier volet de Barcelone lui-même traitesimultanément de hard security issues (désarme-ment, mesures de confiance…) et de soft securityissues (migrations, criminalité…). On n’oublierapas que le modèle de Helsinki, qui a inspiré Bar-celone, se place dans la tradition de la sécuritécollective, et a débouché sur un concept de stabi-lité commun pan-européen, englobant égale-ment des notions de hard security. Il semble mal-heureusement très difficile, en l’état actuel deschoses, d’établir en Méditerranée un cadre com-mun de négociation autour de questions straté-giques « dures ». L’élaboration d’une Charte

euro-méditerranéenne pour la paix et la stabi-lité, à laquelle la France reste très attachée depuisles débuts du Partenariat, ne progressera pastant que certains conflits régionaux ne serontpas réglés. La Méditerranée n’apparaît donc pas,pour le moment, et envisagée de façon exclusive,comme un cadre de coopération militaire perti-nent.

Faut-il pour autant vider Barcelone de toutedimension stratégique ? Parler de sécurité mêmesoulève aujourd’hui des réticences. On ne peutpourtant exclure cette dimension du dialoguerégional, car elle est constamment présente dansles esprits et conditionne le bon déroulement dureste. Si, dans une vision optimiste des choses, ledébat peut être considéré comme une mesure deconfiance per se, il est symétriquement évidentque la rupture de la discussion est un signalnégatif, et accroît la défiance de part et d’autre.Le dialogue stratégique ne doit donc pas êtrerompu. Mais les mesures envisageables dans lecontexte actuel relèvent bien davantage de latransparence, que des mesures traditionnellesde confiance et de sécurité : séminaires d’infor-mation et de formation, création d’un réseaud’instituts d’études de défense. Le partage d’uncertain savoir-faire pour préparer ou accompa-gner la paix est également envisageable (coopé-ration en matière de déminage par exemple).

Si tous les Etats tiers méditerranéens ne sontpas prêts à coopérer en matière militaire, rappe-lons en revanche que la mise en place d’unedéfense européenne apparaît comme une pers-pective de moins en moins chimérique. Or iln’est pas impossible, même si nous ne le souhai-tons pas, et même si l’input décisif pour avancervers une défense unie n’est pas celui-là, il n’estdonc pas impossible que la PESD ait à l’avenir àtraiter de la sécurité en Méditerranée. Il est dansces conditions assez logique que les progrès de laPESD inspirent déjà des inquiétudes aux payspartenaires méditerranéens. Plusieurs Etatsl’envisagent déjà, avant même qu’elle soit opéra-tionnelle, comme un outil immédiatementdirigé contre eux.

Un effort pédagogique est donc dès mainte-nant nécessaire pour faire connaître au Sud lecontenu et les motivations de cette nouvelle

Optimiser le processus de Barcelone

Page 43: Occasional Papers n°36 - mafhoum.com

forme de coopération européenne. Cet effort adéjà été entrepris par les Européens, non pas deleur propre chef, mais à la demande des pays par-tenaires eux-mêmes81. Il est important de pour-suivre cet exercice pédagogique, qui exerce à lafois une fonction de réassurance et de dissua-sion à l’égard du public ciblé. Si les Européensassument cette transparence, ils démontrerontune confiance louable en leurs propres institu-tions. Et il ne serait finalement pas impossibleque, dans le prolongement de ce travail de trans-parence, certains pays partenaires méditer-ranéens proposent de s’associer à des initiativesponctuelles de l’Union européenne pour la pré-vention ou la résolution de conflits régionaux.

Mais quant à la définition d’un vrai cadre dedébat multilatéral sur la sécurité, il apparaîtencore, en l’état actuel des choses, plus prudentet plus efficace de recentrer pour le moment lesefforts du Partenariat autour des questions desoft security, soit une dimension qui traverse lestrois volets de Barcelone, et se concrétise plusparticulièrement dans le troisième.

❚ LE VOLET ÉCONOMIQUE ET COMMERCIAL

Le deuxième volet reste pour l’instant le cadre detravail le plus solide du Partenariat. Les voies etmoyens de la réforme économique des pays par-tenaires sont un sujet de réflexion constante etdifférentes propositions importantes ont étéexaminées lors de la dernière conférenceministérielle euro-med, à Valence. Précisonsd’emblée que, dans la mesure où la plupart desdécideurs euro-méditerranéens se concentrentde façon très efficace sur les tenants et aboutis-sants du Partenariat économique, le fond despropositions qui suivent n’apparaîtra pas forcé-ment comme très nouveau.

Au cœur du Partenariat se trouve la zone delibre-échange. La libéralisation complète desflux commerciaux n’est pourtant pas acquise enMéditerranée pour certains secteurs clés. Ilsemble inévitable à l’avenir que l’Unioneuropéenne admette la libéralisation des fluxagricoles, en lien avec la révision progressive de

sa Politique agricole commune. L’élargissementde l’Union implique à moyen terme une aug-mentation de la demande en produits agricoles,qui rend cette perspective crédible, et économi-quement raisonnable. Tout progrès dans cettedirection, qui se heurterait de façon immédiateau mécontentement des actifs agricoles dans lespays du Nord, contribuerait en revanche grande-ment à améliorer la perception du Partenariatpar les populations des pays partenaires82.

Les flux financiers en Méditerranée sont unautre sujet d’attention constant. La faiblesse del’investissement étranger dans les pays parte-naires soulève une inquiétude légitime et récur-rente. Pour résoudre cette difficulté, il convientde réfléchir à la fois sur les moyens d’attirer lesfinancements privés en Méditerranée, et de faci-liter leur emploi. C’est pourquoi la création,actuellement envisagée, d’un instrument finan-cier européen spécialisé, à l’usage du secteurprivé, serait une mesure intéressante. Pourmieux comprendre comment attirer et orienterl’investissement, domestique et étranger, ilserait également utile de mieux appréhender lescaractéristiques du secteur financier dans lesdifférents pays du pourtour méditerranéen. Laprivatisation et la restructuration du secteurbancaire demeurent un peu partout une prioritéévidente, au nom de l’efficacité. Mais il convientaussi d’évaluer la place effective de la financeislamique dans la région, et de prendre encompte cette spécificité, pour en tirer d’éven-tuelles conclusions en termes de gestion desfinancements européens, et aussi pour offrir àl’épargne locale des conditions d’emploi quirépondent à la demande sociale. Enfin, pourattirer l’investissement privé étranger, il faut évi-demment continuer à travailler sur l’environne-ment institutionnel du capital, ce qui nous ren-voie à quelques exigences de base concernantl’appareil légal des pays partenaires.

Afin de donner aux pays tiers les moyensd’une croissance autonome, il devient aussiurgent de défricher de nouveaux secteurs écono-miques riches en potentialités de développe-ment. Le tourisme est indéniablement un

81 Des sessions d’information sur la PESD se sont déjà tenues dans le cadre du Comité euro-med.82 ICM, op. cit dans note 55 , p. 5.

41

Monter en puissance et en efficacité : quelques propositions

Page 44: Occasional Papers n°36 - mafhoum.com

83 Voir à ce sujet Isabel Schäfer, « Le dialogue des images en Méditerranée », Eurorient n°10, 2001, p.102-115.

42

domaine porteur d’une croissance intégréeMéditerranée, car le patrimoine historique etculturel de la plupart des pays de la région estencore sous-exploité du point de vue touris-tique. L’agroalimentaire est probablement unautre secteur d’avenir. Encourager de tels sec-teurs, très porteurs pour l’intégration régionale,aurait évidemment un sens politique, au-delà duraisonnement économique immédiat.

Certaines problématiques spécifiques auxéconomies méditerranéennes devraient enfinêtre davantage prises en compte dans laréflexion européenne sur les voies de la réforme.Nous avons déjà évoqué les mécanismes dufinancement islamique. Il serait également utiled’entreprendre une étude de fond sur la place del’économie informelle dans les pays tiers médi-terranéens. Evaluer la place du secteur informeldans le PIB des pays méditerranéens, et mieuxappréhender son rôle, à la charnière de l’écono-mique et du social, permettrait de réfléchir auximplications humaines du Partenariat écono-mique. L’économie informelle apparaît en effetdans plusieurs pays comme une variable d’ajus-tement importante et il est essentiel de mieuxsaisir les mécanismes de compensation socialequi entrent en jeu en cas de choc récessif. On adéjà souligné à quel point l’articulation entre l’é-conomique et le social doit retenir l’attentiondes Européens s’ils veulent garantir la stabilitérégionale.

❚ LE VOLET SOCIAL, CULTUREL ET HUMAIN

Encore une fois, l’identification d’intérêts vrai-ment communs est ici un préalable indispen-sable à toute discussion. Le troisième volet esttrop souvent compris comme une versionallégée du premier volet, une manière« humaine » de faire passer auprès des pays par-tenaires une vision répressive des relations euro-méditerranéennes. Un effort de délimitationentre le volet un et le volet trois mériterait doncd’être entrepris ; nous estimons pour notre partqu’il est important de préserver la spécificité dutroisième volet, trop souvent investi depuis le 11

septembre par des missions strictement sécuri-taires – lutte contre le terrorisme, la criminalitéou le trafic de drogue. Il nous semble plus por-teur de consacrer l’espace du troisième volet àl’établissement d’un véritable dialogue entre lesdeux rives, qui pourrait porter sur les images,représentations et valeurs mutuelles.

Il est en effet urgent de traduire la rhétoriquedu « dialogue social et culturel » en coopérationconcrète et proche du terrain. Plusieurs mesurespeuvent être envisagées en ce sens. Comme pourles autres domaines de la coopération, il semble-rait raisonnable de parvenir à une définitioncommune de la culture, qui soit suffisammentlarge pour intégrer différentes dimensions, de laculture écrite ou passée à la culture vivante. Ela-borations religieuses, culture populaire, art ouartisanat, art ancien, moderne ou contempo-rain, tout doit nécessairement être intégré dansune vraie tentative de dialogue dont le but est deparvenir à un état des lieux des différencesautant que des points de convergence. La pers-pective serait ici de parvenir à une appréhensionréaliste de la culture des pays partenaires médi-terranéens, loin des visions plaquées dans les-quelles se complaît trop souvent l’imaginaireeuropéen. Le fantôme de l’orientalisme, débus-qué par Edward Saïd dans les productions cultu-relles de l’Europe coloniale, se profile encoretrop fréquemment par exemple dans le contenudes programmes audiovisuels produits pas lesEuropéens. La Méditerranée n’est pas unique-ment cette mer de délices, berceau des civilisa-tions et élément rassembleur de peuples frèresque décrivent certains programmes de télévisionspécialisés83. La réalité est évidemment pluscomplexe, sans pour autant être forcément por-teuse d’inquiétudes. Elle est plus riche en fait, etil est dommage de négliger cette richesse.

Les programmes de coopération entremédias mériteraient d’être prioritaires dans levolet culturel du Partenariat. On a eu le temps demesurer, depuis la guerre du Golfe et jusqu’au11 septembre, à quel point le rôle des médiasaudiovisuels est important dans la création etl’entretien des stéréotypes culturels. La création

Optimiser le processus de Barcelone

Page 45: Occasional Papers n°36 - mafhoum.com

d’un canal télévisé commun, sur le modèle de lachaîne Arte, serait une idée intéressante maissans doute trop ambitieuse. En revanche, l’onpeut tout au moins envisager de financer desprogrammes d’actualité communs donnantrégulièrement à voir ce que les autres voient, etpermettant d’instaurer des débats à destinationdu grand public.

L’éducation est évidemment un autredomaine de coopération prioritaire pour diffu-ser les réflexes de dialogue. L’apprentissage deslangues méditerranéennes est dans ce domaineun préalable absolu, car l’accès à la connaissancede l’autre passe avant tout par la pratique de sonlangage. L’enseignement de l’anglais et d’autreslangues européennes est déjà assez largementdiffusé dans les pays partenaires, si on le com-pare au niveau de connaissance de l’arabe, del’hébreu ou du turc sur la rive nord de la Médi-terranée. Cette asymétrie dessert au final l’Eu-rope, bien davantage que ses partenaires. Il seraittrès profitable de donner aux jeunes Européensles moyens d’apprendre la langue arabe suffi-samment jeunes et dans des conditionsdécentes. Les Européens ont mesuré historique-ment les conséquences positives des effortsmenés par la France et l’Allemagne au lende-main de la guerre, pour promouvoir l’apprentis-sage de la langue de l’autre. Ils savent donc bienque de tels efforts sont essentiels tant au niveausymbolique que pratique.

Toujours pour forger les outils d’un vrai dia-logue en Méditerranée, nous avons égalementdéjà souligné l’importance de la formation desjeunes enfants ; systématiser la coopération uni-versitaire apparaît de même comme une mesureutile, en instaurant par exemple des obligationsde partenariat entre certaines universités duNord et du Sud.

Venons-en enfin aux thématiques non cultu-relles du troisième volet. On sait que la Commis-sion s’apprête à lancer un programme « Justiceet affaires intérieures ». Dans ce domaine, l’in-formation et la surveillance mutuelle seront cer-tainement plus productives que des mesures decoopération répressive. Les recommandationsde groupes de travail spécialisés ont insisté dansle passé sur la dimension légale et judiciaire des

droits de l’Homme. Il serait donc utile d’encou-rager la formation et les échanges de magistrats,et de mener à bien des travaux communs pourparvenir à un état des lieux de certains corpuslégislatifs ; on pense ici notamment au cas deslégislations d’exception : entamer une recensionet une description des législations applicables encas d’atteinte à la sûreté de l’Etat serait un bonmoyen d’ouvrir un dialogue de fond sur le thèmedu terrorisme. Le droit de la famille pourrait êtreun autre champ intéressant d’investigationcomparée.

Pour mieux faire progresser la probléma-tique des droits de l’Homme en Méditerranée,l’Union européenne doit aussi disposer d’uneinformation fiable et régulière ; la création d’unobservatoire indépendant méditerranéen desdroits de l’Homme, aux travaux duquel seraitassociée la société civile, pourrait être utilementenvisagée.

Le management du Partenariat :institutions et méthodes de travail

❚ LES INSTITUTIONS DU PARTENARIAT

Nous avons insisté à de nombreuses reprises surla portée symbolique et pratique de l’existenced’institutions politiques communes en Médi-terranée. Pour nous, toute nouvelle institutioneuro-méditerranéenne crédibilise le Partenariat.Elle intensifie le sentiment d’appropriation parles pays partenaires, notamment si le siège desservices concernés se situe dans un pays du Sud.C’est notamment pour cette raison que l’enjeude la création d’une institution financière pourla Méditerranée dépasse la simple rationalitééconomique.

Une réforme des structures de gestion duProcessus de Barcelone devrait être envisagéepour équilibrer davantage le Partenariat. Lespouvoirs du Comité euro-med sont ici d’embléeen ligne de mire : pourquoi ne pas lui donner unpouvoir d’initiative dans le Processus, afin deconsacrer l’accès des pays partenaires méditer-ranéens à la décision ? Cette option renvoie àl’idée, que nous avons déjà évoquée, de créer uneforme de Commission méditerranéenne. Une

43

Monter en puissance et en efficacité : quelques propositions

Page 46: Occasional Papers n°36 - mafhoum.com

84 La Déclaration finale de Valence mentionne d’ailleurs la coopération interparlementaire comme un domaine prioritaire à l’avenir.85 Voir Dorothée Schmid : « Le dialogue avec la société civile en Méditerranée : un impossible partenariat ? », contribution à la réunionannuelle d’EuroMesCo, Paris, 2002.86 ICM, op. cit. dans note 55, p. 6.87 Les polémiques, nombreuses, relatives à l’organisation et au déroulement des forums civils euro-méditerranéens, de Barcelone à Valence,nous incitent naturellement à la plus grande prudence en la matière.

44

solution plus discrète, et peut-être pas moinsefficace, consisterait à doubler le Comité euro-med d’une sorte de comité des sages composé depersonnalités compétentes et influente, et dontles réunions seraient mensuelles. Ce comité dessages serait chargé de préparer, en concertationdonc entre acteurs du Nord et du Sud, et en liai-son avec les services concernés de la Commis-sion, l’ordre du jour des réunions du Comitéeuro-med.

Arrêtons-nous ensuite un instant sur la poli-tique de déconcentration des services extérieursde la Communauté. Cette politique produit deseffets en Méditerranée depuis la fin de l’année2001. Chaque délégation communautaire setrouvera désormais investie d’une indépen-dance plus grande dans la gestion de certainsdossiers. Les implications bilatérales d’une telleévolution sont évidentes : les pays partenairesauront un meilleur accès à l’information sur lePartenariat, et seront sans doute mieux à mêmed’exercer une sorte de contrôle informel sur lesprocédures de coopération. Le risque sera ici debilatéraliser à l’excès la relation. Afin d’assurerune certaine coordination des efforts de pays àpays, et pour ne pas perdre la ratio globale du Par-tenariat, il semblerait donc utile de placer danschaque délégation communautaire un respon-sable des affaires méditerranéennes, qui soit encontact permanent avec ses homologues dansl’ensemble de la région, et se réunisse avec eux demanière régulière, pour faire des points de coor-dination régionale.

Les parlementaires européens n’ont pasconcrétisé jusqu’à présent leur ferme intentiond’institutionnaliser la coopération interparle-mentaire en Méditerranée84. Un tel effort esthautement souhaitable si l’on raisonne entermes de diffusion démocratique. Les échangesd’information spécialisée sont d’abord utilespour faire progresser les pratiques institution-nelles. Mais ce type de coopération permettraiten outre d’entretenir un système de veille effi-

cace sur l’état général des institutions politiquesdes pays partenaires.

L’institutionnalisation du rôle de la sociétécivile dans le Partenariat est enfin réclaméedepuis longtemps par de nombreux acteurs nonétatiques. Nous assisterons peut-être, au coursdes prochaines années, à une réappropriationdu troisième volet de Barcelone par la sociétécivile. La division des tâches entre le premier et letroisième volets correspond en effet selon noussurtout à une division entre acteurs étatiques etsociété civile85 ; une fois reconnue la centralitédes questions de soft security contenues à la foisdans le premier et le troisième volets, il reste àadmettre le rôle que peuvent jouer les acteursnon gouvernementaux pour les traiter. Commele soulignent les experts de l’Institut catalan dela Méditerranée, l’enjeu est ici d’éviter au Proces-sus de Barcelone de se voir « monopolisé par lesgouvernements et les élites, emprisonné dans lesrapports intergouvernementaux »86, et parallè-lement d’améliorer l’appropriation du Partena-riat par les sociétés du Nord et du Sud. Il s’agitaussi de reconnaître que, dans certainsdomaines, l’action des Etats est sans doutemoins efficace que la mobilisation des peuples.

La mise en place d’un Forum civil permanentest une revendication classique de la sociétécivile méditerranéenne. Améliorer la participa-tion de la société civile au Partenariat supposeaussi de responsabiliser celle-ci. C’est pourquoil’établissement d’une sorte de Forum civil per-manent, qui entretiendrait un dialogue régulieret critique avec les institutions européennes,peut être une idée porteuse. Mais il importealors de réfléchir très précisément sur les condi-tions de représentation et les procédures de tra-vail au sein de ce forum. Le risque serait autantde reproduire des comportements antidémocra-tiques, souvent observés dans des pays à régimesforts, que de donner un écho inutile à de vainesdiscussions trahissant surtout des rapports deforces entre ONG concurrentes87.

Optimiser le processus de Barcelone

Page 47: Occasional Papers n°36 - mafhoum.com

L’idée de créer un Observatoire méditer-ranéen indépendant des droits de l’Homme faitaussi son chemin. Constituée autour d’un secré-tariat léger, directement rattachée par exempleau Conseil ou au Parlement européen, une tellestructure pourrait produire chaque année unrapport faisant le point sur l’état des législationset de leur application, en matière de libertésciviles. De tels outils, permettant de faire remon-ter l’information du terrain vers les structureseuropéennes, manquent cruellement à l’heureactuelle.

❚ MÉTHODES ET PROCÉDURES DU PARTENARIAT

La réactivation de la coopération décentraliséeest certainement un bon moyen de mobiliser lasociété civile. Elle est d’ailleurs très régulière-ment mentionnée dans les textes euro-méditer-ranéens, sans que pourtant la Commission sesoit apparemment résolue à envisager sérieuse-ment sa relance. L’intérêt de cette forme decoopération spécifique est qu’elle peut réunir,dans des réseaux euro-méditerranéen, des ONGcomme des acteurs politiques décentralisés.

Le rôle des villes et des autres autorités localesest traditionnellement moteur dans ce domaine.On sait que les jumelages entre villes ont joué unrôle très important dans le rapprochementfranco-allemand après la deuxième guerre mon-diale, et dans la consolidation d’une identitécitoyenne commune en Europe. Le défunt pro-gramme Med-Urbs avait démontré qu’il existaitde bonnes potentialités de coopération entrevilles en Méditerranée. Ce type de coopérationest importante car elle peut être considérée

comme politiquement neutre – puisqu’elle sejoue dans des domaines strictement techniques,de gestion urbaine -, tout en préparant uneouverture politique – éveil à la citoyennetélocale88. Les coopérations locales devraientdonc être poussées, soit dans le cadre d’un pro-gramme régional spécifique, soit en permettantaux autorités locales de participer plus large-ment aux programmes existants.

Il pourrait d’ailleurs apparaître comme unsymbole fort de choisir chaque année une villecomme capitale de la Méditerranée. Alternative-ment, et si la conjoncture politique s’y prête, uneville du nord et du sud de la Méditerranée seraitainsi le siège de manifestations culturelles et depromotion du Partenariat. La réunion annuelledes attachés régionaux Méditerranée des déléga-tions communautaires, évoquée plus haut,pourraient s’y tenir. La déclaration annuelle surl’état du Partenariat pourrait également y êtredélivrée.

La répartition et les modes de gestion desfinancements MEDA est enfin un sujet de préoc-cupation classique depuis les débuts du Parte-nariat. Nous avons déjà préconisé ici de revoir lepartage de l’enveloppe globale entre fondsbilatéraux et régionaux. La relance des micro-projets doit par ailleurs être mentionnée commele complément indispensable à une mobilisa-tion en profondeur de la société civile. En effet, laplupart des ONG de terrain, et notammentcelles du sud méditerranéen, n’ont pas la capa-cité critique nécessaire pour se positionner surles appels d’offre euro-méditerranéens, et pourgérer efficacement des financements tropimportants.

88 Pour une élaboration de cette problématique du local dans les régimes politiques tiers méditerranéens, voir notamment Dorothée Schmid,« La montée des pouvoirs locaux en Méditerranée : une ascension contrôlée », contribution présentée au 2e Congrès d’étudesméditerranéennes de l’Institut universitaire européen de Florence, mars 2001.

45

Monter en puissance et en efficacité : quelques propositions

Page 48: Occasional Papers n°36 - mafhoum.com

6

Conclusion

Reprendre en main l’outil Barcelone

L e Partenariat euro-méditerranéen est indé-niablement parvenu au bout d’un cycle : son

cycle d’installation. Bientôt, l’excuse de la jeu-nesse ne permettra plus à Bruxelles de justifierles imprécisions et les incertitudes qui ont mar-qué les sept années passées. Les bases de la zonede libre-échange, objectif central du Partenariat,par philosophie mais aussi par force, se trouventpratiquement réalisées. Les procédures euro-mediterranéennes sont entrées dans une phased’amélioration qui confirme leur ancrage dansles pratiques communautaires. Enfin, la ratiogénérale de Barcelone, loin d’être contestée,bénéficie depuis le 11 septembre d’un regain desympathie de la part des observateurs. End’autres termes, le Processus de Barcelone a toutpour redevenir à la mode.

Le sens perdu de Barcelone

S’il redevient l’objet d’une attention régulière,de la part des décideurs, des médias et de l’opi-nion publique, le Partenariat subira une pres-sion supplémentaire à la cohérence et à l’effica-cité. Une nouvelle mobilisation en faveur de laMéditerranée, dictée à la fois par la conjonctureet par des impératifs de rationalisation interne,est déjà perceptible à Bruxelles. Reste à donnerune direction à ce « nouvel élan », selon l’expres-sion de la Commission. Car paradoxalement, aufur et à mesure que progresse le Partenariat, entermes de dépenses, de réalisations et d’implica-tion des acteurs, le sens du projet euro-méditer-ranéen devient de moins en moins clair.

En l’état actuel des choses, Barcelone est à lafois un processus très simple et beaucoup trop

compliqué. Très simple, car il repose sur uneéquation libérale qu’on sait être limpide et abs-traite à la fois. Mais aussi trop compliqué, carcette belle idée s’incarne en une multitude d’ini-tiatives pas toujours suivies ni équilibrées. Lesens global du Partenariat se perd dans uneconstruction certes audacieuse, mais relative-ment anarchique. L’opacité de ce processusprotéiforme a rarement permis, au cours desannées passées, de se prononcer de manière for-melle sur les fins véritables de Barcelone : le Par-tenariat est-il une entreprise de nature néo-impérialiste ou une véritable chance de dialoguerégional ? La stabilisation de la Méditerranéedoit-elle s’entendre, dans une tradition « réa-liste »au sens des relations internationales,comme un travail d’équilibre des forces, ou bienpassera-t-elle par la construction d’un avenirdémocratique commun ?

Dépasser l’aporie libérale

Il ne fait pas de doute, selon nous, que la réponsese situe plutôt du deuxième côté de notre ques-tion. La critique néo-marxiste du Partenariats’efface d’elle-même, si l’on admet que les gainséconomiques que l’Europe peut ici espérer sontsomme toute assez faibles. Nous espérons parailleurs avoir démontré que Barcelone est bienautre chose qu’un dispositif classique de dissua-sion stratégique. Son mécanisme central necompte pas sur la force pour rétablir l’ordre ; laraison et la négociation tiennent plus de placedans le système euro-méditerranéen que l’ex-pression brutale des intérêts et le chantage. Bar-celone est surtout une entreprise de persuasion,la déclinaison d’une pédagogie libérale.

Cette pédagogie a déjà fait ses preuves, mais

46

Page 49: Occasional Papers n°36 - mafhoum.com

elle est aujourd’hui contestée, en Méditerranéecomme ailleurs. Le cheminement libéral com-prend en effet différentes étapes dans lesquellesil importe de ne pas stationner trop long-temps89, et il est urgent de retrouver l’horizonpolitique de l’entreprise euro-méditerranéenne.Il serait trop simple de renvoyer toujours à unavenir jamais bien défini la fécondation heu-reuse du politique par l’économique. Réduit,comme c’est le cas aujourd’hui, à la zone de libre-échange, le Partenariat est un auxiliaire par tropfidèle d’une mondialisation économique sanssubstance humaine.

Or, si l’on persiste à y minimiser le politique,le Partenariat euro-méditerranéen risque de seretourner contre ses objectifs initiaux. Il porteen son sein les germes de sa propre contestation ;Barcelone fonde en effet paradoxalement unespace d’expression politique, dans lequel l’Eu-rope a semble-t-il totalement renoncé à s’expri-mer, contrairement à ses partenaires. Le Parte-nariat risque ainsi toujours d’être instrumen-talisé de façon négative par les régimes tiersméditerranéens. Les sujets de mobilisation nemanquent pas sur l’autre rive de la Méditer-ranée. La thématique du déficit démocratique,que l’on applique de plus en plus couramment àla construction européenne elle-même, est évi-demment présente dans le Partenariat, et ceci àdeux niveaux. Elle est d’abord illustrée parl’asymétrie de décision et de gestion entre parte-naires dans les institutions de Barcelone ; ellerenvoie aussi à la prise en compte inégale desacteurs politiques et sociaux issus des pays par-tenaires eux-mêmes. La mobilisation civile quise cristallise aujourd’hui, de façon parfois spec-taculaire, lors des grands sommets européens,pourrait ainsi parfaitement trouver en Méditer-ranée un exutoire encore plus violent.

Il est donc primordial que Barcelone ne restepas en deçà du seuil d’entraînement politique,afin de ne pas entretenir seulement frustrationset rancœurs dans les pays du Sud. On retrouve

ici in fine le dilemme déjà évoqué, entre stabilisa-tion et réforme des régimes tiers méditer-ranéens. L’Europe persistera-t-elle à l’avenir, etcomme la tendance actuelle l’illustre, à dialo-guer essentiellement avec les Etats ? Si tel est lecas, et le pragmatisme dans bien des situationsl’imposera, il deviendra de plus en plus difficiled’éluder la question des réformes institution-nelles.

Barcelone comme test de la capacité del’Europe à définir une ambition extérieure

Un tel constat ne nous engage peut-être à rien,car de telles déclarations de principe ne valentque si l’on se donne les moyens de les appliquer.Or les décideurs auront beau jeu de rappeler quele champ des engagements politiques européensreste en friche, faute de consensus entre lesacteurs et d’instruments adéquats pour y tra-vailler. Appeler à une re-politisation du Partena-riat peut donc sembler bien pratique – c’est uneposture qui satisfait notre conscience – et parfai-tement illusoire – le Partenariat peut certaine-ment continuer à gérer au jour le jour des rela-tions bilatérales d’une qualité diplomatiquesrelative, pourvu que l’on ne touche pas au plusimportant, c’est-à-dire à la redistribution dupouvoir, de ce côté-ci comme de l’autre de laMéditerranée.

Cependant l’actualité impose une accéléra-tion de la réflexion sur ce sujet central. Cetteactualité en Méditerranée se présente sous laforme de deux crises majeures, auxquelles il fau-dra quoiqu’il en soit faire face : la crise deconfiance résultant des événements du 11 sep-tembre, avec le retour en force des thèses hun-tingtoniennes, d’une part, et l’aggravation dra-matique de la situation au Proche-Orient,d’autre part. La première de ces crises fait peserune exigence nouvelle sur le Processus de Barce-lone ; la deuxième met en cause son existencemême.

89 Sur les fins ultimes du projet libéral classique, et sur les difficultés de la réconciliation entre l’économique et le politique dans la penséeet surtout la pratique libérale, on consultera toujours avec beaucoup de profit (sans jeu de mot déplacé) Pierre Rosanvallon, Le capitalismeutopique, histoire de l’idée de marché, réimpr., Seuil, collection Points Essais, Paris, 1999.

47

Conclusion

Page 50: Occasional Papers n°36 - mafhoum.com

90 Voir à ce sujet l’actualisation par Dario Battistella de son analyse passée des thèses de Samuel Huntington, « Recherche ennemidésespérément… Réponse à Samuel Huntington », Confluences Méditerranée n°40, hiver 2001-2002, p. 81-94.

48

Le 11 septembre appelle à la définition d’uneréponse aussi urgente que nuancée ; nier la perti-nence de Huntington aujourd’hui, c’est avoir lecourage de plonger dans la réalité pour com-battre les prophéties auto-réalisatrices90, endésamorçant au plus vite le potentiel explosifdes représentations croisées. Le cadre de Barce-lone présente des qualités uniques pour accom-plir ce travail de fond, pour peu que l’on y ras-semble les énergies éparses.

Quant au conflit israélo-arabe, il ne peut plus

être considéré comme une simple maladie prin-tanière du Partenariat, qu’on parvient à ignorerrégulièrement sans vraiment la soigner. Il fautmaintenant apprendre à envisager cette crisemajeure, et qui a perdu tout horizon temporelprécis, non seulement en termes de contraintes,mais aussi en termes d’engagement. C’est toutl’enjeu de la politique extérieure commune, àlaquelle Barcelone peut certainement apporterune contribution que nos gouvernants défini-ront.

Optimiser le processus de Barcelone

Page 51: Occasional Papers n°36 - mafhoum.com

a1

49

BEI Banque européenne d'investissement

CCG Conseil de coopération du Golfe

COREPER Comité des Représentants permanents auprès de l’UE

DG Délégation générale

EuroMeSCo Commission d’étude euro-méditerranéenne

ONG Organisation non gouvernementale

OTAN Organisation du Traité de l’Atlantique Nord

PESC Politique étrangère et de Sécurité commune

PESD Politique européenne de Sécurité et de Défense

UE Union européenne

UEO Union de l’Europe occidentale

UMA Union du Maghreb arabe

UNESCO Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture

UPPAR Unité de Planification de la Politique et d’Alerte rapide

AnnexesSigles

Page 52: Occasional Papers n°36 - mafhoum.com

a2

Bibliographie

50

❚ AGBOBLI, Atsutsé Kokouvi, « Le jeu de l’Europe en Méditerranée », Afrique 2000 n°8, janv-mars 1992, p. 12❚ AMBROSETTI, Massimo, « NATO’s Mediterranean dialogue », International Spectator 01/03 2001, vol.36: n°1, p.83-89❚ ANTOINE, Serge, « Dix-huit pays riverains dans un même bateau ? Le souci de l’environnement et du développementdurable », Peuples méditerranéens n°62-63, janvier-juin 1993, p. 255-277❚ ATTANE, Isabelle, et COURBAGE, Youssef, La démographie en Méditerranée : situation et projections, Programme des NationsUnies pour l’environnement, Plan d’action pour la Méditerranée, Economica, Paris, 2001, collection Les fascicules du Planbleu ❚ BADIE, Bertrand, Les deux Etats, pouvoir et société en Occident et en terre d’Islam, collection Points Seuil Essais, édition revue,Paris, 1997 ❚ BARBE, Esther, « The Barcelona Conference : Launching Pad of a Process », Mediterranean Politics, vol. 1, n°1, Summer1996, p. 25-42❚ BARBE, Ester et IZQUIERDO, Francisco, « Present and Future Joint Actions for the Mediterranean Region », in M.HOLLAND (ed.), Common Foreign and Security Policy : The Record and Reforms, Pinter, London, 1996❚ BATTISTELLA, Dario, « Recherche ennemi désespérément… Réponse à Samuel Huntington », Confluences Méditerranéen°40, hiver 2001-2002, p. 81-94❚ BAZZONI, Stefania, et CHARTOUNI-DUBARRY, May (ed.), Politics, Economics and the Search for Mediterranean Stability,IEPM, Paris, 2001❚ B’CHIR, Fati, « Europe-Maghreb : perceptions réciproques », L’Evénement européen, n°17, mars 92, p. 127-136❚ BEHRENDT, Sven et HANELT, Christian-Peter (ed.), Bound to Cooperate – Europe and the Middle-East, BertelsmannFoundation, Gütersloh, 2001❚ BENSIDOUN, Isabelle et CHEVALLIER, Agnès, Europe-Méditerranée : le pari de l’ouverture, Economica, Paris, 1996,collection CEPII❚ Bertelsmann Group for Policy Research , « Europe, the Mediterranean and the Middle East, Strengthening Responsibilityfor Stability and Development », Discussion Paper présenté aux VII Kronberg Talks, janvier 2002❚ BOURGUET, Marie-Noëlle, L’invention scientifique de la Méditerranée : Egypte, Morée, Algérie, Ed. de l’EHESS, Paris, 1998,collection Recherches d’histoire et de sciences sociales❚ BURCHILL, Scott, « Liberal Internationalism », Theories of International Relations, Macmillan, London, 1996 ❚ BURGAT, François, L’islamisme au Maghreb : la voix du Sud, nouvelle édition revue et augmentée, Payot, collection Petitebibliothèque Payot, Paris, 1995❚ Centre de développement de l’OCDE, Intégration régionale et réformes intérieures en Méditerranée, sous la dir. de SébastienDESSUS et Akiko SUWA, Collection Etudes du Centre de développement, Paris, 2000.❚ CHAGNOLLAUD, Jean-Paul, « La Méditerranée à l’épreuve du 11 septembre », Confluences en Méditerranée, hiver2001/2002, n°40, p.13-21❚ Chambres d’agriculture françaises, « Europe-Méditerranée : l’enjeu agricole », Chambres d’agriculture, mai 2001, n°898,p.11-54 ❚ Commissariat général du Plan, Le partenariat euro-méditerranéen : la dynamique de l’intégration régionale, rapport du groupe detravail « Méditerranée : économies et migrations », La Documentation française, Paris, 2000❚ Commission des communautés européennes :- Communication de la Commission au Conseil et au Parlement : Renforcer la politique méditerranéenne de l’Union européenne : versl’établissement d’un partenariat euro-méditerranéen, COM (94) 427 final- Communication de la Commission au Conseil et au Parlement, en vue de préparer la quatrième réunion euro-méditerranéenne desministres des Affaires étrangères, Redonner un souffle au Processus de Barcelone, COM (2000) 497 final- Communication de la Commission au Conseil et au Parlement européen, en vue de préparer la réunion des ministres des Affairesétrangères à Valence, les 22 et 23 avril 2002, Bruxelles, SEC (2002) 159 final❚ Conseil européen, Stratégie commune de l’Union européenne pour la région Méditerranée, annexe V, Conclusions de la

Page 53: Occasional Papers n°36 - mafhoum.com

Présidence, Conseil européen de Feira, juin 2000 (SN 2000/ ADD I)❚ CORM, Georges, La Méditerranée, espace de conflit, espace de rêve, L’Harmattan, Paris, 2002, collection Comprendre leMoyen-Orient❚ Déclaration de Barcelone, adoptée lors de la Conférence euro-méditerranéenne, 27-28 novembre 1995❚ DE MICHELIS, Gianni, « The Mediterranean after the Gulf war », Mediterranean Quarterly, vol. 2 (3), été 91, p. 1-8❚ EDWARDS, Geoffrey, et PHILIPPART, Eric, « The Euro-Mediterranean Partnership : Fragmentation and Reconstruction »,European Foreign Affairs Review, vol 2 : 1997, p. 465-489❚ FAWCETT, Louise L’Estrange (ed.), Regionalism in World Politics : Regional Organization and International Order, OxfordUniversity Press, Oxford, 1995 ❚ FENAUD, Pascal et REMACLE, Eric, « Un projet pour la paix en Méditerranée », Confluences en Méditerranée n°2, hiver1992, p. 59-67❚ GHEBALI, Victor-Yves, « Towards a Mediterranean Helsinki-type process », Mediterranean Quarterly n°4 (1), hiv. 93 : p. 92-102❚ HOLLIS, Rosemary : « Europe and the Middle-East : Power by Stealth ? », International Affairs vol. 73, n°1 (1997) p. 15-29❚ HIBOU, Béatrice et MARTINEZ, Luis, « Le partenariat euro-maghrébin : un mariage blanc ? », Etudes du CERI , n°47, nov.1998❚ Institut catalan de la Méditerranée, « Idées pour relancer le Processus de Barcelone », policy paper produit par à l’issue d’unséminaire spécialisé, décembre 2001 ❚ JOFFE, George, « Southern Attitudes Towards an Integrated Mediterranean Region », dans Richard GILLESPIE (ed.), TheEuro-Mediterranean Partnership, Political and Economic Perspectives, Pinter, London, 1997, p. 12-29❚ KHADER, Bichara, « Le Partenariat euro-méditerranéen vu du Sud », L’Harmattan, Paris, 2001❚ KIENLE, Eberhard, « Destabilization through Partnership ? Euro-Mediterranean Relations after the BarcelonaDeclaration », Mediterranean Politics, vol. 3, n°2 (Autumn 1998), p. 1-20❚ LERAY, René, « Le rôle des grands partenariats dans une PESC/PESD cohérente et efficace, premiers éléments deréflexion », draft paper interne élaboré dans le cadre d’un séminaire de travail de l’Institut d’études de sécurité, septembre2001❚ MARESCEAU, Marc, et LANNON, Erwan, The EU’s Enlargement and Mediterranean Strategies: a comparative analysis,Basingstoke : Palgrave, in association with European Institute, University of Ghent, 2001❚ MATVEJEVITCH, Pedrag, La Méditerranée et l’Europe, leçons au Collège de France, Stock, collection La Bibliothèquecosmopolite, Paris, 1998.❚ MEDBADIL, L’autre sommet : rencontres euro-méditerranéennes contre la mondialisation libérale, Medbadil, Marseille, 2001❚ MONAR, Jörg, « Institutional Constraints of the European Union’s Mediterranean Policy », Mediterranean Politics, vol.3,n°2 (Autumn 1998) p. 39-60❚ MONIN, Julie, « La dimension culturelle du Partenariat euro-méditerranéen », Mémoire présenté pour le Magistère deRelations internationales et Action à l’étranger de l’Université de Paris-I, Panthéon-Sorbonne, septembre 2001❚ MORATINOS, Miguel Angel, « El papel de la Union Europea en el Proceso de paz israelo-palestino », in Las politicasmediterráneas : nuevos escenarios de cooperación, Icaria / Antrazyt, Barcelone, 1999, p. 297-317❚ ORTEGA, Martin, « Pour un partenariat euro-méditerranéen en matière de sécurité et de défense », Dialogo Mediterraneo,mars 2001❚ OULD AOUDIA, Jacques, « Enjeux économiques de la politique euro-méditerranéenne », Monde arabe, Maghreb-Machrek,n°153, juillet-septembre 1997, p. 24-44❚ PERTHES, Volker, « The Advantages of Complementarity : US and European Policies towards the Middle East PeaceProcess », The International Spectator, vol. XXXV, n°2, April-June 2000❚ PHILIPPART, Eric, « Deconstruction and Reconstruction of EU pillars : The Euro-Mediterranean Partnership and theMiddle East Peace Process », contribution présentée à la Third Pan-European International Relations Conference ECPR-ISA,Vienne, septembre 1998❚ PUYMEGE, Gérard de, « L’émergence institutionnelle de la Méditerranée (1975-1996) », Relations internationales, n°87,automne 1996, p. 325-344❚ RAVENEL, Bernard, Méditerranée : le Nord contre le Sud ?, L’Harmattan, Paris, 1990, collection Politiques et stratégiesinternationales

51

Bibliographie

Page 54: Occasional Papers n°36 - mafhoum.com

52

❚ ROSANVALLON, Pierre, Le capitalisme utopique, histoire de l’idée de marché, réimpr., Seuil, collection Points Essais, Paris,1999❚ RUEL, Anne, « L’invention de la Méditerranée », Vingtième siècle , Paris (32), oct.-déc. 91, p. 7-14❚ SALAME, Ghassan, « Torn Between the Atlantic and the Mediterranean : Europe and the Middle-East in the Post-ColdWar Era »,The Middle-East Journal, vol. 48 n°2 (Spring 1994), p. 226-250❚ SCHÄFER, Isabel, « Le dialogue des images en Méditerranée », Eurorient, n°10, 2001, p.102-115❚ SCHMID, Dorothée, - « Les Programmes Med : une expérience européenne de coopération décentralisée », Monde arabe,Maghreb-Machrek n°153, juillet-septembre 1997, p. 61-68- « La montée des pouvoirs locaux en Méditerranée : une ascension contrôlée », contribution présentée au 2ndMediterranean Studies Congress de l’Institut universitaire européen de Florence, mars 2001❚ SPENCER, Claire, - « The EU and Common Strategies : the Revealing Case of the Mediterranean », Advice to the House ofLords Select Committee on the European Union (Sub-Commitee C), Inquiry into the Common Mediterranean Strategy,2000-1- « The Euro-Mediterranean Partnership : Changing Context in 2000 », Mediterranean Politics, vol.6, n°1 (spring 2001), p.85-89❚ TANNER, Fred (ed.), The European Union as a Security Actor in the Mediterranean: ESPD, Soft Power and Peacemaking in Euro-Mediterranean Relations, Forschungsstelle für Sicherheitspolitik und Konfliktanalyse der ETH, Zürich, 2001❚ TOVIAS, Alfred, et BACARIA, Jordi, « Free Trade and the Mediterranean », Mediterranean Politics, vol. 4 n°2, Summer1999, p. 3-22❚ ZAAFRANE, Hafedh, et MAHJOUB, Azzem, « The Euro-Mediterranean Free-Trade Zone : Economic Challenges and SocialImpacts on the Countries of the South and East Mediterranean », dans DE VASCONCELOS, Alvaro et JOFFE, George, (ed.)The Barcelona Process / Building a Euro-Mediterranean Regional Community, Frank Cass, London, 2000

Optimiser le processus de Barcelone

Page 55: Occasional Papers n°36 - mafhoum.com
Page 56: Occasional Papers n°36 - mafhoum.com

n°35 L’ONU au Kosovo : leçons de la première MINUK Mai 2002Eric Chevallier

n°34 Bigger EU, wider CFSP, stronger ESDP? The view from Central Europe Avril 2002Edited by Antonio Missiroli

n°33 A new European Union policy for Kaliningrad Mars 2002Sander Huisman

n°32 Managing separatists states: a Eurasian case study Novembre 2001Dov Lynch

n°31 Aspects juridiques de la politique européenne de sécurité et de défense Novembre 2001Lydia Pnevmaticou

n°30 Reconciling the Prince’s Two ‘Arms’. Internal-external security policy coordination in the European Union. Septembre 2001Ferruccio Pastore

n°29 The challenge of Belarus and European responses Juillet 2001Ramunas Davidonis

n°28 Developing the ‘Moral’ arguments: Russian rhetorical strategies Juillet 2001on security post-KosovoCharlotte Wagnsson

n°27 Coherence for European security policy. Debates - cases - assessments Mai 2001Edited by Antonio Missiroli

n°26 Le MTCR face à la prolifération des missiles Mai 2001Mathieu Grospeaud

n°25 A common European export policy for defence and dual-use items? Mai 2001Burkard Schmitt

n°24 Realigning neutrality? Irish defence policy and the EU Mars 2001Daniel Keohane

n°23 Cold war dinosaurs or hi-tech arms providers? The West European land armaments industry at the turn of the millenium Février 2001Jan Joel Andersson

n°22 The Nordic dimension in the evolving European security structure and the role of Norway Novembre 2000Bjorn Olav Knutsen

n°21 South-Eastern Europe revisited. Can economic decline be stopped? Octobre 2000Daniel Daianu

n°20 Leading alone or acting together? The transatlantic security agenda for the next US presidency Septembre 2000Edited by Julian Lindley-French

Occasional Papers

Tous les Occasional Paperspeuvent être consultés sur internet :

www.iss-eu.org