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Cabanes

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Précaire, bricolée, la cabane se dérobe aux tentatives de définition, et tend à se définir par ce qu’elle n’est pas : construction rudimentaire, peu onéreuse, éphémère, sans exis-tence administrative ni adresse postale... Le plus souvent réalisée à partir de matériaux collectés sur place avec les moyens du bord, primitive et peu confortable, elle constitue un abri de fortune plutôt qu’un habitat au sens strict du terme, et il est difficile de la qualifier positivement, étant la conséquence de contraintes et d’impossibilités.

Ce dossier se penche sur les multiples figures de la cabane qui éclairent notre histoire, interrogent notre rapport à la nature et notre société. Témoin privilégié de son environ-nement, elle résulte de pratiques, d’habitudes, d’un imaginaire à l’œuvre ; elle incarne aussi la marge et la précarité. Informes, fragiles, fruits du hasard et des possibles, les cabanes – celles de notre enfance notamment – n’en sont pas moins ancrées dans notre imagination. Qu’elles soient perchées en haut des arbres, issues de notre histoire philo-sophique – Deleuze, Foucault, Wittgenstein, Thoreau – ou ancrées dans notre quotidien comme le sont les cabanes de jardin, de chantiers et les abris de fortune, elles sont un objet culturel sans nul doute.

La cabane est d’autant plus puissante dans notre imaginaire et dans les tendances actuelles – combien de beaux livres ont été publiés sur le sujet ces dernières années, combien de cabinets d’architecture se sont spécialisés dans leur construction, combien de gites ruraux proposent de passer la nuit dans un arbre ? – qu’elle tend à disparaître, du fait de l’évolution des lois, de l’aménagement des villes et du territoire. Sans doute incarne-t-elle, de ce point de vue, plus que jamais un refuge, un abri.

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DossierCabanes ___07 – Éditorial Julien Zerbone, historien de l’art et critique d’art___08 – Le mythe de la cabane ou l’origine primitive de l’architecture Thomas Renard, maître de conférences en histoire de l’art___14 – La cabane : une rupture dans le temps Gilles A. Tiberghien, philosophe et essayiste___20 – La cabane, l’architecte et l’hétérotopie Ghislain His, architecte et professeur ___26 – La tente et la cabane. Archaïsmes et renouveaux du tourisme en Pays de la Loire Olivier Sirost, professeur en STAPS à l’université de Rouen - Normandie université___30 – Saint-Nazaire, ville de baraques et de bungalows Joël Anneix et Daniel Sauvaget, auteurs du livre Saint-Nazaire au temps des baraques___36 – Les peuples des cabanes Julien Zerbone___42 – Habiter la marge Camille Rouaud, architecte ___46 – Habiter sa vie Éric Pessan, écrivain___52 – L’œuvre-campement Éva Prouteau, critique d’art, conférencière et professeure d’histoire de l’art___58 – La cabane : le premier abri que l’enfant se construit Adèle de Boucherville, auteure, critique en littérature jeunesse et enseignante___62 – Jardiner la ville Frédérique Letourneux, journaliste spécialisée dans les thématiques sociales et sociétales

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Carte blanche ___67 – Artiste invité : Gilles Bruni, artiste plasticien ___72 – Portrait de l’artiste en buissonnier Frédéric Emprou, auteur et critique d’art

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Chroniques ___Art contemporain

74 – Glissements progressifs de Tripode Éva Prouteau___Bande dessinée

78 – Heureux tropismes François-Jean Goudeau, directeur de La Bulle – Médiathèque de Mazé ___Littérature

82 – Récits de vies et de voyages. Une vie, comme un moulin Alain Girard-Daudon, libraire___Patrimoine

84 – Actualités de la sculpture Thierry Pelloquet, conservateur en chef du patrimoine ___Spectacle vivant

90 – Petits fracas du quotidien Julien Zerbone

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Dossier Cabanes_______________

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La cabane, et tout autre chose

Pourquoi les cabanes, demanderez-vous ? Nous nous sommes intéressés aux cabanes parce qu’elles ne se satisfont pas du singulier : en vain leur cherche-t-on une défini-tion convenable, en vain généralise-t-on des principes qui sont sans cesse de l’ordre de l’adaptation, du bricolage. La cabane n’est pas une fin en soi, elle n’est jamais première, toujours seconde, résultat (la construction qui se forme autour du foyer, de la communauté) ou moyen (abri contre les intempéries). Définir la cabane consiste donc à déterminer les conditions préalables à sa construction, le but recherché, les contraintes et difficultés rencontrées. Nous avons choisi les cabanes pour ce qu’elles ne sont pas : elles ne sont pas solides, elles ne sont pas durables, très rarement monumentales, de plus en plus souvent illégales, généralement en marge. Nous avons traité des cabanes parce qu’elles nourrissent et se nourrissent de l’imaginaire, parce qu’elles relèvent de l’utopie, parce qu’à une époque où leur existence même est menacée, que ce soit par l’aménagement du territoire et l’urbanisme, la défo-restation, les lois et normes de sécurité, elles n’ont jamais autant habité nos pages, nos écrans, nos rêveries.

Dans le débat qui l’oppose à Aloïs Riegl, le grand historien de l’art et théoricien de l’architecture, Gottfried Semper explique que les procédés de tressage, d’assemblage et d’entrelacement des fibres sont parmi les premières formes artistiques inventées par l’homme, dont découlerait tout le reste, notamment la construction et les textiles1. Avant de construire les murs des maisons, affirme Semper, les hommes tissaient des enceintes – des barrières et des enclos – avec des bâtons et des branches ; avant de tisser des vêtements, ils cousaient des filets et des corselets. Semper défend ainsi le primat de l’expérimentation sur le dess(e)in, du geste sur la pensée, de l’organique sur le minéral, de l’acte de relier sur celui de séparer.

Qu’elles soient de jardin ou de chantier, perchées dans les branches ou flottantes, belvédères ou barricades, d’enfants ou d’artistes, lieux de villégiature ou abris de fortune, philosophiques ou mythiques, les cabanes sont des révélateurs de ce qui les entoure, elles sont par excellence les espaces de vie et de rencontre de nos commu- nautés fragiles, elles s’adaptent à leur contexte au lieu de s’imposer à lui, elles épousent les reliefs et les matériaux de leur environnement. Nous avons choisi de parler des cabanes parce qu’elles sont des observatoires au ras du sol et du temps, des seuils, des lieux qui témoignent dans leur constitution même du monde qui les entoure. Depuis la cabane, ce sont nos conceptions de la nature, de la communauté et de l’espace, notre rapport à la technologie et à l’histoire, à l’architecture et au temps, qui nous apparaissent sous un nouveau jour. Et nous rappellent que le terme « culture » renvoie étymologiquement au sillon tracé dans le sol ainsi qu’à la couture.

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Julien Zerbone est historien de l’art et critique d’art ; il collabore régulièrement aux revues 303 et Critique d’art et est conférencier dans plusieurs structures culturelles de la région, notamment au Frac des Pays de la Loire et à la maison des Arts de Saint-Herblain.

Éditorial__Julien Zerbone

___1. Gottfried Semper, « Du style et de l’architecture », dans Écrits, 1834-1869, Marseille, Éditions Parenthèse, 2007.

<< Cabane dans la forêt de Touffou, Vertou (Loire-Atlantique). Photo Aurélie Guitton.

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Frontispice de la deuxième édition de l’Essai sur l’architecture de l’abbé Laugier, 1755. © BnF, Paris.

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« Ce fut donc la découverte du feu qui amena les hommes à se réunir, à faire société entre eux, à vivre ensemble, à habiter dans un même lieu. Doués d’ailleurs de plusieurs avantages que la nature avait refusés aux autres animaux, ils purent marcher droits et la tête levée, contempler le magnifique spectacle de la terre et des cieux, et, à l’aide de leurs mains si bien articulées, faire toutes choses avec facilité : aussi com-mencèrent-ils les uns à construire des huttes de feuillage, les autres à creuser des cavernes au pied des montagnes ; quelques-uns, à l’imitation de l’hirondelle qu’ils voyaient se construire des nids, façonnèrent avec de l’argile et de petites branches d’arbres des retraites qui purent leur servir d’abri1. »

L’histoire de l’architecture débute au moment où les hommes préhistoriques eurent pour la première fois l’idée de bâtir des cabanes. C’est du moins ce que laisse entendre cette citation tirée du plus ancien ouvrage consacré à l’architecture qui nous soit parvenu, le De Architectura de Vitruve (Ier siècle avant J.-C.). Chez ce théoricien romain comme chez beaucoup de ses successeurs, la cabane semble intimement liée à l’idée des origines et au besoin élémentaire de se protéger des intempéries. Plus encore, l’abri primitif de ces premiers hommes ayant découvert le feu semble le point de départ de toute notre civilisation : « De la construction de leurs demeures les hommes arrivèrent par degrés aux autres arts et aux autres sciences, et leurs mœurs, devenues plus douces, perdirent tout ce qu’elles avaient d’agreste et de sauvage2. »

Dans ce passage, Vitruve inaugure une longue série de spéculations sur l’origine de l’habitat et de l’architecture. Selon Joseph Rykwert, le souvenir de la première construc-tion « semble avoir habité tous ceux qu’intéressait l’architecture, avant même que le mot n’existât3 ». Pourtant, cette fiction a su incarner tour à tour différentes déclinaisons du mythe originel. Pour les Romains de l’époque de Vitruve, elle avait sans conteste une importance fondamentale et renvoyait aux humbles origines de leur propre ville. Tandis que les temples du Forum étaient enrichis de matériaux précieux et pérennes, ils tenaient à conserver sur le Palatin une hutte censée avoir été celle de Romulus, légendaire fondateur et premier roi de Rome, sept siècles avant Vitruve. Plusieurs fois incendiée parce que l’on y pratiquait encore différents rites, cette relique fut recons-truite à maintes reprises avant d’être longtemps oubliée. Il fallut attendre le début du XXe siècle pour que Giacomo Boni, un archéologue illuminé et romantique, en offre une reconstitution recouverte de signes mystiques, labyrinthes et swastikas.

Le mythe de la cabaneou l’origine primitive de l’architecture

__Thomas Renard

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En architecture, le mythe des origines prend la forme d’une cabane primitive. Celle-ci représente autant un idéal de pureté moderniste qu’un refuge dans un vague temps préindustriel.___

___1. Vitruve, De l’architecture, livre II, trad. Ch.-L. Maufras, Paris, 1847.___2. Ibid.___3. Joseph Rykwert, La maison d’Adam au paradis, Paris, Éditions du Seuil, 1976 (éd. originale, 1972).

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___1. Michel Marié, Les terres et les mots, Paris, Klincksieck, 1989 ; Id., Un territoire sans nom. Pour une approche des sociétés locales, Paris, Méridiens, 1982.___2. Olivier Sirost, « Camper en pays de la Loire. Un patrimoine vivant des vacances », 303, no 118, 2011, p. 130-137.

Sensibilité écologique et désir de refuge n’ont jamais connu conjonction si forte qu’en ces temps incertains. Face à un monde changeant et aux issues hasardeuses se mêlent un réflexe de retour à la terre mère et le besoin de se lover à nouveau dans le nid natal. D’une certaine manière, les quêtes de la médiévalité trouvent une actualisa-tion, répondent à un sentiment d’urgence. Croisant vie sous la tente et patrimoine, depuis juillet 2010 l’hôtellerie de plein air se dote d’une cinquième étoile mettant en valeur les charmes du « glamping ». Dans le contexte d’une industrie touristique standardisée et vouée au confort, le renouveau de la vie au grand air insiste sur le retour aux sources d’un habitat archaïque. Les propositions événementielles autour du safari lodges du zoo de La Flèche, ou du voyage « de la Terre à la Lune » dans les mondes de Jules Verne, misent sur un tel contraste. Le renouveau offert par les héber-gements insolites – les croisières sur la Loire, le concept environnemental d’Échologia aux portes de Laval, la cabane perchée sur Charron, l’ancienne voiture des Chemins de fer de Vendée, les cabanes perchées ou les roulottes de la Brauderie – s’appuie sur cette rhétorique d’un retour aux sources. Ce dernier réside dans l’opération consistant à faire jaillir ou revivre une histoire marquante, un esprit vivace tiré de la magie des lieux, d’une image forte de l’enfance ou d’une légende issue d’un passé glorieux. Le ressourcement écologique y croise surtout la diversité culturelle de la mémoire des hommes.

Dans un assemblage composite annonçant les territoires sans nom du tourisme (comme aime à le rappeler Michel Marié1 à propos du sud de la France), la mosaïque géographique des Pays de la Loire doit s’inventer à partir de 1951 une unité. Le passage des nouveaux territoires s’organise alors pour partie dans une réorgani-sation de la mémoire collective, initiative dans laquelle le recours aux hauts lieux légendaires et à l’habitat primitif permet la réappropriation. Nous trouvons là un écho particulièrement parlant du succès du camping2 dès les années 1930 au fil des châteaux de la Loire jusqu’à l’envahissement du littoral vendéen par les chouans à la tente. Cette dernière métaphore, empruntée à Balzac, se veut de portée sym-bolique à la limite de l’anachronisme. La formule permet simplement de rappeler que le camping s’expérimente militairement dès la formation de la Grande Armée,

La tente et la cabaneArchaïsmes et renouveau

du tourisme dans les Pays de la Loire__

Olivier Sirost___

Forme récente de l’hôtellerie de plein air, le « glamping » vient renouveler l’offre touristique dans les Pays de la Loire. Aux tentes succèdent les refuges insolites, où l’on peut lire l’expression d’une pensée magique et sauvage, mettant en récit la réinvention du territoire.___

< Le parc de loisirs Échologia, dans la Mayenne. Photo Bernard Renoux.

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Perchée dans un arbre, transformée en barricade, embusquée dans un bois ou au fond d’un champ, la cabane constitue un élément essentiel de l’imaginaire que véhiculent les luttes environnementales qui se développent depuis deux décennies à l’échelle mondiale, qu’elles aient pour cible la réalisation de grands projets d’infrastructures, l’exploitation de ressources naturelles ou la construction d’une usine, d’un centre de loisirs, d’une prison ou d’une centrale nucléaire. En France, elles tendent à se fédérer autour des GPII, « Grands Projets Inutiles Imposés » : face à de grandes installations qui incarnent, selon eux, des logiques capitalistes et industrialistes dont les implications sociales et environnementales sont néfastes, face à des processus de décision qu’ils considèrent comme antidémocratiques, une façon d’envisager les territoires comme un capital à gérer, les opposants aux GPII mettent en œuvre une autre manière, empreinte d’utopie, d’habiter, d’articuler engagement politique et vie quotidienne, production et consommation. Au-delà de leur infinie diversité et de leur caractère local, ces luttes possèdent certaines caractéristiques communes, que le présent article entend aborder par le biais de la cabane et de ses usages.

Occuper, protéger

Occupation, défense, guérilla... Les mots sont ceux de la guerre, de l’insurrection, du combat. C’est le cas du presidio italien, qui décrit traditionnellement un avant-poste militaire installé dans une région afin d’en assurer le contrôle, que les opposants au percement d’un tunnel dans le val de Suse (Piémont italien), en vue de réaliser une ligne de chemin de fer à haute vitesse, ont détourné de son usage habituel. Dans le val de Suse, au contraire, le terme désigne des cabanes ou des maisons de pierre, parfois de petits hameaux, occupés à l’année par des militants et établis sur l’emprise du chantier, empêchant de fait sa poursuite. Le plus célèbre – et le plus ancien – d’entre eux se situe à Venaus ; en 2005, l’expulsion de ses militants par les forces de l’ordre a déclenché une réaction populaire d’ampleur et relancé la lutte. Ce fut aussi le cas en 2011 pour celui de Maddalena de Chiomonte, installé juste au-dessus du lieu du percement du tunnel, et qui servait de point de départ aux actions contre le chantier. L’usage du presidio, au-delà de l’évident jeu de langage, marque la volonté des habitants de reprendre le contrôle, au moins symboliquement, d’un territoire dont ils s’estiment dépossédés, leur occupation répondant – de leur point de vue – à une autre occupation, celle-ci illégitime.

Cabane perchée, vigie, trépied, filet, simple plate-forme suspendue, barricade... Dans un contexte de rapport de forces disproportionné, il n’est pas rare de voir

Les peuples des cabanes__

Julien Zerbone___

Éphémères, les cabanes incarnent une nouvelle forme de résistance et sont devenues un emblème des luttes environnementales qui refusent la distinction entre écologie environnementale, sociale et psychique1.___

___1. Félix Guattari, Les trois écologies, Paris, Éditions Galilée, 1989.

< Black Plouc Kitchen, ZAD de Notre-Dame-des-Landes, 20 juillet 2014. © ValK.

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L’œuvre-campement

Pour faire la sieste, l’amour, traverser la nuit, décrocher la lune. Pour s’enfouir, s’oublier, se retrouver. Éprouver la précarité. Pour faire œuvre de sa vie, tout simplement, et proclamer que vivre dans une cabane fait parfois œuvre. Les artistes ont beaucoup investi ce lieu où le corps s’intensifie, où les pratiques s’hybrident, où le bricolage exalte un état d’esprit libératoire, entre autonomie et nomadisme. Élevée au rang d’œuvre, la cabane autorise toutes les dérives psychogéographiques, elle est forme balade, machine à rêver qui raconte le lien profond entre la pensée et l’espace. À suivre, cinq variations sur ce motif, cinq œuvres du XXIe siècle qui oscillent entre sculpture, architecture fonctionnelle et laboratoire de performance : des cabanes à l’effet vertigo.

Antonin Sorel, L’Étoile de l’amour

Une sphère habitable de trois mètres de diamètre, suspendue dans un arbre, qui se déplace légèrement au gré des brises du bord de Loire : telle est la proposition de l’artiste montréalais Antonin Sorel, dans le cadre de la biennale Estuaire de 2009. Sur le site du Carnet, à Frossais, cette grosse boule de bois et d’acier évoque de prime abord un objet guerrier, boulet de canon ou capsule technologique inquiétante ; elle est connectée par son titre à la sinistre « Étoile de la mort », cette station sidérale de la taille d’une petite planète qui traverse l’épopée Star Wars. L’artiste, qui travaille souvent à partir d’éléments industriels voués à la destruction, réinterprète ici un module créé par l’architecte naval Tom Chudleigh : il l’hybride avec l’imaginaire de la cabane de chasseur, en striant la sphère de fines meurtrières, la transformant en poste d’observation idéal. Guet autarcique pour proie fantasmatique : en totale dis-jonction avec son enveloppe extérieure, froide et métallique, l’intérieur de l’habitacle est tapissé de fourrure, ventre moelleux qui suggère bien d’autres toisons douces. Sous ses allures guerrières, la cabane joue de façon ambiguë de ses charmes d’antre érotique camouflé, bulle en frêle équilibre entre ciel et terre, entre danger et délice.

Florence Doléac et David de Tscharner, la Villa Parmentier

Designer et artiste, Florence Doléac raconte des histoires avec des objets, et ce sont souvent des histoires drôles. Dans un petit coin de la Sarthe, à Piacé, elle a déposé une Villa Parmentier conçue en collaboration avec l’artiste David de Tscharner :

L’œuvre-campement__

Éva Prouteau___

Du Merzbau de Schwitters aux Cabanes éclatées de Buren, la cabane fournit un merveilleux prétexte à expérimenter les formes, en mettant le corps au centre de la recherche. ___

< Le Refuge, Stéphane Thidet, 2009. Photo Bernard Renoux.

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uu Cabane extraite du livre de Claude Ponti Okilélé. © Claude Ponti / École des Loisirs.

u Cabane extraite du livre de Claude Ponti L’Arbre sans fin. © Claude Ponti / École des Loisirs.

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« À force de construire, je crois bien que je me suis construit moi-même. »

Paul Valéry, Eupalinos ou l’architecte, 1921

Claude Ponti, constructeur de cabanes de papier

Contrairement à ce que l’on pourrait croire, les histoires de Claude Ponti ne se déroulent pas dans un ou des mondes fantastiques et imaginaires. Elles sont, bien au contraire, tout à fait ancrées dans la réalité. J’en veux pour preuve la forme que prennent ses cabanes et ses maisons. La cabane telle que l’auteur la conçoit est l’archétype du lieu dédié à l’enfance. À tel point que nombre des maisons de Claude Ponti pourraient être prises pour des cabanes. Elles en ont les caractéristiques et se tiennent à la croisée des chemins : habitat solide mais construit dans un arbre creux ; maison bricolée mais chaleureuse et heureuse. Les habitations de Claude Ponti ont pour points communs d’être à l’échelle de l’enfant, parfaitement à sa taille, et toujours pleines de jouets. Pourtant, Claude Ponti n’écrit pas pour un lecteur prédéfini, pour un enfant normé dont il aurait établi à l’avance les caractéristiques. Il a, pour s’aider, à la fois le souvenir de sa propre enfance et l’intuition de ce que les enfants vivent. En d’autres termes, l’auteur ne joue pas à l’enfant, ni ne tente de reconquérir une part de son enfance. Il élabore des lieux et des espaces, que ce soit l’espace du livre ou celui de la cabane, qui sont à même de rendre un enfant heureux.

À l’abri dans sa cabane

Les protections peuvent prendre toutes les formes, notamment celle d’une cabane, une cabane de rêve, habitation merveilleuse nichée dans les arbres. Le style de Ponti, tout en volutes florales et nervures de bois, s’y prête particulièrement : de même, la structure de l’arbre permet de faire celle de la cabane. Et les arbres, dans les albums de Ponti, sont des personnages de premier ordre. Son trait, délié et maîtrisé, proche de la ligne claire, lui permet de concevoir des cabanes accueillantes et drôles, qui se plient docilement aux souhaits de l’enfant, en êtres vivants et magiques. La grande force des images, des structures et des habitations de Claude Ponti se révèle aussi

La cabane :le premier abri que l’enfant se construit

__Adèle de Boucherville

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La cabane est l’exercice de construction favori des architectes ; c’est peut-être, d’ailleurs, la seule construction qui concerne chacun d’entre nous. Claude Ponti, auteur pour enfants, leur a donné un sens profond, en rétablissant leur vertu magique.___

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Intérieur de la grande cabane « conviviale ». Ici se réunissent paysans engagés et chômeurs citadins, cultivateurs militants d’un « jardin à défendre » en bordure de l’agglomération nantaise. © Armandine Penna.

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Tiers paysage renvoie à tiers état (et non à tiers monde). Espace n’exprimant ni le pouvoir ni la soumission au pouvoir. Il se réfère au pamphlet de Sieyès en 1789 : « Qu’est-ce que le tiers état ? – Tout. Qu’a-t-il été jusqu’à présent ? – Rien. Que demande-t-il ? – À devenir quelque chose. »

Gilles Clément, Le tiers-paysage, p. 13

« Ce que j’aime ici, c’est avoir un espace à moi. Dans l’appartement, j’ai la tête prise, je tourne en rond entre quatre murs. Ici, je parle à droite, à gauche. Je jardine, je bricole et je ne reviens à la maison que le soir. » Paulo Maseda veille jalousement sur ses habitudes. Seule la pluie vient parfois enrayer le rythme immuable des jours de la semaine : le labeur en horaires du matin, de 5 heures à midi, dans une société de nettoyage, puis une virée au jardin l’après-midi, après la sieste. Mais pour Paulo, le jardinage est aussi un travail sérieux : il faut bêcher, semer, désherber, alimenter le compost. Quand les beaux jours arrivent, ses enfants viennent parfois l’aider. Si l’aîné est reparti vivre au Portugal il y a quelque temps, Paulo et sa femme ont toujours six enfants à charge et la petite parcelle qu’ils louent à la Fournillière1, jardin familial situé dans le quartier populaire de Zola, à l’ouest de Nantes, constitue une vraie réserve vivrière. Des choux, des fèves, des poireaux et de l’ail portugais en hiver ; des tomates, des haricots verts et des aubergines l’été. Entre autres. Dans sa cabane s’entassent les cagettes qui lui servent à transporter ses précieuses récoltes. Mais c’est aussi un lieu où il reçoit régulièrement ses « voisins » du jardin, Mario, Alain et Jojo. Les membres de ce petit groupe occupent des positions clés dans le bureau de l’association du jardin de la Fournillière, qui gère l’occupation des quelque cent vingt parcelles du jardin2.

« Mais c’est la Ville de Nantes qui s’occupe d’établir la longue liste d’attente et qui attribue les parcelles », précise Mario de Jesus Martins, le président de l’association. La Ville a en effet racheté le terrain au début des années 1990 ; elle a alors transformé ces vastes terres jardinées de façon illégale en un espace de jardin familial structuré : « [À l’époque], les jardins familiaux3 sont vus comme “une sorte de compromis entre le jardin potager, l’espace vert et le lieu de détente, solution capable de satisfaire le plus grand nombre” et surtout ils sont présentés en opposition avec l’ancien modèle des jardins ouvriers du type de ceux qui existent alors à la Fournillière, considérés comme inesthétiques », explique la sociologue-ethnologue Élisabeth Pasquier, qui a réalisé une enquête passionnante sur l’histoire et la transformation du site4.

Jardiner la ville__

Frédérique Letourneux___

À la marge de nos villes ou en leur cœur poussent des espaces potagers. Autant de jardins merveilleux d’où émerge l’envie de changer le rapport à la terre et au monde. Et où la cabane à outils devient un lieu de rencontre.___

___1. Environ 80 euros par an.___2. Les parcelles, qui font entre 75 et 200 m2, sont réparties sur un espace de 4 hectares dont une zone possède les attributs d’un jardin public (jeux pour enfants, tables de pique-nique, etc.). ___3. Nantes compte aujourd’hui 32 sites de jardins collectifs regroupant près de 1 076 parcelles individuelles réparties sur l’ensemble du territoire.___4. Élisabeth Pasquier, Chroniques des jardins de la Fournillière 1992-2000, Paris, L’Harmattan, 2003.